AM 392 FREE

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CÔTE D’IVOIRE L’IMPÉRATIF SOCIAL UN DÉCOUVERTE

SPÉCIAL DE 16 PAGES

TUNISIE

RENÉ TRABELSI, SAYED EL-WAZIR ! CAMEROUN LES MYSTÈRES DE YAOUNDÉ INTERVIEW

YOUSSOU N’DOUR : « JE SUIS UN HOMME LIBRE ! »

19 Juin 2019 au 31 Juillet

MIEUX ET PLUS VITE !

L’

Afrique est-elle riche ? Dans tous les cas, elle aligne des performances notables. En 2018, six des 10 pays à la plus forte croissance au monde étaient africains. Parfois, avec des chiffres presque records, à la chinoise (Ghana : +8,3 %, Éthiopie : +8,2 %, Côte d’Ivoire : +7,2 %, Djibouti : +7 %, Sénégal : +6,9 %, Tanzanie : 6,8 %). Et on pourrait ajouter la Guinée, présente dans le top 10 l’année précédente. Fait nouveau et presque rassurant, aucune des économies concernées n’est dépendante du pétrole ou du gaz (à l’exception du Ghana, qui reste néanmoins un exportateur modeste). On parle dorénavant d’émergence, de « lions africains », de « courbe de l’éléphant », et tout cela n’est pas dénué de vérité. Pour tous ceux qui en douteraient, il suffit de voyager dans le temps. De se souvenir de la situation de la fin des années 1970, du début des années 1980, de cette Afrique sous-peuplée, endettée, à peine construite. Et de comparer « physiquement » avec aujourd’hui. L’Afrique émerge du sol, en quelque sorte. Et contrairement aux idées reçues, elle a fortement progressé sur les besoins de base (éducation des enfants, santé primaire…), mais aussi sur certains services sophistiqués, comme les télécoms, suivant ainsi la tendance du reste du monde.

Socialement, le continent se transforme.

L’urbanisation est massive, elle change les modes de vie. Une classe moyenne fragile mais réelle se structure – on évoque près de 150 millions d’Africains disposant de plus de 12 dollars par jour –, avec comme corollaire le développement d’offres spécifiques. La société civile se fait entendre sur des sujets tabous. La polygamie, l’homosexualité, les mutilations sexuelles, les droits humains sont maintenant ouvertement discutés. Et les femmes luttent activement pour la parité juridique, sociale, économique. L’Afrique n’est pas immobile. Elle est en mouvement.

Pourtant, cette Afrique reste désespérément pauvre. Les chiffres sont douloureux. Sans rentrer dans des précisions techniques, notre continent immense, peuplé

de 1,2 milliard d’habitants, produit autant qu’un pays européen comme la France. En 1983, la Chine et l’Afrique étaient à peu près au même niveau de développement global. Aujourd’hui, la Chine « vaut » cinq fois l’Afrique. Sur le terrain, la lutte contre la grande pauvreté est un échec. D’ici 2050, 90 % des personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour seront en zone subsaharienne. Soit 400 millions de personnes… Autant qu’aujourd’hui. Pour reprendre une expression de plus en plus fréquente dans les colloques, nous vivons un véritable paradoxe, une situation de « croissance sans développement » : sa richesse globale augmente, mais la pauvreté de ses habitants ne diminue pas. En tous les cas, pas assez vite.

Il y a un certain nombre d’explications objectives. Une grande partie des chiffres d’aujourd’hui sont l’effet d’un mécanisme naturel de rattrapage. L’Afrique vient de loin. Elle a beaucoup de retard et en résorbe une partie. Cette croissance quantitative, ces nouvelles richesses profitent avant tout à ceux qui ont déjà, aux élites installées dans les grandes villes côtières, qui se transforment en mégalopoles plus ou moins gérables.

La bonne gouvernance reste un facteur crucial en matière de développement réel. Tout comme l’extrême importance de la formation des jeunes, de plus en plus nombreux. La natalité est toujours très vivace.

La richesse augmente, mais la population augmente.

Et le taux de croissance est « mangé » par le taux d’accroissement démographique. Pour reprendre un haut responsable africain, « il faudrait, à ce rythme, des décennies pour affronter l’ensemble de nos défis.

Et pendant ce temps-là, le monde continue d’avancer, creuse les écarts, nous confinant éternellement dans un statut de continent accessoire ». Et de nouveaux défis complexes s’ajoutent : les révolutions techno-digitales, le changement climatique… De toutes évidences, le modèle actuel est à la fois trop lent, trop perfectible et trop « conservateur ». Il ne permettra pas une transformation réelle du continent. Il faut penser autrement, se libérer des pesanteurs, élaborer de nouveaux modèles.

