Un maxi-Découverte de 28 pages spécial grands travaux
FORÊTS : L’AFRIQUE, FORÊTS : L’AFRIQUE, DERNIER POUMON DERNIER DE LA PLANÈTE ? DE LA
?
Juge
CÔTE D’IVOIRE +
L’usine d’eau potable de la Mé.
danser le monde
Enquête sur l’un des ultimes patrimoines verts de l’humanité. Un bien commun menacé.
(2)
Yasmina Khadra «
Beata Umubyeyi Mairesse « J’AI TROUVÉ MA PLACE DANS LA LITTÉRATURE »
»
Zembra
Je conjugue efficacité et durabilité.
MOBILISER plus POUR FAIRE FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX
Grâce à des pratiques vertueuses et par l’innovation, Bolloré Transport & Logistics se mobilise pour préserver l’environnement. Des solutions sont mises en place pour réduire l’impact de nos activités. Nous sommes engagés dans des démarches de certifications pointues, à l’image du Green Terminal déployé sur tous nos terminaux portuaires.
NOUS FAISONS BIEN plus QUE DU TRANSPORT ET DE LA LOGISTIQUE
NICOLAS KOUASSI CONDUCTEUR D’ENGIN, FORMATEUR
PAR ZYAD LIMAM
LA TUNISIE, SUITE ET SUITE…
Voilà, les jeux sont (provisoirement) faits. Kaïs Saïed a fait adopter sa nouvelle constitution. La participation aura été faible, le débat largement tronqué. Mais il aura eu gain de cause. La Tunisie entre dans un nouveau régime, marqué par un pouvoir présidentiel fort, des contre-pouvoirs limités. On peut reconnaître au président de l’obstination, et suffisamment de sens politique pour s’imposer. Il a fait tomber la deuxième République sans coup férir, il est soutenu visiblement par l’appareil d’État. Que la deuxième République ait été un échec, personne véritablement ne le remet en cause, sauf ceux qui ont profité de ce modèle hybride pour prospérer. Et gouverner. Et s’enrichir. Difficile aussi de passer de plus d’un demi-siècle d’autoritarisme (Bourguiba, 1957-1987, et Ben Ali, 1987-2011) à une démocratie opérationnelle en un clin d’œil historique. Et puis, la révolution était multiple dans sa nature. Elle mobilisait des élites avant tout soucieuses de modernisation politique. Mais aussi des couches plus populaires, moins « politiques », qui aspiraient surtout à la dignité, à l’égalité, à la promotion économique.
Pourtant, le renouveau ne pourra pas venir en « relativisant » les acquis de la révolution. La Tunisie a besoin de centralité, d’autorité, d’une forme de discipline, mais pas aux dépens des idées démocratiques, du principe de justice équitable, de la liberté d’expression et du pluralisme. La Tunisie a besoin d’autorité, mais pas de l’autorité d’un seul homme, une sorte de raïs prodigieux et infaillible. Ce modèle-là a été expérimenté, et on connaît ses limites. Et la Tunisie a changé. Elle s’est complexifiée, politisée justement.
On peut aussi essayer de « limiter » la Tunisie à sa nature musulmane et arabe. Évidemment oui, mais pas seulement. Ce qui fait la richesse de la Tunisie, sa différence, son apport au monde, y compris au monde arabo-musulman, c’est sa diversité. Ses identités multiples. La Tunisie est arabo-musulmane, elle est méditerranéenne, africaine, elle est berbère, elle a une histoire juive et même chrétienne, elle fut Carthage, un empire, elle fut Rome aussi… Si l’on rejette cette fusion, on étrique la nation, on l’affaiblit.
En l’assumant, on s’ouvre des portes sur le grand large. On se positionne comme une nation multiple, ouverte au dialogue, nécessaire et séduisante. On peut souligner la souveraineté. Le nationalisme. C’est important. Chaque pays a droit au respect. Mais chaque pays doit mesurer sa marge de manœuvre. La Tunisie est fragile, épuisée par une décennie de désordre. Elle est endettée, elle est divisée. Le réalisme compte. Rompre avec les uns ou les autres, avec les États-Unis ou avec l’Europe (principaux marchés, principales sources de financement), relève de l’illusion dangereuse. La Tunisie est bordée de puissants voisins, l’Algérie, la Libye (avec le chaos permanent) et, au-delà de la Libye, par l’Égypte et les pays du Golfe. De puissants voisins qui cherchent à la rendre « compatible » avec leurs propres intérêts. La souveraineté, dans ce contexte, c’est l’agilité, la souplesse, en étant capable de dialoguer avec tous, de conforter cette place de nation ouverte, de nation carrefour.
Et puis, il y a un enjeu central, celui qui relie la révolution, les élites et le peuple. La Tunisie s’appauvrit. Son modèle social (santé, éducation, formation) se dégrade. Le pays s’endette, sans créer de valeur ajoutée. Le système est ancien, verrouillé par les monopoles de fait, le poids du secteur public, de l’État, des syndicats. La réforme économique est urgente pour sortir de cette spirale descendante. Et pour créer des emplois et de la richesse pour le peuple. La constitution, dans ce domaine, n’offre pas de solutions magiques. La lutte contre les corrupteurs ne définit pas un modèle nouveau, efficace, innovateur. Cette remise en cause, cette remise à niveau est la plus complexe, la plus exigeante. Parce que, disons-le, la Tunisie, idéalement placée, pourrait être riche.
