SAHEL
ARMÉES

ENQUÊTE
La tragédie du vol 302 d’Ethiopian
INTERVIEWS
◗ Tiken Jah Fakoly
◗ Nawel Ben Kraïem
◗ Yasmina Khadra
ARTS
« IncarNations » : Sindika
Dokolo expose à Bruxelles
ARMÉES
ENQUÊTE
La tragédie du vol 302 d’Ethiopian
INTERVIEWS
◗ Tiken Jah Fakoly
◗ Nawel Ben Kraïem
◗ Yasmina Khadra
ARTS
« IncarNations » : Sindika
Dokolo expose à Bruxelles
Crise politique, dérive économique, incertitudes… Comment sortir de l’impasse.
Du 4 au 8 juillet, Niamey, capitale du Niger, sera le centre du continent. Pour un sommet extraordinaire de l’Union africaine. Près de 25 chefs d’État et des milliers de participants viendront marquer la naissance de la Zleca, la zone de libre-échange continentale africaine. On pourrait croire à la naissance d’un nouveau « machin », pour reprendre une expression fameuse du général de Gaulle (à propos des Nations unies). Pourtant, il y a là quelque chose de nouveau, et peut-être de « transformateur ». L’arrivée de la Zleca pourrait bouleverser la donne. Elle renforcera l’idée que l’Afrique est « une », que les opportunités de son marché intérieur, c’est-à-dire de ses forces propres, peuvent porter un ambitieux schéma de développement. Menée à bien, en surmontant les difficultés, la Zleca donnerait naissance au plus vaste espace de libre-échange au monde. Un ensemble de plus d’un milliard d’habitants, représentant près de 2 500 milliards de dollars de produit intérieur brut, s’étendant de la Méditerranée aux mers du Sud, entre océan Atlantique et océan Indien. Évidemment, l’objectif sera de dépasser l’idée de « marché » pour s’orienter vers la notion de coopération active. Le système doit permettre d’augmenter les échanges interafricains (aujourd’hui 16 % du total, alors qu’en Europe, on atteint 70 %), de favoriser l’industrialisation et la prise d’ampleur des services. Et surtout sortir du piège des « spécialisations ». Aujourd’hui, la plupart des pays africains produisent la même chose (en général des matières premières ou des produits semi-transformés). Ils sont concurrents entre eux et s’appauvrissent dans le marché global, trop « petits » pour progresser dans la chaîne de valeur. Les obstacles sont encore nombreux, immenses. Le sommet de Niamey sera un point de départ. Il faudra négocier des années, définir des normes communes, des règles douanières, valables pour une cinquantaine d’États, aborder la question des barrières non tarifaires, l’équilibre entre pays côtiers et pays enclavés, la mise en place des chambres de compensation pour des devises
différentes. Certains pays, comme le Nigeria, se méfient d’un accord qui pourrait in fine ouvrir les frontières intérieures à des produits venus d’Europe ou d’Asie, via des « pays de transit » peu regardants… Ces débats ne sont pas vains, et rien n’est gagné d’avance. L’exemple de la construction européenne montre à quel point le chemin peut être ardu. Et le commerce à lui tout seul ne pourra pas résoudre toutes les urgences africaines. Le continent a besoin d’infrastructures, d’énergie. D’investir massivement dans le secteur social, éducation et santé. De se préparer au réchauffement climatique. Mais l’unité peut créer la force. Et révéler des opportunités. Le sommet de Niamey et la naissance de la Zleca marquent une étape, une borne dans l’histoire. Soixante ans après les indépendances, l’Afrique cherche à se réunifier économiquement, pour accélérer sa croissance et se départir de son mal-développement. C’est une utopie qui prend consistance, « un grand rêve en avant » [voir AM no 393] qui pourrait mobiliser une ou deux générations de jeunes Africains.
Et puis, il y a le cas du Niger. Pays immense (1,268 million de km2, soit deux fois la France), enclavé au cœur du désert, de ce Sahara aux confins indéfinissables. Un pays pauvre, engagé dans une véritable bataille pour le développement. Un pays « au front » aussi, face aux djihadismes et aux milices [voir page 22]. L’effort national a été conséquent en matière d’infrastructures : hôtels, aéroports, routes… On mesure aussi l’effort invisible pour la sécurité. Et enfin l’effort politique et diplomatique. Le président Issoufou Mahamadou s’est pleinement engagé dans le projet. Les cycles de négociations se tiennent à Niamey, au bord du fleuve Niger. Les ratifications du traité ont été diplomatiquement négociées par la présidence et son équipe. Et il y a quelque chose de fortement symbolique dans cette capitale transformée, dans cette ouverture à l’Afrique, dans la tenue de ce sommet ici, sur ce thème précis. Là où les dangers sont encore plus présents, là où les défis du développement sont encore plus prégnants, rien n’empêche, au contraire, d’investir dans l’avenir, dans une vision collective et ambitieuse du futur. ■
3 ÉDITO
Un sommet à Niamey par Zyad Limam
8 Livres : Fred Vargas, une planète en urgence par Catherine Faye
10 Musique : Africa Express, entre deux continents par Sophie Rosemont
12 Écrans : Grosse chaleur à Brooklyn par Jean-Marie Chazeau
14 Agenda : Le meilleur de la culture par Catherine Faye
16 Événement : « Prête-moi ton rêve », songes itinérants par Fouzia Marouf
21 C’EST COMMENT ? Chaud devant ! par Emmanuelle Pontié
34 CE QUE J’AI APPRIS Claudy Siar par Astrid Krivian
72 LE PORTFOLIO
« IncarNations », un voyage dans le temps par Zyad Limam
98 VINGT QUESTIONS À… Zoulikha Bouabdellah par Fouzia Marouf
22 Sahel : Face aux armées de l’ombre par Cherif Ouazani
36 Tunisie : À la recherche d’un nouveau souffle par Zyad Limam, Frida Dahmani et Francis Ghilès
46 Tiken Jah Fakoly : « L’Afrique unie gagnerait tous les combats » par Astrid Krivian
52 Un avion dangereux ? La tragédie du vol ET302 par Cédric Gouverneur
60 Yasmina Khadra : « Une œuvre n’est jamais totalement achevée » par Fouzia Marouf
66 Nawel Ben Kraïem : « Le droit de prendre la parole » par Astrid Krivian
78 Huawei : L’Afrique comme forteresse ? par Jean-Michel Meyer
88 Escapades : Tanger, en renaissance
91 Carrefours : Black Rock Sénégal
92 Fashion : Mantsho, la « fierté noire » dicte la mode par Luisa Nannipieri
94 Stop à la malbouffe !
95 Jeunes enfants : on limite les écrans
96 Intestin irritable : les solutions pour soulager
97 Céphalées répétitives : quelles en sont les causes ? par Annick Beaucousin et Julie Gilles
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Plus d’un an !
Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps.
Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement.
Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
MAGAZINE
FONDÉ EN 1983 (35e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com
Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com
Assisté de Maya Ayari mayari@afriquemagazine.com
RÉDACTION
Emmanuelle Pontié
DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com
Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com
Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com
Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Juliette Bain-Cohen-Tanugi, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Cécile Espérou-Kenig, Catherine Faye, Francis Ghilès, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, JeanMichel Meyer, Luisa Nannipieri, Cherif Ouazani, Sophie Rosemont.
VIVRE MIEUX
RÉDACTRICE EN CHEF
Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
VENTES
EXPORT Laurent Boin
Tél.: (33)6 87 31 88 65
France Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris. Tél.: (33)1
00
ABONNEMENTS Com&Com/Afrique Magazine
18-20, av Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson
Tél.: (33)1 40 94 22 22 - Fax: (33)1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr
COMMUNICATION ET PUBLICITÉ regie@afriquemagazine.com
AM International
31, rue Poussin - 75016 Paris
Tél.: (33)1 53 84 41 81 – Fax: (33)1 53 84 4
AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR
31, rue Poussin - 75016 Paris.
SAS au capital de 768 200 euros.
PRÉSIDENT: Zyad Limam
Compogravure: Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz
Commission paritaire : 0224 D 85602 Dépôt légal : juillet 2019.
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2019.
Au chevet du troisième âge
Depuis plus de trente ans, la Fondation Congo Assistance que dirige l’épouse du chef de l’État, Antoinette Sassou N’Guesso, consacre l’essentiel de ses activités dans la mise en œuvre d’un programme visant à soulager la souffrance des plus démunis. D’où la création de structures adéquates pour les personnes âgées, souvent bannies de la société dont elles sont pourtant les piliers.
Pour preuve, la présidente de la Fondation Congo Assistance a mis à leur disposition la Maison des Seniors, située à Mfilou, dans le 7e arrondissement de Brazzaville, où l’on trouve des services qui témoignent du respect qu’on leur porte et toutes les conditions nécessaires pour avoir une fin de vie agréable.
L’hospice des seniors de Mfilou a été inauguré le 9 décembre 2015 par Antoinette Sassou N’Guesso, présidente de la Fondation Congo Assistance. Les travaux de construction et d’équipement ont coûté environ 2,3 milliards de FCFA, dont 90 % financés sur fonds propre de la Fondation. La construction de ce centre est le fruit des dividendes que la Fondation a récoltés lors de la célébration de son 30e anniversaire.
La lutte contre le VIH/sida
Dans les différents départements du Congo, l’épouse du chef de l’État organise des campagnes de sensibilisation sur l’élimination de la transmission du VIH de la mère à l’enfant, et parfois des séances de vaccination contre le cancer du col de l’utérus.
Estimant que la réduction de nouvelles infections au VIH passe non seulement par l’information, mais aussi par l’administration aux patients d’un traitement antirétroviral précoce, Antoinette Sassou N’Guesso offre des médicaments antirétroviraux aux malades.
Le Centre national de référence de la drépanocytose
À l’occasion de la célébration du 30e anniversaire de la Fondation Congo Assistance, l’épouse du chef de l’État avait procédé le 6 mai 2015 à l’inauguration du Centre national de référence de la drépanocytose « Maman Antoinette Sassou », construit dans l’enceinte du Centre hospitalier et universitaire (CHU) de Brazzaville.
Le Centre national de drépanocytose a, entre autres missions, la coordination des activités de dépistage et de prise en charge de la drépanocytose ; la documentation épidémiologique ainsi que la formation des spécialistes en hématologie et des diplômés spécialisés dans la
drépanocytose. Il est aussi destiné à la recherche fondamentale, en tant que clinique, et à la coordination des essais thérapeutiques. Initiatrice du projet, Antoinette Sassou N’Guesso, qui se dit être fière d’avoir donné au Congo et à l’Afrique ce bijou, a rappelé que le centre du CHU a une vocation sous-régionale (Afrique centrale), conformément aux conclusions des premiers états généraux tenus à Brazzaville en 2005.
Deux enfants sur 100 au Congo touchés par la forme totale de la drépanocytose
« Au Congo, à travers le Centre de référence de la drépanocytose, nous voulons créer les conditions d’une prise en charge efficiente des malades et d’une recherche appliquée, féconde et innovante », a déclaré la présidente de la Fondation Congo Assistance.
Par son statut et ses capacités, le Centre national de référence de la drépanocytose a pour mission de permettre la coordination des activités de lutte contre cette maladie génétique, en s’appuyant sur le programme national et la Fondation Congo Assistance.
Au Congo, selon le ministère de la Santé, la maladie dans sa forme partielle touche 25 % de la population et deux enfants sur 100 sont touchés dans sa forme totale. Les estimations soulignent que plus de 50 000 personnes (enfants et adultes) vivent avec la forme totale de cette maladie. Une forme très symptomatique, avec un risque élevé de mortalité durant la période infantile.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui appuie le Congo dans le processus de dépistage et de prise en charge, a proposé un ensemble d’interventions de santé publique. Elle préconise d’améliorer l’accessibilité et la qualité des soins, de renforcer les services cliniques, de laboratoire, de diagnostic et d’imagerie médicale, afin de les rendre efficaces et adaptés aux différents niveaux de système de santé.
Pour ses efforts consentis dans la lutte contre la drépanocytose, l’épouse du chef de l’État congolais a été récompensée le 20 mai, à Genève, par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lors de l’ouverture de la 72e assemblée mondiale de la santé.
