Dix arguments contre la construction de nouveaux réacteurs nucléaires
DIX ARGUMENTS
CONTRE LA CONSTRUCTION DE NOUVEAUX RÉACTEURS
NUCLÉAIRES ET POUR
UN APPROVISIONNEMENT
ÉNERGÉTIQUE
RENOUVELABLE EN SUISSE
Trop tard, trop cher, inutile. Pourquoi la Suisse n’a pas besoin d’une nouvelle centrale nucléaire.
Le photovoltaïque est sur la bonne voie
La Suisse est déjà bien engagée dans le développement des énergies renouvelables. La puissance photovoltaïque installée a en effet triplé par rapport à 2021. Rien qu’en 2024, la croissance a été d’environ 1,8 gigawatt de puissance crête (GWp). Selon l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), un développement de l’ordre de 2 GWp par an est nécessaire pour atteindre les objectifs intermédiaires de la transition énergétique d’ici 2030.
La mise en œuvre de la loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables, acceptée par le peuple en 2024, permet de consolider cette évolution positive. L’introduction de modèles tarifaires dynamiques et de regroupements dans le cadre de la consommation propre (communautés de consommateurs) offre notamment de nouvelles opportunités aux PME et aux ménages privés. Elle permettra à la Suisse de devenir indépendante des importations d’énergie.
Pourquoi relancer le débat sur le nucléaire maintenant?
Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la réduction des importations de gaz russe vers l’Europe centrale et occidentale qui s’en est suivie, des hausses temporaires des prix de l’électricité et du gaz ont été observées. Si ces hausses ont pesé sur l’économie et les ménages, il n’y a jamais eu de véritable pénurie. La Suisse a même réduit sa consommation d’énergie de près de 5 % par moment. Par ailleurs, les investissements dans l’efficacité énergétique, les pompes à chaleur et le photovoltaïque ont augmenté.
Malgré ces perspectives encourageantes, certains milieux continuent de douter de la faisabilité de la transition énergétique et des avantages à long terme d’une sortie du nucléaire. Si les revendications excessives de leur initiative «De l’électricité pour tous en tout temps (Stop au blackout)» ont incité le Conseil fédéral à recommander son rejet, le gouvernement soumet toutefois au Parlement un contre-projet indirect qui prévoit, lui aussi, de lever l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires, pourtant approuvée par le peuple en 2017. Quoi qu’il en soit, le dernier mot reviendra à la population.
Le peuple a fixé le cap
La stratégie suisse en matière d’énergie et de climat a été élaborée au fil de plusieurs projets menés sur une période d’une dizaine d’années. Diverses étapes ont été nécessaires: la Stratégie énergétique 2050 (2017), la loi sur le climat et l’innovation (2023) et la loi sur l’approvisionnement en électricité (2024). Le peuple a exprimé son soutien lors de ces trois votations. Remettre en cause ce compromis équilibré serait préjudiciable à la sécurité de la planification et de l’approvisionnement énergétique de la Suisse. C’est pourquoi refuser le contre-projet indirect dans le cadre des débats parlementaires est non seulement une nécessité, mais aussi une marque de respect envers la volonté populaire. Les pages qui suivent présentent dix arguments clairs contre la construction d’une nouvelle centrale nucléaire en Suisse et en faveur d’une poursuite résolue sur la voie d’une Suisse respectueuse du climat et dotée d’une production d’énergie à 100 % renouvelable.
Table des matières
1. Une nouveau réacteur nucléaire arriverait trop tard 4
2. Un nouveau réacteur nucléaire coûterait cher et nécessiterait des milliards de subventions 5
3. Le réacteur miracle n’existe pas 6
4. Le débat sur le nucléaire menace la sécurité de la planification et de l’approvisionnement énergétique à long terme 8
5. Un approvisionnement en électricité entièrement renouvelable est possible 9
6. Le nucléaire rend la Suisse dépendante de pays étrangers 10
7. Le problème des déchets nucléaires n’est pas résolu et coûtera des milliards aux contribuables 11
8. Risque de concentration de l’énergie et menace en cas de guerre
9. Une catastrophe nucléaire peut survenir à tout moment et n’est pas assurable
Les centrales nucléaires, victimes du stress climatique
1. Une nouveau réacteur nucléaire arriverait trop tard
• Vu la longueur du processus politique et des phases de planification et de construction, un nouveau réacteur nucléaire ne serait pas opérationnel avant 2050, soit bien trop tard pour remplacer les installations existantes.
• En l’absence de développement des énergies renouvelables, des solutions intermédiaires coûteuses impliquant le recours au gaz seraient nécessaires. La Suisse serait alors incapable de respecter les objectifs fixés dans l’accord de Paris sur le climat.
