MONDE ARABE
« Ena Zeda ! » « Moi aussi ! »
Le mouvement tunisien s’étend au Maroc, au Moyen-Orient aussi. Elles se lèvent contre le harcèlement et les abus. Et témoignent publiquement.

CAMEROUN

« Ena Zeda ! » « Moi aussi ! »
Le mouvement tunisien s’étend au Maroc, au Moyen-Orient aussi. Elles se lèvent contre le harcèlement et les abus. Et témoignent publiquement.
L’Éthiopie apparaît comme un concentré d’Afrique : développement et pauvreté, violences ethniques et souverainisme, potentiel immense et danger immédiat…
Elles sont un facteur clé de l’émergence Un dossier spécial de 16 pages.
Fatou
Diome : « L’écriture n’est pas une thérapie ! » ROMAN
PRIX NOBEL
ABIY AHMED
Le Premier ministre éthiopien est le chef d’un pays immense, sur un fil.
CINÉMA LADJ LY
« Je ne choisis pas. Je suis français, africain, malien »
STAR OXMO PUCCINO
« J’ai été sombre avant de proposer du lumineux »
En Tunisie, elles se lèvent contre les abus.
La parole se libère.
Un mouvement qui s’étend au Maroc, au Moyen-Orient…
ENQUÊTE SUR UNE RÉVOLUTION EN COURS
JaneAlexander
OluAmoda
ElAnatsui
MahiBineBine
ZoulikhaBouabdelah
MeriemBouderbala
SolyCissé
ViyéDiba
AdelElSiwi
WilliamKentridge
JemsKokoBi
AbdoulayeKonaté
BillKouelany
SirikiKy
MohamedMelehi
VitshoisMwilambweBondo
NennaOkoré
MohammedOmarKhalil
YazidOulab
ChériSamba
KofiSétordji
JosephSumégné
FathiyaTahiri
BarthélémyToguo
FreddyTsimba
Commissaire
Commissaire
OuattaraWatts
FatihaZemmouri
DominiqueZinkpé
Tout part d’un paradoxe et d’une injustice historiques. L’Afrique (16 % de la population mondiale, moins de 6 % de la consommation énergétique et 3 % des émissions de gaz à effet de serre) n’est pas responsable du changement climatique. Elle a peu produit et peu pollué au cours du siècle dernier, contrairement aux puissances occidentales (États-Unis, Europe) et aux puissances émergentes comme la Chine, l’Inde, le Brésil… L’Afrique est « innocente », et pourtant elle est touchée de plein fouet par le dérèglement : bouleversement des saisons, du cycle des pluies, sécheresse, montée du niveau de la mer, mise en danger du littoral… On demande au continent de s’adapter et de lutter sans, par ailleurs, vraiment mettre sur la table les moyens immenses nécessaires à cette lutte existentielle : « débrouillez-vous… », en quelque sorte. Pourtant, le monde aura besoin de l’Afrique. On le sait, l’équation démographique est impitoyable. La population du continent pourrait doubler d’ici à 2050 pour atteindre près de 2,5 milliards d’habitants. Plus de 10 millions de jeunes Africains arriveront chaque année sur le marché de l’emploi, formel ou informel. L’urbanisation massive changera les modèles sociétaux en profondeur. L’Afrique aura besoin d’un taux de croissance élevé sur une longue durée, avec des économies fortement créatrices d’emplois, pour tenir le choc. Mais si nous nous mettons demain à produire et à consommer comme la Chine ou l’Inde d’aujourd’hui, ce sera la fin des objectifs globaux en matière de hausse des températures. Pour que, globalement, l’humanité ait une chance d’assurer une véritable transition écologique, il faut que l’Afrique « leap frog » en matière de croissance « clean », qu’elle bascule rapidement vers un mode « vert », alternatif. Compte tenu de l’urgence et de l’enjeu planétaire, les financements, les transferts de technologies devraient être assez vite disponibles.
L’Afrique a une formidable carte à jouer, en particulier sur la question des énergies renouvelables. Les évolutions technologiques, l’attitude des grandes
entreprises mondiales pétrolières, poussées par une opinion de plus en plus mobilisée, ont transformé la donne. Les renouvelables sont l’une des clés du futur, en particulier le solaire, l’éolien, l’hydroélectricité, la biomasse… Dans tous ces domaines, l’Afrique dispose d’un atout majeur grâce à sa « ceinture du Soleil ». Et à l’exception de quelques-uns, dont notamment l’Afrique du Sud [voir p. 100], la plupart des pays du continent ne sont pas soumis à la nécessité d’abandonner le charbon. Notre carte est vierge, blanche, nous pouvons nous accrocher aux technologies de l’avenir. En particulier pour ouvrir l’accès à l’énergie pour l’ensemble du continent. Aujourd’hui, seulement 30 % du milliard et plus d’Africains ont accès à l’électricité. Et on ne voit pas comment on pourrait parler d’émergence sans énergie disponible.