Antoinette Sassou N’Guesso, présidente de la Fondation Congo Assistance, a reçu le diplôme des mains du directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui l’a félicitée de vive voix pour son engagement. Pour ce dernier, cette distinction « si bien méritée » est étroitement liée à la contribution de l’épouse du chef de l’État, « hautement appréciée dans la lutte contre la drépanocytose dans la région africaine de l’OMS ».
« Sur le plan thérapeutique, des progrès significatifs, certes inégaux, sont désormais à la portée des malades. L’équité voudrait que ces progrès soient partagés par tous, et notamment dans les pays les moins nantis où se concentre la grande majorité des malades », a expliqué Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Recevant sa distinction, Antoinette Sassou N’Guesso a réaffirmé sa détermination dans la lutte contre la drépanocytose et autres maladies, même s’il existe encore quelques faiblesses aggravées par des diffi cultés fi nancières. Elle a, en outre, remercié l’OMS pour sa reconnaissance, sans oublier le chef de l’État, Denis Sassou N’Guesso, pour « son appui constant et ses conseils pertinents dans la mise en œuvre de ce combat ».
C’est depuis les années 2000 que la Première Dame du Congo, en collaboration avec sa consœur Viviane Wade, ancienne Première Dame du Sénégal, a commencé son plaidoyer, tant sur le plan national qu’international, pour la prévention et la prise en charge de cette maladie génétique très répandue dans le monde et reconnue aujourd’hui comme une priorité de santé publique.
« Nous, qui sommes d’une génération qui a connu la colonisation et lutté pour les indépendances et ensuite pour l’émancipation de la femme, avions toujours à cœur l’idéal panafricain. Nous pensions, et nous pensons toujours, que l’Afrique devait occuper une place de choix sur l’échiquier international et que ses peuples devaient accéder à une bonne éducation, à des soins de santé de qualité et que les problèmes de malnutrition devaient être résolus définitivement. En somme, nous continuons à rêver d’une Afrique qui parle d’égal à égal avec les autres continents.
Que l’Afrique puisse se doter d’une vision prospective et se projeter sur les cinquante prochaines années, avec la conviction de peser dans les affaires du monde, sera le challenge des générations futures. Nous avons adopté plusieurs stratégies depuis les années 1980 et, au bilan, malgré quelques avancées, nous avons l’impression d’être statiques. En écho avec les préconisations de l’Agenda 2063, nous appelons la société africaine à travailler ensemble pour construire une Afrique prospère et unie, fondée sur des valeurs communes et un destin commun. Je pense que la femme africaine doit être plus que jamais associée à la définition et à la mise en œuvre des plans d’action, en ce sens qu’elle est souvent pragmatique et de bon sens. Poursuivre la lutte contre les grandes pandémies comme le sida pour aboutir à leur élimination totale, notamment le sida pédiatrique. Améliorer la prise en charge d’une maladie qui me tient à cœur et pour laquelle je m’investis chaque jour, à savoir la drépanocytose. Combattre ardemment les cancers féminins et réduire la mortalité maternelle et infantile sur notre continent. Enfin, donner plus de confort à nos anciens qui sont les dépositaires et les gardiens de notre savoir ancestral, voilà mon credo.
Les Africains doivent aujourd’hui, plus qu’hier, avoir foi et confiance en leur génie créateur et aux potentiels qu’ils ont. Mon Afrique, celle qui se cherchait et qui a commis des erreurs, doit préparer celle de l’estime de soi et de la fierté. »
ANTOINETTE SASSOU N’GUESSO
Contacter la Fondation
Brazzaville : +242 06 687 01 37 / +242 05 041 99 89 info@fondationcongoassistance.com fondationcongoassistance.com
L’une des écrivaines LES PLUS VENDUES EN EUROPE troque ses enquêtes contre u n réquisitoire pour l’écologie.
par Catherine Faye
C’EST MAINTENANT OU JAMAIS ! L’auteure de polars change de registre et livre un essai dans lequel elle exhorte à agir pour sauver la planète. Seul point commun avec les investigations du commissaire Adamsberg, son personnage phare : le crime. Mais cette fois-ci, elle s’attaque aux crimes contre la planète, à l’épuisement des ressources naturelles. Et contrairement à ses enquêtes policières, les coupables sont vite démasqués. En tête de liste, gouvernants « apparemment impuissants », milliardaires à la tête des lobbies, tenus comme responsables de la désinformation et du désastre. Nous y sommes… « Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l’homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu’elle lui fait mal », écrit-elle. L’engagement, elle en connaît un rayon. On se souvient notamment de son implication dans l’affaire Cesare Battisti, où elle n’eut de cesse de militer pour la libération de l’écrivain italien, ex-activiste d’extrême gauche, condamné pour quatre meurtres. Aujourd’hui, c’est un appel à la mobilisation et à la révolution qu’elle lance. Pour l’avenir de la Terre et de l’humanité. Rien d’étonnant à ce que la reine du polar français – Quand sort la recluse (2015) a été écoulé à 540 000 exemplaires et à 195 000 en poche – prenne à bras-le-corps l’état d’urgence écologique.
