Le Premier ministre Ousmane Sonko (à gauche) et le président de la République Bassirou Diomaye Faye (à droite) dans la cour du palais présidentiel
RÉVOLUTION, ACTE II SÉNÉGAL
Depuis mars 2024, le Sénégal est porté par un duo exécutif inédit. Le tout dans un contexte particulièrement adverse. C’est le moment du second souffle.
SI GRANDE, SI FRAGILE…
Oui, l’Afrique est au centre du monde. En taille Le deuxième continent après l’Asie Avec un peu plus de 30 millions de km2 : 8000 km du cap Blanc en Tunisie au cap des Aiguilles en Afrique du Sud, et 7400 km des îles du Cap-Vert à la Somalie. La fameuse projection cartographique Mercator [voir AM 443-444] a faussé la perception, nous rapetissant, ramenant notre taille grosso modo à celle du Groenland… Pourtant, dans la réalité terrestre, l’Afrique pourrait «loger» les États-Unis, la Chine, l’Inde et presque toute l’Europe L’Afrique, c’est 20% du monde émergé, 1,4 milliard d’habitants (chiffre en progression rapide), soit 18 % des êtres humains. C’est ici qu’est née l’humanité, quelque part dans les régions du Rift et des Grands Lacs. Notre immensité est littéralement vertigineuse
Il faut s’en rendre compte. L’Union africaine, en partenariat avec des associations comme Speak Up Africa, mène une ambitieuse campagne «Correct the Map». L’idée, c’est justement de corriger ce planisphère que l’on doit à Gérard Mercator – géographe talentueux certainement, en tout cas à son époque –, qui publie cette projection cylindrique en 1569 Et de modifier les représentations du continent, d’abord dans les manuels scolaires africains, mais aussi, à terme, dans tous les usages, en particulier sur le Web et les applications type Google Maps ou Google Earth. On voit bien le symbole. On mesure bien l’ampleur de la tâche aussi.
L’Afrique est donc immense, il faut le dire à nos enfants. Et pourtant, elle est aussi immensément fragile, «petite». Quels que soient les discours sur l’émergence, il faut le dire aussi. L’Afrique «pèse» peu, elle ne compte pas vraiment dans les rapports de force globaux dominés par l’économie, le business Aujourd’hui, nous représentons un peu moins de 3% du commerce mondial. Avec un PIB global d’environ 3000 milliards de dollars. Soit la même « richesse » que la France (68 millions d’habitants) et moins que l’Allemagne (83 millions d’habitants). Et très loin des 19000 milliards de la Chine (avec une population presque équivalente et quarante ans de développement exponentiel). Ou même de l’Inde (4000 milliards).
On aurait pu, on aurait dû aller plus vite, faire mieux. Même si, bien sûr, nous ne sommes pas immobiles. On revient de loin, des fractures et des traumatismes des conquêtes et de l’ère coloniale. Ceux qui ont déjà un certain âge peuvent aussi comparer, se rappeler les années 1980, ces décors urbains anémiés, l’absence d’infrastructures, les entreprises quasi inexistantes Nous avons construit au sens propre, nous nous sommes ouverts au monde.
Oui, on aurait dû aller plus vite, faire mieux. Soixante ans après les indépendances, près de 60% des personnes vivant dans l’extrême pauvreté sont en Afrique (50 % en 1990). Cela représente 400 millions de personnes. Avec des épicentres de la douleur (zones sahéliennes, RDC, Madagascar, Nigeria…). Sans changement de cap, et poussée par une forte démographie, l’Afrique pourrait concentrer près de 80% de l’extrême pauvreté mondiale en 2050
Ce sous-développement persistant n’est pas que rural. Le centre lumineux des grandes villes, l’urbanisation, les infrastructures, les taux de croissance soutenus des dernières années, la digitalisation, la culture, etc., ne masquent pas la fracture sociale béante Et qui menace l’équilibre général. Les jeunes sont en première ligne: 60% de la population africaine a moins de 25 ans. Une partie de cette jeunesse, en particulier citadine, la fameuse «génération Z», s’est «conscientisée»; elle est connectée, digitalisée, elle fait face à un chômage endémique et souvent à l’entresoi des élites Aucune émergence réelle ne peut se construire sur cette précarité généralisée.
Plus que jamais, notre très grand continent a besoin de gouvernance rationnelle et efficace, de croissance organisée, de lutte contre la corruption, de discipline Et d’investissements (le plus souvent privés et internationaux) pour créer des industries, des emplois. Plus que jamais, il faut privilégier le social, investir dans l’éducation, la santé, l’agriculture, la jeunesse.
Pour être véritablement au centre du monde. Pour être véritablement une terre d’opportunités ■
PAR ZYAD LIMAM
3 ÉDITO
Si grande, si fragile… par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
La voix qui nous revient!
28 PARCOURS
Luck Razanajaona par Astrid Krivian
31 C’EST COMMENT?
Une déconfiture française par Emmanuelle Pontié
74 PORTFOLIO
Des photos en urgence
90 VINGT QUESTIONS À…
Awa Ly par Astrid Krivian
TEMPS FORTS
32 Sénégal: révolution, acte II par Zyad Limam et Emmanuelle Pontié
42 Barrage sur le Nil par Cédric Gouverneur
50 Gaza, le film choc qui dit: «Ça suffit!» par Jean-Marie Chazeau
56 Une scène très exposée par Shiran Ben Abderrazak
62 Hella Feki: la monarque et l’exil par Astrid Krivian
68 Hafsia Herzi: «Le désir est plus fort que tout» par Astrid Krivian
N°46 9 OC TO BR E 20 25
BUSINESS
80 Le voyage, valeur en hausse
84 Michelle Gounden: «Mettre en œuvre notre richesse, associer les populations»
86 Le Nigeria bannit à son tour l’exportation de karité
87 Aliko Dangote investit le marché des engrais éthiopiens
88 Le Zimbabwe mise sur l’énergie nucléaire
89 Des trains tanzaniens pour les minerais burundais par Cédric Gouverneur
PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com
Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Shiran Ben Abderrazak JeanMarie Chazeau, Catherine Faye, Vanessa François Jean-Louis Gouraud, Cédric Gouverneur, Astrid Krivian, Luisa Nannipieri Sophie Rosemont
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Commission paritaire: 0229 D 85602. Dépôt légal: octobre 2025
ON EN PARLE
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
LA VOIX QUI NOUS REVIENT!
Cette pièce symbolique, CONFISQUÉE EN 1916 à Adjamé par les autorités coloniales françaises, va effectuer son grand retour en Côte d’Ivoire.
C’EST L’UN DES OBJETS les plus emblématiques du musée du Quai Branly-Jacques Chirac.