L’Afrique reste aussi une puissance fossile. Depuis le début des années 2000, les découvertes gazières et pétrolières se multiplient, dans le golfe de Guinée, sur la façade de l’océan Indien, dans le bassin du lac Tchad… Près d’un tiers des découvertes mondiales de pétrole et de gaz entre 2010 et 2015 concerne l’Afrique subsaharienne. Des pays importateurs vont devenir exportateurs. Plus encore que le pétrole, le gaz apparaît comme une formidable opportunité africaine. Des découvertes majeures ont eu lieu au Mozambique (le « nouveau Qatar »), en Tanzanie, au large du Sénégal et de la Mauritanie, dans le golfe de Guinée encore… Pour le moment, ces gisements n’ont pas tous donné des mises en production. Mais le potentiel est là. Selon certaines estimations, l’Afrique subsaharienne pourrait dépasser la Russie en tant que fournisseur de gaz d’ici à 2040.
En restant optimiste, l’Afrique pourrait donc à la fois se lancer dans une incontournable transition écologique complexe, tout en disposant d’un matelas de sécurité en matière d’énergies traditionnelles. À elle de faire valoir son jeu, ses atouts, de se placer au centre de la discussion mondiale sur une question essentielle à l’avenir de tous. ■
N°398 NOVEMBRE 2019
3 ÉDITO
114 VINGT QUESTIONS À… Noumoucounda par Astrid Krivian P.24
L’Afrique au centre du monde par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN Manifeste féministe
20 CE QUE J’AI APPRIS
Muthoni Drummer Queen par Astrid Krivian
23 C’EST COMMENT ? Adresse inconnue par Emmanuelle Pontié
P.40
P.32
TEMPS FORTS
24 Abiy Ahmed : Entre guerres et paix par Cédric Gouverneur
32 Harcèlement : Une révolution en marche par Frida Dahmani, Cédric Gouverneur et Julie Chaudier
40 Cameroun : Aux origines de la crise anglophone par François Bambou
66 Ladj Ly : « Je ne choisis pas. Je suis français, africain, malien » par Astrid Krivian
72 Fatou Diome : « L’écriture n’est pas une thérapie » par Astrid Krivian
78 Oxmo Puccino : « J’ai été sombre avant de proposer du lumineux » par Astrid Krivian
84 Portfolio : Rencontres de Bamako par Emmanuelle Pontié
90 Menaces sur la souveraineté numérique par Jean-Michel Meyer
94 Alioune Sarr : « Notre objectif est d’atteindre 3 millions de visiteurs » par Emmanuelle Pontié
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
Côte d’Ivoire : Le capital femmes par Ouakaltio Ouattara, Laure Nesmon et Alexandra Fisch
50 Elles ont du potentiel !
54 Dynamiques et engagées
56 L’économie au défi de la parité
58 Un hôpital d’exception
61 L’école, clé du futur
62 Elles sont la Côte d’Ivoire
104 MADE IN AFRICA
PARTEZ EN VOYAGE, PRENEZ VOTRE TEMPS
Cap sur la Côte d’Ivoire
VIVRE MIEUX
110 Cancers : essayer de s’en protéger
111 La grenade : une mine de bienfaits
112 Contre les virus, boostez votre immunité
113 Dents de lait : Il faut en prendre soin ! par Annick Beaucousin et Julie Gilles
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C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode et du design
DANSE
Dans cette création solo, la chorégraphe Julie Dossavi s’interroge sur la PLACE DES FEMMES dans la société, passé un certain âge.
JULIE DOSSAVI a eu 50 ans en 2018. Un cap. Une étape difficile à franchir dans notre société, d’autant plus pour une danseuse. Dans son nouveau spectacle au Théâtre d’Angoulême, pendant une heure, la chorégraphe française d’origine béninoise incarne des portraits de femmes modernes, singulières, étonnantes, exubérantes, belles, drôles et libres. Leur point commun : elles ont entre 50 et 80 ans et osent aller au bout de leurs désirs, sans tenir compte de leur âge. Parmi elles, Mama Tekno, DJ, qui évolue dans plusieurs styles musicaux, de la techno au rock, en passant par les sons basses des rythmes africains, le chant et même le silence. Cette femme est le fil conducteur qui unit tous les personnages de Julie Dossavi par la même passion musicale. Pour accompagner son solo sur scène, la danseuse s’est entourée d’Yvan Talbot et de Maki La Machete, compositeurs d’une partition sur-mesure oscillant entre électro, musique africaine et hip-hop. Une bande-son qui se veut pacifique, et dans laquelle la tolérance, l’acceptation et l’hédonisme tiennent une place centrale. En somme, un véritable manifeste pour les femmes dans l’air du temps ! ■ Catherine Faye
MAMA TEKNO de Julie Dossavi, Théâtre d’Angoulême – Scène nationale, Angoulême (France), les 5, 6, 7, 12 et 13 novembre 2019. theatre-angouleme.org
La danseuse incarne des personnages ayant tous entre 50 et 80 ans, sur plusieurs styles musicaux, de la techno au rock, en passant par les rythmes africains.
La marque de Nicole Tiangaye propose de multiples accessoires élégants, dont des harnais…
… et des ceintures faites main et en petite série.
