AM 441 Free

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DJIBOUTI Cap vers l’avant

Un dossier de 27 pages.

CÔTE D’IVOIRE GĂ©nĂ©ration influenceurs !

LEURS FOLLOWERS se comptent par dizaines de milliers. Rencontre avec ces nouveaux leaders d’opinion.

INTERVIEWS

PUTSCH

ÉDITO Les militaires ne sont pas la solution par Zyad Limam SOUDAN La guerre des gĂ©nĂ©raux

CHARLES CÉDRIC TSIMI

« POUR MOI, IL N’Y A

PAS DE "CONDITION NOIRE" »

VINCENT MICHÉA

« L’ART DOIT ÊTRE SIMPLE ! »

DJERBA Entre ombre et lumiĂšre

L’üle tunisienne, symbole de soleil et de tolĂ©rance, s’interroge sur son identitĂ© et doit faire face au traumatisme des attaques.

N°441 - JUIN 2023 L 13888 - 441 S - F: 4,90 € - RD France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – AlgĂ©rie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – GrĂšce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 ÂŁ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0
Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemedti, et Abdel Fattah al-Burhan. Le président Ismaïl Omar Guelleh.

LES MILITAIRES NE SONT PAS LA SOLUTION

La guerre au Soudan est particuliĂšrement tragique. Cruelle. Ce pays immense, comme sur un fil permanent, qui a connu dans sa jeune histoire 17 coups d’État, sans parler de la partition avec son sud et les multiples guerres civiles, est dĂ©vastĂ©. Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemedti, les deux gĂ©nĂ©raux qui ont pris le pouvoir en 2021 pour mettre fin Ă  la transition dĂ©mocratique, s’affrontent maintenant sans merci. Évidemment, on peut chercher les enjeux stratĂ©giques (l’or, l’eau du Nil, « la ligne politique », les calculs ethno-tribalistes, les interventions de l’extĂ©rieur
), mais in fine, c’est bien deux militaires qui luttent pour le pouvoir et ses avantages, qui envoient leurs troupes s’entretuer. Les civils trinquent, le Soudan sombre, il faudra des annĂ©es pour reconstruire. Et l’espoir dĂ©mocratique portĂ© par la rĂ©volution qui avait fait tomber un autre gĂ©nĂ©ral, le tristement cĂ©lĂšbre Omar el- BĂ©chir, semble s’ĂȘtre Ă©vaporĂ© sous les bombes


Dans le domaine des putschs, l’Afrique est championne du monde. Une Ă©tude menĂ©e par des chercheurs amĂ©ricains a dĂ©nombrĂ© plus de 200 coups d’État sur le continent depuis 1950, la moitiĂ© d’entre eux Ă©tant qualifiĂ©s de succĂšs (c’est-Ă -dire ayant durĂ© plus de sept jours
) : 45 pays sur 54 auront connu au moins une tentative depuis leur indĂ©pendance. Au « classement », l’Afrique devance son « dauphin », l’AmĂ©rique latine et ses 145 occurrences.

Le rythme semblait s’ĂȘtre nettement ralenti depuis la fin de la guerre froide. Pourtant, entre aoĂ»t 2020 et septembre 2022, outre le Soudan, l’Afrique francophone a connu cinq coups : au Mali, au Tchad, en GuinĂ©e et au Burkina Faso (deux en huit mois). Au Sahel, le djihadisme, ajoutĂ© Ă  la dĂ©sespĂ©rance Ă©conomique et Ă  la mal-gouvernance, aura emportĂ© les institutions. Avec les rĂ©percussions de la pandĂ©mie de Covid-19, les impacts de la guerre en Ukraine, le rebond de la dette et de l’inflation, les tensions sociales, et des Ă©lites politiques dĂ©passĂ©es et sans solution, d’autres États pourraient se retrouver « fragilisĂ©s ». La nouvelle donne gĂ©opolitique mondiale, l’apparition de nouveaux acteurs, comme le groupe paramilitaire Wagner, accentue les risques. Certains pourraient ĂȘtre tentĂ©s par la solution magique du militaire providentiel. Avec

des chefs, sanglĂ©s dans l’uniforme, qui pourraient promettre monts et merveilles Ă  une jeunesse nombreuse, en colĂšre, en rupture, brandir les grands mots, l’impĂ©rialisme, le nĂ©ocolonialisme, les traĂźtres, la rĂ©novation
 La rĂ©alitĂ©, pourtant, a la vie dure. La faiblesse ou l’incurie de certains rĂ©gimes ne justifie rien. Et les rĂ©gimes militaires ne rĂ©solvent pas les crises. Ni celle qui a lĂ©gitimĂ© leur prise du pouvoir, ni les autres. Au Sahel, la situation sĂ©curitaire s’est fortement dĂ©gradĂ©e. La guerre civile menace, la crise Ă©conomique s’aggrave. LĂ  ou ailleurs, d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le putsch se rĂ©vĂšle une machine Ă  perdre pour le pays. Le militaire n’est pas un politique, ni un Ă©conomiste. Difficile de tenir les promesses (souvent irrĂ©alistes). Et le putsch est par nature autoritaire, les libertĂ©s publiques rĂ©gressent. L’arbitraire devient la rĂšgle. On promulguera de nouvelles constitutions qui ne seront pas plus respectĂ©es que les prĂ©cĂ©dentes. Et la jeunesse, qui peut avoir Ă©tĂ© un temps sĂ©duite, est aussi une jeunesse connectĂ©e, ouverte sur le monde, soucieuse de prĂ©server ses libertĂ©s. L’impatience s’installe. Le putsch gĂ©nĂšre sa propre instabilitĂ©, il en appelle gĂ©nĂ©ralement un autre, favorisĂ© par l’instabilitĂ© et les frustrations gĂ©nĂ©rĂ©es par le premier. Ou l’appĂ©tit d’un autre galonnĂ©. Et ainsi de suite
 Bref, si les coups pouvaient rĂ©gler les problĂšmes du continent, ça se saurait.

En Afrique, la solution reste et demeure politique. La « sĂ©paration des missions » est une nĂ©cessitĂ©. Les militaires sont des militaires. Ils portent un rĂŽle, crucial, dĂ©fendre les frontiĂšres, au service de la nation. Le pouvoir doit ĂȘtre forcĂ©ment civil, l’expression de la modernitĂ© et de la diversitĂ© de la sociĂ©tĂ©. Le pouvoir doit ĂȘtre lĂ©gitime, reconnu comme tel. Le dĂ©bat doit ĂȘtre possible, les libertĂ©s dĂ©mocratiques doivent progresser (de 10 % par an, comme le disait BĂ©chir Ben Yahmed au prĂ©sident Bourguiba
). Et surtout, la bonne gouvernance est au centre de tout. Barack Obama parlait des institutions comme Ă©tant la clĂ© du dĂ©veloppement. Mais sans leadership, les institutions sont fragiles. Regardez la carte du continent, regardez les pays qui avancent, qui progressent, malgrĂ© les obstacles et les contraintes les plus rudes : leadership et gouvernance. ■

AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023 3
édito

N°441 JUIN 2023

3 ÉDITO

Les militaires ne sont pas la solution par Zyad Limam

8 ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

Faire Ɠuvre commune

26 PARCOURS Mille Desirs par Astrid Krivian

29 C’EST COMMENT ?

Maudite palme
 par Emmanuelle Pontié

92 CE QUE J’AI APPRIS

Alima Hamel par Astrid Krivian

104 VIVRE MIEUX

Le rÎle déterminant du microbiote intestinal par Annick Beaucousin

106 VINGT QUESTIONS À


Moonlight Benjamin par Astrid Krivian

TEMPS FORTS

30 Soudan : La guerre des généraux par Cédric Gouverneur

36 Djerba, entre ombre et lumiĂšre par Frida Dahmani

72 Charles CĂ©dric Tsimi : « Pour moi, il n’y a pas  de “condition noire” » par Astrid Krivian

78 CĂŽte d’Ivoire : GĂ©nĂ©ration influenceurs par Jihane Zorkot

86 Vincent Michéa : Soyons clairs ! par Astrid Krivian

Afrique Magazine est interdit de diffusion en AlgĂ©rie depuis mai 2018. Une dĂ©cision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) Ă  exercer une mesure de censure d’un autre temps