L’histoire n’est pas écrite d’avance. La révolution continue son chemin. Dans ce chapitre, Kaïs Saïed cherche à parler au nom de ce peuple. Il est lui-même « peuple ». Il se sent légitime pour gouverner quasi seul. En étant ainsi au centre du jeu, le président assume une immense responsabilité. ■
3 ÉDITO
La Tunisie, suite et suite… par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
De l’Afrique au Finistère, une ferveur sacrée
22 CE QUE J’AI APPRIS
Nadia Hathroubi-Safsaf par Astrid Krivian
25 C’EST COMMENT ?
Chapeau mossi et baguette de mil par Emmanuelle Pontié
94 PORTFOLIO
La force de l’objectif par Catherine Faye
122 VINGT QUESTIONS À…
Rébecca M’Boungou par Astrid Krivian
TEMPS FORTS
26 Forêts : l’Afrique, dernier poumon de la planète ? par Thibaut Cabrera
40 « Justice Thomas », l’homme qui veut figer l’Amérique par Cédric Gouverneur
76 DJ Snake, ce Franco-Algérien qui fait danser le monde par Luisa Nannipieri
82 Malek Lakhal : « Il est essentiel de politiser l’intime » par Catherine Faye
86 Yasmina Khadra : « L’écriture, ce voyage initiatique » par Astrid Krivian
90 Beata Umubyeyi Mairesse : « J’ai trouvé ma place dans la littérature » par Sophie Rosemont
100 La Tunisie au gré des îles par Frida Dahmani
47 CÔTE D’IVOIRE
Le futur est en travaux ! par Zyad Limam et Francine Yao
Un dossier de 28 pages
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
BUSINESS
108 Alimentation : le grand désordre mondial
112 Nicolas Bricas : « L’interdépendance est devenue une dépendance »
114 Le streaming s’impose en Afrique
115 La Gambie s’engage contre la déforestation
116 Monaco s’intéresse de plus en plus à son sud
117 OCP ouvre des perspectives au Niger par Cédric Gouverneur
VIVRE MIEUX
118 Forme : de nouvelles gyms pour la rentrée
119 N’abusez pas du sel
120 Vitiligo, une maladie mal connue
121 L’arthrose du pouce : douloureux, mais cela se soigne ! par Annick Beaucousin et Julie Gilles
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage
« AFRIQUE : LES RELIGIONS DE L’EXTASE », Abbaye de Daoulas, (France), jusqu’au 4 décembre. cdp29.fr
Holy 1, série « Vues de l’esprit », Fabrice Monteiro, 2014.
SPIRITUALITÉ
DE L’AFRIQUE AU FINISTÈRE, UNE FERVEUR SACRÉE
L’abbaye de Daoulas, en Bretagne, plonge les visiteurs
dans une ATMOSPHÈRE MYSTIQUE très particulière.
ORGANISÉE PAR LE MUSÉE d’ethnographie de Genève, cette exposition invite à découvrir les cultures religieuses du continent et la ferveur des croyants dans leur recherche d’une communion avec le divin. De nombreux objets de culte et d’œuvres d’art (plus de 300 pièces) révèlent la richesse et la pluralité des pratiques en Afrique et dans la diaspora. Les rituels et la notion du sacré sont mis en avant à travers les témoignages des adeptes eux-mêmes : des guérisseurs, des devins, des danseurs de masques, des chrétiens ainsi que des pratiquants du vaudou. Cinq installations vidéo
et de fascinantes images de neuf photographes poussent à réfléchir aux pratiques contemporaines et à l’expression de l’émotion religieuse, comme la série « Train Church », de Santu Mofokeng, datant de 1986, qui immortalise des trains de banlieue sud-africains transformés en églises sur la ligne Soweto-Johannesbourg. Pour prolonger l’expérience, direction les jardins remarquables de l’abbaye et les ruelles de la commune, investis par trois artistes afro-descendants : Maïmouna Guerresi, Ayana V. Jackson et Omar Victor Diop. ■ Luisa Nannipieri
Série « Kimbanguiste », Christian Lutz, 2018.
MONTPELLIER
CÉLÈBRE LES ARTS DU MONDE ARABE
Depuis 2006, Arabesques s’est imposé comme un RENDEZ-VOUS MULTIDISCIPLINAIRE incontournable.
MUSIQUE, DANSE, THÉÂTRE, cinéma, humour, arts visuels… La programmation multidisciplinaire et éclectique du festival Arabesques met en lumière tant la jeune garde des scènes contemporaines que les artistes consacrés, les esthétiques alternatives comme les traditionnelles. Défricheur de talents et soutien aux artistes émergents, cet événement, qui jette un pont entre Orient et Occident, investit différents lieux de Montpellier. Au sein de la pinède du domaine d’O, une médina plante son décor à l’ombre des arbres et devient un cœur palpitant où se croisent ateliers de découverte culinaire ou de calligraphie, tables rondes, rencontres littéraires… Parmi les nombreux musiciens qui enchanteront cette 17e édition, on trouvera Dhafer Youssef accompagné de Ballaké Sissoko et Eivind Aarset pour leur projet Digital Africa, le duo folk Ÿuma, la transe hypnotique de Bedouin Burger, le groupe féminin originaire de la Saoura algérienne Lemma, l’illustre oudiste Marcel Khalifé et son fils Bachar, Anouar Brahem ou encore Kabareh Cheikhats – des artistes masculins explorant le répertoire séculaire des cheikhates (chanteuses et danseuses marocaines). Côté humour, le jeune AZ régalera le public avec son regard décalé et ses punchlines hilarantes. ■ Astrid Krivian FESTIVAL ARABESQUES, Montpellier(France), du 6 au 18 septembre. festivalarabesques.fr
SOUNDS
À écouter maintenant !
❶
Ferkat Al Ard
Oghneya, Habibi Funk
Merci au label Habibi Funk qui, après avoir réédité le superbe album du Libanais Issam Hajali, déterre les compositions de son groupe, Ferkat Al Ard, qu’il formait avec Toufic Farroukh et Elia Saba. Se nourrissant de la poésie palestinienne, notamment celle de Mahmoud Darwich, Oghneya bénéficie des arrangements du fils de Fairouz, Ziad Rahbani. Il explore le folk psyché, les musiques traditionnelles orientales et brésiliennes, l’exotica… Sublime.
❷ Moonchild
Sanelly
Phases, Transgressive Records/Pias
« Undumpable », chante
Sanelisiwe Twisha (de son vrai nom) dès l’ouverture de son deuxième album. On n’en doute pas une seconde, au vu de l’énergie de la figure de proue du gqom sud-africain. Ayant collaboré avec des pointures de la pop music, telles que Beyoncé ou Gorillaz, elle prend ici la parole au nom de toutes les femmes que l’on oublie : les travailleuses du sexe, les strip-teaseuses ou encore les twerkeuses, mais aussi les mères, les filles et les sœurs… Le tout avec un groove effarant !