• À l’inverse, si elle développe comme prévu les énergies renouvelables, la Suisse pourra se passer des centrales nucléaires après 2050 pour garantir un approvisionnement énergétique sûr, indépendant et respectueux du climat.
La construction des réacteurs EPR d’Olkiluoto, en Finlande, et de Flamanville, en France, a respectivement duré seize et dix-sept ans, tandis que celle des deux nouveaux réacteurs AP1000 de Voegtle aux États-Unis a pris quinze ans. La construction de la centrale nucléaire de Hinkley Point C, au Royaume-Uni, accumule également les retards: approuvée en 2016, sa mise en service n’est pas prévue avant 2031. Les chiffres disponibles pour les pays non membres de l’OCDE sont peu fiables et difficilement comparables en raison de contextes différents (par ex. une législation du travail moins stricte ou des normes de sécurité moins élevées).
Même en mettant tout en œuvre dès aujourd’hui, la construction d’une nouvelle centrale nucléaire en Suisse ne pourrait être achevée avant 2050. Le processus politique et les phases de planification et de construction sont en effet très longs. Sans un développement des énergies renouvelables dans les proportions et les délais prévus par la stratégie énergétique, il faudra avoir recours aux importations d’électricité et aux centrales à gaz pour compenser la production manquante après la mise hors service des centrales de Gösgen et de Leibstadt. Cette situation entraînerait des coûts supplémentaires considérables, maintiendrait la Suisse dans sa dépendance vis-à-vis des importations de gaz et compromettrait gravement la réalisation des objectifs climatiques.
À l’inverse, si la Suisse parvient à atteindre les objectifs fixés par la population en matière de développement des énergies renouvelables, elle pourra se passer de nouvelles centrales nucléaires après 2050, car elle disposera d’une électricité sûre et respectueuse du climat en quantité suffisante.
Phase I
2026–2030
Phase II 2030–2035
Arrêt Beznau I et II 2032/2033
Phase III 2035–2045
Arrêt Gösgen 2039
Votation Initiative «Stop au blackout» / contre-projet
Mise en œuvre de la loi sur l’initiative «Stop au blackout» / Loi Subventionnement de centrales nucléaires
Votation en cas de référendum
Décision d’investissement après évaluation du point de vue de la rentabilité, des réglementations, du contexte, etc.
Préparation demande d’autorisation générale
Octroi de l’autorisation générale (év. votation)
Préparation demande de permis de construire
Octroi du permis de construire (év. après oppositions)
Arrêt Leibstadt 2044
Phase IV 2045–2050+
Préparation autorisation d’exploiter
Octroi de l’autorisation d’exploiter (év. après oppositions)
Début de l’exploitation d’une nouvelle centrale nucléaire
Politique Administration/Tribunaux Exploitant Investisseur
2. Un nouveau réacteur nucléaire coûterait cher et nécessiterait
des milliards de subventions
• Le coût d’une centrale nucléaire d’une puissance de 1,6 GW s’élève à 22 milliards de francs. L’électricité produite serait extrêmement chère et non compétitive.
• Les phases de prix de l’électricité très bas, voire négatifs, sont toujours plus fréquentes, réduisant la marge bénéficiaire des producteurs d’énergie dont les capacités de production sont peu flexibles, comme les centrales nucléaires.
• Une nouvelle centrale nucléaire devrait être massivement subventionnée, et le prix de l’électricité produite maintenu à un niveau artificiellement élevé.
Dans un rapport, la banque d’investissement américaine Lazard estime le prix de revient de l’électricité nucléaire entre 125 et 175 francs par MWh. Pour la nouvelle centrale nucléaire de Voegtle (États-Unis), ce montant atteint 171 francs par MWh. Pour l’EPR Hinkley Point C (RoyaumeUni), actuellement en construction, on table sur «nettement plus de 150 dollars par MWh» (soit plus de 120 francs par MWh) et sur des coûts de construction supérieurs à 40 milliards de francs Il est illusoire de penser que les coûts pourraient être plus bas en Suisse, compte tenu des longues phases de planification et des coûts salariaux et de construction élevés.
À titre de comparaison, le prix de l’électricité sur le marché à terme européen oscillait entre 58 francs (février) et 106 francs (novembre) par MWh en 2024. Pendant la plus grande partie de l’année, il était nettement inférieur à 80 francs par MWh. Les centrales nucléaires qui cherchent à produire et à vendre de l’énergie en ruban à des prix plus élevés ne sont pas compétitives. Alpiq estime que d’ici 2050, les prix de l’électricité sur le marché européen seront très bas, voire négatifs, la moitié du temps. En 2024, le prix de l’électricité à la bourse suisse de l’électricité a déjà été négatif pendant 292 heures. Une centrale nucléaire, dont la production est peu flexible, devrait donc de plus en plus souvent payer un supplément pour pouvoir injecter de l’électricité dans le réseau.