En clair, être plus audacieux et aller plus vite. ■

SOMMAIRE

Mai n°392

3 ÉDITO Mieux et plus vite ! par Zyad Limam

ON EN PARLE

6 Livres : Un témoignage inestimable par Catherine Faye

8 Écrans : Amours adultères à Jérusalem par Jean-Marie Chazeau et Catherine Faye

10 Musique : Angélique Kidjo, l’hommage à Celia Cruz par Sophie Rosemont

12 Agenda : Le meilleur de la culture par  Catherine Faye et Zyad Limam

14 PARCOURS

TEMPS FORTS

18 L’Algérie, demain par Zyad Limam

28 Les mystères de Yaoundé par Emmanuelle Pontié

36 René Trabelsi, Sayed el-Wazir ! par Zyad Limam et Frida Dahmani

64 Youssou N’Dour : « Je suis un homme libre » par Astrid Krivian

70 Désert, au rythme du marathon ! par Fouzia Marouf

Noémie Lenoir par Astrid Krivian

17 C’EST COMMENT ? Déguerpir ? par Emmanuelle Pontié

44 CE QUE J’AI APPRIS Souleymane Bachir Diagne par Fouzia Marouf

78 LE PORTFOLIO

World Press 2019 par Zyad Limam

106 VINGT QUESTIONS À… Taiye Selasi par Fouzia Marouf

74 Adama Paris : « Ma mission, c’est l’Afrique ! » par Fouzia Marouf

84 La finance verte, une chance à saisir par Jean-Michel Meyer

DÉCOUVERTE

47 CÔTE D’IVOIRE : LA PRIORITÉ SOCIALE par Ouakaltio Ouattara

48 Lier croissance et développement pour tous

51 Un nouveau souffle pour les plus fragiles

52 Vers la fin de la corvée d’eau

54 Une énergie démocratisée

56 Couverture maladie universelle : lentement mais sûrement

58 L’université veut se décentraliser

MADE IN AFRICA

96 Escapades : Le Ghana, entre mémoire, nature et cool attitude par Luisa Nannipieri

99 Carrefours : Le sport s’annonce bioclimatique par Luisa Nannipieri

100 Fashion : Sadio Bee, la joie du « mix-tissage » par Luisa Nannipieri

VIVRE MIEUX

102 Comment combattre le mal de dos

103 Le soda : mauvais pour les artères

104 Les messages de notre corps

105 Se soigner par l’activité physique

FONDÉ EN 1983 (35e ANNÉE)

31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE

Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Maya Ayari mayari@afriquemagazine.com

RÉDACTION

Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com

Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Anne-Marie Enescu, Catherine Faye, Alexandra Fisch, Glez, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Ouakaltio Ouattara, Sophie Rosemont, Maya Roux.

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Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

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Commission paritaire : 0224 D 85602 Dépôt légal : mai 2019.

La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2019.

AFRIQUE MAGAZINE

Un témoignage inestimable

C’est le récit de l’ultime survivant du dernier navire négrier. Il a été recueilli en 1927 par l’une des plus grandes figures de la littérature américaine, ZORA NEALE HURSTON. Une double histoire à redécouvrir.

« JE VOUDRAIS SAVOIR qui vous êtes et comment vous êtes devenu esclave », demande l’auteure et anthropologue Zora Neale Hurston à Cudjo Lewis au début de leur entretien, en 1927. Celle qui écrira en 1936 Mais leurs yeux dardaient sur Dieu, l’un de ses plus célèbres romans, est alors l’une des principales figures féminines de la Renaissance de Harlem, mouvement artistique qui a transformé durant l’entre-deuxguerres ce ghetto new-yorkais en « capitale mondiale

« BARRACOON : L’HISTOIRE DU DERNIER ESCLAVE AMÉRICAIN », Zora Neale Hurston, JC Lattès, 250  pages, 20,90 €.

de la culture noire ». Cudjo Lewis est quant à lui, à 86 ans, l’ultime survivant africain connu du dernier navire négrier américain, le Clotilda. Hurston lui rend de nombreuses visites, note scrupuleusement ce qu’il lui raconte : son enlèvement à 19 ans par des guerriers de la tribu voisine au Dahomey, puis son enfermement dans un barracoon (bâtiment utilisé pour le confinement des esclaves) sur la côte ouest africaine… Lui et quelque 120 autres personnes y sont alors achetés, puis rassemblés dans le Clotilda, pour effectuer le voyage de 1860. Pour la ressortissante d’Eatonville, en Floride, bourgade fondée par les Noirs et pour les Noirs pour y vivre à l’abri du regard des Blancs, seul compte la réalité des faits. Document historique d’une valeur inestimable, son manuscrit ne trouve pourtant pas preneur de son vivant. Est-ce à cause de la forme du récit, livré à la première personne, dans le parler de Cudjo Lewis, tel qu’elle l’entend, conservant ses tournures idiomatiques et l’aspect répétitif de son discours dans le souci d’authentifier son histoire ? Quoi qu’il en soit, Hurston, découragée, se lance dans d’autres projets, et le manuscrit finit par sombrer dans les archives de l’université Howard (surnommée « Black Harvard »).

Malgré une production littéraire diverse et abondante (14 ouvrages), la première anthropologue noire, essayiste, dramaturge, passionnément féministe et indépendante, meurt dans la pauvreté à l’âge de 69 ans et est enterrée dans une tombe anonyme dans le cimetière de Fort Pierce, en Floride. Elle tombe alors dans l’oubli, jusqu’à sa redécouverte au début des années 1970 par la romancière noire Alice Walker. Son œuvre majeure, Une femme noire, est désormais sur la liste des ouvrages à lire des lycées et facs américains. Par contre, il aura fallu quatre-vingt-dix ans à Barracoon pour voir le jour, mais « à ce stade, les gens sont disposés à examiner cette question, à l’interroger […], et c’est ce que nous devons faire », a déclaré Deborah G. Plant, la spécialiste qui a édité le volume. Zora Neale Hurston est aujourd’hui considérée comme une grande figure de la littérature américaine. ■

L’écrivaine Zora Neale Hurston.