Ysee
Tony Allen Makes Me High, Ysee
Le nom de cet EP n’est pas volé : le regretté batteur nigérian était en effet l’un des complices de cette chanteuse et actrice française d’origine béninoise, qui tourne actuellement aux côtés de Noel Gallagher. C’est sur scène qu’Ysee s’est liée d’amitié avec le roi de l’afrobeat, qui s’écoute ici via plusieurs titres d’une belle élégance sonique. Une superbe voix à découvrir de toute urgence ! ■ Sophie Rosemont
LÉGENDE
CALYPSO ROSE FOREVER !
Dans son nouvel album, la chanteuse de Trinité-et-Tobago clame la JOIE D’ÊTRE SOI, libre et ouverte sur le monde.
POUR LES RARES qui ne la connaîtraient pas encore, rappelons que Calypso Rose, née McArtha Lewis sur l’île caribéenne de Tobago, au sein d’une famille de 13 enfants, a vécu un premier déchirement à l’âge de 9 ans. Sans le sou, ses parents doivent la confier à un couple de l’île de Trinité. Celle qui devient, dès l’adolescence, Calypso Rose, s’y épanouit néanmoins. Forte d’un mental en acier et d’une voix mémorable, elle fait ses armes dans les calypso tents, où l’on doit, face à une sacrée concurrence, imposer son bagout. En 1978, elle est la première femme à remporter la couronne de « Calypso Queen » – alors que personne n’y croyait dans le circuit très machiste du carnaval. Féministe ? Et pas qu’un peu ! 800 chansons plus tard, désormais basée à New York, celle qui a fêté ses 82 ans ne compte pas lâcher le micro. Pour ce nouveau disque, engagé et à l’énergie contagieuse, elle reste fidèle à ses compagnons de musique. L’objectif étant de rester authentique sans se priver
des sonorités électroniques. En premier lieu, le producteur bélizien Ivan Duran, qui la suit depuis plus de quinze ans et fait intervenir son groupe The Garifuna Collective. Également de la partie, Manu Chao, qui a réalisé en 2016 son Far From Home, devenu disque de platine, des musiciens trinidadiens (Machel Montano, Kobo Town), jamaïcains (Mr Vegas), mais aussi Oli, du duo français Bigflo & Oli – car Calypso Rose est toujours attentive aux propositions de la nouvelle génération… Sans oublier des pointures du même calibre qu’elle. Ainsi, le guitariste Santana transcende de ses riffs l’ouverture de l’album, « Watina »., une reprise d’Andy Palacio en 2007, qui rappelle la mise en esclavage et la déportation du peuple des Garifunas. Un discours qui s’inscrit dans les convictions défendues par l’artiste depuis ses débuts, dont l’égalité de toutes et tous, quels que soient la couleur de peau, le sexe et les origines sociales. En 2019, elle est d’ailleurs rentrée à l’Icons of Tobago Museum, qui n’a pas oublié, comme elle, d’où McArtha-Calypso venait. ■ S.R.
CALYPSO ROSE, Forever, Because Music.
LA VIE (AU BLED) EST UN ROMAN
Un écrivain franco-algérien tout juste nobélisé est accueilli en héros dans le village natal qu’il avait fui… Une COMÉDIE POLITIQUE douce-amère.
SAMIR AMIN, écrivain français né en Algérie, reçoit le prix Nobel de littérature. Le summum de la reconnaissance, mais qui ne guérit pas son état dépressif : il refuse toutes les sollicitations… sauf celle du village où il a grandi, qui veut lui décerner le titre de « citoyen d’honneur ». Il finit par sauter dans un avion d’Air Algérie pour rejoindre les contreforts de l’Atlas et ce pays dont il a fui la guerre civile trente ans plus tôt. Le romancier va alors se confronter aux personnages réels qui lui ont inspiré la plupart de ses livres… Kad Merad est parfait dans la peau de cet auteur neurasthénique de retour au bled. À ses côtés, Fatsah Bouyahmed, l’un des clowns les plus attachants de la comédie francophone, donne son tempo doucement comique au film en l’accompagnant à tous ses rendez-vous. Un très beau village marocain fait illusion, le tournage n’ayant pu avoir lieu en Algérie, mais le réalisateur Mohamed Hamidi (La Vache, Né quelque part) – qui est aussi directeur
artistique du Marrakech du rire – a su trouver l’endroit idéal. Ses producteurs lui avaient proposé d’adapter un film argentin où un écrivain nobélisé quittait Barcelone pour retrouver son village dans la pampa. Il en a fait un film sur l’Algérie d’aujourd’hui, avec le personnage de la jeune étudiante impliquée dans les manifestations du Hirak (Oulaya Amamra, la révélation de Divines).
Le rythme n’est pas toujours au rendez-vous, malgré la belle musique d’Ibrahim Maalouf et quelques surprises (dont une apparition de Jamel Debbouze). Et l’on peut s’étonner de voir la langue française triompher dans un pays où elle reste une question politique sensible. Mais cette nouvelle déclinaison d’un retour au pays natal se laisse voir avec plaisir, et parvient même à nous toucher. ■ Jean-Marie Chazeau CITOYEN D’HONNEUR (France), de Mohamed Hamidi. Avec Kad Merad, Fatsah Bouyahmed, Oulaya Amamra. En salles.