MODE
Ce sont souvent les détails qui font toute la différence dans une tenue, et c’est le cas avec les harnais en wax de LA DAME CHIIC.
SEXY, PROVOCATEUR, MODERNE ET AFRO, c’est le style d’accessoires que Nicole Tiangaye, 32 ans, née en République centrafricaine et arrivée à Orléans, en France, à 8 ans, a voulu créer avec sa marque, La Dame chiic : « Je cherchais quelque chose de ce type auprès d’autres créateurs afro, mais je n’arrivais pas à trouver. Vu ma passion pour la mode, mon fiancé m’a suggéré de le faire moi-même, et c’est comme ça que je me suis lancée. » Aujourd’hui, elle a sorti sa troisième collection, coup de cœur de l’ancienne miss France Flora Coquerel, de la chanteuse Lynnsha et de la danseuse et chorégraphe BadGyal Cassie, avec laquelle elle a entrepris des collaborations. Le produit phare de la marque est le harnais, un accessoire qui peut se marier avec toutes
sortes de looks, du glamour au punk, en passant par le street style, et qui permet d’ajouter une touche provocante et moderne à n’importe quelle tenue. Réalisées en wax et en similicuir, les créations de Nicole Tiangaye sont faites à la main et en petite série, afin que chacune de ses clientes puisse se sentir unique. Depuis sa deuxième collection, La Dame chiic propose des bretelles pour homme et enfant, mais aussi des bananes et des ceintures. Dernières nouveautés en date, des visières et des porte-jarretelles, qui viennent élargir une gamme d’accessoires faite pour des femmes qui osent. Parce que les vraies férues de mode le savent : pour avoir un look qui se démarque, il faut soigner avant tout les petits détails. la-dame-chiic.afrikrea.com/fr ■ Luisa Nannipieri
Porté par un dessin particulièrement soigné, le récit s’étale sur plusieurs niveaux de temps.
Le pari osé et réussi d’un dessin animé qui a pour héroïne… UNE MAIN TRANCHÉE !
NAOUFEL, ENFANT DÉRACINÉ DE SON MAROC
NATAL, a perdu ses parents dans un accident de voiture. Adolescent, il se retrouve hébergé en France par un oncle qui lui ponctionne un loyer sur son maigre salaire de livreur de pizzas. Jusqu’au jour où Naoufel rencontre Gabrielle. En parallèle, on suit la folle équipée d’une main coupée qui s’échappe du réfrigérateur d’un hôpital et qui part à la recherche du reste de son corps… Avec tous les obstacles que peut rencontrer sur son chemin une main qui avance au ras du sol avec ses cinq doigts – la course-poursuite avec des rats est mémorable, on n’est clairement pas dans le Ratatouille de Disney. Ces deux morceaux d’histoire finiront par se recoller, sans que le spectateur ne se perde pour autant entre les nombreux flash-back, et ce n’est pas la moindre habileté du scénario (inspiré du roman Happy Hand, de Guillaume Laurant). Tout un jeu sur le souvenir s’instaure : mémoire d’un membre amputé, mémoire d’un jeune homme qui, enfant, a enregistré sur magnétophone les bruits et les voix autour de lui avant de les oublier.
Porté par un dessin particulièrement soigné, le récit, souvent haletant, tisse plusieurs niveaux de temps, entre présent et passé plus ou moins lointain, et nous embarque. L’animation recrée un quotidien très réaliste (intérieur d’appartements, rues, gestes quotidiens, etc.), à la façon des studios japonais dont les dessins animés visent un public adulte. Le résultat est à la fois très original, puissant et limpide, malgré la complexité de sa construction. Ce premier film poétique – son réalisateur, Jérémy Clapin, n’avait fait que des courts-métrages jusque-là – a d’ailleurs fait chavirer le dernier Festival de Cannes en remportant le Grand prix de la Semaine de la critique. Et des dessins animés qui gagnent au détriment de films, on les compte… sur les doigts d’une main ! ■ Jean-Marie Chazeau J’AI PERDU MON CORPS (France), de Jérémy Clapin. Avec les voix de Hakim Faris, Victoire Du Bois, Bellamine Abdelmalek
Un suspense sociétal dans la Tunisie post-révolutionnaire.
POUR INCARNER NOURA, UNE BLANCHISSEUSE travaillant dans les sous-sols d’un hôpital, Hend Sabri, star en Égypte, a dû réapprendre le langage parlé par la rue de son pays d’origine, la Tunisie. Mais aussi apparaître sans maquillage, elle, l’égérie de L’Oréal et de Garnier pour les pays arabes, les traits cernés par la fatigue. Et pour cause : en plus de son travail, Noura doit s’occuper de ses trois enfants, rendre visite en prison à son mari qu’elle déteste et qu’elle craint, et se cacher pour retrouver régulièrement son amant. Dans un pays où l’adultère est puni jusqu’à cinq ans de prison, elle cherche à rapidement divorcer pour épouser l’homme qu’elle aime. Problème : le mari sort de prison plus tôt que prévu, veut garder son épouse, et va se venger d’une façon assez peu réaliste mais violente. Ce sombre scénario ménage un suspense haletant, dans cette banlieue sud de Tunis, Djebel Jelloud, qui offre un décor miséreux et pourtant sublimé par la caméra. Les trois comédiens principaux sont particulièrement convaincants, jusque dans l’ambiguïté de leur personnage. Cette nouvelle variation du trio vaudevillesque, dans la Tunisie post-révolutionnaire, est à la fois intense et très politique. C’est aussi une belle étude sur le mensonge comme moyen de sauver sa peau. ■ J.-M.C. NOURA RÊVE (Tunisie-Belgique-France), de Hinde Boujemaa. Avec Hend Sabri, Lotfi Abdelli, Hakim Boumsaoudi.