PARLE ON EN

religion

LA FUSION CRÉATRICE

« IL EST GRAND

TEMPS de renouer avec l’esprit qui a permis à la civilisation arabomusulmane de contribuer à l’enrichissement de la civilisation humaine. » Au carrefour de l’Europe occidentale, de Byzance, de la Chine et de l’Inde, l’islam en a englobé et vivifié les apports, et a contribué par cette synthèse à l’universel. Dans cet ouvrage publié initialement en 2003, Abdelwahab Meddeb rappelle la dimension humaniste de cette civilisation et

récit

LA PAROLE

LIBÉRÉE

AGRESSÉE DANS UN HALL

D’IMMEUBLE un soir de réveillon, Alya parvient à échapper à un viol. Mais la peur, les insomnies et les cauchemars, la solitude dans laquelle son corps s’enferme l’éloignent de plus en plus d’elle-même. À l’ouverture de l’enquête policière, Alya livre son histoire à différents interlocuteurs, des officiers à la psychanalyste, en passant par la juge. Telle la Shéhérazade des Mille et une nuits, elle revient sans cesse à son histoire pour sauver sa vie et

portrait

ENTRE AFFIRMATION ET DÉNÉGATION

« ISLAM, LA PART DE L’UNIVERSEL », Abdelwahab Meddeb, En toutes lettres, 188 pages, 13 €.

son apport considérable à des domaines comme l’architecture, les sciences ou la mystique. Le philosophe et ancien producteur de l’émission Cultures d’islam sur France Culture nous fait apparaître l’islam comme identité ouverte et non repli sur soi. Un plaidoyer plein d’optimisme. ■ C.F.

ISLAMLAPART É

« DE MÉMOIRE », Yamina Benahmed Daho, Gallimard, 144 pages, 14,50 €.

tisse un récit multiple et protéiforme. Le processus de répétition constitue un espace de réappropriation de son corps, qu’elle inscrit progressivement dans une histoire familiale, collective. Jusqu’au salut. ■ C.F.

« LA CHAMBRE DE L’ARAIGNÉE », Mohammed Abdelnabi, Actes Sud, 320 pages, 22,50 €

« QUI SUIS-JE ? » se demande inlassablement Hani Mahfouz, qui vient tout juste d’être remis en liberté après sept mois de détention. Son crime ? Aimer les hommes plutôt que les femmes. À travers le témoignage de ce quadragénaire reclus dans une chambre d’hôtel, avec pour seule compagnie une petite araignée logée au fond d’un tiroir, c’est le portrait de la communauté gay, ballottée entre affirmation et dénégation, que nous dresse le romancier égyptien. Il y explore la question de l’homosexualité sous l’angle de la persécution, en s’inspirant d’un procès qui avait scandalisé la société égyptienne en 2011 : celui de 52 hommes, raflés par la police dans une boîte de nuit flottante, le Queen Boat, puis condamnés à de lourdes peines de prison pour « perversion sexuelle ». Ce roman a été retenu en 2016 sur la short list du prix international de la Fiction arabe. ■ C.F.

thriller philosophique À LA CROISÉE DES MONDES

DERRIÈRE L’EXPÉRIENCE D’UN LYCÉEN, devenu apprenti d’un puisatier, le temps d’un été, avant de vivre une existence marquée par la culpabilité et la nostalgie de ses jeunes années, se dissimule à peine le portrait d’une Turquie de plus en plus déchirée entre laïcité et religion, démocratie et concentration du pouvoir. À la fois récit intimiste et thriller philosophique, cet ouvrage du prix Nobel de littérature 2006 explore brillamment les thèmes de la quête d’identité et de la filiation, du destin et de la liberté, dans un subtil mélange de références orientales et occidentales ■ C.F.

« LA FEMME AUX CHEVEUX ROUX », Orhan Pamuk, Gallimard, 304 pages, 21 €

Saleem (Adeeb Safadi) et Sarah (Sivane Kretchner) vivent une histoire tumultueuse.

Amours adultères à Jérusalem

Elle est juive israélienne, il est arabe palestinien. Tous deux mariés, ils se retrouvent clandestinement dans la ville divisée pour des étreintes aussi « scandaleuses » que passionnées. Un film audacieux et transfrontière.