LES CINÉMAS ORIENTAUX À LA MAISON
Yema est la première plate-forme française VOD de films d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. BURNING CASABLANCA ou Une histoire d’amour et de désir à l’affiche chez soi, quand on n’a pas pu les voir en salles : c’est ce que propose la plate-forme Yema, lancée en juin, qui sélectionne les meilleures productions actuelles ou de patrimoine, et dont le catalogue s’enrichit d’une dizaine de titres par mois. Les films sont accessibles à un prix raisonnable (entre 2,99 et 4,99 euros selon la qualité HD ou la date de sortie), mais une formule d’abonnement est à l’étude. Pour les visionner, il faut habiter en France, les droits d’auteur devant encore être négociés pour un accès depuis le Maghreb. Fictions, documentaires, courts-métrages (qui eux sont gratuits) couvrent le monde oriental au sens (très) large, de l’Algérie à la Turquie, en passant par Israël, la Palestine et l’Iran. Chaque mois, un invité présente une sélection autour d’une thématique : pour septembre, c’est Leïla Slimani qui a choisi cinq œuvres sur la place des femmes dans les sociétés orientales. Avec en bonus, une interview affûtée de l’écrivaine franco-marocaine, qui explique comment le regard féminin est d’abord universel. ■ J.-M.C. yema-vod.com
Kad Merad et Fatsah Bouyahmed.
INSTITUTION
ALBUM DE VOYAGE
Plus de quarante ans de créations de Lecoanet
Hemant, alliant l’ART DE LA HAUTE
COUTURE
française à l’esprit de l’Orient.
ROBES DES MILLE ET UNE NUITS, drapés somptueux, manteaux opulents ou tailleurs structurés… L’univers exubérant du duo de couturiers globe-trotters illumine les galeries du musée de référence de la dentelle tissée, à Calais. Il faut dire que Didier Lecoanet et Hemant Sagar, créateurs de leur griffe éponyme en 1981, l’une des plus inventives de l’époque, sont des prestidigitateurs de la mode. Leurs modèles chatoyants et raffinés explorent le métissage subtil des textiles et des cultures. Présente dès leurs débuts, la déclinaison autour du sari indien marque l’ensemble de l’œuvre de la maison. Tout comme le thème de la nature, à travers des vêtements réalisés à partir de matières végétales, minérales ou animales : raphia, bois, coquillages, papier de riz… Cette pâte inventive a valu aux deux créateurs d’être considérés comme les orientalistes de la haute couture. Et la rétrospective calaisienne, de plus de 80 pièces, retrace la magie de l’alliance des matières et des styles de l’Occident et de l’Orient. ■ Catherine Faye
« LECOANET HEMANT : LES ORIENTALISTES
DE LA HAUTE COUTURE », Cité de la dentelle et de la mode, Calais (France), jusqu’au 31 décembre. cite-dentelle.fr
L’AFRIQUE
AU SOMMET D’HOLLYWOOD !
Les combattantes du futuriste Wakanda dans la suite de Black Panther, mais aussi des guerrières du Dahomey au xixe siècle : les FEMMES SONT AU CŒUR de deux grosses productions américaines très attendues à la rentrée.
SI L’ON EN CROIT une coiffeuse du staff de Black Panther: Wakanda Forever, le tournage de la suite du premier blockbuster afro-américain (1,3 milliard de dollars de recettes dans le monde en 2018) aura duré presque 30 jours de plus que prévu : 117 au lieu de 88. Après avoir tardé à démarrer pour cause de réécriture du scénario à la suite du décès en 2020 de Chadwick Boseman (qui incarnait T’Challa, la Panthère noire), la production a ensuite dû faire face à des interruptions pour cause de Covid-19 (jusqu’à Lupita Nyong’o, positive en janvier dernier). Une cascade qui a mal tourné (et une fracture de l’épaule) a également immobilisé plusieurs semaines Letitia Wright. Or, son rôle de Churi, la sœur de T’Challa, s’annonce central dans ce nouvel épisode. Ira-t-elle jusqu’à prendre la succession de son frère ? En tout cas, Disney s’est refusé à remplacer son héros par un autre acteur, voire à recourir à des images de synthèse. Et mise tout sur le Wakanda et ses combattantes dans ce nouvel opus. Ce puissant pays africain imaginaire, caché entre l’Éthiopie et le Kenya, allie toujours haute technologie et sens aigu de l’esthétique. Deux nouveaux personnages de la galaxie Marvel devraient faire leur apparition : le méchant Namor, prince des mers, oreilles pointues et slip vert, joué par l’acteur mexicain Tenoch Huerta, et l’étudiante Riri Williams et son armure Ironheart, qui aura les traits de l’Américaine Dominique Thorne. Pour le reste, toujours devant la caméra de Ryan Coogler, on retrouvera la même distribution, très black power, les femmes en tête, dont Danai Gurira, qui incarne Okoye, la générale du Wakanda, appelée à être au cœur d’une série dérivée pour Disney+. Sortie prévue pour novembre.
D’autres guerrières noires vont débarquer dès septembre devant la caméra d’un autre cinéaste afro-américain, en l’occurrence une réalisatrice : Gina Prince-Bythewood. The Woman King plonge au cœur du royaume, réel celui-là, du Dahomey au XIXe siècle. Inspiré des amazones du futur Bénin, le film (tourné en Afrique du Sud) met en scène les faits d’armes de la générale Nanisca, incarnée par Viola Davis, qui entraîne une nouvelle génération de recrues au sein de l’Agoledjié, le corps des femmes de guerre du roi. Elle va les préparer à la bataille contre un ennemi déterminé à détruire leur mode de vie. « Il y a des valeurs qui méritent d’être défendues », souligne le synopsis de Sony Pictures. Entre les guerrières historiques du royaume du Dahomey et les superhéroïnes du Wakanda, le système hollywoodien a décidé cette année de mettre en avant celles qu’il ne montre que trop rarement… ■ J.-M.C.
Dans The Woman King, Viola Davis forme les Amazones de Dahomey.
Chadwick Boseman (en costume noir) incarnait T’Challa, la Panthère noire, dans le premier opus. Après son décès en 2020, le scénario du second volet a dû être réécrit, et le rôle de Churi, sa sœur, s’annonce désormais central.
8 E ART
EN ARLES, ROYAUME DE L’IMAGE
C’est un retour en grand format, de véritables retrouvailles, pour la 53e édition des RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE.