By’Recycl, du pneu au pouf
À écouter maintenant !
Souad Massi
Oumniya, Naïve/ Believe
DÉJÀ PLUS DE VINGT ANS DE CARRIÈRE pour la voix d’or venue d’Alger. Après le très beau El Mutakallimûn, dans lequel elle s’appropriait les textes des plus grands poètes arabes, Souad Massi revient avec Oumniya (« mon souhait »). Ici, il s’agit avant tout de liberté, sur un fond tissé de chaâbi et de folk aux arrangements toujours ciselés. Cette liberté, c’est celle des femmes, de tout âge et de tout continent, celle des hommes aussi. Un album aussi poétique qu’engagé. ■ Sophie Rosemont
Acid Arab Jdid, Crammed Discs
FONDÉ PAR LES DJ
Hervé Carvalho et Guido Minisky, ce collectif a pour vocation de mixer l’électro façon clubbing avec les mélodies orientales traditionnelles. Et ça dépote ! Pour son deuxième album, Acid Arab s’entoure du groupe féminin touareg Les Filles de Illighadad, de la chanteuse algérienne Radia Menel ou encore du Jordanien Hasan Minawi. De « Staifia » à « Malek Ya Zahri », le rythme ne faiblit pas et confirme le titre du disque, Jdid (« frais » en arabe). ■ S.R.
En un an, COUMBA DIAKITÉ, 28 ans, a mis sur pied une entreprise faisant passer les vieux pneus du bord de la route au salon. Dans son atelier, avec l’aide de quatre menuisiers, elle les habille d’une structure en bois pour les transformer en poufs et fauteuils, avant de les vendre à des entreprises, des hôtels et des particuliers. Son projet lui vaut d’être parmi les 54 femmes distinguées en 2019 par le forum Women in Africa. byrecycl.com ■ L.N.
TÉLÉ
Cette série politique MADE IN FRANCE a secoué la rentrée du petit écran.
À PEINE ÉLU, UN PRÉSIDENT FRANÇAIS d’origine kabyle se fait tirer dessus par un jeune arabe… Le premier épisode de l’ambitieuse série produite par Canal+ donne le ton. Le chef de l’État, c’est Idder Chaouch, joué par un Roschdy Zem magnétique, très Barack Obama. Sa fille vit avec Fouad Nerrouche, un acteur à succès qui a un peu
trop rapidement oublié sa cité d’origine à Saint-Étienne et se retrouve accusé de complicité avec le tireur… qui est son cousin. Mêlant soap opera familial, plongée dans les coulisses du pouvoir, enquête policière et suspense, la série s’inspire des romans de Sabri Louatah, par ailleurs créateur de cette adaptation. Ces Sauvages vont parfois vite en besogne, mais touchent au but : interroger l’avenir d’un certain vivre ensemble dans une ex-puissance coloniale. Avec une ribambelle d’excellents acteurs arabes, comme on a peu vu dans une production française. ■ J.-M.C. LES SAUVAGES (France), de Sabri Louatah et Rebecca Zlotowski (6 x 52 mm). Avec Roschdy Zem, Dali Benssalah, Farida Rahouadj, Marina Foïs, Amira Casar. Disponible sur Canal+ et Canal+ Afrique
ART CONTEMPORAIN
Pendant trois jours, la foire parisienne ALSO KNOWN AS AFRICA présentera une sélection toujours plus pointue.
POUR SA QUATRIÈME ÉDITION, l’unique foire française d’art contemporain centrée sur le continent et ses diasporas ne place plus au centre les artistes africains, mais l’Afrique dans sa globalité. Et cela change tout. En redessinant la carte de l’art contemporain en France, Victoria Mann, fondatrice et directrice du projet, invite à (re)découvrir des Afriques qui sont ouvertes sur le monde… et un monde ouvert sur le continent. Cette année, on y verra par exemple Marcelo Brodsky, un artiste argentin qui étudie dans son travail les systèmes économiques, sociaux et politiques du Congo. Mais aussi l’Allemande Marion Boehm ou le Congolais Houston Maludi, lequel investira la nef centrale pour une expérience immersive inédite. Autant d’artistes qui vont au-delà de leur nationalité ou leur géographie propre, pour s’inspirer des mondes qui les entourent. ■ C.F.