Le monumental tambour parleur de la communauté atchan, en Côte d’Ivoire, s’apprête à quitter Paris pour rejoindre Abidjan. Entré dans les collections françaises en 1930 après avoir été «saisi» en 1916 par l’administration coloniale, il devient aujourd’hui l’un des symboles forts d’un processus inédit: la restitution à l’Afrique d’objets majeurs de son patrimoine, conservés en Europe
Taillé dans un tronc massif, creusé avec une précision acoustique remarquable, le tambour parleur n’était pas un simple instrument de musique. Chez les Baoulés et les
Atchan, comme dans d’autres sociétés d’Afrique de l’Ouest, il servait à transmettre des messages à longue distance. Son langage reposait sur la reproduction des intonations des langues locales, permettant d’annoncer des cérémonies, de prévenir d’un danger ou de convoquer la population. Véritable «télégraphe de brousse», il reliait les villages et structurait la vie communautaire. Collecté dans l’entre-deux-guerres, l’exemplaire conservé à Paris a d’abord été exposé au musée de l’Homme, avant de rejoindre en 2006 les galeries du musée du Quai Branly. Haut de près de deux mètres, il impressionne par sa puissance visuelle et sonore
Même silencieux, il porte en lui la mémoire d’innombrables voix Fragilisé par l’usure du temps, le tambour a bénéficié à partir de 2015 d’une restauration tout aussi délicate qu’ambitieuse: consolidation du bois, traitement contre les parasites, stabilisation des fissures Ce travail de «chirurgie», mené en lien avec des experts ivoiriens, s’est imposé comme une étape préalable incontournable à un retour possible. «Restaurer un tel objet, c’est lui redonner sa dignité», soulignait alors un conservateur de l’établissement parisien. La restitution des œuvres a pris une dimension nouvelle en 2017 Le fraîchement élu président Emmanuel Macron,
Long de 3,50 mètres et pesant près de 430 kg, le Djidji Ayôkwé est un tambour à fente en bois sculpté
dans son discours de Ouagadougou, le 28 novembre, annonce sa volonté d’engager le processus de retour du patrimoine conservé en France vers l’Afrique. Dans la foulée, il confie à l’historienne Bénédicte Savoy et à l’écrivain sénégalais Felwine Sarr une mission de réflexion sur un sujet hautement sensible, tant sur le plan politique que muséal. Leur rapport, publié en novembre 2018, recommande alors la restitution – sous conditions – des objets sortis du continent durant la période coloniale sans consentement. Parmi eux figurait le tambour parleur ivoirien.
Dès 2019, la Côte d’Ivoire dépose une demande officielle pour sa restitution du tambour (et 148 autres pièces majeures). Le président de la République français confirme cet engagement lors du sommet Afrique-France de Montpellier, en octobre 2021 Après une première convention de dépôt temporaire signée le 18 novembre 2024 au musée des Civilisations de Côte d’Ivoire, le processus s’accélère. Le 28 avril 2025, le Sénat français adopte la proposition
de loi autorisant la restitution. L’Assemblée nationale fait de même le 7 juillet. La loi est promulguée le 16 juillet 2025 et entre en vigueur deux jours plus tard, le 18 juillet À partir de cette date, le tambour cesse de faire partie des collections publiques françaises Le texte fixe un délai maximal d’un an pour son transfert effectif en Côte d’Ivoire, soit au plus tard le 18 juillet 2026 À Abidjan, le musée des Civilisations
de Côte d’Ivoire se prépare à accueillir l’instrument dans ses salles rénovées. L’objectif est d’en faire la pièce maîtresse d’un parcours permanent consacré aux arts sonores et aux systèmes de communication traditionnels. Pour les autorités ivoiriennes, ce retour n’est pas seulement patrimonial: «Ce tambour est une voix qui nous revient», insiste un responsable du ministère de la Culture.
Le départ du tambour parleur du quai Branly illustre une dynamique nouvelle: les musées européens redéfinissent leur rapport à l’Afrique, non plus sur un mode unilatéral mais dans une logique de partenariat. Quand l’instrument quittera Paris, ce sera moins un adieu qu’un passage de relais Car le tambour parleur n’a jamais cessé de s’exprimer: au musée, à Paris, il racontait aux visiteurs l’inventivité d’un langage disparu. À Abidjan, il retrouvera son rôle de symbole vivant, une voix rendue à ceux qui l’ont portée etcomprise. ■ Zyad Limam
La ministre ivoirienne de la Culture et de la Francophonie, Françoise Remarck (au centre) avec les chefs de la communauté Atchan après la cérémonie de désacralisation du tambour parleur, au musée du Quai Branly à Paris, en mai 2022
EXPO
LE CORPS ET LE TERRITOIRE
Au muséed’Art modernedeParis, OTOBONG NKANGA change notreperceptiondelaTerre et de la placeque nous yoccupons.
IL YAQUELQUE CHOSEdel’anastomosedansl’œuvre d’OtobongNkanga. Un entrelacsdevaisseaux,deracines,de connexions,d’écorces,decorps,parfois disloqués. Pour l’artiste visuelle et performeusebelgo-nigériane,l’eau,l’air,l’arbre,la pierre,laplantesontdes êtresaumêmetitre qu’unindividu. Àtravers un éventail impressionnant de médias et de techniques, mais aussidestratégiesvisuelles et sonores, elle interrogeainsi lesliens complexesqui unissent l’humain àlaTerre,aux matières premières, mais aussiàlamémoire collective.Une invitation au voyage et àl’observation desdessous de notreréalité.Plus encore,une démarche politiquequi se distinguepar l’exploration polymorphe d’un mondecontemporaindevenuillisible àforce de tensions et de menaces. Avec «J’airêvédetoi en couleurs», première exposition monographiqueà Paris, sontravail explored’autrespossibles:relations d’échange, transformations mutuelles. Un universvertigineux,qui soulèveplusdequestions qu’iln’enrésout. L’un despouvoirsdel’art ■ CatherineFaye OTOBONG NKANGA,«IDREAMTOFYOU IN COLOURS», muséed’Art modernedeParis, jusqu’au 22 février2026. mam.paris.fr
In PursuitofBling,2014.
SOUNDS
Àécoutermaintenant !
Fidèle àses origines, la chanteuselibanaise revientavecunalbum puisantdansses souvenirsd’unpaysauquelelletient plus quetout, dont le charisme ne sauraitêtre altéré pardes tragédiestellesque les explosions au port de Beyrouth en 2020. Travaillanttoujoursàquatremains avec Marc Collin (NouvelleVague), Yasmine Hamdan mêle leslangues et lestextures sonoresaveclagrâce quiest la sienne.
En avantlepsychédélique avec le nouvel albumde l’autrice-compositrice et chanteuseturconéerlandaise,d’origine kurde, quiaété également formée auxartsplastiques. Ce quise ressentàl’écoutedeson deuxième albumrésonantd’une bellehybridité, où l’on entend du bluesetdufunk, mais aussiunchœur fémininsoulignantles convictionsdeMeral Polat. Prenant!
Zentone, Messenger, JarringEffects/Wiser Records.
Né de la fusion desgroupes français ZenzileetHighTone, Zentoneexplore tant lessonorités dub qu’électroniques avec sa musiquesur ressorts, inscrite dans le sillage du punk anglaisdes années 1980 Portépar l’énergiedeleurs nombreux concerts et le timbre profonddeJolly Joseph,cenouvelalbum se veut aussi bien hédonistequ’humaniste. Mission accomplie. ■ Sophie Rosemont YasmineHamdan, IRemember, IForget, CrammedDiscs/[PIAS].
DOCUME NTAIRE
LUMUMBA FACE AU JAZZ ET À LA CIA
LOUIS ARMSTRONG envoyé au Congo pour détourner l’attention sur le coup d’État soutenu par les Américains: une page méconnue de la guerre froide, racontée dans un foisonnement d’archives et de musique.