C’EST UN PEU comme si nous avions enfin tourné, d’une manière ou d’une autre, la page de l’épreuve, celle de la pandémie de Covid-19. Arles accueille à nouveau, à bras ouverts, le monde de la photo. On peut, enfin, se concentrer sur les œuvres, les images, en flânant d’une ruelle à une autre, sous les voûtes d’une église, dans une friche, dans une maison faite d’histoire. Cette année, les rencontres accordent une place importante au féminin, à la féminité et au féminisme. Avec des expositions qui naviguent entre le radical, le subversif, le mouvement. Les rencontres ouvrent également un large espace aux artistes émergents, dont le Marocain Seif Kousmate. Et à l’histoire. Avec, en particulier, une exposition émouvante sur la vie et l’œuvre de l’Américaine Lee Miller, mannequin devenue photographe au cœur de la Seconde Guerre mondiale. ■ Zyad Limam
Lee Miller, Chapeaux Pidoux (avec marque de recadrage originale de Vogue Studio), Londres, Angleterre, 1939.
LES RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE, Arles (France), jusqu’au 25 septembre. rencontres-arles.com
MUSIQUE
AFRODELIC LA GLOIRE DU PÈRE
Avec son majestueux premier album, c’est un VIBRANT HOMMAGE que nous livre le musicien et producteur lituano-malien Victor Diawara.
DUSUNKUN HAKILI signifie « la mémoire du cœur »… Et c’est bien de cela qu’il s’agit tout au long de ce disque imaginé, conçu et enregistré entre Bamako et Vilnius par Victor Diawara pour honorer le corpus de son père, le poète malien Gaoussou Diawara, disparu en 2018. Plusieurs invités au programme, parmi lesquels la chanteuse Hawa Kassé Mady Diabaté… Le folk traditionnel est organique, entrelacé des cordes maîtrisées par Diawara fils, qui n’hésite guère à faire appel à l’électrique, à des sonorités rap ou des technologies plus récentes pour apporter de l’air frais à ces mélopées entêtantes, comme sur « Je n’aime pas les fêtes » ou « Le temps est venu », à la superbe ouverture gospel. Ici se mêlent poésie, engagement et désir sincère de rassembler grâce à la musique. ■ S.R.
AFRODELIC, Dusunkun Hakili, Ankata.
La chanteuse malienne Oumou Sangaré.
L’ART DE LA JOIE
L’AFRIQUE FESTIVAL fait son grand retour à Strasbourg avec une programmation en grande partie féminine.
IL ÉTAIT TEMPS. Après deux saisons troublées par la crise sanitaire, la 4e édition de l’événement s’annonce volcanique. Créé en 2003 à Newcastle, au Royaume-Uni, par Manouté Seri, un promoteur culturel d’origine ivoirienne désormais installé en Alsace, le festival a vu passer outre-Manche des stars telles que Manu Dibango, Alpha Blondy et Tony Allen. Importé d’Angleterre, le concept strasbourgeois est le même. Ainsi, au bord du Rhin se côtoieront cette année de grands noms de la scène internationale féminine. Sur la Grande Scène, dédiée à la programmation musicale africaine, se succéderont la diva malienne Oumou Sangaré, artiste engagée et femme de défis, la chanteuse, danseuse et percussionniste ivoirienne Dobet Gnahoré, mais aussi la Gambienne Sona Jobarteh, première femme joueuse professionnelle de kora, ainsi que la chanteuse, musicienne et auteure-compositrice camerounaise Charlotte Dipanda. Leurs voix et leurs musiques se mêleront pendant trois jours à celles d’artistes locaux comme Boni Gnahoré, Redlights Dream, Lisa, The One Armed Man, et bien d’autres. Une renaissance attendue pour ce festival, dont la vocation est de mettre en valeur les cultures africaines et de redynamiser les vertus de la convivialité et de la tolérance. ■ C.F. L’AFRIQUE FESTIVAL, Ostwald(France), du 16 au 18 septembre. lafriquefestival.com
QUÊTE
CARTE AU TRÉSOR
Récit d’une trajectoire : des motivations de l’exil à la construction de soi.
QUI EST-ON et d’où vient-on ?
C’est ce double questionnement, à la fois banal et fondamental, qu’explore la primo-romancière, partie sur la terre natale de ses ascendants. Un voyage tout en subtilité, qui emmène le lecteur dans les labyrinthes de l’émigration, des choix et des contraintes, de la transmission et de l’identité. Car que signifie l’exil volontaire ou involontaire, à l’aune d’une vie, d’une lignée, ou plus simplement au regard de l’histoire de l’humanité ?
« Je ne comprends pas comment tu as pu commencer ta vie à Ajar, décider un jour de tout quitter, traverser la Mauritanie puis la Méditerranée, arriver en France et enfin rejoindre Paris alors que, moi, je ne vais même pas dans le 77 », s’enquiert celle qui, au moment de la mort de sa grand-mère, choisit l’écriture pour explorer le canevas des origines et de l’ineffaçable héritage de son histoire. Une quête sensible et universelle, inspirée du parcours de son père. ■ C.F. FANTA DRAMÉ, Ajar-Paris, Plon, 208 pages, 19 €.
ROMAN
FUITE DU TEMPS
Trois personnages, trois histoires, un village. Une grande fresque de l’Algérie, sur près d’un siècle.
CE N’EST PAS UN HASARD, si le titre de son nouveau roman fait référence au poème Chanson d’automne, de Paul Verlaine : « Et je m’en vais / Au vent mauvais / Qui m’emporte / Deçà, delà / Pareil à la feuille morte. » Conçu à la villa Médicis, à Rome, où Kaouther Adimi a été pensionnaire (promotion 2021-2022), ce texte nous emporte dans les tourments et les tournants de l’histoire, de la colonisation à la lutte pour l’indépendance, jusqu’à l’été 1992, au moment où l’Algérie bascule dans la guerre civile. Au cœur de ces remous, trois personnages : Tarek, Leïla et Saïd. Au fil du temps qui passe et des aléas – de la guerre, des espoirs, des déceptions –, chacun déroule son propre chemin, se transforme. Et tandis que l’histoire s’écrit, entre eux, les liens se font, se défont. Encore une fois, la sémillante auteure de Nos richesses, prix Renaudot des lycéens 2017, nous entraîne dans les récits oubliés et les destins croisés, les blessures et les embellies, la réalité et l’imaginaire. Captivant. ■ C.F. KAOUTHER ADIMI, Au vent mauvais, Seuil, 272 pages, 19 €.