Le maintien de cette interdiction pĂ©nalise nos lecteurs algĂ©riens avant tout, au moment oĂč le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algĂ©riens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

6 AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023
PLANTU-REZANICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE.COM
13888 441 S F: 4,90 € RD – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – AlgĂ©rie 320 DA – Allemagne 6,90 Autriche 6,90 Belgique 6,90 Canada 9,99 $C DOM 6,90 Espagne 6,90 États-Unis 8,99 GrĂšce 6,90 Italie 6,90 Luxembourg 6,90 Maroc 39 DH Pays-Bas 6,90 Portugal cont. 6,90 Royaume-Uni5,50 Suisse8,90 TOM990 CFP Tunisie7,50 ZoneCFA 000FCFA ISSN0998-9307X0 PUTSCH ÉDITO Les militaires ne sont pas la solution par Zyad Limam SOUDAN La guerre des gĂ©nĂ©raux INTERVIEWS CHARLES CÉDRIC TSIMI «POUR MOI, IL N’Y A PAS DE "CONDITION NOIRE"» VINCENT MICHÉA «L’ART DOIT ÊTRE SIMPLE » DJIBOUTI Cap vers l’avant Un dossier de 27 pages. CÔTE D’IVOIRE GĂ©nĂ©ration influenceurs ! LEURS FOLLOWERS se comptent par dizaines de milliers. Rencontre avec ces nouveaux leaders d’opinion. L’üle tunisienne, symbole de soleil et de tolĂ©rance, s’interroge sur son identitĂ© et doit faire face au traumatisme des attaques. DJERBA Entre ombre et lumiĂšre Le prĂ©sident PHOTOS DE COUVERTURE : PATRICK ROBERT - DR - MAHMOUD HJAJ/ANADOLU AGENCY/AFP - OLIVIER ROLLER - GRÉGORY COPITET - ALAMY STOCK PHOTO
P.08
P.36

DÉCOUVERTE

45 DJIBOUTI

Cap vers l’avant ! par Zyad Limam, Thibaut Cabrera, Alexis Georges, Emmanuelle PontiĂ© et Romain Thomas

46 Ports et logistiques : le défi de la compétitivité

50 Un récit national

54 Au cƓur des enjeux stratĂ©giques

58 L’impĂ©ratif social

60 Vers la crĂ©ation d’un hub numĂ©rique

62 L’environnement, cause commune

63 À la conquĂȘte de l’espace

64 Un autre regard sur Djibouti

BUSINESS

94 Les crédits carbone, opportunités et bonne conscience

98 Olufunso Somorin : « À mesure que nous amĂ©liorerons la confiance, la demande continuera de croĂźtre »

100 Maroc-Algérie, la course au PIB

101 La RDC, cÎté positif

102 Le Botswana veut profiter davantage de ses diamants

103 Une monnaie numérique pour sauver le Zimbabwe ? par Cédric Gouverneur

P.86

FONDÉ EN 1983 (39e ANNÉE)

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ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Thibaut Cabrera, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Alexis Georges, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Camille LefÚvre, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont, Romain Thomas, Jihane Zorkot.

VIVRE MIEUX

Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin.

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La rĂ©daction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rĂ©dactionnelles sont donnĂ©es Ă  titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, mĂȘme partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rĂ©daction. © Afrique Magazine 2023.

AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023 7 PATRICK ROBERTDRGRÉGORY COPITET
P.45 P.78

ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

, associant

PLANTU-REZA 8 AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023
Liberté 2 le travail des deux hommes.

ÉVÉNEMENT

FAIRE ƒUVRE COMMUNE

Une RENCONTRE ARTISTIQUE

L’UN, DESSINATEUR de presse et caricaturiste français, a travaillĂ© pendant un demi-siĂšcle au journal Le Monde, en croquant notre sociĂ©tĂ©, notre quotidien, nos vies. L’autre, photojournaliste d’origine iranienne, a parcouru la planĂšte, tĂ©moignant de conflits, de rĂ©volutions, de l’humanitĂ© dans toute sa diversitĂ©. Observateurs privilĂ©giĂ©s des Ă©vĂ©nements de ces derniĂšres dĂ©cennies et grands dĂ©fenseurs de la libertĂ© d’expression, Plantu et Reza ont en commun une forme de comprĂ©hension du monde. L’un comme l’autre invite Ă  rĂ©flĂ©chir sur la condition humaine, les injustices, les espoirs. De ces coĂŻncidences historiques, esthĂ©tiques, engagĂ©es, et d’une complicitĂ© sans faille est d’abord nĂ© l’ouvrage Plantu - Reza : Regards croisĂ©s (Gallimard, 2021). L’exposition du mĂȘme nom, prĂ©sentĂ©e au musĂ©e de l’Homme, reprend le flambeau, mettant en valeur des dizaines de leurs Ɠuvres. Un tĂȘte-Ă -tĂȘte intellectuel et artistique singulier, qui associe le trait de crayon sensible et dĂ©sinvolte de Plantu aux clichĂ©s iconiques de Reza. Sans jamais cesser d’appeler Ă  la fraternitĂ© et au dialogue.

« PLANTU – REZA : REGARDS CROISÉS », musĂ©e de l’Homme, Paris (France), jusqu’au 31 dĂ©cembre. museedelhomme.fr

AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023 9
singuliÚre entre Plantu et Reza, entre le trait acéré et la photo iconique.
Le caricaturiste français devant l’un de ses dessins de presse.
DR (2)
Le photojournaliste iranien.

MUSIQUE

MALAN MANÉ LA SOIF DE LIBERTÉ

IL SUFFIT D’ÉCOUTER le morceau-titre pour ĂȘtre Ă  nouveau conquis. Par une voix mĂ©lodieuse, Ă  peine altĂ©rĂ©e par le temps, accompagnĂ©e de superbes cordes acoustiques. Par l’intense soif de libertĂ© qu’elle dĂ©clame, sans faiblir. Sur ce premier album solo, Antonio « Malan » ManĂ© tĂ©moigne de tout son engagement et de son vĂ©cu. NĂ© en 1956 Ă  Buba, en GuinĂ©e-Bissau, il n’a pas 20 ans lorsqu’il rejoint les rangs du Super Mama Djombo, groupe indĂ©pendantiste cultivant la cohĂ©sion panafricaine et soutenant le fondateur du Parti africain pour l’indĂ©pendance de la GuinĂ©e et du Cap-Vert, Amilcar Cabral. Si le coup d’État de 1980 met fin Ă  ce fructueux collectif, la musique habite toujours Malan ManĂ©. Celui qui ne sera rĂ©gularisĂ© qu’aprĂšs une dĂ©cennie passĂ©e sur le sol français persiste Ă  composer, en banlieue parisienne, oĂč il gagne son pain contre vents et marĂ©es. Il Ă©crit aussi ses espoirs et ses souvenirs, terreaux narratifs de Fidju di Lion, lequel a Ă©tĂ© enregistrĂ© Ă  Lisbonne avec ses anciens camarades du Mama Djombo, dans des studios qui les avaient vu passer en 1979
 Hommage est rendu Ă  Nelson Mandela, Amilcar Cabral, et au pouvoir rĂ©dempteur de la musique, qui rassemble les exilĂ©s, les oubliĂ©s, les activistes. Avec « Sidile », l’artiste cĂ©lĂšbre en mandingue l’amitiĂ© qui lui a permis de retrouver le micro. Ce qu’il appelle un « petit morceau du monde » – la GuinĂ©e-Bissau – investit ce disque Ă  la sincĂ©ritĂ© tant poĂ©tique que dĂ©sarmante. Mais dont l’énergie retrouvĂ©e, alliĂ©e Ă  une mĂ©lancolie substantielle, nous trotte longtemps dans la tĂȘte
 ■ Sophie Rosemont MALAN MANÉ, Fidju di Lion, Archieball/L’Autre distribution.