AKAA – ALSO KNOWN AS AFRICA, Carreau du Temple, Paris (France), du 9 au 11 novembre 2019. akaafair.com
Victoria Mann est la fondatrice et directrice de cet événement français unique en son genre.
ALBUM
En mariant l’anglais et l’arabe sur une musique entre jazz et mélodies orientales, LA CHANTEUSE arrive à relier tous les styles.
APRÈS LE TRÈS ÉLÉGANT MYRIAD ROAD paru il y a quatre ans, Natacha Atlas revient avec un nouvel opus imaginé aux côtés du compositeur, violoniste et directeur musical Samy Bishai. Tous deux sont nés d’un père égyptien et d’une mère britannique et souhaitent marier la musique traditionnelle arabe au jazz. Entourés de musiciens cinq étoiles (de la pianiste Alcyona Mick au trompettiste Hayden Powell, en passant par le percussionniste Oli Savill et la chanteuse Joss Stone), Atlas et Bishai ont écrit un album qui rappelle toute la richesse des influences de la diva : « Mon hybridité et ma dualité entre le Moyen-Orient et l’Europe, dans toutes ses facettes », précise-t-elle. De « Out of Time » à « Moonchild », on se laisse porter par cette musique à la fois saisissante et inclassable, organique et synthétique. ■ S.R.
NATACHA ATLAS, Strange Days, Whirlwind Recordings/Socadisc.
ROMANCIÈRE
lucidité les questions de la transmission
RIEN NE PRÉDESTINAIT Hemley Boum à une carrière d’écrivaine. Née en 1973 à Douala, puis diplômée d’une maîtrise en sciences sociales à l’université catholique d’Afrique centrale, à Yaoundé, elle poursuit ses études à Lille, en marketing et commerce extérieur, pour finalement s’installer en banlieue parisienne. D’une grande puissance narrative, ce nouveau roman s’inscrit dans la lignée de ses précédents ouvrages, parmi lesquels Le Clan des femmes, en 2010, qui traite de la polygamie dans un village africain du début du XXe siècle. Ou bien Les Maquisards, dans lequel elle revisite avec passion la lutte pour l’indépendance du Cameroun, et plus largement la décolonisation. Un roman puissant et complexe, récompensé en 2015 par le Grand prix littéraire d’Afrique noire, puis le Prix du livre engagé l’année suivante.
HEMLEY BOUM, Les jours viennent et passent, Gallimard, 368 pages, 21 €.
Les jours viennent et passent invitent à une épopée spatio-temporelle au cours de laquelle on glisse aisément du présent au passé, des années 1950 à nos jours, de Paris à Douala. Au soir de sa vie, Anna se remémore son existence mouvementée dans un Cameroun en pleine transformation. Sa fille unique, Abi, a fait le choix de vivre en France, où elle tente de dénouer ses propres conflits, d’accorder sa vie amoureuse et ses responsabilités familiales. Puis apparaît Tina, rescapée des camps terroristes de Boko Haram. Cette toute jeune femme mêle sa voix et sa destinée à la leur. Derrière les mots de sa protagoniste, Hemley Boum place une fois de plus les mutations de son pays et les questions identitaires au cœur de ses écrits. « Je me suis longtemps tenue à l’écart de la littérature africaine, j’y lisais une injonction qui ne me convenait pas. Les auteurs étrangers parlaient à un moi intime, eux convoquaient la couleur de ma peau, ainsi qu’une histoire qui me blessait et m’humiliait », écrit-elle. Si les voix des femmes portent le récit, les hommes ne sont toutefois pas en reste : Max, le fils métisse d’Abi, représente – avec Tina et ses amis de Douala – une génération confrontée au pire, mais habitée par l’espoir de jours meilleurs. L’ouverture d’une nouvelle ère. À travers trois générations de femmes, la romancière embrasse, en un même élan romanesque, à la fois l’histoire contemporaine du Cameroun et l’éternelle histoire du cœur humain. ■ C.F.
it pas. Les auteurs étrange g rs oule l ur de ma peau, ainsi miliait », écriit-elle. cit, ils métisse d’Abi, ouala – une bitée ouvelle ère. la romancière ue, fois et l’éternelle
SEIZE TEXTES INTENSES, émouvants souvent, intimes parfois, sont réunis dans ce recueil aussi bouleversant qu’éclairant. Livrées par des auteurs méditerranéens, à l’instar d’Aminata Aidara, Meryem Alaoui, Leïla Slimani ou encore Mahmoud Tawfik, ces courtes fictions francophones ou traduites évoquent les relations entre les pays du Sud et l’Europe, et le destin d’une mer devenue cimetière. Ils racontent l’espoir d’une autre vie, l’horreur rencontrée en chemin ou la déchirure de l’exil, ponctués par de fragiles instants de joie ou de douceur. Avec l’intégralité de ses bénéfices reversés à l’association SOS Méditerranée, ce livre est une contribution à la mobilisation citoyenne internationale. Depuis 2015, elle porte assistance aux hommes, femmes ou enfants, migrants ou réfugiés, qui se retrouvent en danger de mort lorsqu’ils traversent la Méditerranée. Son bateau, L’Aquarius, dont l’écrivain français Laurent Gaudé a écrit qu’il était l’Antigone de l’Europe, est aujourd’hui contraint de rester à quai, à Marseille, faute de pavillon. Mais la mobilisation, elle, n’a pas faibli. ■ C.F.