LE RÉALISATEUR PALESTINIEN

Muayad

Alayan avait eu les honneurs du festival de Berlin en 2015 pour son premier long-métrage : Amour, larcins et autres complications. Eh bien, des complications, les personnages de son nouveau film vont en connaître ! Il faut dire qu’ils jouent avec le feu : Sarah, épouse d’un haut gradé de l’armée israélienne et jeune mère de famille, rejoint Saleem la nuit, dans sa fourgonnette, pour des ébats sexuels confinés mais passionnés. Saleem est un chauffeur palestinien, qui vit avec une belle étudiante dans la partie arabe de la ville et qui, chaque jour, livre du pain dans le café que tient Sarah à Jérusalem-ouest. Mais sa vie est compliquée, entre la pression de sa bellefamille et les trafics auxquels il participe… On pressent dès le début que cela va mal tourner, car tout commence par l’arrestation et l’interrogatoire musclé de Saleem. Ses rencontres amoureuses ont été signalées et consignées dans des rapports réalisés pour le compte de milices palestiniennes. Des documents qui vont

« THE REPORTS ON SARAH AND SALEEM » (Palestine) de Muayad Alayan. Avec Adeeb Safadi, Sivane Kretchner, Maisa Abd El hadi.

se retrouver aux mains de l’armée israélienne : un épisode réel à la base du scénario. Tout va alors s’écrouler pour Sarah, accusée de trahison, mais aussi pour son mari… Quant à Saleem, son mariage est bien compromis, même si son arrestation en fait un martyr de la cause palestinienne… Pas de quoi pour autant deviner la fin de l’histoire, habilement racontée dans une atmosphère souvent nocturne et pesante. Hormis quelques scènes à Bethléem, le film se déroule surtout à Jérusalem, qui en devient un personnage à part entière : la ville est filmée aussi bien dans sa partie arabe, pauvre et étouffante, que du côté israélien, ce qui est rare au cinéma. Le tournage a d’ailleurs viré au cauchemar quand l’armée de l’État hébreu s’en est mêlée et, malgré les autorisations initiales, a arrêté une partie de l’équipe alors qu’elle venait justement de tourner… une scène d’arrestation. « Le cinéma palestinien comptabilise moins de 30 films dans toute son histoire, et avec des scénarios qui ne sont pas basés à Jérusalem », souligne volontiers Muayad Alayan. Une raison supplémentaire pour ne pas manquer ce beau film. ■

animation

La convergence des luttes

1965. LES GÉANTS DES FÊTES de Pampelune, importés du Pays basque, défilent dans les rues de New York, sauf deux, qui sont bloqués en douane : ils représentent des Noirs (Beltza en basque) et sont interdits pour cause de ségrégation raciale ! Un fait authentique dont s’est emparé le musicien et réalisateur Fermin Muguruza pour imaginer que les deux porteurs de ces têtes, déjà en lutte contre Franco en Espagne, se révoltent contre ce racisme et finissent par se retrouver aux côtés des Black Panthers à San Francisco, des espions cubains à La Havane, des indépendantistes québécois à Montréal, ou encore sur les traces de Che Guevara à Alger ! La technique animée est graphiquement élégante et inspirée, le rythme tourbillonnant, même si l’évocation historique fait un peu catalogue d’une époque. Attention à certaines scènes : c’est du dessin animé pour adultes seulement… ■ J.-M.C.

cannes 2019

« BLACK IS BELTZA » (Espagne-France) de Fermin Muguruza. Avec les voix de Unax Ugalde, Isaach de Bankolé, Sergi LÓpez.

Un cru arabo-africain

LE GABÈS CINÉMA FEN, en Tunisie, organisait en avril une rencontre intitulée « Les cinémas arabes sont-ils (encore) le reflet d’eux-mêmes ? » Le Festival de Cannes apportera peut-être une réponse, avec les films de l’Algérienne Mounia Meddour (Papicha) et de la Marocaine Maryam Touzani (Adam), en sélection Un certain regard. En séance spéciale, la cinéaste syrienne Waad Al Kateab présentera For Sama, coréalisé avec Edward Watts. En lice pour la Palme d’or, le Palestinien Elia Suleiman (It Must Be Heaven), ainsi que deux Français d’ascendance africaine : Ladj Ly (Les Misérables), né au Mali, et Mati Diop, fille de Wasis Diop et nièce du cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambety, avec son premier long, Atlantique. Ils se retrouvent en compétition avec des poids lourds comme Pedro Almodovar ou les frères Dardenne (Le Jeune Ahmed). Les sélections parallèles ne sont pas en reste avec, à la Quinzaine des réalisateurs, Tlamess du Tunisien Ala Eddine Slim, et à la Semaine de la critique, Abou Leila de l’Algérien Amin Sidi-Boumédienne, Le Miracle du Saint Inconnu du Marocain Alaa Eddine Aljem, et Tu mérites un amour, le premier film de la comédienne française Hafsia Herzi, révélée par Abdellatif Kechiche, sélectionné in extremis pour la Palme avec la suite de Mektoub, my love ■ J.-M.C.

L'Alliance d'or, de la Nigériane Rahmatou Keïta.

AFRICAN FILM FESTIVAL, New York, États-Unis, du 23 mai au 9 juin 2019. africanfilmny.org

festival

FESTIVAL DE CANNES, France, du 14 au 25 mai 2019. festival-cannes.com

Le continent à New York

L’AFRICAN FILM FESTIVAL (AFF) fait son grand retour ce printemps pour sa 26 e édition. Un rendez-vous réputé pour sa programmation variée, entre films contemporains, films cultes et débats avec le public. Le cinéma africain y est présenté à travers tous les genres : fiction, documentaire, film expérimental… Si, depuis 1990, l’African Film Festival se consacre à faire progresser la compréhension de la culture africaine à travers l’image en mouvement, cette édition de l’AFF célébrera le 25e anniversaire du génocide rwandais de 1994. Cette partie du programme inclura également de récents films primés d’Afrique et de la diaspora. ■ C.F.