É
« L’HUMANITÉ EN PÉRIL : VIRONS DE BORD, TOUTE ! », Fred Vargas, Flammarion, 256 pages, 15 €
Écrire n’est pas sa première vocation. C’est d’abord l’archéozoologie (une discipline qui collecte des informations sur les sociétés passées à partir d’ossements d’animaux) qui la passionne. L’histoire médiévale aussi. Pour se détendre, après ses heures de fouilles archéologiques, elle écrit un premier roman, L’Homme aux cercles bleus, publié en 1991. Le deuxième, L’Homme à l’envers, remporte le Grand prix du roman noir de Cognac en 2000. Si sa nature scientifique la pousse à inventer des enquêtes minutieuses, l’auteure est tout aussi tournée vers l’avenir. Surtout vers celui de la planète, qui la préoccupe au plus haut point. Épuisement des matières premières, pénurie d’eau, déforestation, émissions de gaz à effet de serre, rien n’échappe à l’inquiétude de Fred Vargas, son nom de plume, en écho à celui de sa sœur jumelle, la peintre Jo Vargas. L’hommage de cette dernière à Maria Vargas, personnage au destin funeste de La Comtesse aux pieds nus, pourrait bien aujourd’hui entrer en résonance avec les déboires terriens. Qu’à cela ne tienne, l’auteure de Pars vite et reviens tard (2001), chercheuse pendant quinze ans au CNRS, s’est plongée dans la science climatique, avec l’idée de mettre toutes les informations disponibles à portée de ses lecteurs. L’élément déclencheur ? D’abord, la démission de Nicolas Hulot, paralysé par le gouvernement, lui-même au service des grands lobbies et des multinationales. Puis, la COP24 sur le climat, en 2018, qu’elle qualifie d’« échec catastrophique ». L’Humanité en péril est une bouteille jetée à la mer, grâce à laquelle chacun peut, à son échelle, mesurer l’ampleur du désastre annoncé et adopter de bonnes pratiques au quotidien. Pour tenter d’enrayer le processus de dégradation de la Terre. Et changer de cap. ■
vieux manuscrits À PRIX D’OR
IL EST ENCORE
POSSIBLE aujourd’hui de visiter la synagogue Ben Ezra, l’une des plus anciennes d’Égypte, dont les gardiens, les « veilleurs », étaient traditionnellement des musulmans. C’est là que se trouve une pièce secrète, « un cimetière sans âge de manuscrits entassés pêle-mêle du sol au plafond, datant parfois d’un millénaire ». L’auteur nous entraîne au Caire sur les traces de deux chercheuses de Cambridge, à la fin
LE FEU AUX POUDRES
CE LIVRE EST PLUS QU’UN ROMAN. Il apporte un éclairage sur l’Italie actuelle et sur celle des années Berlusconi, dans leurs rapports complexes avec la période fasciste. Tout commence par l’arrivée d’un Éthiopien sur le palier de l’appartement d’Ilaria, Italienne d’une quarantaine d’années. « Je cherche Attilio Profeti », annonce le jeune homme, sur les traces de son grand-père. Or, c’est le père d’Ilaria. Tout un pan occulté
« LE DERNIER
VEILLEUR DU VIEUX
CAIRE », Michael
David Lukas, Mercure de France, 272 pages, 23,80 €.
du XIXe siècle, prêtes à tout pour se procurer des textes anciens. Et notamment des rouleaux de la Torah, dont le plus précieux excite les convoitises des chercheurs et des musées du monde entier… ■ C.F.
« TOUS, SAUF MOI », Francesca Melandri, Gallimard, 576 pages, 24 €
de l’histoire italienne rejaillit alors à travers cette histoire familiale : la conquête et la colonisation de l’Éthiopie par les Chemises noires de Benito Mussolini, de 1936 à 1941. ■ C.F.
« POLITIQUE », Mazen Kerbaj, Actes Sud BD, 128 pages, 22 €.
DE LA DÉRISION, de l’autodérision et beaucoup de vitriol. Ajoutez à cela un fond de tendresse… Voici un portrait drôle et amer du Liban et de ses voisins syriens et israéliens que nous livre Mazen Kerbaj, dessinateur, trompettiste et éditorialiste libanais. Dans ce recueil d’histoires courtes, il a réuni douze années de strips, pages et bandes dessinées sur la situation de son pays, publiées dans la presse francophone et arabophone libanaise et internationale. Un panorama sans concession, où l’histoire semble se répéter à grande vitesse. Guerre, immigration, liberté de la presse, écologie… rien ne lui échappe. ■ C.F.
« LE TAMBOUR DES LARMES », Beyrouk, Elyzad poche, 248 pages, 9,90 €
roman
TAMBOUR BATTANT
SON ŒUVRE est entièrement dédiée au Sahara. Après Je suis seul, paru en 2018, où l’auteur imagine un homme enfermé dans une chambre au milieu d’une ville occupée par les djihadistes, voici la réédition en petit format du Tambour des larmes, prix Ahmadou Kourouma en 2016. Dans cette épopée du désert mauritanien, menée par la jeune Rayhana, qui troque l’univers clos du campement contre le tumulte des villes d’Atar et de Nouakchott, se télescopent modernité et traditions ancestrales, État et codes tribaux, téléphones portables et tam-tam. Une ode à la liberté, à la dignité et à l’humanité tout entière. ■ C.F.
Avec son projet collaboratif, le leader de Gorillaz (au centre) veut créer un pont entre l’Occident et l’Afrique.
« EGOLI », Africa Express, Africa Express/K7.
S’ouvre aujourd’hui un nouveau passionnant chapitre pour DAMON ALBARN, dont le collectif brasse tous les genres et toutes les humeurs. par Sophie Rosemont
LE LEADER DE BLUR et de Gorillaz a toujours pensé que l’avenir de la musique se trouvait en Afrique. En 2006, ce multi-instrumentiste hyperactif fondait aux côtés de Martha Wainwright et de Fatboy Slim un collectif de musiciens pour créer un pont entre Occident, Orient et Afrique. Depuis un premier disque en 2009 – où apparaissaient aussi bien Oumou Sangaré que Rachid Taha –, Africa Express a sorti plusieurs albums : Maison des jeunes (2013), Terry Riley In C Mali (2014) The Orchestra of Syrian Musicians (2016). Aujourd’hui, il nous offre Egoli, dont les 18 titres ont été enregistrés à Johannesbourg, en une semaine. Y est convoqué ce qu’il y a de plus excitant dans la musique actuelle : électropop, trap, funk,
: Maison des In ou encore M (2016). nou l ont ét à Joha en une Y est con y a de da a é t
house, disco, rap, folk… Quant à la liste des invités, elle donne le tournis. Côté africain, on croise le collectif BCUC, Blk Jks, Dominowe, Faka, Phuzekhemisi, Infamous Boiz, DJ Spoko, Mahotella Queens, Moonchild Sanelly, Morena Leraba, Nonku Phiri, Radio 123, Sibot, Zolani Mahola et la rappeuse Sho Madjozi… Côté anglo-saxon, on retrouve donc Damon Albarn, mais aussi Blue May, Gruff Rhys (du groupe de pop indé Super Furry Animals), la batteuse et chanteuse Georgia, Ghetts, Mr Jukes ou encore Nick Zinner des Yeah Yeah Yeahs. Tout ce beau monde s’est entendu à merveille, avec l’objectif d’aligner des titres intemporels et résolument dansants, hormis quelques exceptions. Ça commence tout en douceur avec le bien nommé « Welcome », fort de l’intervention du guitariste virtuose Phuzekhemisi, avant de partir sur les chapeaux de roues avec le sémillant « City in Lights ». Deux tubes arrivent vite : « Johannesburg » et un imparable « Become the Tiger ». Plus loin, on saute dans tous les sens avec « Mama », où s’illustre entre autres Otim Alpha, on se laisse porter par le rap immédiat de « No Games », le groove chaleureux de « Morals » ou les beats lancinants de « Sizi Freaks ». Enfin, le mélodieux « See the World » est un hymne à l’ouverture et à l’amour, auquel on ne peut résister. Merci Damon ! ■
« LE SON D’APRÈS », Lala &ce, All Points/ Believe.