SOUNDS

À Ă©couter maintenant !

Les Abranis

Amazigh Freedom Rock, 1973-1983, Disques Bongo Joe/L’Autre Distribution

Ô bonheur que cette réédition des dĂ©monstrations rock kabyle des Abranis, qui rĂ©ussirent, durant les annĂ©es 1970, Ă  allier rock garage, folk, disco et musique berbĂšre. Kabyles de Numidie, Shamy El Baz et Karim Abdenour ont fui l’AlgĂ©rie au dĂ©but des annĂ©es 1960, et c’est Ă  Paris qu’ils ont dynamisĂ© les sonoritĂ©s de leurs racines
 aujourd’hui ressuscitĂ©es Ă  travers 11 fabuleux morceaux. Indispensable !

Faada Freddy

Tables Will Turn, Think Zik !

Si on l’avait remarquĂ© dans le duo Daara J, il nous avait enchantĂ©s avec son beatbox et sa voix digne des plus beaux chants gospel dans son premier album, Gospel Journey. AprĂšs une pause de sept ans, le musicien sĂ©nĂ©galais livre l’EP Tables Will Turn Nul besoin de machines pour reproduire le son des instruments
 Nourris de soul, ces nouveaux titres fĂȘtent avec Ă©lĂ©gance les beaux lendemains Ă  venir.

Arlo Parks

My Soft Machine, Transgressive Records/Pias

AprĂšs une rĂ©vĂ©lation fracassante en 2021, celle d’un premier effort baptisĂ© Collapsed In Sunbeams, lui ayant valu une reconnaissance internationale, AnaĂŻs Marinho assure ses arriĂšres. Dans ce nouvel album, la chanteuse anglaise d’origines nigĂ©riane et tchadienne raconte le pire comme le meilleur de la jeunesse 2.0, cultivant son R’n’B de belle facture, produit par le collaborateur d’Adele et de Paul McCartney, Paul Epworth. ■ S.R.

ON EN PARLE 10 AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023
J
❶ ❷ ❞ DR (5)
À 66 ans, l’une des figures de Super Mama Djombo, groupe phare de l’indĂ©pendance bissau-guinĂ©enne, revient avec un captivant PREMIER OPUS solo.

ALGER LA BLANCHE

« POURQUOI ON L’APPELLE Omar la fraise ?

– Parce qu’il opĂšre comme les dentistes, dzzzi dzzziii
 » On imagine la torture, mais ce n’est qu’une des diffĂ©rentes explications du surnom portĂ© par ce truand parisien venu se rĂ©fugier dans son pays d’origine. Pour Ă©chapper Ă  une lourde condamnation en France, il s’installe dans une luxueuse villa sur les hauteurs d’Alger avec Roger, son ami d’enfance, en cavale avec lui. Seul un Ă©cran gĂ©ant meuble la maison, dont la piscine en travaux demeure dĂ©sespĂ©rĂ©ment vide. Roger va tenter de sortir Omar de la dĂ©prime et de l’ennui, et ils vont rapidement nager dans la cocaĂŻne et les billets
 bientĂŽt rejoints par une ouvriĂšre au caractĂšre bien trempĂ©, incarnĂ©e par l’excellente Meriem Amiar. Le duo masculin, c’est BenoĂźt Magimel en bandit parigot Ă  la Audiard et Reda Kateb au look de Travolta dans Pulp Fiction
 On est d’ailleurs dans un film de genre parfois ultra-violent, oĂč l’hĂ©moglobine et la poudre blanche se rĂ©pandent sans limites et sans morale. C’est aussi une plongĂ©e dans l’AlgĂ©rie d’aujourd’hui comme on la voit peu dans le cinĂ©ma grand public, assortie de visites

nocturnes dans des lieux insoupçonnĂ©s oĂč l’on se toise du regard sur fond de Julio Iglesias. Une immersion rĂ©ussie jusqu’au cƓur d’une citĂ© pauvre qui domine le quartier populaire de Bab El Oued et rappelle l’ambiance napolitaine de Gomorra. Il faut dire que le metteur en scĂšne, francoalgĂ©rien, a longuement travaillĂ© ce premier film (aprĂšs le clip du titre « Disco Maghreb » de DJ Snake, tournĂ© dans le mĂȘme quartier, et le court-mĂ©trage Un jour de mariage, remarquĂ© Ă  Cannes en 2018, dĂ©jĂ  sur le spleen d’un voyou Ă  Alger) : sept ans d’écriture, deux ans d’ateliers théùtre avec de jeunes AlgĂ©rois dĂ©sƓuvrĂ©s, qui ont un rĂŽle central dans le scĂ©nario. Le cinĂ©aste joue sur les contraires, entre le grouillement de la capitale et les Ă©chappĂ©es dans le dĂ©sert, entre les caractĂšres hauts en couleur des personnages et leurs Ă©motions en montagnes russes, mĂ©lange d’exubĂ©rance et de pudeur. Une tragicomĂ©die trĂšs mĂ©diterranĂ©enne, portĂ©e par un duo d’acteurs virtuoses. ■ Jean-Marie

AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023 11
DR (2)
Un premier film qui FAIT DES ÉTINCELLES jusque dans le dĂ©sert. Sur fond de trafic de cocaĂŻne, il y a du Tarantino dans cette cavale de truands, rejoints par une ouvriĂšre Ă  la forte tĂȘte.
OMAR LA FRAISE (France), d’Elias Belkeddar. Avec Reda Kateb, Benoüt Magimel, Meriem Amiar. En salles.
CINÉMA
Chazeau Reda Kateb et Benoßt Magimel interprÚtent brillamment un duo de bandits recherchés.

PETER ONE NASHVILLE VIBES

C’EST UN RETOUR inespĂ©rĂ© pour ceux qui connaissent (et apprĂ©cient) Our Garden Needs Its Flowers. EnregistrĂ© en CĂŽte d’Ivoire par Jess Sah Bi et Peter One il y a bientĂŽt quarante ans, ce disque folk a remportĂ© tant de succĂšs qu’en 1990, le duo signa l’hymne « African Chant », diffusĂ© sur la BBC le jour de la libĂ©ration de Nelson Mandela. Puis plus rien, ou presque. Jusqu’à la parution ce printemps du superbe – et bien nommĂ© – Come Back to Me. InstallĂ© depuis trois dĂ©cennies aux États-Unis, Peter One s’y exprime en anglais, en français
 ou en guro ! « L’anglais et le français sont nĂ©cessaires pour toucher un public international, confie-t-il. TrĂšs tĂŽt, j’ai rĂȘvĂ© que ma musique soit Ă©coutĂ©e au-delĂ  de ma communautĂ© originelle. Mais chanter en guro m’est naturel, et il me semble honnĂȘte, en tant que citoyen amĂ©ricain, de rester moi-mĂȘme et de contribuer Ă  la riche diversitĂ© de la culture amĂ©ricaine, au moins du point de vue musical. » À 67 ans, le voilĂ  auteur d’un premier album solo : « Lorsque Our Garden Needs Its Flowers a Ă©tĂ© rééditĂ© en 2018, il a attirĂ© l’attention de la communautĂ© musicale de Nashville. Cela tombait Ă  pic : j’essayais de trouver les bonnes personnes avec qui travailler depuis mon dĂ©mĂ©nagement dans le Tennessee, quelques annĂ©es plus tĂŽt. Je passais la plupart de mon temps Ă  Ă©crire de nouveaux morceaux

et Ă  arranger des anciens titres. Quand l’occasion s’est prĂ©sentĂ©e, j’étais prĂȘt ! » En 2019, le producteur Kevin Dailey lui propose d’enregistrer quelques titres. En dĂ©pit des confinements, le projet avance, et c’est entourĂ© de musiciens de Nashville et de Memphis que Peter One donne naissance Ă  cet album. Il tient nĂ©anmoins Ă  prĂ©ciser que la CĂŽte d’Ivoire influence toujours sa musique : « J’avais 39 ans quand j’ai quittĂ© mon pays, mais j’ai gardĂ© un lien avec ma famille. Je suis conscient de tous les changements sociaux, politiques et culturels qui s’y opĂšrent, mais aussi sur le continent : ils inspirent d’ailleurs mes chansons. Mais si je continue Ă  Ă©couter de la musique ivoirienne, je ne pense pas qu’elle m’influence autant que par le passĂ©. Je souhaite continuer Ă  explorer. » Et nous de le suivre. ■ S.R. PETER ONE, Come Back to Me, Verve Records. DR