« CELIA », Angélique Kidjo, Verve/Universal.

AngéliqueKidjo L’hommage à Celia Cruz

Quand la diva FRANCO-BÉNINOISE rencontre la star des musiques latines, ça ne peut être que d’une éclatante dextérité. par Sophie Rosemont

IL ÉTAIT UNE FOIS la Cubaine Celia Cruz (1925-2003), destinée à devenir institutrice, jusqu’au jour où la beauté de sa voix ne put se contenter d’un simple avenir en salle de classe. Elle étudia au Conservatoire de La Havane, remporta plusieurs concours de chant et devint vocaliste en chef du groupe La Sonora Matancera. Lequel lui apporta une certaine reconnaissance, avant que n’éclate la révolution, en 1959, et que le groupe et sa chanteuse ne quittent Cuba. À New York, Celia posa ses valises et sa voix, connu des hauts et des bas, jusqu’à ce qu’elle rencontre enfin la gloire en interprétant de la salsa avec les musiciens du label Fania, notamment Johnny Pacheco, également son producteur… Après la traversée du désert des années 1980, Celia Cruz revint sur le devant de la scène à la fin du siècle, auréolée du prestige d’avoir offert à la salsa ses lettres de noblesse. C’est sur scène que la jeune Angélique Kidjo, devenue l’incontournable figure de la diaspora africaine que l’on connaît aujourd’hui, a découvert Celia Cruz. Elle entend chez elle ce qui la fait vibrer, elle aussi : les yorubas, la tonicité de la voix, l’énergie des mélodies. Quand, en 2015, elle reprend dans le cadre d’un festival

américain le corpus de Celia Cruz, l’idée germe d’en faire aussi un travail en studio. Dont acte. Enregistré à Paris par les bons soins de David Donatien, que l’on connaît pour son fidèle et complice travail avec Yael Naim, Celia témoigne de 10 pistes à l’éclatante dextérité. Angélique Kidjo reprend sans imiter, s’approprie sans emprunter.

Entre ces deux personnalités à la fois féministes et universalistes, militantes et performeuses, la rencontre ne pouvait être qu’éclatante… De la musique latine aux ritournelles africaines, il n’y a qu’un pas – et non un océan. Alors, on danse sur « Bemba colora », on se laisse porter par « Yemaya », faite de chœurs et de percussions, on savoure « Elegua », on se dandine sur « Cucala ». Les invités rivalisent eux aussi de talent, de Tony Allen à Meshell Ndegeocello. Cerise sur le gâteau : la magnifique pochette signée par le Sénégalais Omar Victor Diop, qui, à 40 ans, est l’un des portraitistes africains les plus recherchés à l’international. Aussi bien influencé par le maître Keita que par la peinture du XIX e siècle, il signe là un portrait de Lady Kidjo entourée de fleurs aux couleurs vives. Parfaitement en adéquation avec le son de l’album… ■

GÜN Une tradition folklorique réinventée en mode funk et rock psychédélique.

CONTRAIREMENT à ce que l’on pourrait croire en écoutant ses chansons chantées en turc, c’est aux Pays-Bas qu’officie ce groupe d’obédience psychédélique, qui nourrit son inspiration tant du côté des musiques traditionnelles du Bosphore que des trips sonores de Jefferson Airplane. Guitares et saz électriques, percussions : les six musiciens d’Altin Gün s’imposent définitivement avec ce deuxième album d’un groove imparable. De la flamboyante ouverture « Yolcu » à la conclusion arc-en-ciel de « Süpürgesi Yoncadan », Gece nous transporte dans un univers kaléidoscopique que l’on a bien du mal à quitter. ■ S.R. « GECE », Altin Gün, We Want Sounds/Glitterbeat/Differ-Ant.

kuduro-rock THROES + THE SHINE

Que brille le dance-floor !

ORIGINAIRE DE PORTO, ce groupe avait déjà fait parler de lui avec Rockuduro, en 2012, lequel, comme son nom l’indique, proposait un savant mix de rock’n’roll et de kuduro, mélange de breakdance et de semba… Avec ce quatrième album nommé Enza, Throes + The Shine ne perd ni sa force expressive, ni sa volonté de marier le kuduro à des sons comme l’afrobass et l’électro. Produit par Jori Collignon (Skip&Die), Enza ne baisse pas la cadence et promet d’enflammer les dance-floors (et les scènes de festivals) des saisons à venir. ■ S.R.