COLLECTIF, Méditerranée, amère frontière, Actes Sud, 144 pages, 15 €. Hemley
Hem m He e ley ey Bou Bo o ouum. m
Le Smithsonian’s National Museum of African Art, à Washington, met sur le devant de la scène LES GRANDS PERSONNAGES du continent.
POUR SA NOUVELLE EXPOSITION ÉVÉNEMENT, « Heroes : Principles of African Greatness », le Smithsonian’s National Museum of African Art a décidé de s’intéresser aux grands héros du continent. Par leurs combats, leurs luttes et leurs triomphes, ces individus exceptionnels incarnent des valeurs qui méritaient d’être célébrées et de traverser les générations. Dans cette exhibition très attendue, le musée national d’art africain de Washington a rassemblé près de 50 œuvres de 40 artistes de sa collection permanente ayant un lien avec le parcours de personnages qui ont joué un rôle clé dans les arts et l’histoire de l’Afrique. La scénographie est novatrice : chaque œuvre est associée à un individu africain héroïque, lequel incarne une valeur portée par l’œuvre en question. Une manière originale de découvrir des héros et héroïnes tantôt connus, tantôt surprenants, mais toujours courageux. ■ C.F. « HEROES : PRINCIPLES OF AFRICAN GREATNESS », National Museum of African Art, Washington (États-Unis), à partir du 16 novembre 2019. africa.si.edu
Ci-dessus : The Nasser Era and Om Kalsoum, Chant Avedissian, 1994. Ci-contre : cette statue igbo, du début-milieu du XXe siècle, est associée au célèbre écrivain nigérian Chinua Achebe.
Le légendaire chanteur ghanéen de highlife revient avec OBIAA!, un épatant D’ÉNERGIEconcentré ET D’AFROPOP.
PAT THOMAS & KWASHIBU
AREA BAND, Obiaa!, Strut Records.
À LA FOIS AUTHENTIQUE PAR SON CHANT, funk par ses cordes et afrobeat par son dynamisme – sans oublier ses cuivres entêtants –, Obiaa! est le disque qui va éclairer notre hiver, et tous ceux à venir. Car l’on a affaire à Pat Thomas, 72 ans, l’une des plus grandes voix du highlife, un mouvement musical né à Kumasi, comme lui, haut en swing et en engagement. Les seventies n’auraient pas été les mêmes sans cet artiste inspiré et nomade, qui a habité en Allemagne comme au Canada. Quand on lui demande ce que cela fait d’être une icône de la musique ghanéenne, il fait preuve de son habituelle humilité : « Je n’y pense jamais ! Je mène tout simplement ma vie, heureux de pouvoir continuer à faire de la musique. C’est formidable que des personnes découvrent encore mes disques du passé, comme ils écoutent les nouveaux. Mais au-delà de ma passion pour la scène, je suis dévoué à ma famille et je veux être certain de payer mes factures, comme tout le monde ! » Il vient justement d’enregistrer un nouveau disque avec son groupe Kwashibu, composé du multi-instrumentiste Kwame Yeboah et du saxophoniste Ben Abarbanel-Wolff. Enregistré à Berlin, Obiaa! fait suite à Pat Thomas & Kwashibu Area Band (2015), qui souhaitait déjà conjuguer l’héritage de l’Afrique de jadis aux sonorités actuelles. Fort d’une tournée à guichets fermés, Pat Thomas ne se fait pas prier quand ses deux compères lui demandent de remettre ça en studio : « Nous avons voulu développer le style Kwashibu, testé et approuvé durant nos concerts, et Kwame a réussi à préserver l’esprit des années 1970, notamment avec les guitares, tout en lui insufflant du neuf. » Le titre de l’album signifie « Tout le monde ! » et, en effet, il brille par son universalité. Les messages d’ouverture d’esprit et de bienveillance traversent les chansons, entre « Onfa Nkosi Hwee » et « Odo Ankasa ». Et quand on lui demande quel est son secret de forme, ce qui lui permet une telle énergie créative, Pat Thomas s’exclame : « Je n’en ai aucune idée ! Mais ça doit être quelque chose en lien avec la nourriture… [rires] Jouer sur scène devant des foules du monde entier est électrisant, car le public aime tellement la musique… Et le Kwashibu Band est si chaud ! Il y a de quoi me maintenir en forme ! » ■ S.R.
ÉVÉNEMENT
Le palais El Badi a accueilli une exposition hommage au Libanais Michel Nachef.
Fondées par le directeur artistique Abdellah Oustad, les RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE de Marrakech se sont tenues dans la cité ocre du 14 au 20 octobre derniers.
La deuxième édition de ce festival entièrement dévolu au huitième art a fédéré jeunes talents et grands noms venus des quatre coins du monde.