ON EN PARLE 12 AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023
COUNTRY FOLK
CĂ©lĂ©brĂ© dans les annĂ©es 1980 en Afrique de l’Ouest, le GUITARISTE IVOIRIEN est retournĂ© en studio pour le superbe Come Back to Me. Classique instantanĂ©.
AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023 13

TINARIWEN JOIE DE VIVRE

DEPUIS QUELQUES ANNÉES, les membres de Tinariwen bĂ©nĂ©ficient d’une belle popularitĂ© sur le sol amĂ©ricain, oĂč ils ont dĂ©jĂ  enregistrĂ© des disques. Cette fois, pandĂ©mie oblige, c’est Ă  distance qu’ils ont collaborĂ© avec le producteur Daniel Lanois (collaborateur, entre autres, de Bob Dylan et Marianne Faithfull) et une brochette de musiciens Ă©mĂ©rites basĂ©s Ă  Nashville. Les sessions, elles, ont eu lieu au cƓur de l’oasis algĂ©rienne de Djanet. DĂ©cor idĂ©al pour cet Ă©crin portĂ© par une soif et une joie de vivre inextinguibles, alors que les troupes françaises se sont retirĂ©es du Mali, laissant place Ă  de nouvelles et incessantes menaces. Amatssou conjure la peur en convoquant des mĂ©lodies fĂ©dĂ©ratrices, Ă©lectriques, oĂč les voix se mĂȘlent autant que les cordes flirtent avec les rythmiques. Un bijou hypnotique, aussi country que touareg, fidĂšle Ă  la vitalitĂ© sonore du groupe. ■ S.R. TINARIWEN, Amatssou, Wedge/Warp. En concert Ă  la Salle Pleyel le 28 juin.

THRILLER

LA VIE, APRÈS

Un rĂ©cit ÉCOLOGIQUE

TROUBLANT, écrit huit ans avant la pandémie de Covid-19.

SOMMES-NOUS au seuil de la sixiĂšme extinction de masse, la premiĂšre causĂ©e par l’homme ? Poursuivant dans le genre littĂ©raire qui a fait son succĂšs, Gert Nygardshaug (Zoo de Mengele) revient avec un « Ă©co-thriller-SF », d’une actualitĂ© brĂ»lante, enfin traduit en français. Redoutable d’efficacitĂ©, impressionnant dans sa prĂ©cision scientifique et tĂ©tanisant dans sa façon d’aborder l’influence de l’homme sur la nature, ce roman d’anticipation plonge le lecteur dans un monde qui poursuit une course folle vers son dĂ©clin, entre crise Ă©cologique et crise Ă©conomique. TrĂšs concernĂ© par la cause environnementale, l’écrivain-voyageur prolifique norvĂ©gien, tour Ă  tour bĂ»cheron, charpentier, marin, conseiller municipal et professeur de philosophie, met en scĂšne une Ă©quipe de scientifiques dans une forĂȘt tropicale du Congo, en 2030, aux prises avec un virus redoutable, qu’ils vont nommer Chimera. Mais lĂ  oĂč certains y voient une chose monstrueuse et une menace sans prĂ©cĂ©dent, d’autres entrevoient une lueur d’espoir pour la planĂšte
 Saisissant. ■ C.F.

ON EN PARLE 14 AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023
GERT NYGARDSHAUG, Chimera, Gaïa, 496 pages, 23,90 €. MARIE PLANEILLEDR (3)
C’est avec un disque hypnotique et fĂ©dĂ©rateur que nous revient le GROUPE TOUAREG.
BLUES

« ARTISTES VOYAGEUSES :

L’APPEL DES LOINTAINS (1880-1944) », musĂ©e de Pont-Aven (France), du 24 juin au 5 novembre. museepontaven.fr

EXPO

LE REGARD DES FEMMES

Au musĂ©e de Pont-Aven, plus de 150 Ɠuvres de 30 ARTISTES VOYAGEUSES donnent une autre vision de l’Empire colonial français.

AVEC « Artistes voyageuses : L’Appel des lointains (1880-1944) », le musĂ©e de Pont-Aven, en Bretagne, met en lumiĂšre le travail peu connu d’une trentaine de femmes qui se sont affirmĂ©es professionnellement entre la Belle Époque et la Seconde Guerre mondiale, tout en parcourant le monde. À la fin du XIXe siĂšcle, elles obtiennent des bourses de voyage, mais aussi des commandes pour les compagnies maritimes : Jeanne Thil, par exemple, travaille pendant plus de trente ans pour la Compagnie gĂ©nĂ©rale transatlantique, et la photographe ThĂ©rĂšse Le Prat pour la Compagnie des messageries maritimes. Leurs crĂ©ations retracent l’expansion française au Maghreb, en Afrique occidentale, en Asie du Sud-Est, et au-delĂ . Un monde colonisĂ© qu’elles observent avec un regard moins raciste et caricatural que leurs collĂšgues hommes, n’hĂ©sitant pas Ă  se rapprocher des populations locales, comme en tĂ©moignent les nombreux portraits et scĂšnes de vie quotidienne. Parmi les femmes parcourant l’Afrique, la sculptrice Anna Quinquaud, la peintresse Marcelle Ackein ou encore la photographe engagĂ©e Lucie Cousturier, seule artiste Ă  critiquer la vision « civilisatrice » de la colonisation, dĂšs les annĂ©es 1920. ■ Luisa

AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023 15 DR (3)
Jeanne Thil, Affiche transsaharienne, vers 1930. Marthe Flandrin, Deux femmes au Maroc ou Les Deux SƓurs, 1943-1944.

PHOTOGRAPHIE

STÉPHAN GLADIEU LE RÉEL EN QUESTION

Ritualisés ou détournés, les COSTUMES ET MASQUES

AFRICAINS capturĂ©s par l’artiste français interrogent le rapport entre l’identitĂ© et l’apparence.

DEUX SÉRIES du photographe StĂ©phan Gladieu sont exposĂ©es simultanĂ©ment dans le deuxiĂšme plus important musĂ©e ethnologique d’Allemagne, aprĂšs celui de Berlin. PassionnĂ© par la notion de frontiĂšres, l’artiste-reporter a passĂ© de nombreuses annĂ©es Ă  arpenter les zones de crise, avant de s’orienter vers le portrait, pour tĂ©moigner des conditions de vie des gens. Alliant un style documentaire Ă  une recherche esthĂ©tique, et mĂȘlant rĂ©alitĂ© et fiction, il interroge ainsi les questions d’identitĂ©, mais Ă©galement les dĂ©fis personnels et sociĂ©taux. Prise au BĂ©nin et en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, la cinquantaine de clichĂ©s prĂ©sentĂ©e explore l’importance des danses masquĂ©es en Afrique, dans lesquelles passĂ© et prĂ©sent s’interpĂ©nĂštrent. La sĂ©rie Egungun donne Ă  voir une sociĂ©tĂ© secrĂšte bĂ©ninoise, oĂč le rite de l’Egoun honore les morts et les fait revenir parmi les vivants. Tandis qu’Homo DĂ©tritus pointe les effets de la sociĂ©tĂ© (occidentale) de consommation et du jetable Ă  Kinshasa, Ă  travers des camouflages fabriquĂ©s Ă  base de dĂ©tritus. ■ C.F. « FROM MYSTIC TO PLASTIC. AFRICAN MASKS.