« ENZA », Throes + The Shine, Sony.

disco

ZIAD RAHBANI

musique

Le retour d’Abu Ali

DOIT-ON VRAIMENT présenter le musicien, pianiste, arrangeur et producteur Ziad Rahbani ? Fils de Fairouz et du pionnier de la musique libanaise moderne, Assy Rahbani, il a réussi à exister par lui-même : à 63 ans, il est l’une des plus grandes fiertés artistiques de son pays. En 1978, déjà musicien depuis quelques années, il enregistrait aux studios EMI d’Athènes le merveilleux Abu Ali, paru en tirage limité. Composé de deux suites mêlant les sonorités orientales au disco et au funk, cet album instrumental est enfin réédité, avec pochette originale et son remastérisé. Un must-have. ■ S.R.

« ABEG NO VEX », Ekiti Sound, Crammed Discs.

rap hybride

EKITI SOUND

« ABU ALI », Ziad Rahbani, We Want Sounds/ Modulor.

Mixture anglo-nigériane

EKITI, c’est l’État nigérian d’où est originaire le père de Leke (aka Chif), chanteur, rappeur, instrumentiste et producteur passé par Nollywood. Après une enfance entre le Nigeria et l’Angleterre, il évolue aussi bien dans la sphère londonienne que sur les scènes de Lagos. Impressionné par des figures comme Fela Kuti, passionné de drum’n’bass et féru de rap anglosaxon, Leke livre dans son premier album, Abeg No Vex, une mixture sonore hybride et follement énergique. Basses imposantes et « talking drums » prennent aux tripes : Ekiti Sound illustre la quête de ses racines en chantant en yoruba, en pidgin et, forcément, en anglais. À savourer : un featuring avec la talentueuse Nneka… ■ S.R.

foire LABYRINTHE ARTISTIQUE

Le métissage exubérant de la création d’Afrique centrale s’expose à DOUALA.

Statue assise datant du XIIIe ou XIVe siècle, Nigeria (ci-contre).

Atlas catalan représentant en majesté le roi Moussa du Mali, 1375 (ci-dessous).

LA DOUALA ART FAIR met en lumière une centaine d’œuvres provenant d’Afrique centrale avec comme thème, cette année, « Flying Over Central Africa : Déjouer les clichés ». « Cette deuxième édition veut montrer le visage d’une Afrique humaine, vivante, atypique, avant-gardiste, qui s’ouvre au monde et entend désormais s’exprimer pleinement, un continent africain entré de plain-pied dans l’histoire de l’art contemporain », explique Viviane Maghela, la directrice artistique camerounaise de la foire d’art contemporain et du design. L’événement survolera le Gabon, le Cameroun, le Congo, la République démocratique du Congo, la Guinée équatoriale, l’Angola, la Centrafrique, le Tchad ou encore Sao Tomé et Principe pour rassembler peintures, sculptures, vidéos, installations… et raconter, tel un carnet de voyage, ce qui caractérise la création contemporaine dans cette région d’Afrique. Porteurs de savoir-faire et de codes spécifiques inhérents à leurs bagages culturels, la plupart des créateurs y revisitent les modèles de représentation et utilisent de nouveaux outils pour créer des métissages surprenants et personnels. Car, remarque Viviane Maghela, « si elle est un continent, l’Afrique est surtout un labyrinthe artistique, traversé de multiples élans ». ■ Catherine Faye DOUALA ART FAIR, « FLYING OVER CENTRAL AFRICA : DÉJOUER LES CLICHÉS », Cameroun, du 31 mai au 2 juin 2019. doualaartfair.com

exposition

HISTOIRE

L’AFRIQUE SAHARIENNE ANCIENNE ressuscitée à travers 250 pièces archéologiques.

EN PLEINE CONTROVERSE sur la restitution des œuvres, c’est l’image d’une Afrique riche et influente que veut célébrer l’exposition qui se tient actuellement au Block Museum of Art, situé sur le campus de l’université Northwestern, à Evanston, dans l’Illinois. « Caravanes d’or, fragments de temps : art, culture et échanges à travers l’Afrique saharienne médiévale » est la première grande exposition américaine consacrée à l’exploration du commerce médiéval en Afrique de l’Ouest. À travers 250 œuvres d’art et pièces archéologiques originaires d’Afrique et d’Europe, répartis entre les VIIIe et XVIe siècles, elle retrace l’itinéraire des marchands d’Asie, du MoyenOrient et d’Europe en quête d’or et de sel fin, à travers le Sahara, et leurs échanges, tant commerciaux que culturels. « Caravanes d’or » puise dans de récentes découvertes archéologiques, notamment de rares fragments de centres commerciaux africains médiévaux, tels que Sijilmasa, Gao et Tadmekka. L’exposition est agrémentée de vidéos renseignant sur le contexte social et historique de l’époque, notamment le brassage des cultures, des langues et des biens. ■ C.F.

« CARAVANES D’OR, FRAGMENTS DE TEMPS : ART, CULTURE ET ÉCHANGES À TRAVERS L’AFRIQUE SAHARIENNE MÉDIÉVALE », Block Museum of Art, Evanston, États-Unis, jusqu’au 21 juillet 2019. blockmuseum.northwestern.edu

Œuvre d’Hako Hankson, Douala Art Fair 2018.

itinérance

De l’art en voyage

Une caravane sur SIX PAYS pour faire se rencontrer les créateurs et leurs publics.