KOKOROKO, FIÈVRE COLLECTIVE
Ils sont huit et DYNAMISENT LA SCÈNE LONDONIENNE depuis quelques saisons.
C’EST AUTOUR de la trompettiste Sheila Maurice-Grey que s’active ce groupe aux larges latitudes, devenu l’un des nouveaux grands espoirs de la scène londonienne grâce au single « Abusey Junction », paru en 2018. Ce premier album résume tout ce que l’on attendait de Kokoroko : un mélange à fois subtil et foisonnant de jazz, de highlife et de soul tendance seventies. Rajoutons-y une touche d’afrobeat, et le tour est joué : Could
We Be More n’a pas besoin de grands discours pour raconter une multitude d’histoires, des Caraïbes à l’Angleterre, sans oublier le terreau artistique et fondateur de l’Afrique de l’Ouest. Aux percussions, Onome Edgeworth garde la cadence et varie les rythmes, tout comme le batteur Ayo Salawu ou la saxophoniste Cassie Kinoshi. Quant à la pochette, elle mérite d’être encadrée, pendant que le vinyle tourne en boucle sur nos platines… ■ S.R.
KOKOROKO, Could We Be More, Brownswood Recordings/Bigwax.
VICKY GROUTDR
JAZZ
CONVERGENCE DES LUTTES
Dans une narration originale, JENNIFER RICHARD revient avec une odyssée historique, doublée d’un roman politique.
LE LIVRE S’OUVRE avec un carton d’invitation. Ota Benga convie ses invités à la réunion de l’Amicale des insurgés, une sorte de conférence-débat, dans une dimension parallèle. Mais qui est cet hôte mystérieux ? Et que font tous ses convives réunis autour d’une convocation pour le moins surprenante : « Mort suspecte ? Mort précoce ou violente ? Vous pensez avoir été assassiné ? Le cas échéant, vous estimez l’avoir été pour vos idées ? Sortez de l’ombre ! » Ota Benga n’est pas un personnage fictif. La romancière franco-américaine, d’origine guadeloupéenne, et documentaliste pour la télévision, en a entendu parler dans un guide de New York. Un encart sur le zoo du Bronx y indiquait qu’il y avait été enfermé dans la cage des singes, en 1906… À la fin du XIXe siècle, ce Pygmée voit sa famille et sa tribu décimées lors d’atrocités perpétrées par le système colonial établi par le roi des Belges, Léopold II, dans l’État indépendant du Congo. Récupéré par un pasteur, qui l’amène aux États-Unis pour devenir une attraction majeure de l’exposition universelle de Saint-Louis, il se donnera la mort en 1916. Cette destinée poignante est au cœur de ce nouveau texte sans concessions, aux allures de farce macabre, politique et polémique. Après le très remarqué Il est à toi ce beau pays (2018) sur la colonisation en Afrique, puis Le Diable parle toutes les langues (2021) et les mémoires fictives de Basil Zaharoff, un marchand d’armes qui fit fortune lors de la Première Guerre mondiale, ce troisième volet poursuit le contre-récit de l’histoire officielle. Construit en deux temps, on y découvre Ota Benga qui raconte son histoire, et ce monde parallèle, bizarrement fréquenté, auquel il nous convie et où l’on retrouve Jean Jaurès, Che Guevara, Thomas Sankara, Martin Luther King, Rosa Luxemburg, ou encore Patrice Lumumba… Tous assassinés pour leurs idées et tous liés à son destin. Des révolutionnaires, des idéalistes, engagés pour leur cause, en sachant très bien qu’ils mourraient, que leur « royaume n’est pas de ce monde » et que leur récompense… ils l’auraient plus tard. Puissant. ■ C.F.
JENNIFER RICHARD, Notre royaume n’est pas de ce monde, Albin Michel, 736 pages, 24,90 €.
PASSION ZELLIGE
L’Atelier Maloukti revisite les CÉRAMIQUES MAROCAINES pour créer des objets entre tradition et contemporain.
L’ART DU ZELLIGE, ces morceaux de terre cuite émaillés, découpés un à un et assemblés pour créer des motifs géométriques, a donné vie à des œuvres d’art millénaires. Avec l’Atelier Maloukti, l’architecte d’intérieur Nicolas Pascolini rend hommage à cette tradition marocaine revisitant des objets de tous les jours. Il fait arriver dans son atelier de Marrakech les carreaux bruts de Fès, ville renommée pour la qualité de sa terre argileuse, avant de procéder à la découpe en bâtonnets, losanges ou étoiles pour créer des tesselles qui recouvriront des tables, des plateaux en bois ou fabriqués à partir d’anciens tamis à couscous, ou encore des miroirs. Chaque pièce apporte une touche créative dans un appartement contemporain mais a aussi sa place dans une maison traditionnelle marocaine, comme les magnifiques riads et villas que l’Atelier a redessinés depuis son ouverture, en 2020. Pour souligner l’esprit moderne de ses créations, Nicolas Pascolini a travaillé avec les couleurs, introduisant des nouvelles teintes et des nuances pastel, comme le rose et le vert, mais aussi avec les lignes. Les structures des tables, en métal, ont été conçues pour obtenir des profils plus fins, qui valorisent les motifs en céramique. ■ L.N. ateliermaloukti.com
Les motifs des vêtements sont cousus et sérigraphiés à la main, faisant de chaque pièce une œuvre d’art à part entière.
MODE
KATUSH, ÉTHIQUE ET MODERNE
Le style unisexe de ce label kényan restitue des IDENTITÉS CULTURELLES
UNIQUES dans des tenues pour le quotidien.
La designeuse
Katungulu Mwendwa.