LES IMAGES SONT MARQUANTES: la chanteuse Abbey Lincoln et le batteur Max Roach, figures du jazz et militants des droits civiques, interrompent à New York une séance du conseil de sécurité de l’ONU pour dénoncer l’assassinat de Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo tout juste indépendant. Nous sommes en 1961, et le président Eisenhower, à la tribune de ces mêmes Nations unies l’année précédente, avait soutenu le droit à la paix pour le peuple congolais, tout en déclarant en privé: «Que Lumumba tombe dans une rivière de crocodiles!» Nous sommes en pleine guerre froide et les États-Unis, qui ont utilisé l’uranium du Congo belge pour leurs bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, ne veulent pas que le précieux minerai tombe aux mains des Soviétiques à l’heure de l’indépendance du pays, mené par un leader marxiste… Ils envoient le célèbre trompettiste Louis Armstrong en tournée à Léopoldville, future Kinshasa, pour faire diversion au moment où se prépare le coup d’État fatal au jeune Premier ministre Patrice Lumumba. Cet épisode, décortiqué en 2h30 qui passent plus vite qu’un concert de
big band, entremêle habilement une foule d’archives et de témoignages au tempo du jazz de l’époque. Étourdissant, édifiant, mais aussi dûment authentifié par des chercheurs et des universitaires On peut faire confiance au réalisateur, le cinéaste flamand Johan Grimonprez, auteur d’un documentaire sur le trafic d’armes (Shadow World, 2016). Il dit, cette fois, avoir «ressenti le besoin de [s]e confronter aux fantômes plus personnels [du] passé colonial belge». Deux ans de recherches, trois ans de montage, pour une démonstration endiablée et magistrale, qui dévoile les coulisses de cet épisode sombre des indépendances et met en lumière des acteurs oubliés de cette période, comme Andrée Blouin (père français et mère banziri), cheffe du protocole et plume de Lumumba, cible des services secrets belges. À noter qu’une version raccourcie a été diffusée il y a quelques mois en France sur Arte Mais celle-ci, intégrale, magistrale et foisonnante, avec une bande-son évidemment ad hoc, vaut le déplacement. ■ Jean-Marie Chazeau
SOUNDTRACK TO A COUP D’ÉTAT (Belgique, France, Pays-Bas), de Johan Grimonprez. En salles le 1er octobre.
Louis Armstrong, Andrée Blouin et Moïse Tshombé
RY THME S
MULATU ASTATKE GLOIRE À L’ÉTHIO-JAZZ!
Avec Mulatu Plays Mulatu, LE PIONNIER explore à nouveau, et avec tout autant de dextérité, son corpus des années 1960 et 1970.
«CET ALBUM représente l’aboutissement de mon travail pour faire rayonner cette musique dans le monde, et rend hommage à nos héros oubliés, les scientifiques musicaux originels d’Éthiopie, qui nous ont transmis notre musique culturelle», dit-il. L’habituelle humilité de Mulatu Astatke l’empêche de formuler que lui aussi est une figure majeure de son pays natal, l’Éthiopie, et que c’est à lui que l’on doit ce qu’il a appelé l’éthio-jazz. Lui qui a été éduqué dès son adolescence au pays de Galles, faisant ses classes de multiinstrumentiste au Trinity College of Music de Londres, puis au prestigieux Berklee College of Music de Boston, a très vite arpenté les planches, fréquenté la crème de la crème, de Keith Jarrett à Gary Burton, avant de publier ses Afro-Latin Soul, volumes 1 et 2, en 1966. Trois ans plus tard, il est de retour à Addis. Depuis, il n’a jamais cessé de transmettre son énergie contagieuse à son entourage artistique, twistant l’usage d’instruments traditionnels tels que le washint ou le krar Ayant joué aux côtés d’Alice Coltrane et de Duke Ellington et auteur de moult disques novateurs, fier porte-parole des «peuples de la brousse», Mulatu Astatke intègre aussi la sphère de la pop culture lorsque Jim Jarmusch fait appel à ses morceaux pour la bande-son de Broken Flowers. Entretemps, il aura souffert du régime du Derg, durant lequel il n’aura pu qu’enseigner la musique, avant d’être reconnu grâce à la réédition de la collection «Éthiopiques». Aujourd’hui, Mulatu Plays Mulatu reprend les habituels ingrédients de son auteur, piochés dans le jazz tendance modal, le funk, les musiques latines ou encore l’afrobeat. Entouré de ses musiciens britanniques, le mélomane a réenregistré entre Addis et Londres certains de ses titres les plus cultes, tels que «Kulun» et «Yèkèrmo Sèw». De l’ouverture de «Zelesenga Dewel» au final de «Yekatit», la fièvre improvisatrice d’un éthio-jazz à géométrie décidément variable bénéficie de la dextérité d’Astatke, faisant de cet album l’un des piliers de son répertoire. ■ S.R.
MULATU ASTATKE, Mulatu Plays Mulatu, Strut Records/K7
EN DOUCE
UN FILM MALGACHE lumineux et tendre pour dire autrementlarévolte contre la corruption et l’affairisme quiminetoutunpays. Unebonne nouvelle pour le CINÉMA AFRICAIN. FILM
LORSQUEKWAME,20ans,découvreles disquesqu’écoutait son père avantdedisparaître,on luiexpliqueque c’estune musiquequi, partoutsur le continent, rythmait lesengagements politiques après lesindépendances.D’oùson prénom,choisienhommage àKwame Nkrumah, le présidentduGhana,chantre du panafricanisme.Ce DiscoAfrika,titre d’un 33-tours exhumé,etcepèretué parlepouvoir malgache dont le corpsn’a pasété retrouvé sont au cœur de la prise de conscience du jeunehomme,deretourchezsamèreaprès avoir crupouvoir fairefortune en cherchantdes saphirsdanslaboue. Dans la cité portuairedeTamatave(Toamasinaenmalgache),onpeut trouverdutravail pour un maigre salaireoubiencéder àlafacilité de certains trafics, commecelui du bois de rose,concourantainsi au pillagedes ressources naturelles d’un despaysles plus pauvresdu mondepours’offrirune bellevoiture.Lasociété malgache estmontrée dans toutes sesinégalités, mais sans misérabilisme, et l’imageetla lumièresontd’une grande beauté.LuckRazanajaona [voirParcours, p.28-29] signeunpremier long-métrage inspiréetinspirant,porté parl’interprétationsubtile de sonjeune héros(ParistaSambo), dont la douceursetransformeenforce sous nosyeux. L’heuren’est plus àlarévolution, mais lesregards sont peut-êtreentrain de changer. Lesfilms de Madagascar ne sont plus si fréquents, celui-là estune sacrée bonnenouvellepourlecinéma, et au-delà. ■ J.-M.C
DISCOAFRIKA: UNEHISTOIREMALGACHE (France, Madagascar), de Luck Razanajaona. Avec ParistaSambo,Laurette Ramawsinjanahary, JoeLerova. En salles le 24 septembre.
ROMAN
LA FORCE DESMOTS
L’histoire palestinienne àtravers le RÉCIT POIGNANT de cet hommequi lisait.
ÀLAFOISSIMPLEetévocateur,letitre du nouveauroman de Rachid Benzine ne donnequ’uneenvie,lelire. D’emblée, on penseau Vieuxqui lisait desromans d’amour de Luis Sepúlveda, aux Passeurs de livres de Daraya de DelphineMinoui, àla PapeterieTsubaki d’ItoOgawa.Ces ouvrages où lesmots, leshistoires et le partagerésonnent commeunrefuge, unerésistance. Plus encore,une fenêtre grande ouvertesur le monde. Ici, un jeunephotographe français se rend dans la bandedeGazapourcouvrir les bombardements. Un matin, il s’aventure loin de sonhôtel.«Vous avez un peude temps?»lui demandeunvieux libraire entourédecentaines de livres. Commence alorslerécit de sa vie, celui d’un hommequi,danslesilence de la lecture, jour aprèsjour, achoisiles mots commevoiedesalut.Seréférantaux grands textes,ilconte l’histoire meurtrie d’un peuple,les fragmentsd’undestin, l’intime commelecollectif,cequi nous élèveetqui nous détruit, le meilleur commelepire. Aprèslesuccèsdes Silences despères,unconte modernesur lespouvoirsdelalecture ■ C.F.