La construction d’une nouvelle centrale nucléaire en Suisse nécessiterait des subventions de plusieurs milliards de francs ou l’octroi aux exploitants d’une garantie de prix minimal pour l’électricité produite au cours des prochaines décennies. Cela entraînerait des coûts
Fréquence estimée des prix de l’électricité
Aide à la lecture: en 2045, on peut s’attendre à ce que les prix de l’électricité soient inférieurs à 20 euros par MWh, voire négatifs, environ la moitié du temps. Source: Antje Kanngiesser, directrice générale d’Alpiq, «Zéro net: Opération à cœur ouvert», assemblée générale de Swisscleantech, 31 mars 2025
considérables et perturberait fortement le marché. L’addition serait à la charge de la population ou des contribuables. L’électricité nucléaire est tout simplement trop chère pour un marché de l’électricité dynamique, comptant une forte proportion de nouveaux producteurs d’électricité renouvelable.
3. Le réacteur miracle n’existe pas
• Malgré les milliards investis dans la recherche depuis des décennies, aucun modèle alternatif de réacteur ne deviendra opérationnel dans un délai raisonnable.
• Spéculer sur les prétendues prouesses de «nouveaux» modèles de réacteurs n’est qu’un vœu pieux du lobby nucléaire.
• Grâce aux énergies renouvelables bon marché, nous savons comment remplacer les centrales nucléaires vieillissantes.
On entend régulièrement dire que de nouveaux types de réacteurs, tels que les petits réacteurs modulaires (SMR), les réacteurs à sels fondus ou les réacteurs sous-critiques pilotés par accélérateur (ADSR) (voir encadré), remplaceront bientôt la technologie nucléaire existante. Les promesses vont d’une réduction des coûts et des risques à la fin de la dépendance à l’uranium en passant par la résolution du problème des déchets nucléaires. Cependant, alors que ces technologies existent depuis des décennies, aucune n’a réussi à s’imposer, à l’exception de quelques réacteurs expérimentaux. Elles se heurtent encore à des difficultés et à des risques trop importants. De plus, aucune d’entre elles ne parvient à pallier tous les inconvénients des centrales existantes.
Si l’un de ces modèles était un jour exploité commercialement, son développement prendrait encore des décennies et coûterait des milliards. Il est donc utopique de croire qu’un nouveau type de réacteur pourrait, dans un délai raisonnable, contribuer de manière significative à résoudre les problèmes actuels de l’énergie nucléaire et produire une énergie respectueuse du climat.
Photo de la ville de Namie au Japon en 2014. En 2011, suite à l’accident de Fukushima, la ville a été complètement évacuée. En 2025, seulement 16 % de la population originelle a pu revenir s’y installer.
Les problèmes insurmon-
tables des «nouveaux» modèles de réacteurs
Surgénérateurs
Comme seule une petite partie de l’uranium peut être utilisée pour la fission nucléaire dans les réacteurs conventionnels, l’industrie a cherché à produire davantage de combustible directement dans le réacteur. À la place de l’eau, les surgénérateurs utilisent du sodium liquide comme liquide de refroidissement, ce qui pose de graves problèmes de sécurité. Les composants du réacteur sont fabriqués sur mesure et sont coûteux. Si le liquide de refroidissement venait à se solidifier à la suite d’une défaillance, le réacteur ne pourrait plus être réparé. Les barres de combustible doivent par ailleurs être réorganisées tous les quelques mois, ce qui entraîne des interruptions de service. Les pannes et les arrêts imprévus sont la règle plutôt que l’exception.
Actuellement, seuls deux surgénérateurs sont en exploitation dans le monde, en Russie, avec une disponibilité de 75 % pour l’un et de moins de 70 % pour l’autre. Si ces réacteurs avaient tenu leurs promesses, ils se seraient imposés sur le marché, ce qui n’a pas été le cas.
Réacteur piloté par accélérateur –Transmutex – ADSR
Le système Transmutex permet d’éviter toute fission nucléaire auto-entretenue dans le réacteur. Il repose sur le principe d’une réaction alimentée par un accélérateur de particules extrêmement puissant. Un tel accélérateur n’existe toutefois pas encore. Ce système prévoit également d’utiliser des déchets radioactifs et du thorium pour produire de l’énergie.