PHOTOGRAPHS BY STÉPHAN GLADIEU », MusĂ©e national d’ethnologie de Munich (Allemagne), jusqu’au 6 aoĂ»t. museum-fuenf-kontinente.de

ON EN PARLE 16 AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023
STÉPHAN GLADIEU (2)DR
Sa sĂ©rie Homo DĂ©tritus pointe les effets de la sociĂ©tĂ© occidentale du gaspillage à Kinshasa. Ci-dessus, « L’Homme gobelet », 2021, et ci-dessous, « L’Homme bidon », 2022.

AFRICAN QUEEN

SÉRIE Netflix a fĂąchĂ© l’Égypte en produisant un docu-fiction mettant en scĂšne une CLÉOPÂTRE NOIRE


L’IDÉE ÉTAIT ASSUMÉE dĂšs le dĂ©part par l’historienne afro-amĂ©ricaine Shelley Haley, se rappelant les paroles de sa mĂšre : « Quoi qu’on te dise Ă  l’école, ClĂ©opĂątre Ă©tait noire. » Un documentaire de la BBC en 2009 avait d’ailleurs repris cette thĂšse sur la base de nouvelles dĂ©couvertes. Dans le docu-fiction produit par Jada Pinkett Smith pour Netflix, la derniĂšre pharaonne, issue de la dynastie d’origine grecque des PtolĂ©mĂ©es, est incarnĂ©e avec autoritĂ© par la comĂ©dienne mĂ©tisse britannique Adele James, « un choix politique » a expliquĂ© depuis la rĂ©alisatrice Tina Gharavi. Interventions d’historiens et reconstitutions alternent efficacement pour raconter son Ă©popĂ©e, entre pĂ©plum et diplomatie d’alcĂŽve


Mais les autoritĂ©s du Caire n’ont pas apprĂ©ciĂ© que l’on utilise ainsi « leur » reine et ont fait la promotion du documentaire Cleopatra, de Curtis Ryan Woodside, sorti le mĂȘme jour sur YouTube. Le cinĂ©aste Ă©gyptien Mahmoud Rashad y souligne que « se rĂ©fĂ©rer ainsi Ă  une culture ou une civilisation noire a surtout Ă  voir avec l’histoire amĂ©ricaine, pas avec l’histoire de l’Afrique ». Ce qui n’enlĂšve rien Ă  l’intĂ©rĂȘt de cette sĂ©rie en 4 Ă©pisodes, qui rappelle que la fille de ClĂ©opĂątre a Ă©pousĂ© le roi de MaurĂ©tanie (ancien royaume du Maghreb) et est devenue, Ă  son tour, une authentique reine africaine. ■ J.-M.C. LA REINE CLÉOPÂTRE (États-Unis), de Jada Pinkett Smith. Avec Adele James, Craig Russell. Sur Netfl ix.

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COURTESY OF NETFLIX

DOCUMENTAIRE

À LA RENCONTRE DU FAUSSAIRE

QUAND ON TAPE sur Facebook le nom d’Armel Hostiou, on tombe sur deux profils pour le mĂȘme homme, un rĂ©alisateur français installĂ© Ă  Paris, breton d’origine. Sauf que l’un des deux comptes est un faux, avec de vraies photos du cinĂ©aste, mais conçu par un petit malin promettant des sĂ©ances de casting Ă  Kinshasa pour un projet de film, dans le but d’attirer de jeunes et jolies comĂ©diennes
 Un bon dĂ©but de scĂ©nario qui dĂ©cide le vrai Armel Hostiou Ă  partir Ă  la recherche du faussaire. Autant « chercher une fourmi dans la forĂȘt », lui dit-on Ă  son arrivĂ©e dans la rĂ©sidence d’artistes du quartier de Matonge qui l’accueille. Une quĂȘte impossible commence dans la mĂ©gapole, progressant au fil des rencontres sur la piste de ce double, tournant au polar

COURTS-MÉTRAGES

et se poursuivant parfois en camĂ©ra cachĂ©e
 Quel but, quel trafic possible derriĂšre tout ça ? Qui manipule qui ? Le cinĂ©aste nous embarque avec lui dans un suspens trĂšs rĂ©ussi, Ă  la rencontre des victimes de la supercherie et Ă  la poursuite des responsables
 On notera les superbes plans de soleil couchant sur Kinshasa pris de l’intĂ©rieur d’une voiture, tant il faut rouler longtemps dans cette immense agglomĂ©ration pour traquer l’usurpateur
 Et l’attitude trĂšs Ă©thique du rĂ©alisateur, qui s’est fait un point d’honneur Ă  « ne jamais ĂȘtre dans une position surplombante ou de juger » : « Mon optique Ă©tait toujours de comprendre. » Un voyage plein de surprises
 ■ J.-M.C. LE VRAI DU FAUX (France),d’Armel Hostiou. En salles.

LES NOUVEAUX GRIOTS À l’heure

oĂč les traditions orales se perdent sur le continent, Netflix et l’Unesco se sont alliĂ©s pour rĂ©inventer les contes africains sous forme de courts-mĂ©trages. Un concours a vu affluer 2 000 candidatures pour six projets retenus et financĂ©s avec d’importants moyens (100 000 dollars chacun). ParitĂ© respectĂ©e entre ces cinĂ©astes Ă©mergents, mĂȘme si les femmes sont au cƓur des scĂ©narios. Des rĂ©cits qui empruntent Ă  tous les genres, du western Ă  la SF, pour mieux y introduire des personnages de lĂ©gendes transmises de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration. Une divinitĂ© zouloue des riviĂšres, le Djinn du dĂ©saccord (titre du trĂšs beau film du Mauritanien Mohamed Echkouna, seul francophone), un oiseau de pluie, ou mĂȘme un ogre au cƓur de violences conjugales, puisent dans un imaginaire commun Ă  tout un continent, mis Ă  la portĂ©e de 190 pays via la plate-forme de streaming. ■ J.-M.C.

CONTES POPULAIRES AFRICAINS RÉINVENTÉS (Unesco), de Loukman Ali, Korede Azeez, Voline Ogutu, Mohamed Echkouna, Walt Mzengi Corey et Gcobisa Yako. Sur Netflix. DR

ON EN PARLE 18 AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023
Un rĂ©alisateur français part Ă  Kinshasa en quĂȘte de celui qui a usurpĂ© son identitĂ© sur Facebook pour mieux ATTIRER DE JEUNES COMÉDIENNES dans de faux castings

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LES UNS ET LES AUTRES

« C’EST UN DOUX CHAOS, depuis que tu es entrĂ© dans ma vie, mes rĂȘves, mon avenir, tout a changĂ©. » « Sweet Chaos », c’est d’abord le nom d’une chanson, sortie en 2019, d’un boys band corĂ©en de rock, Day6. Branle-bas et plaisir tout Ă  la fois, presque une antinomie, Ă  l’image de la vie et de ses bouleversements. Rencontres et chassĂ©s-croisĂ©s traversent ainsi le nouveau roman, au titre homonyme, de Meryem Alaoui. Dans La vĂ©ritĂ© sort de la bouche du cheval, paru en 2018 et inspirĂ© par un quartier populaire de Casablanca bien connu de la Marocaine, elle dressait le portrait d’une prostituĂ©e au caractĂšre bien trempĂ© et avait eu l’honneur de le voir figurer parmi les 15 livres sĂ©lectionnĂ©s pour le prix Goncourt. Cette fois-ci, c’est Ă  Brooklyn que la fille du poĂšte et homme politique Driss Alaoui M’Dghari, expatriĂ©e aujourd’hui aux États-Unis, nous emmĂšne. « La rue, le cafĂ©, le bureau, la vie Ă©taient un jardin luxuriant dans lequel phĂ©romones et pollens pullulaient. » Dans ce roman choral, campĂ© dans un immeuble, oĂč une galerie bigarrĂ©e de personnages Ă©volue au fil des jours, des Ă©tages, des solitudes et des tĂȘte-Ă -tĂȘte, c’est un drĂŽle de monde que l’on dĂ©couvre. Presque avec indiscrĂ©tion. Les banalitĂ©s, les paradoxes, les vices et les sensibilitĂ©s de ce bestiaire humain se tĂ©lescopent sur les perrons, dans les escaliers ou derriĂšre les portes de la bĂątisse new-yorkaise, peuplĂ©e d’habitants de tous Ăąges et de toutes origines. À la croisĂ©e de FenĂȘtre sur cour, d’Alfred Hitchcock, de L’Immeuble Yacoubian, d’Alaa El Aswany, et de Les Heureux et les DamnĂ©s, de F. Scott Fitzgerald, ce curieux huis clos babylonien questionne le dĂ©sir, le lien, l’ennui, les Ă©garements. Et le quotidien dans une ville tentaculaire. Plus encore, il explore les mĂ©andres du couple, incarnĂ© par Riley et Graham, un duo trĂšs amoureux, Ă  la sexualitĂ© aventureuse : « Et les deux ferment les yeux. Ils ont le sourire aux lĂšvres, le conjoint contre le corps et leurs amants en tĂȘte. » À travers eux, c’est la libertĂ© et la folie de la ville qui se rĂ©vĂšlent. Une exploration du risque aussi. Et du regain. ■ C.F.