Avec ce premier album, la rappeuse entre dans la cour des grands.
MAÎTRISANT LE TERRAIN du cloud rap avec bagout et dotée d’un beau timbre grave, Mélanie Berthinier a été révélée grâce au crew du rappeur lyonnais Jorrdee et vit désormais à Londres, mais ses origines sont à chercher du côté de la Côte d’Ivoire. Avec son premier album, Le Son d’après, elle s’impose instantanément parmi les grandes du rap contemporain. Dans le titre « Serena (Botcho) », elle rappelle la beauté des postérieurs africains et la puissance des femmes noires dans un monde trop mince, trop blanc, trop aseptisé, bref, un monde qui n’a plus lieu d’être. Toutes avec Lala &ce ! ■ S.R.
tekno kintueni
ELECTRO FROM KINSHASA
Un nouveau genre musical à la conquête du monde.
R’n’B MABEL, DU PEDIGREE ET DU TALENT
DEPUIS SA PREMIÈRE MIXTAPE, Ivy to Roses, on suit de près la fille de Neneh Cherry et de Cameron McVey (producteur, entre autres, de Massive Attack et de Portishead). Son terrain de jeu ? Un R’n’B synthétique, de la pop attitude, et beaucoup d’âme, qui bénéficie aujourd’hui à son premier album, High Expectations. Des ballades mélancoliques (« I Belong to Me », « Trouble ») aux titres plus entraînants (« Selfish Love », « Bad Behaviour », « Don’t Call Me Up »), toutes les chansons de l’opus témoignent du beau brin de voix de Mabel, enfant de la balle qui voit se dessiner devant elle l’autoroute de la gloire. ■ S.R.
« 28 », Doks, Urban Pias.
« HIGH EXPECTATIONS », Mabel, Polydor.
À LA CRÉATION DE KOKOKO! en 2017, ses membres n’avaient pas les moyens de se procurer les instruments qu’ils souhaitaient. Ils en ont donc bricolé à partir de bouteilles ou de bidons trouvés dans la rue. Ajoutez-y la boîte à rythmes culte de la techno, la TR-808, et vous obtenez ce genre inédit, la tekno kintueni, qui mêle l’électro la plus radicale à des mélodies dansantes. Produit par le Français Débruit, le premier album du groupe, Fongola, exporte l’effervescence de Kinshasa sur toutes les scènes du monde. ■ S.R. « FONGOLA », Kokoko!, Transgressive Records/Pias.
NÉ IL Y A 27 ANS À BRAZZAVILLE, Doks grandit au son de la rumba congolaise et passe son temps à jouer au football, à chanter et à danser. Au début des années 2000, direction la France, où il ne perd pas son envie de bouger. Ce qui ne manque pas de s’entendre dans 28, son premier album solo, lequel arrive après la poignée de singles qui ont ultra-buzzé de son groupe, Shakalewa. On y compte pas moins de 18 titres (de « Shaina » à « Papa Wemba »), ainsi que trois chansons bonus. Énergique et prolifique, Doks impose son chant haut perché autotuné comme ses beats afro. ■ S.R. hip-hop LALA
Dix-huit mois après une première saison remarquée, voici le retour de l’héroïne de Spike Lee sur Netflix. Dans la suite de cette série au casting 100 % « black » et i nterdite aux moins de 16 a ns pour cause de scènes de sexe sans fausses pudeurs, NOLA DARLING n’en fait toujours qu’à sa tête…
par Jean-Marie Chazeau
ON AVAIT LAISSÉ NOLA DARLING réunissant ses trois amants pour pouvoir mieux les quitter, on la retrouve dans les bras de sa compagne. Et Spike Lee de filmer un premier épisode saphique et torride… Mais cette nouvelle saison est (un peu) moins centrée sur la liberté sexuelle de la belle artiste noire aux yeux clairs. La jeune peintre est régulièrement prise entre deux feux : être une seconde mère pour la fille de sa maîtresse ou se comporter comme sa grande sœur, développer sa création artistique sans argent ou céder ses peintures à une société qui les veut pour faire sa publicité, ou encore accepter une bourse généreuse réservée aux artistes afro-américains même si elle est financée par un odieux personnage (blanc).
Reste qu’entre deux séances chez sa psy, elle n’a pas sa langue dans sa poche. Ainsi, ce dialogue avec un beau sculpteur nigérian, qui a fait réagir : après avoir écorché les noms des comédiens anglo-nigérians Chiwetel Ejiofor (Twelwe Years a Slave, Seul sur Mars…) et John Boyega (Star Wars, épisodes VII et VIII ), la jeune femme les accuse de voler les rôles des comédiens afro-américains en étant moins chers qu’eux, allusion directe à des propos tenus il y a deux ans par Samuel L. Jackson. Le débat se poursuit autour de la traite négrière et de l’esclavage, avant de se terminer… au lit ! L’échange a fait réagir John Boyega sur Twitter, et les connaisseurs de l’Afrique ont remarqué en passant que le sculpteur en question, présenté comme nigérian donc, portait dans son atelier une tenue traditionnelle du Ghana… Quand il la porte, car il sculpte nu.