Une procédure risquée serait toutefois nécessaire pour retraiter le combustible issu des déchets nucléaires avant de l’utiliser. Quant aux déchets produits par le système Transmutex, ils nécessiteraient une chaîne d’élimination entièrement nouvelle. Le réacteur est par ailleurs refroidi au plomb liquide. Il émet des rayons gamma dangereux et requiert un blindage bien plus important que celui des centrales nucléaires conventionnelles. Les autres défis techniques non résolus sont trop nombreux pour être énumérés ici.
En résumé, le procédé et la technologie requise sont si complexes que la construction et l’exploitation d’un réacteur Transmutex ne seraient jamais rentables.
Petits réacteurs modulaires (SMR)
La promesse marketing des SMR est de réduire la taille des réacteurs conventionnels afin de pouvoir les produire en série et de les livrer directement de l’usine à leur site d’implantation. La production en série est censée réduire les coûts. Cependant, les modèles en cours de développement ne sont pas beaucoup plus petits que les réacteurs existants.
De plus, un réacteur plus petit n’est pas nécessairement moins dangereux. Il serait donc insensé de faire des concessions sur la sécurité pour des raisons de coûts. Or, comme un réacteur plus petit est moins performant, il en faut davantage pour produire la même quantité d’électricité, ce qui augmente le risque d’accident.
Plusieurs entreprises, principalement aux États-Unis, mènent actuellement des recherches approfondies sur les SMR. Des milliards de dollars provenant de fonds publics et privés sont investis dans ces recherches. Cependant, il est encore difficile de déterminer les avantages que les SMR pourraient présenter par rapport aux grandes centrales nucléaires conventionnelles ainsi que les acteurs susceptibles de commander les innombrables réacteurs nécessaires pour rendre la production rentable.
Réacteur à sels fondus «Onion Core» Depuis 2014, une équipe de recherche danoise développe une nouvelle architecture de réacteur en forme d’oignon. Le combustible, produit dans le réacteur à partir de thorium, un élément plus courant que l’uranium, se présente sous la forme de sels fondus.
La structure du réacteur est complexe. Le sel fondu, dont la température se situe entre 600 et 700 °C, circule dans un réacteur rempli d’eau lourde. De fines cloisons sont destinées à empêcher le sel d’entrer en contact avec l’eau. Le sel est toutefois corrosif. De plus, les cloisons doivent résister à la chaleur et à la forte radioactivité. Le sel irradié doit également être purifié en permanence dans le circuit. Des pannes et des incidents graves sont prévisibles.
L’équipe de recherche estime néanmoins pouvoir installer le réacteur dans un conteneur maritime et le faire fonctionner sans blindage adéquat. Elle prévoit de tester un premier réacteur expérimental dans les prochaines années à l’Institut Paul Scherrer, en Suisse. Il est toutefois peu probable que ce modèle théorique puisse être transposé dans la réalité.
Vous trouverez de plus amples informations à ce sujet sur le site de l’Office fédéral allemand pour la sécurité nucléaire (BASE): Alternative Reaktorkonzepte
4. Le débat sur le nucléaire met en péril la sécurité de la planification et de l’approvisionnement
énergétique à
long terme
• Les fournisseurs d’énergie planifient actuellement comment ils pourront approvisionner la Suisse en électricité et en chaleur dans les décennies qui suivront la sortie du nucléaire.
• Les investissements dans les énergies renouvelables et les systèmes de stockage thermique intersaisonnier sont uniquement rentables s’ils répondent à un réel besoin.
• La relance du débat sur le nucléaire remet en question la sécurité de la planification, engendre des risques et peut retarder, voire bloquer, certains projets indispensables.
Les investissements dans le développement de la production d’électricité requièrent une sécurité de la planification à long terme. Cela est particulièrement vrai pour le marché de l’électricité, où le retour sur investissement peut prendre des décennies. Pour faciliter ces investissements, la Confédération prévoit des rétributions uniques pour le photovoltaïque ainsi qu’une prime de marché flottante pour certaines énergies renouvelables. Ces instruments d’encouragement permettront de développer rapidement ces sources d’énergie et de remplacer les anciennes centrales nucléaires dans un délai raisonnable.
Toute réorientation de ces mesures d’encouragement, par exemple pour financer la construction d’une nouvelle centrale nucléaire, ou tout risque de distorsion du marché (voir le point 2) mettrait en péril la sécurité des investissements dans les nouvelles énergies renouvelables. La transition énergétique s’en trouverait ralentie, ce qui provoquerait des pénuries d’électricité après la mise à l’arrêt des centrales nucléaires de Gösgen et de Leibstadt et nécessiterait la mise en place de solutions intermédiaires coûteuses basées sur les énergies fossiles (voir le point 1).