C’EST UNE GRANDE EXPOSITION ITINÉRANTE sur six pays réunissant une trentaine d’artistes du continent, de renommée internationale, et de 15 nationalités différentes. Un projet particulièrement ambitieux, hors norme, qui devrait aboutir à la création de 100 œuvres originales, produites spécialement par les artistes en résidence avant la grande tournée. À l’affiche, entre autres, Ouattara Ouatts, El Anastsui, William Kentridge, Chéri Samba, Barthélémy Toguo… Démarrage de l’expo voyageuse à Casablanca, mi-juin 2019, pour un périple de 12 mois avec des étapes à Dakar, Abidjan, Lagos, AddisAbeba et Cape Town, et une clôture à Marrakech en 2020. L’événement porté par la Fondation pour le développement de la culture contemporaine africaine (FDCCA) présidé par le prince Moulay Ismail a comme objectif de rapprocher des artistes africains, souvent très bien cotés à Paris, à Londres ou à New York, de ce qui devrait être leur premier public, celui qui se trouve sur le continent. Aux commandes de cette odyssée, les commissaires sénégalais Yacouba Konaté et marocain Brahim Alaoui. C’est « une histoire que l’Afrique souhaite écrire pour valoriser, fédérer et célébrer son art dans sa plus belle expression », conclut, provisoirement, Fihr Kettani, cofondateur de la Galerie 38, à Casablanca, et secrétaire général de la Fondation. À suivre, donc. ■ Z.L. « PRÊTE-MOI TON RÊVE », exposition itinérante dans six pays africains, de juin 2019 à juin 2020.

fashion week

AU-DELÀ DE LA MODE

Naplouse, en Palestine.

passions DU

FOOT À

L’IMA ! L’Institut du monde arabe propose une exposition « ballon rond ».

C’EST À DÉCOUVRIR à l’IMA, à Paris, jusqu’au 21 juillet, surtout à quelques semaines de l’ouverture de la CAN en Égypte. L’exposition « Foot et monde arabe : La Révolution du ballon rond » ouvre des portes étonnantes sur les liens entre le sport roi, la création des identités et le tissu social. Le parcours propose 11 histoires successives, 11 épopées humaines de joueurs et de supporters dans le monde arabe : l’équipe du Front de libération nationale de l’Algérie, le célèbre joueur Larbi Benbarek, l’essor du football féminin en Jordanie ou encore la ville du Caire comme capitale du football… Avec des objets, des maillots, des photos, des archives. À cette occasion, un terrain extérieur de 12x21 m, avec des gradins (124 places), est installé sur le parvis du musée. ■ Z.L. « FOOT ET MONDE ARABE, LA RÉVOLUTION DU BALLON ROND », Institut du monde arabe, Paris, jusqu’au 21 juillet 2019. imarabe.org

Depuis sa première édition en 2002, qui réunissait quatre créateurs, la Dakar Fashion Week a mûri et joue maintenant dans la cour des grands. Avec désormais plus de 35 créateurs, elle est devenue le rendez-vous incontournable de nombreux médias internationaux. L’occasion pour les stylistes de partager le regard qu’ils portent sur leur continent à travers les vêtements. « L’état d’esprit de la fashion week est de valoriser l’Afrique », souligne Adama Paris [voirp.74], styliste et fondatrice de cette grand-messe de la mode. Plus encore, l’habit devient vecteur d’un engagement politico-culturel, surtout pour un continent comme l’Afrique. ■ C.F. DAKAR FASHION WEEK, Sénégal, du 5 au 9 juin 2019. dakarfashionweek.com

PARCOURS

Noémie Lenoir

DANS SON DOCUMENTAIRE HABILLE-NOUS AFRICA,

la célèbre mannequin et actrice part à la rencontre de la nouvelle mode « afro », du Cameroun au Sénégal, en passant par la Côte d’Ivoire. Un regard passionné sur un milieu créatif, avec ses forces et ses faiblesses.

Cheveux plaqués en chignon et grands yeux verts, nez parfaitement dessiné, la top-modèle d’origines réunionnaise, malgache, belge et corse parle avec passion et de sa voix grave d’Habille-nous Africa. Coréalisé avec Antoine Rivière, ce documentaire de deux fois 52 minutes enquête sur le secteur de la mode au Cameroun, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Celle qui fut toujours considérée comme une femme noire dans son métier constate une réelle évolution depuis ses débuts : les modèles noirs sont de plus en plus présents, et l’Afrique est devenue tendance. « Mais cela ne doit pas rester éphémère. La mode africaine est ancestrale et ne se limite pas aux boubous ! » rappelle-t-elle.