Lesbienne et musulmane, l’héroïne du nouveau film de HAFSIA HERZI tente de s’accepter dans un environnement hostile. Prix d’interprétation à Cannes pour la jeune NADIA MELLITI.
C’EST AVEC BEAUCOUP de cran que Hafsia Herzi [voir son interview p.68-73] s’est emparée du roman très autobiographique de Fatima Daas, racontant comment une jeune homosexuelle maghrébine tente de concilier ses désirs et les préceptes de sa foi musulmane. C’est aussi une fille de cité qui détonne dans sa famille traditionaliste, avec son allure masculine, ses matchs de foot avec les garçons, et son choix d’aller étudier la philosophie à Paris. Un personnage à la fois timide et frondeur, introverti et curieux, joué avec un regard sombre et une sacrée présence par Nadia Melliti, dont c’est le premier rôle (prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes). Au fil de rencontres plutôt sympathiques, elle essaie de s’accepter, tout en faisant un détour par la mosquée afin d’y voir plus clair. Entre bienveillance et didactisme, certaines séquences s’étirent pour mieux faire surgir des étincelles d’authenticité, et ça fonctionne La plus belle scène reste la dernière, entre la mère et sa fille. Il s’en dégage une morale qui n’en est pas vraiment une, mais qui nous change de certaines injonctions à la transparence: chacun fait comme il peut, et on n’est pas obligés de tout dire… ■ J.-M.C
LA PETITE DERNIÈRE (France), de Hafsia Herzi. Avec Nadia Melliti, Ji-Min Park, Amina Ben Mohamed. En salles le 22 octobre.
Serge Mouangue, Seven Sisters
ÉVÉNEMENT
AKAA,10 ANS ET AU-DELÀ
LA FOIRE PARISIENNE dédiée aux scènes artistiques du continent et des diasporas fête sa première dizaine, le regard déjàTOURNÉ VERS LE FUTUR.
LA DIXIÈME ÉDITION de la foire
AKAA – Also Known As Africa s’annonce riche en nouveautés Sous la direction artistique de Sitor Senghor, la manifestation, qui aura lieu à Paris du 24 au 26 octobre, a présenté une programmation exigeante et tournée vers l’avenir. Elle met en avant de nombreux jeunes artistes, du SudAfricain Abongile Sidzumo, qui travaille avec des chutes de cuir, au Congolais Catheris Mondombo, qui mélange dans ses œuvres peinture et couture. Et des artistes femmes incontournables, comme la Togolaise Atsoupé ou l’autodidacte Marocaine Bouchra El Menjra, spécialisée dans le bas-relief sur bois. Cette édition sera aussi marquée par la participation de la fondation italienne Ettore et Ines Fico, qui présente une sélection des œuvres africaines de sa collection et inaugure un prix dédié à la création africaine émergente. Les pièces récompensées lors d’AKAA intégreront la collection permanente du musée
turinois. Le salon VIP a été redéfini. Le lounge exclusif a été confié au designer ivoirien Jean Servais Somian qui y déploie les créations des lauréats de son programme Young Designers Workshop On y trouvera les lignes organiques de Nathalie Djakou Kassi (Nigeria), les structures métalliques audacieuses d’Ousmane M’Baye (Sénégal), les jeux de matières des ateliers Meyer Von Wielligh (Afrique du Sud) et les objets conçus par Olorunfemi Adewuyi pour Omi Collective (Nigeria). Un univers pluriel, complété par les œuvres d’une figure majeure de la peinture moderne africaine, le Congolais Pili Pili Mulongoy, prêtées pour l’occasion par un collectionneur privé. Les fidèles d’AKAA apprécieront l’engagement renouvelé de la foire envers les formes immersives et spectaculaires de l’art contemporain. Les verrières du Carreau du Temple accueilleront encore une fois une installation monumentale inédite, signée par l’artiste camerounais Serge Mouangue Son esthétique, qui fusionne l’élégance formelle du kimono avec les tissus et rythmes visuels africains, se nourrit du dialogue entre le continent et le Japon, où il vit et travaille. Le résultat est imposant, empreint de spiritualité et de symboles. ■ Luisa Nannipieri
Fahamu Pecou, Stakes is High, 2024, acrylique sur toile.
EXPO
Les peintures sur draps cousus de la série «La Mémoire, l’écriture, l’archive».
«CORRESPONDANCES», Fondation H, Antananarivo (Madagascar), du 2 octobre au 21 mars 2026.
DÉTOURNER LES CARTES
ROMÉO MIVEKANNIN interroge
les représentations coloniales et mélange émotion et REGARD CRITIQUE.
LA FONDATION H offre une carte blanche au Franco-Béninois Roméo Mivekannin, né en 1986 à Bouaké (Côte d’Ivoire). L’artiste nous invite ainsi à dialoguer avec l’histoire, le territoire et la culture malgaches. Son intervention prend la forme d’une exposition personnelle polysémique intitulée «Correspondances», où il s’intéresse aux cartes postales coloniales, dont l’apparente banalité cache une violence profonde, et les détourne à travers une série de toiles peintes à Toulouse, sa ville d’adoption, puis brodées à Madagascar. Ses gestes artistiques permettent de se réapproprier une histoire effacée, proposant une réparation des mémoires qui se nourrit de récits personnels, transcontinentaux et partagés. L’exposition se développe autour de deux séries d’œuvres inédites. La première, «La Mémoire, l’écriture, l’archive», présente des peintures sur draps cousus, infusés d’élixir qu’il compose luimême, et rehaussées de broderies. La deuxième, «Fahatsiarovana», est une installation monumentale de 20 mètres de long, réalisée avec des artisans ferronniers malgaches. À travers des asens – autels portatifs vaudous –, cette œuvre collective crée des passerelles entre les mondes. Entre les vivants et les morts, entre les continents et entre les mémoires. Rappelant aux visiteurs que les gestes, les rituels et les silences construisent aussi notre mémoire plurielle. ■ L.N.
MUSIQUE
Tutu Puoane
Poésie et harmonie
AVEC LE SECOND VOLET de son projet inspiré de la poésie de LEBO MASHILE, Wrapped in Rhythm, la chanteuse sud-africaine renouvelle à merveille son inspiration.
ON NE PRÉSENTE plus Tutu Puoane, native de Pretoria, dont l’éducation musicale s’est partagée entre Le Cap et la Belgique Devenue une figure incontournable du jazz vocal contemporain, désormais basée à Anvers, elle a entamé l’année dernière un cycle de disques inspirés du recueil In a Ribbon of Rhythm de la poétesse sud-africaine Lebo Mashile. Racontant les ressentis d’une femme noire qui, après les ravages de l’apartheid, interroge sa place dans le monde, il constitue un idéal terreau narratif pour la chanteuse. Après Wrapped in Rhythm, vol. 1 (2024), elle revient avec un second volet où, entourée de Larry Klein à la production et d’une bande d’instrumentistes dévoués (parmi lesquels son époux Ewout Pierreux), elle dispose toujours la grâce et l’émotion de son timbre. Avec, s’il vous plaît, la coopération du Metropole Orkest néerlandais… ■ S.R.