En résumé, la sécurité de l’approvisionnement peut uniquement être garantie par une sécurité de la planification. Or, la relance du débat sur le nucléaire remet en question la stratégie énergétique élaborée avec soin et mise en œuvre avec succès. Remettre en cause cette évolution positive serait irresponsable et porterait un coup dur à la filière innovante et créatrice de valeur que sont les énergies et les technologies propres.
Le barrage du Muttsee, situé dans les Alpes glaronnaises, abrite la plus grande centrale solaire alpine de Suisse.
5. Un approvisionnement en électricité entièrement renouvelable est possible
• En adoptant la loi sur l’électricité en 2024, le peuple a fixé le cap. La loi doit maintenant produire ses effets.
• Différents modèles démontrent indépendamment les uns des autres qu’il est possible d’alimenter la Suisse à 100 % en énergie renouvelable tout au long de l’année.
• Si la Suisse atteint ses objectifs de développement des énergies renouvelables, elle importera en hiver, après la sortie du nucléaire, une quantité d’électricité similaire à celle des dernières années.
On compte actuellement plus de trente scénarios énergétiques pour la Suisse. Ces scénarios partent d’hypothèses légèrement différentes, mais aboutissent tous à la même conclusion. Un approvisionnement énergétique 100 % renouvelable et neutre en carbone est réalisable en Suisse au plus tard d’ici 2050. Pour y parvenir, il est toutefois indispensable de poursuivre les objectifs fixés en matière d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables, en particulier du photovoltaïque. Une combinaison de différentes sources d’électricité renouvelables, d’efficacité énergétique et de technologies
de stockage garantira que nos lumières restent allumées et nos logements bien chauffés, même en hiver.
La mise en œuvre progressive de la nouvelle loi sur l’électricité permettra d’éliminer les obstacles au développement des énergies renouvelables. Les objectifs fixés par la loi pour 2035 devraient donc être atteints, le photovoltaïque devant contribuer à hauteur d’environ 80 % à ce développement. L’énergie nucléaire deviendra alors superflue, et la demande de lever l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires n’aura tout simplement plus aucun sens.
Les technologies fiables et sûres disponibles aujourd’hui permettent de réussir la transition énergétique.
Le potentiel de production en Suisse est largement supérieur à la demande. Grâce à l’énergie hydraulique, la Suisse est parfaitement positionnée pour compenser les fluctuations de production des énergies renouvelables, même à long terme. La limitation des pics de consommation et le stockage dans des batteries permettent
par ailleurs de soulager le réseau. Aujourd’hui déjà, un tiers des installations solaires sont équipées de batteries de stockage, dont le coût continue de baisser. Une solution encore plus satisfaisante sur le plan écologique serait que les batteries des voitures électriques puissent être utilisées de manière standard.
6. Le nucléaire rend la Suisse dépendante de pays étrangers
• On ne trouve de l’uranium exploitable qu’à l’étranger, souvent dans des États autoritaires.
• Quel que soit le lieu où elle est pratiquée, l’extraction de l’uranium détruit la nature et empoisonne les populations.
• L’enrichissement de l’uranium et la fabrication du combustible ont lieu uniquement dans des sites spécialisés. Ces chaînes d’approvisionnement sont vulnérables aux crises.
Les quelques entreprises qui produisent du combustible à base d’uranium sont hautement spécialisées et souvent implantées dans des pays non démocratiques. Il en résulte une chaîne d’approvisionnement complexe et vulnérable, dont dépendent fortement les exploitants de centrales nucléaires. La défaillance d’une seule étape de cette chaîne peut compromettre le fonctionnement des centrales nucléaires, et donc l’approvisionnement électrique de la Suisse.
Les exploitants suisses de centrales nucléaires importent leur uranium du Canada, d’Australie, de Russie et, depuis peu, du Kazakhstan. Aux États-Unis également, la répartition inégale des gisements d’uranium et son enrichissement sont considérés comme une menace pour la sécurité nationale
De plus, seules quelques entreprises sont en mesure de construire des centrales nucléaires ou de fabriquer des composants critiques comme les cuves de réacteur.
La Suisse dépend donc entièrement de partenaires étrangers pour la construction de ses centrales nucléaires ainsi que pour leur approvisionnement en combustible, ce qui pourrait la placer dans une situation délicate et la rendre vulnérable au chantage en fonction de l’évolution de la situation géopolitique.
La fabrication du combustible pour les centrales nucléaires est un processus complexe. Après l’extraction et le raffinage permettant d’obtenir du yellow cake, le minerai d’uranium est transformé en hexafluorure d’uranium, une substance hautement toxique. L’uranium 235, un isotope fissile de l’uranium, est ensuite enrichi dans des centrifugeuses à gaz. Une fois le niveau d’enrichissement requis atteint (entre 3 et 5 % d’uranium 235 pour les réacteurs nucléaires civils), l’uranium enrichi est converti en oxyde d’uranium, comprimé en pastilles, puis introduit dans des conteneurs tubulaires constituant les éléments combustibles. L’uranium appauvri est éliminé comme déchet dans des décharges. La Chine et la Russie contrôlent actuellement 60 % de la capacité mondiale d’enrichissement de l’uranium.