LA DESIGNEUSE Katungulu Mwendwa a lancé sa propre griffe, Katush, en 2014 et en a fait l’une de ces jeunes marques qui conjuguent durabilité, culture africaine et qualité artisanale. Katush est un surnom assez commun chez les enfants dont le nom commence par « Kat », dans la communauté de Nairobi où la styliste a grandi. Des jeunes qui, comme elle, aiment un style décontracté et évocateur en même temps, pensé pour vivre au quotidien dans un monde globalisé, sans oublier leur identité ni leur héritage. Les huit collections qu’elle a créées jusqu’ici s’inspirent aussi bien des corsets perlés du Sud-Soudan que des robes recherchées portées par les Wodaabe, un sous-groupe du peuple peul, pour ensuite les décliner en tenues confortables. Avec « One Manjano », sa dernière collection en date, qui a été influencée par une carte postale représentant une femme au début des années 1900 à Zanzibar, la styliste célèbre les savoirfaire des artisans du continent. Son nom (« un jaune ») est une expression swahilie pour dire que chaque pièce est unique.
En observant les robes traditionnelles swahilies et la versatilité du caftan, porté à travers les siècles par les hommes et les femmes, Katungulu Mwendwa a dessiné des silhouettes fonctionnelles, adaptées à la vie frénétique d’une ville en plein essor comme la capitale kenyane. Tel un clin d’œil graphique à la carte postale, les motifs organiques en noir, blanc ou ocre qui décorent les pièces rappellent les travaux de l’artiste italien Giuseppe Capogrossi, l’un des précurseurs de la peinture abstraite. Ils ont tous été cousus et sérigraphiés à la main, faisant de chaque vêtement une œuvre d’art à part entière.
Dans le but de soutenir une mode locale, responsable et éthique, Katush travaille avec plusieurs partenaires qui lui permettent, par exemple, d’importer le coton filé à la main du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire ou le jersey de la Tanzanie. Le cuir est sourcé et traité au Kenya, et les boutons et les boucles sont réalisés à partir de corne de vache ou de cuivre recyclé. ■ L.N. katushnairobi.com
La terrasse de l’établissement accueille cinq restaurants durant l’événement.
Chez Afro Jojo, le chef relève les plats avec des marinades spéciales et des sauces originales.
GROUND CONTROL MET À L’HONNEUR
LA FOOD AFRO
Jusqu’à fin octobre, le continent investit les extérieurs de l’ICONIQUE LIEU DE VIE CULTUREL PARISIEN.
CINQ RESTAURANTS AFRO en un seul lieu : la terrasse du Ground Control, près de la gare de Lyon. L’ancienne halle de la SNCF, transformée depuis 2017 en lieu de vie et de culture, donne carte blanche à une nouvelle génération de chefs afro-descendants avec le projet Ground Africa. Parmi les équipes installées dans les vieux bus aménagés en cuisines, on retrouve celle du BMK Paris-Bamako, qui n’a plus besoin d’être présentée, ou du New Soul Food, avec sa street-food afropéenne et ses grillades au charbon de bois. Mais aussi de nouveaux visages afro-parisiens : Boukan est le pari réussi de trois Guadeloupéens, qui ont créé leur première carte pour ce projet. Ils proposent une cuisine du terroir caribéen avec des plats de viande, des crustacés ou des poissons boucanés (marinés et fumés
à l’étouffée), accompagnés de fluffy rice au lait du coco ou de houmous de banane plantain. Chez Afro Jojo, le chef, adepte d’une cuisine déstructurée, relève plats et sandwichs avec des marinades spéciales et des sauces originales à base de poivre vert de Penja ou d’épices du Nigeria : le Jojolof Rice Bowl, avec poulet frit maison, ragoût de haricots rouges et sauce maison à base de piment antillais, étonnera vos papilles. Et si chaque resto a des options végé, L’Embuscade propose une cuisine totalement afro-végane : les fêtards parisiens connaissent déjà le club (à Pigalle) et sa cantine inaugurée en 2019, les autres apprécieront les portions généreuses et gourmandes d’une cuisine métissée, déclinée en bowls et buns pour l’occasion. ■ L.N. groundcontrolparis.com
L’ALLIANCE ENTRE INDUSTRIE ET CULTURE
Senestudio a créé un écrin aux volumes fluides pour accueillir LA MAISON EIFFAGE, près du port autonome de Dakar.
TERMINÉE À TEMPS pour accueillir les premières expositions à l’occasion de la biennale, la Maison Eiffage est un nouvel espace culturel implanté dans la zone industrielle du port de Dakar. Le projet a été conçu par l’agence Senestudio, basée au Sénégal depuis 2007, comme une série de volumes imbriqués et superposés qui créent des espaces polyfonctionnels ouverts et transparents. Les pièces, distribuées sur trois étages, sont éclairées par la lumière indirecte qui rentre par les grandes verrières, orientées de façon à garantir le confort thermique intérieur et à offrir une connexion visuelle constante avec l’extérieur. Les trois grands arbres déjà présents sur le terrain ont été conservés et intégrés dans l’architecture, ce qui
contribue à créer un microclimat et participe d’un effet de dépaysement dans le contexte industriel du site. Tout le projet se caractérise par cette volonté d’associer à une esthétique soignée des dispositifs techniques qui assurent le confort des visiteurs et l’écoresponsabilité du bâtiment, équipé de panneaux solaires. Les plafonds en double hauteur permettent notamment d’accrocher de très grandes œuvres d’art de la collection du constructeur français, tout en favorisant la ventilation naturelle et contrôlée. Le béton brut de décoffrage, rouge et gris, donne une allure moderne et épurée à la structure, en améliorant en même temps l’isolation acoustique et thermique. ■ L.N. senestudio.net
CE QUE J’AI
Nadia Hathroubi-Safsaf
LA JOURNALISTE D’ORIGINE TUNISIENNE,
rédactrice en chef du mensuel Le Courrier de l’Atlas, signe une enquête bouleversante sur les enfants des rues à Paris et alerte sur l’urgence de les prendre en charge. propos recueillis par Astrid Krivian
Mes parents m’ont donné une belle éducation, en m’inculquant la générosité.