TUTU PUOANE, Wrapped in Rhythm, vol. 2, Soul Factory/ L’Autre
Distribution
EXPO
EN SYMBIOSE
À
Paris, SARA OUHADDOU expose des objets singuliers à mi-chemin entre ART CONTEMPORAIN ET TRADITION.
SON LANGAGE ARTISTIQUE est difficilement catégorisable. Artiste et designer travaillant entre la France et le Maroc, Sara Ouhaddou propose un univers singulier qu’elle façonne à travers broderies, verre, bijoux, céramiques, photographies, dessins et textes. «Cosmogrammes», le nom de son exposition, fait référence à la dimension protéiforme de son œuvre où se mêlent références culturelles, symbolisme et modernité. En astronomie, le cosmogramme est un diagramme représentant de manière globale l’univers. En astrologie, une division de 90 degrés d’un quart de roue où sont inscrites les positions planétaires selon les cosmobiologistes Sensible
à l’étude des origines et de la formation de l’univers, comme aux récits mythologiques ou scientifiques, l’artiste française d’origine marocaine est notamment connue pour l’intérêt qu’elle porte aux signes et symboles amazighs. De là, elle invente ses propres alphabets, dans un souci de recoller les morceaux d’une culture qu’elle s’efforce de révéler au gré de ses projets. Son travail prend alors une dimension archéologique et anthropologique, pleine de couleurs – indigo, vert absinthe, carmin, corail, jaune paille… Connue pour sa pratique pluridisciplinaire fondée sur la collaboration avec des artisans au Maroc et à l’international, elle explore indéfiniment les savoir-faire
Les Vitrines de Derb Dabachi, 2024
Ci-dessus, Partition 5, 2024
Ci-dessous, Étude 2, 2024
LA GRANDE TRAVERSÉE D’ADAM LI VR E
Le corbeau qui m’aimait est une petite merveille littéraire lumineuse et TENDRE, une histoire triste, racontée par un poète, véritable MAGICIEN de l’écriture.
VOICI L’HISTOIRE D’UN
MIGRANT, Adam Saad Saadan, qui a quitté son Soudan natal non pas pour le fuir, mais pour venir finir ses études supérieures en Angleterre: passionné de linguistique, il veut se perfectionner à Oxford et même y devenir un jour professeur. Cet intérêt lui a valu de la part de ses amis un sobriquet: Adam Ingiliz, Adam l’Anglais. Mais la route entre Khartoum et Oxford est longue, sinueuse, semée d’embûches, de mauvaises – mais aussi de belles – rencontres.
Avec l’habileté du grand écrivain expérimenté qu’il est, Abdelaziz Baraka Sakin donne la parole à quelques-uns des personnages rencontrés en chemin. On découvre ainsi, par bribes, comment et pourquoi Adam a fini par renoncer à son projet et décidé, alors qu’il était presque arrivé à son but, de tout arrêter et d’entreprendre son retour au pays, par le même chemin périlleux qu’il a emprunté à l’aller.
ABDELAZIZ
BARAKA SAKIN, Le corbeau qui m’aimait, Éditions Zulma, 176 pages, 18 €. traditionnels, ouvre un espace de circulation entre récits, gestes et mémoires. Les ateliers devenant des lieux d’étude. Les œuvres des espaces de transmission et de récits partagés. En émerge une création collective, que réinterprètent intuition, imagination et techniques ancestrales. En écho à sa propre histoire. ■ C.F.
SARA OUHADDOU, «COSMOGRAMMES», Institut des cultures d’islam, jusqu’au 15 février 2026 institut-cultures-islam.org
Une folie? Oui, peut-être Adam est-il un peu fou, un peu bizarre, comme en témoigne son étrange proximité avec les corbeaux, qu’il a l’art d’apprivoiser et auxquels il s’adresse souvent. Mais la folie n’explique pas à elle seule ce renoncement soudain, ce retournement. Il y a sûrement d’autres raisons. Des déconvenues, peut-être, comme l’échec de sa tentative, complètement loufoque, de traverser la Manche en montgolfière. Mais aussi, sans doute, une sombre histoire d’amour. On écoute alors avec attention le témoignage de cet Italien qui l’a pris en stop de Venise à Zagreb sans le faire payer, de Mama Eva, qui l’a si gentiment hébergé quelque temps, de Nouri, son copain d’enfance ayant fait fortune dans la ferraille, qui l’a retrouvé par hasard à Graz, en Autriche. Tout en faisant parler ces compagnons de route, Abdelaziz Baraka Sakin promène le lecteur dans le labyrinthe compliqué de la Jungle de Calais, qu’il restitue avec une minutie qui dénote l’expérience vécue. Un monde dans lequel il faut évoluer avec précaution, en respectant les lois, les codes, les secrets des nombreux clans qui le composent: Kurdes, Afghans, Africains, Bangladais… En conteur talentueux, l’auteur émaille son récit de mille scènes touchantes, surprenantes, pathétiques, mais aussi, parfois, d’une irrésistible drôlerie, comme les préparatifs rocambolesques à l’égorgement clandestin d’un mouton grassouillet. ■ Jean-Louis Gouraud
ON EN PARLE
MARSEILLE EN FÊTE!
Quatre joursdemusique face àla merpourCÉLÉBRERLES SUDS.
À L’IMAGEdelacitéphocéenne,dubrassagemulticulturel de cette«portedusud», ainsique la qualifiait Albert Londres, Fiesta desSudsferavibrerles sons d’icietd’ailleurs pour sa 34e édition, du 9au12octobre 2025.Sur l’esplanadeGisèle Halimi,aupiedduMucem (musée desCivilisations de l’Europe et de la Méditerranée), et face àlamer,lefestivalfaitrayonner sonADN d’éclectisme.À la fois défricheur de talentsdes scènes undergroundetalternativesetprogrammateur d’artistes incontournables, il fait la part belleaux musiques africaines et sud-américaines, auxBPM fracassantsdes mouvements électro et desmachinesàdanser. Lesnoctambules mélomanespourront s’enjailler lors de cesnuits d’automnedela«planèteMars»:rap, rock,kuduro, zouk,dancehall,triphop de Morcheeba, reggae de Groundation… Parmiles pépitesprogrammées issues du continentafricain, de la diaspora et desAntilles, on trouve: la rappeuse camerounaise UziFreyja, quicroisehip-hop et fièvre électropunk; le dandynigérianambassadeur du blufunk Keziah Jones; la Franco-Togolaise Baby Sharon,nouvelle voix de la nu soul;lerappeur français Youssoupha,au verbe conscientetaffûté, quiperpétueàsafaçon l’héritage de son père,l’illustreroi de la rumbacongolaiseTabuLey Rochereau; le duofranco-congolaisTshegue et sonfrénétiquealliage d’afropunk et d’électro; lesmythiques Antillaisde Kassav’, qui continuent de fairedanserlaplanète avec le zouk qu’ils ont inventé; ou encore le duoAïtaMon Amour, quiinterprèteavec lessonorités actuellescette traditionancestralemarocaine de la aïta,chant poétique notammentporté pardes artistes féminines libres et rebelles,les cheikhates ■ Astrid Krivian
Lesmembres du groupe de reggae Groundation.
FIESTA DESSUDS, àMarseille (France), du 9au12octobre 2025,Esplanade du J4-GisèleHalimi.
DAVID DIOP, Oùs’adosse leciel, Julliard, 368 pages, 22,50 €.
L’AVENTURE DESORIGINES
Récitdevoyageetroman historique se mêlent dans cetteDOUBLEÉPOPÉE de DavidDiopsur la transmission de la mémoire.