Entrée d’un des sites miniers de l’entreprise Kazakhe Kazatomprom, active dans dans l’exploration, la production et la commercialisation de l’uranium et nouveau fournisseur d’Axpo pour les centrales nucléaires de Beznau et Leibstadt.
7. Le problème des déchets nucléaires n’est pas résolu et coûtera des milliards aux contribuables
• Il n’existe à l’heure actuelle aucune solution sûre à long terme pour l’élimination des déchets nucléaires dans le monde.
• Le dépôt en profondeur prévu dans la région du nord du Lägern n’est conçu que pour les déchets hautement radioactifs des centrales nucléaires existantes. La construction d’une nouvelle centrale nécessiterait donc de rechercher un site supplémentaire pour y construire un nouveau dépôt.
• Des doutes légitimes subsistent quant à savoir si les provisions constituées jusqu’à présent, ainsi que celles encore prévues, suffiront à financer la construction du dépôt en profondeur.
Le dépôt en profondeur actuellement prévu par la Nagra dans la région du nord du Lägern n’est conçu que pour les déchets radioactifs des centrales nucléaires existantes. La construction d’une nouvelle centrale nucléaire impliquerait donc également la création d’un dépôt supplémentaire.
De plus, diverses questions relatives aux procédures et à la sécurité restent sans réponse concernant le dépôt prévu. On ignore notamment quels effets la chaleur de décroissance et les quelque 40 millions de mètres cubes d’hydrogène générés par la corrosion des conteneurs en acier auront sur l’étanchéité des minéraux argileux environnants.
Le premier site européen de stockage de déchets nucléaires en profondeur, à Onkalo en Finlande, souvent cité en exemple par le lobby nucléaire, ne tient pas non plus ses promesses. Il est en effet construit dans du granit, une roche que la Nagra elle-même juge trop peu sûre, car les fractures et les fissures ne se «résorbent» pas d’elles-mêmes, ce qui augmente le risque d’infiltration d’eau. Plus fondamentalement, il est tout simplement impossible de garantir que dans un avenir lointain, des civilisations ne creuseront pas le sol à cet endroit précis.
La Nagra estime que le site de stockage en profondeur coûtera au moins 20 milliards de francs. Il faut ajouter à ce montant les coûts du démantèlement des centrales nucléaires existantes. Le démantèlement de la centrale de Mühleberg
coûte à lui seul plus de 2 milliards de francs. La mise hors service des deux réacteurs de Beznau ainsi que de ceux de Gösgen et de Leibstadt devrait coûter entre 8 et 10 milliards de francs supplémentaires. Au total, cela représente donc au moins 30 milliards de francs.
Le fonds de désaffectation pour les installations nucléaires a été créé en 1984 et le fonds de gestion des déchets nucléaires, en 2000. Fin 2023, la fortune des deux fonds, désormais regroupés, s’élevait à environ 6 milliards de francs. En supposant une durée de vie de soixante ans pour un réacteur, la centrale suisse la plus récente, celle de Leibstadt, sera mise hors service dans moins de vingt ans, soit fin 2044. Les 24 milliards de francs manquants (voire nettement plus si l’on tient compte de l’inflation) devront être obtenus par des rendements sur les marchés financiers, ce qui représente un pari risqué. Tout porte donc à croire que le nucléaire coûtera encore une fortune à la Confédération et aux contribuables suisses à l’avenir.
Au vu de ces coûts cachés extrêmement élevés et de l’obstacle insurmontable que représente la sécurité à long terme, le simple fait d’envisager la construction d’une nouvelle centrale nucléaire et la production de déchets hautement radioactifs supplémentaires est totalement irresponsable.
8. Risque de concentration de l’énergie et menace en cas de guerre
• Les centrales nucléaires représentent un risque de concentration et augmentent la vulnérabilité en cas de crise ou de guerre.
• Pour pallier une panne imprévue d’une centrale nucléaire, il faut toujours disposer d’une réserve d’énergie de réglage, ce qui est coûteux.
• Un approvisionnement en électricité renouvelable et décentralisé offre davantage de sécurité. Si une petite installation tombe en panne, sa production peut être rapidement compensée.