MERYEM ALAOUI, Sweet Chaos, Gallimard, 304 pages, 21 €.

MERYEM ALAOUI nous conte la vie fantasque d’un immeuble de Brooklyn, Ă  travers une savoureuse Ă©tude de mƓurs.
LITTÉRATURE
FRANCESCA MANTOVANIDR

Un Lion d’or pour Demas Nwoko

L’architecte, designer et artiste nigĂ©rian a Ă©tĂ© PRIMÉ À VENISE pour l’ensemble de sa carriĂšre.

LA BIENNALED’ARCHITECTURE de Venise et sa commissaire, Lesley Lokko, ont dĂ©cernĂ© le Lion d’or et consacrĂ© une petite mais prĂ©cieuse exposition Ă  Demas Nwoko, l’un des pionniers d’une esthĂ©tique africaine moderne, dont « l’hĂ©ritage immatĂ©riel est toujours en cours d’évaluation, comprĂ©hension, cĂ©lĂ©bration ». Fils d’un obi (roi) local, il est nĂ© Ă  Idumuje-Ugboko, dans le sud du Nigeria, en 1935. InspirĂ© par l’architecture du palais royal, il trouve rapidement sa vocation, mais la casquette de bĂątisseur ne lui suffisant pas, il se tourne vers les Beaux-Arts et Ă©tudie entre autres la scĂ©nographie Ă  Paris. Membre cofondateur de la cĂ©lĂšbre Zaria Art Society dans les annĂ©es 1960, il contribue au dĂ©veloppement d’une avant-garde postcoloniale dans son pays. Ses projets architecturaux, tel la chapelle de l’Institut dominicain Ă  Ibadan, anticipent, dĂšs les annĂ©es 1970, la pensĂ©e contemporaine, qui met au centre les matiĂšres et les cultures locales. ■ L.N.

RÉCIT

Paradis perdu

Rythmes endiablĂ©s et mixitĂ© dans l’un des hauts lieux de la fĂȘte parisienne de l’entre-deux-guerres.

« D’UN SEUL COUP, le Bal Blomet changea du tout au tout. Sa rĂ©putation dĂ©borda les frontiĂšres de Montparnasse, atteignit Saint-Germain-des-PrĂ©s et le Quartier latin. » C’est dans ce lieu mythique du Paris des AnnĂ©es folles que RaphaĂ«l Confiant, militant de la cause crĂ©ole, campe trois destins croisĂ©s d’exilĂ©s, sur fond de biguine, de valse et de mazurka. Trois personnages en quĂȘte d’amour et de plaisirs. Autour d’eux, c’est le Montparnasse de l’époque

ROMAN

Un mĂȘme Ă©lan

Une plongĂ©e enivrante, au cƓur d’une femme. Et de la Tunisie post-rĂ©volution.

SUR LA COUVERTURE du livre, une VĂ©nus marine, celle de Bulla Regia, site archĂ©ologique tunisien. Tout en mosaĂŻque, la dĂ©esse de l’amour, de la fĂ©conditĂ© et du renouveau se love, nue, entre deux crĂ©atures masculines. Gironde, Ă  la fois sensuelle et rĂ©solue, elle fixe le lointain, semblant indiquer d’autres possibles. De retour dans son pays natal, InĂšs, l’hĂ©roĂŻne du roman, est subjuguĂ©e par la splendeur de cette figure fĂ©minine, tĂ©moin d’une grandeur ancienne et regrettĂ©e. Au lendemain de la rĂ©volution, cette Tunisienne expatriĂ©e en Suisse replonge au cƓur de

RAPHAËL CONFIANT, Le Bal de la rue Blomet, Mercure de France, 272 pages, 21 €.

que la plume du conteur Martiniquais redessine. Au 33 rue Blomet, on croise JosĂ©phine Baker, Ernest Hemingway ou encore le prince de Galles. Dans le sillage de l’aventure de la citĂ© d’artistes La Ruche, le Bal NĂšgre, autre dĂ©nomination du cĂ©lĂšbre cabaret dansant et club de jazz, devient le rendez-vous incontournable d’intellectuels et d’anonymes. Il incarne, encore aujourd’hui, un pan de la mĂ©moire antillaise. ■ C.F.

FATMA

LA MAISONNEUVE, L’Odeur d’un homme, Au Pont 9, 208 pages, 19,90 €.

ses origines, dans l’un de ces rares moments oĂč s’épousent l’histoire des gens et le destin d’un pays. Resurgissent alors les traces d’un passĂ© enfoui et l’ardeur de racines intimes. Dans ce roman sensoriel, oĂč le monde des odeurs ouvre la voie, la psychiatre franco-tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve propose une double mĂ©tamorphose, celles d’un pays et d’une femme. ■ C.F.

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PORTRAIT
BOUVET DE
TITI OGUFEREDR (3)
La chapelle de l’Institut dominicain à Ibadan.

DE LA TRAITE NÉGRIÈRE À L’EFFLORESCENCE

UN VOYAGE au cƓur d’expĂ©riences, de crĂ©ations, de cultes et de toute une philosophie.

PRÉSENTÉE À SÃO PAULO, puis Ă  Houston, Dallas et Washington, cette exposition a traversĂ© le continent amĂ©ricain d’est en ouest, pour finalement s’installer Ă  Los Angeles, Ă  l’opposĂ© du littoral atlantique, terre d’accostage des navires du commerce triangulaire, entre le XVIe et le XIXe siĂšcle. S’intĂ©ressant tout particuliĂšrement Ă  la dĂ©portation d’esclaves noirs, elle approfondit la narration de la traite occidentale et explore son hĂ©ritage dans la diaspora africaine. Plus de 130 Ɠuvres (peintures, sculptures, photographies et installations) d’artistes africains, europĂ©ens, amĂ©ricains et caribĂ©ens raniment ainsi l’histoire, en donnant vie aux rĂ©cits de captivitĂ©, d’oppression, mais Ă©galement de rĂ©silience et de lutte pour la libĂ©ration. Une gĂ©ographie sans frontiĂšres, motivĂ©e par le dĂ©sir et la nĂ©cessitĂ© d’établir des parallĂšles, des frictions et des dialogues, autour des cultures visuelles des territoires afro-atlantiques. Et un champ fluide, oĂč les expĂ©riences africaines envahissent et occupent d’autres nations, territoires et cultures. ■ C.F.

AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023 21
Marilyn Nance, The White Eagles, Black Indians of New Orleans, 1980.
HISTOIRE
ophie.
e, les, 1980.
sition n de ricains, ux récits ration. s toires t
« AFRO-ATLANTIC HISTORIES », musĂ©e d’Art du comtĂ© de Los Angeles (LACMA, États-Unis), jusqu’au 10 septembre. lacma.org
Djanira da Motta e Silva, Bahian Market, 1956.
(3)
Alison Saar, Fanning the Fire II, 1989.
DR

SPOTS

EN HAUT DE L’AFFICHE

UN RESTO NIGÉRIAN nichĂ© dans un ancien salon de coiffure de Brooklyn fait saliver le Tout-New York : le Dept of Culture (« ministĂšre de la Culture »), lancĂ© Ă  Brooklyn en 2022 par Ayo Balogun, pourrait d’ailleurs remporter ce mois-ci le prix amĂ©ricain James Beard du meilleur nouveau restaurant. L’idĂ©e du chef, ancien vidĂ©o maker reconverti Ă  la cuisine en 2015, Ă©tait de faire petit (16 couverts Ă  peine) mais puissant : en somme, un lieu oĂč mettre en valeur des plats du Nigeria avec dignitĂ©, sans chichis ni extravagances. La carte change en partie toutes les trois semaines, avec une attention portĂ©e Ă  la saisonnalitĂ© des ingrĂ©dients, en fonction des arrivages du continent, et en s’inspirant des histoires derriĂšre les recettes, qu’il partage avec ses clients. Comme celle du wara, un fromage peul, tel qu’il est fait dans l’État du Kwara, oĂč habite sa famille. Attention : les places sont trĂšs prisĂ©es ! deptofculturebk.com

Une autre valeur sûre : Le Tagine, pour les amoureux de la cuisine marocaine. Seul restaurant africain de Paris à paraßtre dans le palmarÚs des 50 meilleurs spots de la capitale du Time Out, cette cantine du 11e arrondissement

arrive selon le mĂ©dia londonien en 15e position, aux cĂŽtĂ©s de bistrots gastronomiques et autres restaurants d’auteur. Ouvert il y a bientĂŽt quarante et un ans et rĂ©putĂ© pour son couscous, le meilleur tradi de Paris, Le Tagine propose toujours des plats faits maison, y compris le pain et les pĂątisseries, Ă  dĂ©guster bien sĂ»r en sirotant un dĂ©licieux thĂ© Ă  la menthe. letagine.fr ■ L.N.

22 AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023
DAVID A. LEE (2)DR (2)
Deux adresses qui se font remarquer, de CHAQUE CÔTÉ DE L’ATLANTIQUE : un nouveau restaurant new-yorkais trĂšs prisĂ© et une incontournable cantine parisienne.
Ci-contre, le Dept of Culture est un petit restaurant nigérian niché dans un ancien salon de coiffure de Brooklyn. Ci-dessous, Le Tagine régale les amoureux de la cuisine marocaine.

Ahokpe+Chatelin,

le mélange des cultures

« BON TRAVAIL » : c’est ce que signifie Ku do azĂČ en fongbĂš, le nom du hamac que la designeuse textile belge Estelle Chatelin et son associĂ© et tisserand bĂ©ninois Georges Ahokpe ont prĂ©sentĂ© lors du SaloneSatellite, la section du Salon du meuble de Milan dĂ©diĂ©e aux jeunes Ă©mergents. Parmi la centaine de projets sĂ©lectionnĂ©s pour cette 12e Ă©dition, ce « bon travail » leur a valu la troisiĂšme place du podium. Créé Ă  partir de vieux pulls en provenance d’Europe dĂ©nichĂ©s sur les marchĂ©s bĂ©ninois, dĂ©tricotĂ©s et retissĂ©s Ă  l’aide d’un mĂ©tier Ă  tisser traditionnel, le hamac a Ă©tĂ© imaginĂ© en s’adaptant aux moyens de production. Les machines bĂ©ninoises

ne permettant de ne crĂ©er que des bandes de tissu de la largeur des Ă©paules du tisserand, les designers ont dĂ©fini la forme du hamac en jouant avec ces derniĂšres. Ouverte Ă  Bruxelles en 2021, l’agence Ahokpe+Chatelin a pour base de travail la cocrĂ©ation : l’idĂ©e est de mĂ©langer les cultures, en mixant le lieu d’origine de l’objet, celui des matiĂšres employĂ©es, et les pays de production et de commercialisation. Le hamac, qui est vendu partout au BĂ©nin, sera cette fois-ci proposĂ© en Europe. couperdecalertravailler.com ■ L.N.

DESIGN
Ce couple belgo-bĂ©ninois fabrique un HAMAC TISSÉ Ă  partir de pulls dĂ©fraĂźchis europĂ©ens.
LUCAS DENUWELAERE

OLOOH, JEUNE ET URBAINE

La MARQUE ABIDJANAISE

KADER DIABY, ancien photographe Ă  la tĂȘte depuis 2018 de son propre label, Olooh, travaille d’arrache-pied Ă  sa nouvelle collection depuis Abidjan. Il a Ă©tĂ© invitĂ© Ă  prĂ©senter son travail au salon de la mode Pitti Uomo, Ă  la mi-juin, dans le cadre du Material Innovation Lab (MIL), un projet de Kering visant Ă  promouvoir 10 labels Ă©mergents et innovants. Jusque-lĂ  accessible uniquement aux crĂ©atifs du groupe de luxe, le MIL s’est ouvert dans l’optique de permettre aux jeunes designers d’expĂ©rimenter avec sa bibliothĂšque de prototypes de matĂ©riaux durables. Kader Diaby, qui utilise d’habitude du coton et du lin blancs qu’il teint en pastel, a Ă©tĂ© sĂ©duit par une nouvelle teinture. Avec la designeuse textile Johanna Bramble, experte en pagne tissĂ© moderne, il prĂ©pare une collection qui « explore ce qui aurait pu ĂȘtre le design africain sans la colonisation. Par exemple, en dĂ©veloppant des techniques locales, comme cela a Ă©tĂ© le cas au Japon ». Une vision d’un « monde parallĂšle », qui s’inscrit dans son

parcours crĂ©atif. C’est pour exprimer l’esthĂ©tique abidjanaise, dans un Ă©lan inventif qui a tout de suite trouvĂ© son public, qu’il a commencĂ© Ă  dessiner des vĂȘtements. Le lifestyle de Babi, sa culture urbaine nourrissent ses collections adaptĂ©es Ă  une jeunesse proche de ses traditions mais connectĂ©e Ă  la contemporanĂ©itĂ©. Des piĂšces qui s’inspirent et racontent des histoires collectives, d’oĂč le nom de la marque, Olooh, qui signifie « notre » en sĂ©noufo. Les ensembles, les pantalons, les sweats Ă  capuche et les premiĂšres robes plus fĂ©minines de sa derniĂšre ligne, « The new thirtysomethings years old », sont faits pour s’y sentir Ă  l’aise, que l’on sorte en soirĂ©e ou parte travailler. Le styliste ivoirien, qui aime les nuances de bleu, rose, noir et marron, propose principalement des crĂ©ations monochromes, qui s’allient facilement les unes aux autres. Enrichies par des dĂ©tails dĂ©concertants, comme des boutons en laiton et bronze ciselĂ©s artisanalement Ă  partir d’anciennes tuyauteries. olooh-concept.com ■ L.N.

ON EN PARLE 24 AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023 DR (5)
MODE
s’inspire du lifestyle et de la culture de la ville dans ses crĂ©ations.
Le label ivoirien propose principalement des piÚces monochromes, dans des nuances de bleu, rose, noir et marron.
Le styliste Kader Diaby.

L’harmonie des contrastes

Une villa sur la corniche de LA MARSA, EN TUNISIE, oĂč les matiĂšres et les volumes s’allient dans une simplicitĂ© complexe.