«— COMMENT? reprit le vieuxchamelier Je n’ai pasbiencompris,tuparlesdanstabarbe Takrouri,tuvas chercher tesancêtresàAbydos? —Oui,réponditBilal.— Mais tu n’es pas égyptien,tuesNoir!»Premier auteur français àremporter le prestigieuxInternational Booker Prizebritannique en 2021,pour Frèred’âme,paru en 2018,David Diop nous emmène cettefois-ci en expédition surles traces de BilalSeck, en 1893. Abandonnéenpleineépidémiedecholéra par sonmaître, qu’ilaccompagnait àLaMecque, cet hommede37ans va revenirseuldupèlerinage, en traversant notammentl’Égypte. Dans ce roman, l’auteur de La Porteduvoyagesansretour –récit d’explorationd’unbotaniste au Sénégalen 1750 –entremêle le péripledeBilal,deDjeddah à Saint-LouisduSénégal,oùilest né,etlerécit d’un exodelégendaire, deux millénairesplustôt.D’un côté,les pérégrinations du hérosdansledésert surlapiste de sesorigines, de l’autre, la fuited’un grandprêtred’Osiris, chassé d’Égypte sous la menace dessoldats du pharaon, quientraîneses adeptespourfonderune nouvelle capitale.Deux intriguesqui se mêlent et se répondent, surun fond très documenté. Unenouvellefois, le texte poignant de cetenseignant-chercheur, spécialiste de la littératuredu XVIIIe siècle,interroge avec passionles méandres de l’âmehumaine dans descontextes historiquestroublésettroublants. L’amitié,l’amour et la mort en lignedemire. ■ C.F.
LIVR E
L’HOMME QUI EN SAVAIT TROP
William Boyd revientavec un ROMAN D’ESPIONNAGE surfondde crisemondiale.
DÈSLES PREMIÈRESLIGNES, c’estgénial. WilliamBoydrivalisenon seulementavecles grands romans d’espionnage,maisaussi avec les récits quiprennentaux tripes.Après un prologue coup de poing, l’histoire commence en 1960 en République démocratique du Congo. Lors d’une escapade àLéopoldville, Gabriel Dax, écrivain de voyage àsuccès, interviewe PatriceLumumba,le nouveauPremier ministre.Celui-ci insistepourque le jeuneAnglais enregistre leur conversation,aucours de laquelle il nommeles troisagents étrangersqui complotent sa chute. LorsqueLumumba estassassiné,les enregistrementsdeGabriel deviennent un sujetbrûlant.Contactépar Faith
Green, uneagenteénigmatique et impitoyableduMI6,Gabriel tombe bientôtsousson empriseetdevient sonespion. Incapablederésisterà sesexigences,ilbascule dans un labyrinthe de duplicitéetdetrahisons. Sesmissionss’enchaînentalors à traversl’Europe, sans pour autant que cessentinsomnies et cauchemars sur l’incendie quiatué sa mère.Située dans le contexte de la guerre froide, la question de l’implicationoccidentale dans le meurtredeLumumba plane surles événements et constituelatoile de fond de la narration. De renommée mondiale pour sesromansqui ontété traduits dans plus de trente langues, Boyd excelledansl’écrituredecetype de textes d’envergure, où il s’inspirede personnagesfictifs pour lesassocierà despersonnes et desévénementsréels. Né àAccra en 1952,ilagrandientre le GhanaetleNigeria Commeneige au soleil nous emmenait déjà au pied du Kilimandjaro,àlafrontière angloallemandedel’Afrique orientale, lors de la Grande Guerre.Avec Brazzaville Plage,une jeunenaturaliste anglaise se retrouvait auxprisesavecune coloniedechimpanzés cannibales. Ce dix-huitième roman, premiertome d’unetrilogie, dérouleles tourset lesdétours d’uneintriguecomplexe, où s’alternentindices trompeurs et faussescoïncidences. Un conte magistral, uneprose percutante et une ironie dramatique.Onserégale. ■ C.F. WILLIAMBOYD, Gabriel’sMoon, Le Seuil, 368pages,23€
ON EN PARLE
RETOUR À LA SOURCE
La marque sublime les traditions marocaines pour les mettre au goût du jour, dans un style aussi moderne que pointu
Le jeune label marocain ANOURI ORIGINAL réinvente l’artisanat berbère à partir de TAPIS TRADITIONNELS mis au service d’une esthétique streetwear inédite.
LES SURPRENANTS VESTES ET BLOUSONS de la marque marocaine Anouri Original ne pourraient être faits nulle part ailleurs. Ils sont réalisés à partir de tapis berbères traditionnels, transformés à la main en pièces uniques. Le directeur artistique du label Mohamed Youss a grandi dans la ville historique de Taroudant, l’un des bijoux du sud du pays, entouré par l’artisanat et les savoir-faire traditionnels. Lors d’un voyage en solitaire, il réalise de ses mains une burlap jacket artistique (une veste en toile de jute issue de sacs de café) qui fait l’objet d’un succès retentissant. Le retour positif le pousse à rentrer au pays où, avec Abdellah Ait Elmaalem, il s’engage dans un projet de mode responsable et se fixe pour objectif de revitaliser l’artisanat marocain, en le réinventant à partir de coupes modernes, urbaines et dynamiques. Anouri, qui signifie «retour à la source» en amazigh, se fait connaître surtout pour ses vestes et blousons d’aviateur ou ses bombardiers, qui attirent l’attention d’un public
dynamique et friand de ce mélange singulier de tradition et de streetwear. Les tapis et la toile de jute ne se prêtent pas à la confection de certains vêtements, comme les T-shirts, mais très vite la marque propose des manteaux et des pantalons, et se lance dans la création d’accessoires, sacs, casquettes ou ceintures inspirés de matières locales revalorisées. Prochainement, la marque sortira une nouvelle collection autour des tapis Beni Ouarain – des modèles blancs, en laine de mouton, traversés de fines lignes noires. La nouvelle capsule jouera sur des silhouettes plus épurées que celles, très chargées et rutilantes, disponibles jusqu’à présent.
Les deux fondateurs ont aussi entamé des collaborations avec d’autres créateurs et artisans, toujours dans le but de promouvoir le savoir-faire local. À moyen terme, ils souhaitent inaugurer un atelier-boutique à Taroudant, qu’ils imaginent comme un espace à la fois de création et de rencontre avec le public. anourioriginal.com ■ L.N.
L’UNION FAIT LA FORCE
Pour cette 15e édition de la Paris Design Week, LES CRÉATIFS DU CONTINENT ont travaillé en équipe, misant sur un style ancré EN AFRIQUE et ouvert sur le monde.
Vases présentés lors de l’exposition «Indalo: Crafted in Eswatini».