En cas de conflit, les grandes centrales sont des cibles évidentes permettant de paralyser l’approvisionnement en électricité sur une grande partie du territoire et d’affaiblir durablement un pays. La guerre en Ukraine en est le meilleur exemple. Même à l’arrêt, les réacteurs nucléaires doivent continuer d’évacuer leur puissance résiduelle, ce qui représente un danger particulier en cas de coupures de courant prolongées. Il est également concevable qu’un agresseur obtienne des concessions de l’État attaqué simplement en menaçant une centrale nucléaire.
Les dernières années ont montré qu’une panne imprévue d’une centrale nucléaire est toujours possible, même dans des conditions normales. On peut citer, par exemple, l’été 2022, durant lequel la moitié du parc nucléaire français était à l’arrêt, ou l’année 2016, au cours de laquelle les réacteurs de Beznau 1 et de Leibstadt ont subi des arrêts imprévus prolongés. Même les centrales de dernière génération sont loin d’être à l’abri d’interruptions de production. L’EPR finlandais d’Olkiluoto a ainsi
Dans la centrale nucléaire de Cattenom, en France, des militant·es Greenpeace ont pu s’approcher en 2017 des piscines de stockage du combustible nucléaire et y faire exploser des feux d’artifices démontrant ainsi la vulnérabilité des installations nucléaires en cas d’attaque terroriste ou en temps de guerre.
connu une panne imprévue pendant plusieurs jours en novembre 2024.
Les coupures non planifiées des grands producteurs d’électricité mettent le réseau à rude épreuve. Elles obligent à maintenir en permanence une puissance de réserve ou à acheter l’électricité manquante à un prix élevé sur le marché de l’énergie de réglage. En cas de défaillance simultanée de plusieurs grandes installations, le réseau électrique européen atteint rapidement ses limites. Des pénuries d’approvisionnement et des délestages pourraient alors se produire, obligeant à couper certaines régions et certains gros consommateurs du réseau. Les centrales nucléaires constituent donc un risque de concentration pour la sécurité de l’approvisionnement.
Il est vrai que la production d’électricité à partir de sources renouvelables est sujette à d’importantes fluctuations. Grâce à des prévisions météorologiques fiables, il est toutefois possible de planifier cette production. De plus, la défaillance de deux ou trois installations décentralisées n’a pas d’impact significatif sur l’approvisionnement global.
9. Une catastrophe nucléaire peut survenir à tout moment et n’est pas assurable
• Une catastrophe dans une centrale nucléaire peut survenir à tout moment et entraîner des coûts pouvant atteindre 8000 milliards de francs.
• Les centrales nucléaires ne sont assurées que pour des dommages à hauteur de 1,5 milliard de francs.
• Une technologie qui ne peut être assurée est clairement trop risquée et ne doit pas être encouragée.
Un accident nucléaire grave est possible à tout moment et, statistiquement, il finira par se produire. La vraie question est de savoir où et quand. Outre le fait qu’une telle catastrophe en Suisse affecterait des millions de personnes en raison de la forte densité de population sur le Plateau suisse et dans les régions frontalières en Allemagne et en France, les conséquences financières seraient colossales. Ces conséquences ne peuvent être qu’estimées. En prenant en compte l’ensemble des dommages corporels et matériels ainsi que la destruction des moyens de subsistance, elles pourraient atteindre 8000 milliards de francs.
Or, dans les faits, la couverture assurée pour un accident nucléaire en Suisse n’est que de 1,5 milliard de francs. Plafonner la somme assurée à une infime partie des dommages potentiels revient de facto à accorder une subvention publique indirecte massive, ce qui constitue une distorsion importante du marché en faveur de l’énergie nucléaire. Autrement dit, une technologie dont le risque ne peut pratiquement pas être assuré n’aurait jamais dû être utilisée.
Simulation d’un accident à la centrale nucléaire de Leibstadt pour différentes conditions météorologiques passées.
Source: Institut Biosphère, Genève; IPPNW, Lucerne; Institut des sciences de l’environnement et département F.-A. Forel des sciences de l’environnement et de l’eau, Université de Genève.
≥ 1,480 kBq/m2 of 137Cs
≥ 555 kBq/m2 of 137Cs
≥ 185 kBq/m2 of 137Cs
≥ 37 kBq/m2 of 137Cs
10. Les centrales nucléaires, victimes du stress climatique
• Une centrale nucléaire comme celle de Gösgen ou de Leibstadt transforme en vapeur près d’un mètre cube d’eau par seconde. Cela équivaut, sur une année, à la consommation moyenne d’eau d’un demi-million de personnes en Suisse.
• Lorsque la majeure partie des glaciers aura fondu, le débit des rivières suisses sera très faible, voire nul, durant les périodes de sécheresse.
• En raison du manque d’eau de refroidissement, une nouvelle centrale nucléaire serait régulièrement mise à l’arrêt.