JOURNÉE ENSOLEILLÉE au Musée Yves Saint Laurent de Marrakech le 14 octobre dernier. Abdellah Oustad, directeur artistique du festival In Situ à Arles, est le créateur de cet événement dédié au huitième art. « Je souhaite transmettre ma passion à un large public, rendre accessible à tous la culture de l’image et promouvoir la jeune photographie marocaine et africaine », précise-t-il en animant une conférence-débat avec Lassana Igo Diarra, délégué général des Rencontres de Bamako [voir p. 84]. Au programme de cette deuxième édition, 60 photographes provenant d’Afrique et des quatre coins du monde y étaient réunis, aux côtés de dix experts internationaux assurant la lecture de portfolios en tête à tête.
Nombre de lieux d’exposition étaient à découvrir au fil de déambulations marrakchies, comme le riad Denise Masson ou le monumental palais El Badi, dans lequel se sont
tenues trois nuits de projection, présentant les séries d’Aurèle Andrews-Benmejdoub et Ali Berrada (Maroc), Nadia Rabhi et Pierryl Peytavi (France), Zoé Aubry (Suisse) ou encore Justin Dingwall (Afrique du Sud). Le palais a également accueilli l’exposition hommage à Michel Nachef, « Sahara, nos territoires », sous la direction du commissaire d’exposition, Gilles Magnin : « C’est un témoignage artistique qui évoque la culture marocaine dans sa diversité. » Cet événement a pour finalité de s’imposer comme un rendez-vous majeur au sein du royaume et du continent. Pour Lassana Igo Diarra, le cercle vertueux est lancé : « Il y a déjà des ponts entre les divers pays : la prochaine biennale photo de Bamako présentera des séries signées par le collectif 220, représenté par les jeunes Algériens Fethi Sahraoui et Youcef Krache. Quant au Maroc, il déborde de dynamisme et d’énergie créative à suivre. »
Si parmi les photographes, il y a ceux qui visitent le monde et ceux qui s’attachent à leur environnement immédiat, Ishola Akpo est une subtile alliance des deux, incarnant les jeunes pousses du milieu. Porteur d’un brassage culturel et identitaire, destiné à « penser l’avenir du continent dans sa multiplicité », ce photographe d’origine nigériane et béninoise signe une série singulière, « Ahwando », réalisée sur le site archéologique d’Agongointo au Bénin (datant du XVIIIe siècle) et présentée lors des nuits de projection. Le photographe ravive la trace des envahisseurs venus du Nigeria en se plaçant dans la peau des traqués, camouflé dans des feuilles mortes, caché dans des ahwando (« trous de guerre »). En 2018, il avait consacré un autre projet, « Daibi », à un dieu imaginaire, alors qu’il était à la résidence d’artistes Jardin Rouge (fondation Montresso), à Marrakech : tout en s’inspirant de la culture marrakchie et yoruba, il y avait réalisé une puissante série d’autoportraits sur impression pigmentaire, présentée dans le cadre de l’exposition « IN-DISCIPLINE ». « Me représenter dans un espace différent du contexte béninois yoruba a été très enrichissant », précise-t-il.
Autre surprise : le Japon était le pays invité de cette édition. Une carte blanche a été donnée à l’artiste japonaise Miki Nitadori, qui a sélectionné et présenté six de ses pairs de renommée internationale : Yuji Hamada, Naruki Oshima, Yuki Onodera, Ken Kitano, Kazuyoshi Usui et Risaku Suzuki. Pour Marie Moignard, curatrice et journaliste pour le magazine Diptyk : « Il faut réunir davantage d’artistes marocains et de la diaspora afin de séduire le public touristique et local. » Au-delà d’être une plate-forme d’échanges fédérant les regards croisés d’artistes provenant du Maghreb, d’Afrique et d’Asie, ces Rencontres de la photographie de Marrakech devront en effet s’inscrire dans le temps, dans un ancrage plus local, afin de convaincre les partenaires financiers et de susciter un grand attrait pour le public. ■ Fouzia Marouf
est également une entrepreneure à succès. Dans son dernier album, She, elle se fait la porte-parole des femmes du continent et les célèbre avec son sens du rythme et sa verve inimitable. propos recueillis par Astrid Krivian
Mon album raconte des histoires de femmes de mon pays, inspirées par des récits que j’ai entendus. Lancer un business, se détacher de l’emprise maternelle, faire le deuil d’une relation avec un compagnon… Elles sont à un moment décisif de leur vie où elles font face à des bouleversements. En ayant le courage de régler leur situation, elles deviennent leur propre héroïne, leur sauveuse, et améliorent leur existence.
J’ai commencé les percussions à 10 ans, puis j’ai fait de la batterie. Le rythme est un langage premier, c’est vraiment ce qui fait bouger les gens. Tout peut être une percussion : un seau, une table… Je fais de la musique parce qu’elle est venue facilement et naturellement vers moi. Je me sens épanouie à en créer, à en écouter, à en partager. C’est aussi une manière directe et efficace de transmettre une idée, un message au monde.
La musique nous fait grandir, nous élève. Elle est une belle manière de se connecter aux autres, à l’humanité.