LA PARIS DESIGN WEEK a soufflé cette année ses quinze bougies. L’événement, marqué par une forte présence asiatique, est une belle plate-forme pour les créatifs issus du continent. On les a notamment retrouvés, rassemblés dans des collectifs, dans le cadre du programme Factory, qui est un véritable creuset du design international émergent et qui a rassemblé 130 jeunes talents autour du thème de la régénération La «Kinshasa Design Week», une initiative du Congolais Jean-Jacques Tankwey, était de retour avec sept artistes, designers et architectes provenant de la RDC, du Bénin et d’Autriche Leurs projets seront exposés fin octobre à l’Institut français de Kinshasa «Indalo: Crafted in Eswatini», promu par l’ITC et financé par l’Union européenne, a misé sur la coopération entre artisans locaux et designers européens. Leurs œuvres contemporaines sont ancrées dans les traditions et les matières du royaume, de la céramique à la pierre à savon. Le projet «Creative Tunisia» s’est, lui, dévoilé à l’Institut du monde arabe, qui organisait en parallèle la 3e édition du prix du Design, tournée cette année vers le Moyen-Orient. Avec une expo à la scénographie audacieuse, il a mis en scène les nouvelles collections de sept designers, tels Imen Charfi, Hassene Jeljeli ou Sadika Keskes Mais la PDW est aussi l’occasion pour les créatifs de se faire remarquer en nouant des partenariats. La Parisienne d’origine italo-tunisienne Sandra Benhamou, par exemple, a doublé la mise. Elle a présenté sa dernière collection de mobilier lors d’un solo show chez Invisible Collection Paris et à l’occasion d’une collaboration avec Métaphores, sous les arcades de la place des Vosges Un travail délicat et intime ■ L.N.
ON EN PARLE
SPOTS
ENTRE TUNIS ET LA CÔTE
Deux adresses authentiques et accueillantes offrant une cuisine VÉGÉTALE ET MARINE. À déguster sur le littoral de la capitale tunisienne.
Les Indécis est un petit restaurant coloré et punchy, qui a ouvert à Carthage en mars 2023. Né d’une rencontre au Burkina Faso et de l’ambition de trois amis passionnés de musique et de bons produits, il propose une cuisine relevée, qui mélange influences européennes et locales, et des événements culturels, entre expositions et soirées vinyles d’Afrique de l’Ouest. La carte change presque toutes les semaines, mais on y trouve aussi quelques plats fixes, comme le burger de thon rouge, compotée d’oignons rouges, pointe de harissa et pickles, ou le burger aux falafels avec sa sauce au yaourt. À tester aussi: le ceviche citron, huile d’olive et sauce chimichurri, et la tarte tatin au romarin. Le tout servi sans alcool, mais accompagné de délicieuses boissons maison, du bissap à la ginger beer
Pour un incroyable couscous de poulpe, mijoté dans une sauce aux épices douces et accompagné de semoule roulée à la main et séchée au soleil, il faut regarder du côté de La Goulette, un quartier emblématique qui accueille The House – El Houche. Un terme qui désigne la maison traditionnelle de Djerba, bâtie autour d’un patio central, un lieu de vie intime et convivial. Tout comme cette table profondément djerbienne, où l’on trouve des recettes authentiques, réalisées d’après les traditions. Comme le masfouf, un couscous à base de kadid, de la viande séchée sur les toits et épicée, et de wzef, des poissons et seiches eux aussi séchés au soleil. Mais aussi le riz djerbien et le thrid, recettes précieuses parfois revisitées à la sauce goulettoise. @lesindecis.tn/@the_house_el_houche ■ L.N.
Le masfouf de The House – El Houche, une assiette typiquement djerbienne.
Les cookies et pâtisseries maison des Indécis
À Benin City, le MOWAA sort de terre
INDÉPENDANT et non-profit, cet établissement dédié à l’art ouest-africain imagine, aussi par son architecture, le musée africain du xxie siècle.
EN NOVEMBRE PROCHAIN, Benin City (Nigeria)
inaugure en grande pompe le MOWAA Institute, le premier bâtiment de l’immense campus culturel qui constitue le musée de l’Art d’Afrique de l’Ouest. Le complexe, dont le master plan reprend la structure de l’ancienne capitale de l’empire, devrait être complété d’ici 2028. Entre jardins et espaces publics, verront le jour un espace d’exposition principal, la galerie de la Forêt tropicale (signée par les Dakarois de Worofila), une guest house avec boutique, des ateliers d’artistes et une salle de spectacles
Le projet de l’institut, qui s’étend sur environ 4500 m2 et a été conçu comme un centre de recherche, de conservation et d’exposition, a été dessiné par le cabinet du célèbre
architecte David Adjaye en collaboration avec le studio MOE+. La patte de ce dernier, basé à Lagos et dirigé par le polyvalent Papa Omotayo, est évidente: il a choisi de construire en terre battue sourcée localement Une démarche chère au cabinet, qui explore les connexions entre patrimoine matériel et culturel. L’ancienne Edo, ou Benin City, est considérée comme l’un des plus grands ouvrages en terre jamais construits dans le monde.
Le bâtiment sur un étage, complété par une toiture en béton et un amphithéâtre, s’inspire des constructions traditionnelles de la région et se présente comme une boîte dans une boîte. De grandes verrières sur la façade sud et des foyers périmétraux avec pilotis invitent à découvrir les expositions sous tous les angles et toutes les lumières.
wearemowaa.org ■ L.N.
DE STINATION
L’île Maurice, au-delà des plages
Réputée pour son SABLE IMMACULÉ et ses eaux turquoise, LA PERLE DE L’OCÉAN INDIEN est aussi une destination à explorer et à croquer en long et en large.
Le village de Cap Malheureux et sa célèbre église au toit rouge.
L’ÎLE MAURICE est un paradis tropical regorgeant de plages idylliques qui invitent au dolce farniente, et où l’on se sent choyé par la chaleureuse hospitalité mauricienne. La mer et les activités aquatiques sont parmi les atouts majeurs de cette destination de rêve. Ici, chaque plage a sa singularité. La Belle-Mare s’étire sur 10 km de sable blanc quand la péninsule du Morne, dominée par la légendaire montagne du Morne Brabant, dans le sudouest, est plutôt réputée pour le kitesurf. Dans ce site classé à l’Unesco, l’emblématique St Régis Le Morne Resort, après plus de deux ans de travaux, a rouvert ses portes. Mais l’île n’offre pas que la tranquillité sous les cocotiers. Sa nature exubérante est le décor de randonnées inoubliables Comme celle au lac sacré de Grand Bassin, célèbre pour ses impressionnantes statues colorées, ou au parc national des gorges de Rivière Noire, où les panoramas plongeants sont à couper le souffle. Ou encore à la cascade de Chamarel et sa terre des Sept Couleurs, un site géologique étonnant Certains opérateurs, comme Nomade Aventure, proposent aujourd’hui des séjours conçus pour les familles avec enfants en bas âge, d’autres visent les couples en lune de miel Les deux clientèles profitent, chacune à leur façon, de sorties avec les dauphins ou de promenades dans le jardin de Pamplemousses, entre plantes exotiques et tortues géantes. Et les adultes vont se faire un plaisir de découvrir la culture locale de la canne à sucre et du rhum Ou la route du Thé, un parcours gastronomique et culturel à travers la partie méridionale du pays, qui met à l’honneur la boisson la plus appréciée des Mauriciens. Après tout, il se marie parfaitement avec les cuisines créole, indienne ou chinoise, qui font la richesse culinaire de l’île. Une farandole de goûts à tester dans les restaurants haut de gamme comme chez les ambulants, où acheter fruits exotiques, mines frites (des nouilles sautées dans des épices et des sauces asiatiques), gadjaks, les tapas mauriciennes, ou de délicieux pains plats «rôtis» farcis. À déguster sans modération. ■ L.N.
Ci-dessus, à la villa royale du Royal Palm Beachcomber.
Ci-contre, les paysages à perte de vue de l’île.