C’est qu’il fait chaud dans bien des épisodes, lesquels nous entraînent de la plage de Coney Island jusqu’à Porto Rico, dont on découvre la communauté noire. Chaude ambiance également dans l’hommage de la rue new-yorkaise à Prince, filmé comme un documentaire, ou dans les tensions entre les riches blancs, qui participent à la gentrification de tout un quartier, et une partie de la population multiethnique, chassée par les prix des loyers qui flambent. En 1986, la version cinématographique racontait une guérilla urbaine poussée par la canicule. Trente-trois ans plus tard, la chaleur continue de monter autour de Nola Darling… ■
« NOLA DARLING N’EN FAIT QU’À SA TÊTE, SAISON 2 » (États-Unis) de Spike Lee. Avec DeWanda Wise, Michael Luwoye, Anthony Ramos.
UN JEUNE ANGLAIS qui vient de fêter ses 18 ans au Maroc en famille vole le camping-car de son beaupère dans l’optique de rejoindre son père en France. Il rencontre en route un jeune Congolais de son âge (Stéphane Bak, très demandé depuis son rôle dans La Miséricorde de la jungle), sans papiers, qui cherche à gagner l’Europe pour retrouver son frère à Calais. Les voilà qui franchissent sans encombre, ou si peu, les frontières et les étapes, en apprenant à se connaître. Entre l’ado anglais fanfaron mais à l’enfance douloureuse et l’ado congolais qui se fait discret pour éviter les ennuis va naître une belle amitié. Une autre vision des « migrants » en Europe, mais le scénario réserve trop d’invraisemblances pour que l’on y adhère totalement. ■ J.-M.C.
DANS SON CINQUIÈME FILM en tant que réalisateur, Roschdy Zem se donne le rôle d’une brute épaisse, un type collant et suffisamment malin pour s’incruster dans la vie de deux jeunes entrepreneurs qui ont eu le malheur de faire appel à ses services et qui vont vite le regretter. Ce remake d’un thriller brésilien (L’Intrus, de Beto Brant, sorti en 2001) est transposé dans un Sud où les gitans jouent les gros bras et où l’on peut tomber sur un tripot à l’arrière d’une épicerie arabe. On y croise aussi une femme fatale (Hafsia Herzi), des promoteurs et des politiques forcément pourris… Les rebondissements s’enchaînent jusqu’à un final très série B. Mais c’est aussi, mine de rien, une dénonciation de l’avidité qui mène le monde, résumée par cette réplique sans appel : « Sans la jalousie, on se contente de ce qu’on a ! » ■ J.-M.C.
« PERSONA NON GRATA » (France) de Roschdy Zem Avec lui-même, Nicolas Duvauchelle, Raphaël Personnaz, Hafsia Herzi.
LE 8 AOÛT 1969, les membres d’une communauté hippie tuent dans sa villa Sharon Tate, 26 ans, enceinte de six mois, épouse du réalisateur Roman Polanski… Cinquante ans plus tard, Tarantino nous refait le coup d’Inglourious Basterds où Hitler mourrait avant l’heure, en jouant avec la réalité historique. Mais ici, le récit est centré sur les voisins de l’actrice : un acteur sur le déclin (Leonardo DiCaprio), toujours flanqué de sa doublure cascade (Brad Pitt), qui est aussi son homme à tout faire. Les comédiens sont au sommet de leur art, et la reconstitution des tournages – où l’on rencontre un Bruce Lee en furie – est un régal et fait presque oublier une fin problématique… ■ J.-M.C.
ONCE UPON A TIME IN… HOLLYWOOD (États-Unis) de Quentin Tarantino Avec Brad Pitt, Leonardo DiCaprio, Margot Robbie
sens et conscience
Rétrospective d’une œuvre qui FAIT ÉCHO aux valeurs humanistes portées par le lieu.
SOIXANTE-DIX ANS après la Déclaration universelle des droits de l’homme, signée au palais de Chaillot, l’exposition consacrée au Brésilien Sebastião Salgado illustre plusieurs articles du texte de 1948. L’accrochage est exceptionnel. Une trentaine d’images en grand format, prises tout au long de ses quarante ans de carrière dans une vingtaine de pays, notamment sur le continent, courent le long des murs du musée de l’Homme, un lieu ancré dans l’engagement humaniste et universaliste. Moment de prière dans le désert algérien, camp de rapatriés du Zaïre et du Burundi au Rwanda, chaque photo claque, tant par la texture que par la composition. Mais c’est surtout le souffle qui s’en dégage qui saisit. L’homme seul, l’homme multiple, l’homme face à l’immensité, l’homme face à l’adversité. Les photos de Salgado informent. Provoquent le débat. Et, plus que jamais, donnent sens au premier article de la Déclaration : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » ■ Catherine Faye « DÉCLARATIONS. SEBASTIÃO SALGADO », musée de l’Homme, Paris, France, jusqu’au 11 novembre 2019. museedelhomme.fr
Moment de prière dans le désert algérien, en 2009.
Salif Keita présentera en ouverture son dernier opus, Un autre Blanc.
célébration planétaire.
C’EST LE PLUS GRAND rendez-vous des musiques du monde sur le continent américain. Avec plus de 700 artistes d’une trentaine de pays, des centaines de milliers de festivaliers, treize jours de concerts dans six salles de spectacles à Montréal et un village éphémère au cœur du centre-ville, le festival, fondé par la légende montréalaise Lamine Touré, accueille les grands noms de la scène internationale, comme les nouvelles générations de musiciens émergents. Du Malien Salif Keita, qui ouvrira le festival, à la chanteuse montréalaise d’origine sud-africaine Lorraine Klaasen, en passant par le légendaire groupe de kompa haïtien Tabou Combo ou encore Mamadou Diabate, accompagné de Zal Sissokho lors de la Nuit de la kora, la programmation se fait l’écho de la ville francophone la plus peuplée d’Amérique, cosmopolite, multiculturelle. Un terreau fertile pour la musique du monde. ■ C.F. 33E ÉDITION DU FESTIVAL INTERNATIONAL NUITS
D’AFRIQUE, Montréal, Canada, du 9 au 21 juillet 2019. festivalnuitsdafrique.com
mouvement intemporel
de Ouattara Watts, 1994.
Une fête sonore et visuelle empreinte de SPIRITUALITÉ animiste.