Ma mère était femme de ménage, mon père commis de cuisine, ils travaillaient dur mais ont toujours partagé. Ils envoyaient de l’argent en Tunisie pour aider un voisin, accueillaient des personnes sans toit… Ça m’a structurée.
Un jour, alors que j’étais enfant, ma mère faisait part de sa préoccupation concernant mon avenir professionnel à celle d’un camarade. Elle lui a répondu : « Ne vous inquiétez pas, on aura toujours besoin de femmes de ménage ! » Cette phrase violente, pleine de mépris social, m’a marquée au fer rouge. En mon for intérieur, je me suis dit que jamais je ne ferai ce métier.
Au lycée, une professeure nous a parlé du déterminisme social : environ 6 % des enfants d’ouvriers obtenaient le bac. Je devais absolument en faire partie. Comme j’étais l’aînée, ma mère m’avait attribué le rôle de locomotive : si je réussissais à l’école, mes frères et sœurs suivraient. J’avais cette pression sur les épaules, mais ça a marché (et aussi pour ma fratrie). De pigiste à rédactrice en chef, j’ai gravi les échelons, sans carnet d’adresses. C’est une fierté.
Je n’ai pas connu mes grands-pères. Je suis amputée d’une partie de mes racines. D’où mon besoin de trouver un ancrage à travers mes romans, c’est une façon de m’approprier mon histoire. Mon grand-père paternel est mort enseveli en effectuant des travaux de terrassement, commandés par l’administration coloniale. Qu’il ait été considéré comme indigène de sa naissance à sa mort est une douleur pour moi. Je vis dans le pays qui a colonisé le sien. Même si j’aime la France et me sens pleinement citoyenne, une bipolarité demeure. J’ai créé ma maison d’édition, Bande organisée, pour transmettre nos histoires. Et que mes aïeux ne tombent pas dans l’oubli.
Mon livre Frères de l’ombre raconte le sacrifice des tirailleurs sénégalais durant les deux guerres mondiales. Ils ont versé un lourd tribut à la France, « l’amère patrie », mais ont sombré dans l’oubli : peu de gens connaissent le naufrage du paquebot Afrique, en 1920, ou le massacre de Chasseley, en 1940, et leurs droits ont été minorés. La citoyenneté, c’est redonner à chacun sa place dans le roman national, combler ces vides mémoriels. Et dire à ces descendants de soldats : vos aïeux ont participé à cette histoire, vous lui appartenez.
Enfances abandonnées, JC Lattès, 192 pages, 18 €.
Enfances abandonnées est née de la rencontre avec Fatiha de Gouraya, présidente de l’association SOS Migrants mineurs. Face à la défaillance des institutions, elle se bat pour la prise en charge des enfants non accompagnés qui vivent dans les rues du quartier Barbès, à Paris. Issus de situations familiales complexes ou s’estimant sans avenir dans leur pays, ils viennent essentiellement du Maroc et d’Algérie. Alors que l’État pourrait réquisitionner des places, comme il l’a fait pour les réfugiés ukrainiens. Il faut absolument les protéger de la violence de la rue. En France, septième puissance mondiale, des gosses dorment dehors, et on trouve ça normal ? ■
« Même si j’aime la France et me sens pleinement citoyenne, unedemeurebipolarité . »
274 rue Saint-Honoré 75001 Paris • 26 rue des Mathurins 75009 Paris
191 Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris • 107 rue de Rennes 75006 Paris
Créateur de chemises originales depuis 1993
PAR EMMANUELLE PONTIÉ
CHAPEAU MOSSI ET BAGUETTE DE MIL
Juillet, août. Chacun, d’une manière ou d’une autre, va prendre un peu de repos, faire une pause, les pieds en éventail quelque part. Sur sa terrasse ou dans son jardin, à l’étranger, au village. Justement, au village… L’occasion de fréquenter un peu les anciens, de se remémorer leurs habitudes alimentaires, par exemple. Et pourquoi pas, de rêver un peu. En ces temps très alarmistes concernant l’approvisionnement en pain du continent, et sa dépendance assez surréaliste au blé ukrainien (ou russe), dont l’exportation pâtit de la guerre, on peut se demander comment on est passés de la galette de mil au petit déj ou de l’igname bouillie en accompagnement d’un repas, que nos grands-mères continuent à privilégier aujourd’hui, au pain blanc fabriqué à base de blé. Bien entendu, la réponse est dans la bouche de n’importe quel Béotien : le Nord a imposé sa céréale reine au Sud, et la mondialisation aidant, la baguette « parisienne » est devenue incontournable au pays du mil et du sorgho. C’est ballot… Alors, en ces temps de villégiature, on peut se mettre à rêver qu’une série de boulangers africains, amateurs de sensations gustatives novatrices et branchées, lancent la mode de la baguette de mil, des croissants d’igname ou des petits pains de fonio. Après tout, la vague healthy food qui s’est abattue en Occident a bien mis la galette de maïs, la miche d’épeautre et les croûtes sésame dans les corbeilles. Le comble du chic chez les « bobo-bread » qui boudent leur pain blanc, accusé de tous les maux contre la santé. On trouve même des baguettes aux neuf céréales, que vous conseillent des vendeurs bien incapables de vous donner leurs noms… Bref, si l’Afrique a décidé que le pain était incontournable sur sa table, autant en fabriquer du local, doper les cultures, créer de l’emploi et lancer la mode. Après les Français « béret basque et baguette de pain », on pourra dire d’un Burkinabé : « chapeau Mossi et baguette de mil » ! On peut rêver plus loin et imaginer déjeuner à Paris avec un pain au sorgho importé du continent…
En tous les cas, depuis le Covid-19, on a dit et redit qu’il fallait privilégier les circuits courts. Une règle confirmée en partie par la guerre en Ukraine et ses retombées.
Et si l’on ajoute le réchauffement climatique, il n’est pas exclu que l’Occident se mette à cultiver du mil à la place du blé dans quelques temps. Il est plus résistant à la chaleur.
Et tout aussi goûteux. Si, si… On a le droit de rêver que la baguette de mil devienne la baguette magique de demain ! ■
AM vous a offert les premières pages de notre parution
d’Août-Septembre
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