En concert, l’éclairage, la chorégraphie, les tenues participent à amener l’expérience à un plus haut niveau, à sortir de l’ordinaire, pour l’artiste comme pour le spectateur. Et, comme dans certaines cérémonies kenyanes, le maquillage fait partie du rituel de la performance. Je choisis mes vêtements, pas forcément parce qu’ils sont sexy, mais parce qu’ils expriment une histoire visuelle forte. De style futuriste, ils sont confectionnés au Kenya, c’est une façon aussi de présenter le design, la mode de mon pays.
J’ai initié deux festivals au Kenya, Africa Nouveau et Blankets and Wine. Cela représente beaucoup de travail, mais il faut créer des espaces pour mettre en avant de nouvelles idées. Africa Nouveau fait se croiser la musique, la mode, les films, le culinaire, autour des identités, des diasporas, de leurs connexions. En somme, une célébration philosophique de la vie et de l’Afrique, avec ses créateurs les plus doués, à la pointe de la modernité.
Je suis heureuse d’avoir contribué à la bande originale de Rafiki, réalisé par mon amie Wanuri Kahiu [sorti en 2018, le long-métrage raconte une histoire d’amour entre deux jeunes femmes à Nairobi et a été censuré au Kenya, ndlr]. C’est un film très intéressant, qui montre les expériences des personnes LGBTQ dans mon pays natal, les discriminations qu’elles subissent. Ce type d’œuvres est important pour ouvrir un débat.
Ma chanson « Million Voice » m’a été inspirée par la situation, ces dernières années, des réfugiés somaliens, soudanais et rwandais au Kenya. Mais elle embrasse un sujet plus large : la façon dont les peuples qui accueillent ces exilés les traitent, les perçoivent, interagissent avec eux… Le but de ce morceau est d’inviter les gens à les considérer comme des humains avant tout.
En menant une carrière artistique et en dirigeant un business, je contribue au dynamisme économique du secteur musical de mon pays, lequel est encore au stade de développement. Et même s’il y a beaucoup à faire, avec mes consœurs de ma génération, nous faisons ainsi fait progresser les droits des femmes, leur place, leur statut social. ■
«La musique nous fait grandir, nous élève. Elle est une belle manière de se connecter aux autres, à l’humanité.»
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PAR EMMANUELLE PONTIÉ
On a souvent entendu parler de projets d’adressage dans les capitales africaines. C’est-à-dire numéroter les habitations et autres locaux commerciaux, avec un nom de rue bien indiqué en début et en fin de voie. Mais, finalement, force est de reconnaître que… ça ne marche pas ! Et malgré quelques efforts (pas terribles), le système D reprend ses droits. Pour les locaux, qui connaissent par cœur leur tissu urbain, c’est pas bien grave. Mais, pour les visiteurs, invités à dîner chez X ou Y, il faut reconnaître que c’est une joyeuse galère ! Les indications, déjà, montrent qu’on n’est pas sortis de l’auberge. « Alors, c’est au quartier bidule, deuxième rond-point à gauche, roulez jusqu’au panneau Orange, puis aller à droite jusqu’aux palmiers, et après la maison au portail bleu, c’est encore à gauche et à droite, puis tout droit jusqu’à la boulangerie Pain d’or, et… »
Et là, vous demandez, car vous êtes paumé !
La notion de « à gauche » ou « à droite » sur la rue X part en cacahuètes quand on se rend compte qu’il y a plusieurs rues concernées, ou que l’enseigne de telle ou telle boutique a changé, que machin a repeint son portail, etc. Alors, évidemment, si vous vous rendez chez un « grand quelqu’un », ministre, DG ou star de la chanson, la mine d’infos, ce sont les gardiens. Eux savent toujours et vous orientent quand vous errez, en tournant trois fois sur le même rond-point, hébété. Ils assurent, passent leur journée à épier les allées et venues de X ou Y, et connaissent parfaitement les villas des personnalités alentour.
En revanche, si vous avez le malheur d’aller chez un ami pas connu du tout, qui loge dans un quartier modeste où les gardiens ne pullulent pas, c’est plus coton. Et là, y a pas intérêt à ce qu’on ait rasé les palmiers que l’on vous a indiqués comme point de repère. Sinon, vous êtes obligé, neuf fois sur dix, de vous arrêter là où vous êtes, en attendant que votre hôte vienne vous chercher… « Sur le goudron », comme on dit, car, en général, c’est la redoutable petite route non bitumée que vous avez ratée ! Bref, il paraît que ça coûte super cher de donner des noms et des numéros aux rues. Et, certes, les constructions anarchiques ne facilitent pas la tâche. Sans compter que ce système « flou », où l’on ne sait pas vraiment officiellement où habitent les gens, arrange pas mal de locataires clandestins et de faux propriétaires. Il n’empêche qu’au-delà du folklore, il serait peut-être temps de se pencher sur le sujet. Car, justement, l’adressage peut être un bon moyen d’assainir les capitales et leur cadastre. Et, accessoirement, de faciliter la vie aux visiteurs perdus ! ■
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