Défiler pour les couturiers les plus prestigieux (Jean-Paul Gaultier, Yves Saint Laurent, Elie Saab) lui a appris l’amour du vêtement. Née en 1979 aux Ulis, en banlieue parisienne, enfant, elle se rêve plutôt vétérinaire que mannequin, et pleure si on lui fait porter une jupe. C’est chez une amie qu’elle découvre la mode, avec des photos sur papier glacé de la top-modèle américaine Brandi Quinones. « Elle me disait que je lui ressemblais. Moi, je ne me trouvais pas jolie, j’avais un monosourcil, un appareil dentaire. Le mannequinat, c’est une fée qui s’est penchée sur mon berceau. » Un ancien modèle la repère dans la rue alors qu’elle a 15 ans, et lui conseille de suivre le même chemin. Elle rejoint ainsi la célèbre agence Ford de New York, et la marque américaine Gap la choisit pour une campagne : elle qui devait partir quelques jours aux États-Unis y restera finalement des années. S’adapter n’a pas toujours été facile. « J’ai fait ma crise d’ado à 19 ans. Comme je ne m’entendais pas avec les filles avec lesquelles j’habitais, mon agence m’a installée dans un hôtel à Chinatown. J’avais un mur en face de ma fenêtre, des cafards au sol, mais j’étais mieux ! » Parcourant le monde entier, elle pose pour de grands photographes, travaille pour Ralph Lauren, Tommy Hilfiger, Victoria’s Secret, devient l’égérie de L’Oréal. En parallèle, elle s’essaie au cinéma (notamment Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, d’Alain Chabat, en 2002).

Pour Habille-nous Africa, Noémie Lenoir a rencontré différents acteurs de la mode africaine (artisans, designers…) dans leurs ateliers ou concept-stores, recueillant leurs ambitions et leurs difficultés. Un milieu en ébullition, des jeunes stylistes comme la Dakaroise Selly Raby Kane et l’Ivoirienne Loza Maléombho – qui ont toutes deux habillé Beyoncé – aux chemises du célèbre tailleur Pathé O, à Abidjan, portées par Nelson Mandela. La réalisatrice espère voir un jour des boutiques de ces créateurs made in Africa s’exporter dans le monde. Au-delà des paillettes, la mode est aussi un formidable levier économique. Mais triste constat : le coton, matière première bio, est exporté à 95 %, effilé, égrené en Chine, puis racheté en Afrique. « Ce sont des emplois et des savoir-faire qui se perdent. Il faut faire de l’industrie textile une force. » Concilier son image publique et sa vraie personne fut longtemps compliqué : « Les gens se font une idée de moi d’après ma plastique. » Sa foi catholique, la psychanalyse, la méditation et la gratitude l’ont aidée à trouver la sérénité. Désormais mère de deux enfants (« mon fils est noir, ma fille blonde aux yeux bleus »), elle ambitionne de réaliser un nouveau documentaire. Sur la mode de son île maternelle, la Réunion ? ■

Habille-nous Africa , de Noémie Lenoir et Antoine Rivière, est disponible en replay sur le site Internet de TV5 Monde, tv5monde.com.

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DÉGUERPIR ?

«Déguerpissement » est un mot qui est entré dans la langue officielle de tous les pays africains, avec un sens détourné. Littéralement, « déguerpir » signifie prendre ses jambes à son cou. Mais dans nos capitales, il veut plutôt dire : abandonner son logement de force, construit sur un emplacement illégal. Finalement, l’expression est bien trouvée.

Libreville, Ouaga, Douala, Conakry… Absolument aucune grande ville du continent n’a échappé dans son histoire contemporaine à ces grandes vagues d’assainissement, décrétées subitement par un gouvernement qui doit lutter contre l’engorgement et l’insalubrité, élargir les routes, tenter de moderniser la cité, absorber une démographie galopante. Les bidonvilles et autres échoppes de fortune qui jalonnent les artères doivent disparaître. Sur le papier, les pauvres gens désargentés ou les bons gros filous qui ont profité du système archi-corrompu de l’attribution de parcelles sont relogés ou dédommagés. Dans la vraie vie, ils ne le sont généralement pas. Et doivent en effet littéralement déguerpir, baluchon sur le dos.

Certes, la plupart n’ont pas de titres fonciers et se sont installés à la sauvage sur des terrains qu’ils se sont d’office appropriés, en construisant dessus à la va-vite une masure ou une belle maison. Mais bon nombre d’entre eux l’ont fait au nez et à la barbe de tout le monde, sans se cacher, souvent en bord de route. Durant des années, on les a laissé prospérer en toute illégalité. Aussi, lorsque l’on vient brutalement inscrire une croix à la craie sur leur mur, en guise de mise en demeure avant démolition de leur « bien », il est normal que l’indignation les gagne. Que faire donc ? Détruire pour moderniser une capitale, au risque de mettre une cohorte d’habitants sur le trottoir, ou laisser faire en continuant à gérer les cités à la mode du Moyen Âge en plein XXIe siècle ?

La réponse est évidente : il faut avancer, assainir, et donc déguerpir. Mais il faut arrêter de se contenter de procéder aux expulsions pures et dures, sans se soucier de la mise en place effective de relogements. Et surtout, il faut veiller dans le même temps à mettre de l’ordre dans le cadastre, lutter contre la corruption passive ou active des fonctionnaires concernés, stopper les attributions fantaisistes de faux titres de propriété, et enrayer ainsi, dès le début, le phénomène des maisons champignons qui repoussent immédiatement quelques mois plus tard, un peu plus loin. Moderniser une capitale, c’est d’abord moderniser les mentalités. Penser une cité doit être un exercice global. Et les déguerpissements prendront alors tout leur sens. ■

Moderniser une capitale, c’est d’abord moderniser les mentalités. Penser une cité doit être un exercice global.

Emmanuelle Pontié

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