OUATTARA WATTS PEINT avec des brosses, des pinceaux, avec la main, avec son corps. Des chants pygmées à Mark Rothko, de Cy Twombly à Fela Kuti, de John Coltrane à Basquiat… Ses œuvres, parfois monumentales, rappellent que le génie artistique est intemporel et ne connaît pas de frontières. Une virée initiatique et une explosion de sons et de couleurs à la hauteur de l’énergie et de la générosité de la peinture de l’Ivoirien, new-yorkais depuis trente ans. ■ C.F. « OUATTARA WATTS. RÉSONANCES », Eymoutiers, France, jusqu’au 17 novembre 2019. espace-rebeyrolle.com
concordance des temps
Vichy explore le dynamisme de l’art au Congo-Kinshasa
DE GRANDS NOMS de la République du Congo, connus et reconnus, comme Cheri Samba, Cheri Cherin, Pierre Bodo, Mbiya, y côtoient la nouvelle génération – Peter Tujibikile, Sam Ilus, Moke Fils, Amani Bodo, Mika, Bodo Fils, Jean Claude Lofenia, Shula… Tableaux, sculptures, vidéos, mode, musique made in RDC, pour une exposition sémillante, dans un ex-établissement thermal du XIXe siècle. En faisant cohabiter art contemporain et art ancien traditionnel, la scénographie crée le dialogue et ancre l’événement dans l’histoire mondiale de l’art. ■ C.F.
« CONGO PAINTINGS », musée des Arts d’Afrique et d’Asie, Vichy, France, jusqu’au 31 octobre 2019. musee-aaa.com
ARTISTIQUE contemporaine.
LE CONTINENT N’AVAIT pas fait autant parler de lui à Venise depuis 2015. Et pour leur première participation, les pavillons du Ghana et de Madagascar frappent fort. Le premier, avec des artistes comme Ibrahim Mahama, El Anatsui ou le célèbre architecte anglo-ghanéen David Adjaye. Madagascar, avec l’œuvre de Joël Andrianomearisoa, réalisée avec 50 000 feuilles de papier de riz noir. « On veut démystifier l’Afrique et montrer aux yeux du monde que nos artistes sont aussi bons que les autres », confie Raphael Chikukwa, commissaire du pavillon du Zimbabwe. Parmi les 89 nations qui rivalisent cette année dans l’espoir de décrocher un Lion d’or ou, à défaut, une visibilité exceptionnelle auprès des décideurs les plus influents (critiques, musées, collectionneurs), citons la reine sudafricaine Zanele Muholi, la jeune peintre nigériane Njideka Akunyili Crosby, l’Éthiopienne Julie Mehretu ou encore les quatre Égyptiens, Ahmed Chiha, Ahmad Abdel Karim, Islam et Moataz Abdallah. Preuve du dynamisme de l’art contemporain africain. ■ C.F.
58E BIENNALE D’ART, Venise, Italie, jusqu’au 24 novembre 2019. labiennale.org
Le projet est ambitieux. Réunir des artistes africains en résidence au Maroc, puis partir sur la route pour une exposition continentale. Six pays sont prévus pour cette caravane. Objectif : rapprocher l’œuvre de son premier public ! « Prête-moi ton rêve » a donc été lancée à CASABLANCA les 18, 19 et 20 juin derniers. Une visite comme si vous y étiez. par Fouzia Marouf, envoyée spéciale
DÎNER CONVIVIAL AU BORD DE L’OCÉAN, à Casablanca, le 17 juin. Freddy Tsimba, sculpteur congolais au trait politique, et Bill Kouélany, à la veine radicale, également congolaise, échangent longuement. Tsimba, natif de Kinshasa, connaît le Maroc et a déjà créé en résidence artistique à Ifitry, sous l’impulsion du photographe Mustapha Romli, comme ses homologues Barthélémy Toguo et Soly
Premières dates sur l’agenda : du 18 juin au 31 juillet 2019, à Casablanca, à la Villa d’Anfa ; en septembre-octobre 2019, à Dakar, au musée des Civilisations noires ; en juin-juillet 2020, à Marrakech.
Cissé, également présents. « Si, en Europe, les biennales et les foires d’art contemporain ont le monopole de l’art issu du continent, c’est à nous de montrer la création artistique née en Afrique », précise Simo Chaoui, directeur associé de La Galerie 38, connue pour ses vernissages aux allures de show dans la métropole. Quant à Fihr Kettani, secrétaire général de la Fondation pour le développement de la culture contemporaine africaine (FDCCA), créée en janvier 2019, il rappelle l’objectif de « Prête-moi ton rêve » : « Fédérer les principaux acteurs de la scène culturelle en collaborant sous le prisme panafricain. »
Un pari né il y a trois ans lors d’une discussion informelle entre Simo Chaoui et Yacouba Konaté, ancien commissaire
À gauche : les œuvres d’une étonnante vitalité du Marocain Mohamed Melehi dialoguent avec celles, inspirées, (sur le mur du fond) du Camerounais Barthélémy Toguo.
Ci-dessous, de gauche à droite : l’artiste Abdoulaye Konaté, Arnaud Laubhouet, cofondateur de la FDCCA, le commissaire général Yacouba Konaté et Brahim Alaoui, commissaire artistique.
de la Biennale de Dakar et actuel commissaire général de l’événement. « Persiste la méprise qu’il ne se passe rien de propre à l’Afrique », lâche sans ambages Konaté, qui a été le maître d’œuvre de l’exposition et dont l’ambition est d’inverser le rêve Nord-Sud pour montrer comment l’Afrique offre un terrain fertile à la création.
Le projet de « Prête-moi ton rêve » : réunir en résidence une trentaine d’artistes de 15 nationalités différentes, créer des œuvres originales et se lancer dans une grande caravane continentale. Une ambition soutenue et partagée dès le début par le prince Moulay Ismaïl, qui prend la présidence de la FDCCA, en cultivant la discrétion. En tout cas, le 18 juin, le vernissage crée la surprise à la Villa d’Anfa, un somptueux espace avec piscine. On y retrouve avec plaisir l’œuvre d’El Anatsui, natif du Ghana, pur orfèvre de l’art du recyclage. On salue la présence du Sud-Africain Wiliam Kentridge, du Marocain Mohamed Melehi et des incontournables Chéri Samba (RD Congo) et Abdoulaye Konaté (Mali). Sans oublier Yazid Oulab (Algérie), dont les aquarelles s’inspirent autant de la poésie soufie que du monde ouvrier français.