L’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) et un rapport de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) intitulé «CH2018 – Scénarios climatiques pour la Suisse» indiquent clairement que «vers la fin du siècle, une sécheresse qui survient actuellement une à deux fois tous les dix ans pourrait se produire une année sur deux». Cette situation est d’autant plus préoccupante que la plupart des glaciers auront alors fondu, ce qui signifie que les principaux cours d’eau suisses auront un débit très faible, voire nul, pendant les longues périodes de sécheresse.
En raison du manque d’eau pour le refroidissement et la production de vapeur, les centrales thermiques alimentées par l’eau des rivières, à l’instar des centrales nucléaires suisses, pourraient être régulièrement mises à l’arrêt pendant plusieurs mois par an. Cela réduirait leur rentabilité, augmenterait leurs coûts de production d’électricité déjà élevés et mettrait à rude épreuve la stabilité du réseau. Cette situation s’est déjà produite à plusieurs reprises en France ces dernières années (voir le point 8).
Une consommation accrue à cause de l’intelligence artificielle?
Selon certaines prévisions, la consommation électrique des centres de données pourrait doubler au cours des prochaines années. En 2019, elle ne représentait que 3,6 % de la consommation électrique en Suisse. Elle atteignait déjà 7 % en 2024, soit 4 TWh, et pourrait atteindre 15 % en 2030.
Ces dernières années, la consommation d’électricité en Suisse a légèrement diminué, malgré la croissance démographique, la multiplication des centres de données et des pompes à chaleur ainsi que l’essor de la mobilité électrique. De plus, le potentiel d’efficacité n’est pas encore pleinement exploité dans de nombreux domaines. En 2024, un rapport commandé par l’OFEN a montré que jusqu’à 7 TWh, soit plus de 12 % de l’électricité, étaient perdus, dont une part considérable «sans utilité».
Il n’est donc pas pertinent d’invoquer la croissance d’un seul secteur d’activité
pour tirer des conclusions sur l’ensemble du système et sur la faisabilité de la transition énergétique.
Le consortium de recherche Sweet Edge prévoit une augmentation de la consommation d’électricité, qui passerait d’environ 56 TWh par an aujourd’hui à 75 TWh par an d’ici à 2050. Cette estimation inclut déjà une partie des besoins liés aux centres de données. D’autres scénarios tablent même sur une augmentation à 100 TWh par an. Le potentiel exploitable des énergies renouvelables en Suisse est toutefois bien plus élevé. Une éventuelle augmentation de la demande pourrait donc être couverte par un développement supplémentaire des énergies renouvelables, tant en été qu’en hiver, comme le montre le scénario énergétique global de Greenpeace.
Conclusion
Même si le lobby nucléaire continue de rêver à un renouveau des centrales nucléaires, la situation actuelle indique une tout autre direction. Alors que l’énergie nucléaire représentait encore 16,6 % de la production mondiale d’électricité en 2000, sa part est tombée à moins de 9 % en 2024. Sur la même période, la part des nouvelles énergies renouvelables, telles que l’éolien et le solaire, est passée de 1,5 % à près de 18 %. Un renversement de cette tendance n’est pas en vue. Tôt ou tard, les nouvelles énergies renouvelables remplaceront les énergies fossiles.
Grâce à son économie innovante et à ses ressources hydrauliques couvrant plus de 50 % de ses besoins en électricité, la Suisse est parfaitement positionnée pour sortir du nucléaire dans un délai raisonnable. Notre voisin autrichien montre l’exemple. Il est donc temps de mettre fin au débat sur les nouvelles centrales nucléaires et d’engager notre pays sur la voie d’un avenir énergétique harmonieux, indépendant, sûr, durable et abordable.
Part des différentes sources d’énergie dans la production mondiale d’électricité
Installation solaire à proximité de la centrale nucléaire de Gösgen dans le canton de Soleure pendant l’arrêt imprévu du réacteur qui a fait suite à la révision annuelle de juin 2025.
Des élèves d’une école secondaire de Derendingen participent à l’installation de panneaux solaires sur le toit de leur école.
Impressum
Dix arguments contre la construction de nouvelles centrales nucléaires et pour un approvisionnement énergétique 100 % renouvelable en Suisse Greenpeace Suisse, août 2025
Auteur: Nathan Solothurnmann
Traduction: Marc Rüegger
Lectorat: Mathias Schlegel
Mise en page: Melanie Cadisch
Photos: Robert Knoth / Greenpeace (p. 6), Axpo Holding AG (p. 8), Vladimir Tretyakov / Shutterstock (p. 10), Vivien Fossez / Greenpeace (p. 12), Marc Meier / Greenpeace (p. 15), Nicolas Fojtu / Greenpeace (p. 16)
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