Luck Razanajaona
Avec son premier long-métrage, DISCO AFRIKA: UNE HISTOIRE MALGACHE, le cinéaste livre le récit
d’apprentissage d’un jeune à Madagascar face aux difficultés économiques, sociales et politiques. Son histoire familiale se mêle à celle de son pays dans une quête le menant vers une prise de conscience, un espoir de changement. propos recueillis par Astrid Krivian
Disco Afrika: une histoire malgache dépeint avec justesse le parcours d’un jeune d’aujourd’hui à Madagascar, où sévissent le chômage, les inégalités, les injustices, la corruption et les crises politiques Il explore ses tiraillements, entre le mirage de l’argent facile et l’éveil à une conscience politique, une dignité. Sa quête sur l’histoire de son père disparu l’amène à découvrir celle de son pays Ce jeune héros s’appelle Kwame, en référence au leader panafricaniste et indépendantiste Kwame Nkrumah, premier président du Ghana. Le titre du film n’emprunte-t-il pas celui d’une chanson du groupe ghanéen Ogyatanaa Show Band? L’esprit des musiques postindépendances des années 1970, porteuses d’espoir, d’autodétermination et de justice sociale, infuse le récit, confrontant ainsi la jeunesse à son héritage, aux luttes anticoloniales «Les mouvements tel celui des étudiants de mai 1972 ont marqué un réel changement C’était une époque d’éveil, de fierté pour les Malgaches, portée par des musiques empreintes de messages politiques, analyse Luck Razanajaona. Je voulais remettre Madagascar sur l’échiquier africain, car beaucoup de Malgaches oublient que l’on en fait partie Et de nombreux jeunes ne connaissent pas leur histoire à cause des crises politiques cycliques, où des archives ont été perdues. On doit se souvenir de ces combats menés pour une réelle indépendance, pour ces idéaux importants pour notre avenir » Dans un pays riche en ressources, la population fait face à une grande pauvreté Népotisme, inflation, coupures de courant, instabilité économique, accès difficile à l’éducation, à la culture… Le constat est sombre Comment dépasser le découragement, le sentiment d’impuissance? Le cinéaste soulève ces questions, espérant insuffler une prise de conscience: «La jeunesse comprend qu’il ne faut plus rien attendre des politiciens; c’est à nous de prendre notre destin en main. Plutôt que de rêver d’Occident, retrouvons notre fierté, soyons à la hauteur de la terre de nos ancêtres.» Le film a été tourné à Tamatave, deuxième ville économique, avec des acteurs non professionnels en majorité. Conducteur de cyclo-pousse, Parista Sambo, qui incarne Kwame, reçoit désormais des propositions de rôles. Luck Razanajaona a étudié entre Antananarivo et Tamatave. Il s’engage dans des actions sociales au sein des prisons et auprès des enfants des rues. En 2008, il étudie le cinéma au Maroc, à l’École supérieure des arts visuels de Marrakech. Une fois diplômé, il retourne sur l’île Rouge. En 2014, son court-métrage Madame Esther est distingué au Fespaco et aux Journées cinématographiques de Carthage; il développe ses projets à la Berlinale Talents, au Rotterdam Lab, à la Fabrique Cinéma à Cannes. Et coréalise un documentaire sur l’univers carcéral dans son pays. Disco Afrika marque une première depuis près de trente ans: la distribution d’un long-métrage de fiction malgache à l’international, où il a été multiprimé dans des festivals. ■
Disco Afrika: une histoire malgache, We Film. En salles le 24 septembre en France
«Plutôt que de rêver d’Occident, retrouvons notre fierté, soyons à la hauteur de la terre de nos ancêtres.»
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C’ESTCOMMENT?
PAR EMMANUELLE PONTIÉ
UNE DÉCONFITURE FRANÇAISE
Un ancien ministre camerounais, un brin réac, me disait il y a quelques années: «Le modèle français s’est arrêté après Jacques Chirac Les présidents qui lui ont succédé ont gâché l’image du pays. L’un pas marié qui va voir nuitamment sa maîtresse en scooter, un autre qui fait un bébé à l’Élysée » (Ce dernier, d’ailleurs, ayant été carrément condamné récemment à la prison pour «association de malfaiteurs»…)
Au-delà de la «morale» de ceux qui le dirigent, force est de reconnaître que l’Hexagone traverse une sale période. Un ami tchadien, pourtant observateur madré de la vie politique française, me confiait il y a quelques jours son désarroi : « Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez vous? Vous allez où, là? On ne comprend plus rien »
Alors, juste pour lui répondre : la situation est malheureusement assez simple. Nous avons un président, élu pour cinq ans jusqu’en 2027, dont le parti et ses affiliés n’ont pas la majorité absolue à l’Assemblée. Ni aucune autre formation politique, d’ailleurs. Et bien sûr, aucun ne s’entend À part les deux extrêmes, totalement opposés sur le papier, mais qui signent de concert (et donc avec une majorité) les arrêts de mort de tous les Premiers ministres nommés par Emmanuel Macron
Résultat: le pays est totalement ingouvernable. Les réformes, les budgets successifs, les lois sont pratiquement gelés. Et contrairement au souhait des ténors politiques, qui se chauffent les muscles pour la course au scrutin de 2027, le président en exercice ne semble pas disposé à dissoudre à nouveau l’Assemblée, et encore moins à démissionner avant la fin de son mandat
Une fois ce cadre posé, il faut ajouter un ras-lebol généralisé des Français, qui ne s’en sortent plus devant l’augmentation galopante du coût de la vie, de l’énergie, de l’alimentation, de l’essence. Ils réclament des augmentations de salaire à tous crins, militent pour que les super-riches soient davantage taxés, exigent l’abrogation de la loi sur les retraites qui leur demande de travailler plus longtemps, etc.
Et ils descendent en colère dans la rue à répétition (les fameuses grèves récurrentes de la rentrée de septembre en France), aiguillonnés par les partis politiques d’opposition. Des manifestations et des grèves agrémentées cette année du retour du phénomène «gilets jaunes» et du vieux slogan (hyper constructif…): «Bloquons tout.»
Bref, la France traverse une période de joyeux chaos, de haut en bas et de bas en haut On peut ajouter que les conflits Israël-Palestine et Ukraine-Russie, sans fin, contribuent à l’ambiance à la fois tendue et morose qui règne dans l’Hexagone, ainsi que le retour de l’électron libre Trump à la tête de la plus grande puissance du monde, qui attaque tous les dossiers étrangers comme un bulldozer sans pilote, outrepassant allègrement les lois de son propre pays, faisant la nique à l’Europe, au changement climatique, et bien sûr à l’Afrique. Qu’il avait quand même qualifiée de «pays de m…» lors de son premier mandat
Pourtant, à part quelques « anciens » africains qui s’en émeuvent, ou tout au moins s’y intéressent, le chaos français ne tracasse en aucun cas les nouvelles générations du continent. Ce qui est plutôt normal. Elles ont déjà montré leur « désamour» pour la France, en manifestant un peu partout pour qu’elle quitte leur territoire, et l’esprit «AES» est pour le moment assez partagé L’Afrique aux Africains est leur credo, légitime Et même si le pari n’est pas encore gagné, la déconfiture politique française va dans leur sens. Dans un tel contexte, le continent noir est loin d’être au centre des débats Sauf sur deux thèmes, classiques en temps de crise: l’immigration à juguler et l’aide au développement à réduire. Deux sujets brandis par l’extrême droite, qui voit là des solutions miracle au malaise français.
Et comme l’historique terre des droits de l’homme a des chances de basculer justement à l’extrême droite en 2027, l’autonomisation du continent pourrait bien être grandement favorisée. Quand le malheur des uns fait (peut-être) le bonheur des autres… ■
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