Le 19 juin, ce parcours pluridisciplinaire en plusieurs actes s’est poursuivi à la galerie Shart, fondée par Hassan Sefrioui, qui a défriché la jeune école des artistes marocains, puis à la galerie Venise Cadre (devenue GVCC), à Casablanca, offrant un jus vintage avec, aux commandes, Mehdi Hadj Khalifa, jeune curateur mordant apparu sur le marché de l’art en 2009, spécialiste de la scène artistique émergente. À l’origine du programme Mastermind, qui mettait déjà en lumière les jeunes talents africains, Hadj Khalifa a lancé en juin l’Association des galeries d’art du Maroc (Agam).
Enfin, soucieuse d’accompagner la création locale, « Prête-moi ton rêve » a concocté une exposition parallèle, « Carte blanche », située dans un nouvel espace de la médina de Casablanca au nom évocateur, Rue de Tanger. Sa curatrice, Siham Weigant, a cherché à réveiller les consciences sur le thème de l’amour. Une belle idée itinérante à suivre dans ses prochaines étapes, qui célèbre avec talent la liberté de l’artiste en Afrique. ■
Abdoulaye Konaté, devant l’une de ses œuvres. Le Malien s’intéresse au textile, dont il aime tirer parti du relief.
Vitshois Mwilambwe Bondo, natif du RD Congo.
Adel El Siwi, principale figure de l’art contemporain en Égypte.
Ci-contre, de gauche à droite, au premier plan : le Congolais Freddy Tsimba, le Burkinabé Ky Siriki, Chéri Samba, également de RD Congo, et le Camerounais Barthélémy Toguo, à la Villa d’Anfa, à Casablanca, le 18 juin.
Joseph-Francis Sumégné, sculpteur originaire du Cameroun. Féru de la fusion d’objets trouvés, il s’adonne également à la vannerie et au tissage.
À gauche, l’Algérien Yazid Oulab, passionné de poésie soufie, aborde aussi bien la vidéo, la photo, le dessin que la sculpture.
Sculpture d’homme avec masque en fer gris, signée par Joseph-Francis Sumégné.
NOUVELLE
Contemporain, en prise avec cette Afrique qui change, ouvert sur le monde d’aujourd’hui, est votre rendez-vous mensuel indispensable .
OUI, je souhaite m’abonner à et profiter de vos offres (10 numéros dont 2 doubles)
BULLETIN À RETOURNER SOUS ENVELOPPE AFFRANCHIE, ET ACCOMPAGNÉ DE VOTRE RÈGLEMENT À : COM&COM/AFRIQUE MAGAZINE 18/20 AV. ÉDOUARD-HERRIOT – 92350 LE PLESSIS-ROBINSON – FRANCE
TÉL. : (33) 1 40 94 22 22 – FAX : (33) 1 40 94 22 32 – E-MAIL : afriquemagazine@cometcom.fr
Je choisis mon tarif :
❏ FRANCE, 1 AN : 39 €
❏ ÉTRANGER : 49 €
Je choisis mon règlement (en euros uniquement) à l’ordre de AMI par :
❏ Chèque bancaire ou postal
❏ Carte bancaire n°
Expirant le Date et signature obligatoire
par Emmanuelle Pontié
Actualité brûlante fin juin en France : six jours de « canicule »… Les médias tournent en boucle : définition du phénomène, qui est déclaré lorsque les températures de la nuit culminent à moins de 10 °C au-dessous de celles de la journée, qui montent, elles, autour de 37 °C, avec un « ressenti » pour le pauvre citoyen qui flirte avec 40 °C ; conseils d’experts en suffocation et malaises, etc.
Les Parisiens, entre autres, étouffent dans une ville bétonnée et errent la bouche ouverte à la recherche d’un lieu climatisé, d’une terrasse ventée ou d’un jardin rafraîchi. Les maires appellent leurs citoyens du troisième âge au téléphone, à leur domicile, à l’aide d’un disque enregistré qui serine qu’il faut boire beaucoup d’eau et martèle les numéros d’urgence en cas de déshydratation.
L’épreuve du brevet des collèges a été reportée pour que les jeunes puissent composer sous des températures plus clémentes. On ferme les écoles. Les agriculteurs découvrent la sécheresse et pleurent les récoltes qui meurent avant maturation. Et là, vous avez toujours un copain bien intentionné qui vous dit : « Ah, mais toi, tu ne dois pas avoir chaud. Tu es habituée, car tu vas souvent en Afrique ! » Grave erreur ! Ce que les Français ne savent pas, c’est qu’en Afrique, justement, tout est fait pour éviter la chaleur. Quand on a les moyens, évidemment. Les hôtels, les bureaux, les villas sont climatisés. Personne ne marche sous le soleil. Du coup, la chaleur, on choisit de la subir quand on va à la mer ou à la piscine. Point. Tout est prévu, disponible en cas de canicule. En France, on est totalement démunis, ridicules. Les Parisiens se ruent sur les ventilateurs et les climatiseurs portatifs, qui sont en rupture avant même que les températures ne s’embrasent. Pourtant, ce n’est pas la première vague de chaud qui s’abat sur l’Hexagone.
Et si l’on écoute un peu les pythies de la météo et les experts en affolement du climat pour les années
à venir, il faudrait que le pays se réveille vite côté équipements antifournaise en série. Ainsi, préparés, les Français tourneraient la page des lamentations, et les services d’urgence qui accueillent les grands déshydratés désempliraient.
Et surtout, les restaurateurs radins qui ne veulent pas investir dans un système de refroidissement ou les pouvoirs publics obtus qui interdisent d’installer une clim dans un immeuble haussmannien pour ne pas dénaturer la pierre de taille devraient tous partir en stage à Ouagadougou ou à Yaoundé. Là, on leur apprendra comment lutter contre une canicule.
Et accessoirement, l’image d’Épinal d’une Afrique où tout le monde crève de chaud dans une hutte posée sur une steppe brûlante cesserait de hanter certains Français. Sur ce sujet, c’est bien eux qui sont en retard, comparé à notre continent surentraîné ! ■
Ils devraient tous partir en stage à Ouaga ou à Yaoundé. Là, on leur apprendra comment lutter contre une canicule.
Profitez de nos offres d'abonnements pour accéder à la totalité de nos magazines et bien plus encore