KARIM BEN AMOR et Emna Bouraoui ont créé l’Atelier 13 Ă  La Marsa, il y a vingt ans. Avec une petite Ă©quipe de collaborateurs, ils dessinent essentiellement des habitations individuelles selon l’architecture mĂ©diterranĂ©enne, prenant en compte le cadre propre Ă  chaque projet. Dans le cas de Torchida, une villa sur la corniche de La Marsa livrĂ©e en 2022, le travail sur trois niveaux valorise la vue sur la mer et laisse

plus de place au jardin. Chaque Ă©tage utilise de façon diffĂ©rente la matiĂšre et les textures. Au rez-de-jardin, oĂč les chambres des invitĂ©s et des enfants sont abritĂ©es des regards par des murs blancs, le revĂȘtement en cĂ©ramique Ă©voque un cĂŽtĂ© minĂ©ral. La transparence du verre prend le relais au rez-de-chaussĂ©e, dans la zone jour avec cuisine ouverte, et la piscine suspendue permet de prendre de la hauteur sur la mer sans encombrer la pelouse. Le troisiĂšme niveau dĂ©tonne du reste : la succession de lattes en bois qui le recouvre accentue l’effet cabane, et contraste avec la blancheur de la villa. Construit en plan libre, il s’affranchit de la trame du bĂątiment pour rentrer dans l’axe de l’üle de Zembra. La complexe harmonisation de chaque dĂ©tail, comme l’alternance des pleins et des vides dans la structure, donne vie Ă  un ensemble Ă©quilibrĂ©. atelier13.net ■ L.N.

ARCHI
DR

Mille Desirs

L’ARTISTE, QUI A GRANDI ENTRE ABIDJAN, Nancy et Londres, se joue des genres et des normes pour embrasser ses multiples identitĂ©s. Son premier disque offre une pop inclassable, libre et fiĂ©vreuse, nourrie de ses questions existentielles. par Astrid

Un premier disque, tel un rite qui marque le passage dĂ©licat Ă  l’ñge adulte. Dans son introspectif EP, le chanteur et compositeur Mille Desirs puise dans ses blessures nĂ©es de sa premiĂšre rupture amoureuse, ses dĂ©sillusions, et explore ses questionnements identitaires. « Avant cette relation, je fantasmais, j’idĂ©alisais l’amour. Toute ma vie, je l’ai attendu, convaincu que c’était la seule chose qui me rendrait heureux. Mais j’ai compris que j’avais besoin de plus », dĂ©sosse l’artiste nĂ© en 2001 Ă  Abidjan, et qui prĂ©fĂšre taire son nom civil. Sa musique hybride – « car je le suis de par mon identitĂ© queer, noire » – est une envoĂ»tante pop croisant Ă©nergie rock, sensualitĂ© R’n’B et textures Ă©lectro tantĂŽt planantes, tantĂŽt rugueuses. Tout feu tout flamme, quitte Ă  se brĂ»ler les ailes, cet ancien fĂȘtard s’est enivrĂ©, Ă©tourdi dans les nuits fiĂ©vreuses de Berlin ou de Paris, Ă©garĂ© parfois dans les mĂ©andres du dĂ©sir et des paradis artificiels. Entre amour et attirance, la frontiĂšre est trompeuse, a-t-il appris, une confusion des sentiments qui titre l’EP, Lust & Love (« luxure & amour »).

Ayant quittĂ© la CĂŽte d’Ivoire Ă  3 ans avec sa mĂšre, Mille Desirs a grandi au sein d’une communautĂ© Ă©vangĂ©liste Ă  Nancy, dans l’est de la France. C’est en chantant des piĂšces religieuses (voix/piano) que naĂźt sa passion pour la musique. Frank Ocean, Lana Del Rey et Yellow Days bercent son adolescence solitaire. Plus qu’un rĂ©confort, la musique lui apporte une sĂ©curitĂ© intĂ©rieure : « Tel le cĂąlin d’une mĂšre, elle Ă©tait un repĂšre essentiel. Je me sentais entourĂ©, compris. » À 17 ans, il quitte sa communautĂ© religieuse. « Ma vĂ©ritable foi, c’est la musique. » Cible de harcĂšlements, Ă©touffant dans une ville pas taillĂ©e Ă  la mesure de ses ambitions, cet Ă©pris de libertĂ© part aux États-Unis, puis rapidement Ă  Londres poursuivre sa scolaritĂ© au sein de sa famille maternelle : « C’était trĂšs dur d’allier mes diffĂ©rentes identitĂ©s, de les vivre, de devoir les justifier aux autres. Je n’étais pas le mĂȘme Ă  l’école, Ă  l’église, Ă  la maison, dans la rue. Je suis parti pour me rĂ©parer, me rĂ©inventer. J’ai toujours suivi mon instinct. Et ma mĂšre m’a toujours fait confiance. »

AprĂšs des Ă©tudes de psychologie, puis un double cursus en philosophie et en sociologie, cet autodidacte dĂ©sormais Ă©tabli Ă  Paris a dĂ©sertĂ© les bancs de l’universitĂ© pour se consacrer pleinement Ă  la crĂ©ation musicale. « J’ai enfin trouvĂ© la raison pour laquelle je suis sur terre. Les Ă©motions, les expĂ©riences intenses, dĂ©bordantes, je peux dĂ©sormais les Ă©crire, les chanter et m’en libĂ©rer. GrĂące Ă  la musique, je ne me sens plus seul. » Actuellement Ă©tudiant dans une Ă©cole oĂč il apprend notamment le piano, il pratique aussi le voguing, cette danse Ă©mancipatrice nĂ©e aux États-Unis dans les annĂ©es 1960 au sein de la communautĂ© LGBT+ noire et latino : « C’était inĂ©vitable dans mon parcours de personne non-binaire. » Le militantisme est une pierre angulaire de sa construction identitaire : « Je n’ai pas eu le choix. TrĂšs jeune, on m’a fait comprendre que ces multiples pans de mon identitĂ© me rendaient diffĂ©rent. Or, je ne suis pas obligĂ© de choisir. J’ai le droit d’ĂȘtre toutes ces versions de moi-mĂȘme. » Mille Desirs, mille identitĂ©s. ■

PARCOURS 26 AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023
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Lust & Love, La Couveuse.
«Je ne suis pas obligé de choisir.
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J’ai le droit d’ĂȘtre toutes ces versions de moi-mĂȘme.»

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MAUDITE PALME


Le sujet fait de plus en plus jaser dans le milieu. Un peu Ă  juste titre. On dĂ©nonce une opĂ©ration « bashing » du cinĂ©ma africain en Occident, plus particuliĂšrement en France, et encore plus prĂ©cisĂ©ment Ă  Cannes, oĂč a lieu chaque annĂ©e le prestigieux festival de cinĂ©ma international. Car en mai dernier, tous les espoirs Ă©taient permis, avec deux longs-mĂ©trages issus du continent en compĂ©tition pour le Graal : Les Filles d’Olfa, de la Tunisienne Kaouther Ben Hania, et Banel et Adama, de la Franco-SĂ©nĂ©galaise Ramata-Toulaye Sy. Premier film tunisien en compĂ©tition depuis 1970, et premier sĂ©nĂ©galais depuis 2019. En gros, moins d’une quinzaine de films africains, du nord au sud, ont Ă©tĂ© en lice pour la Palme depuis le dĂ©but du festival en 1946
 Et un seul l’a gagnĂ©e, en 1975 : Chronique des annĂ©es de braise, de l’AlgĂ©rien Mohammed Lakhdar-Hamina ! Depuis, que des espoirs déçus, dont ceux d’Abderrahmane Sissako en 2014, Mati Diop en 2019, Nabil Ayouch et Mahamat-Saleh Haroun en 2021. Bref, que se passe-t-il ? Les films du continent n’intĂ©ressent-ils personne ? Sont-ils vraiment Ă  la hauteur des critĂšres et des attentes internationales ? Le dĂ©bat est ouvert. Et soyons francs, pour un cinĂ©ma qui n’est distribuĂ© nulle part et tourne de festival africain en festival africain, comment s’étonner d’une telle situation ? Mais au-delĂ  d’un « bashing » des images issues du continent, fort peu motivĂ© Ă  mon sens, on doit plutĂŽt s’interroger sur la question financiĂšre et commerciale.

Le nerf de la guerre, on le sait, c’est l’argent. Or, les budgets allouĂ©s Ă  ces longs-mĂ©trages sont faibles, et s’affaiblissent d’annĂ©e en annĂ©e. Les circuits de distribution, y compris en Afrique, ont exclu les images locales suite Ă  la fermeture des salles les unes aprĂšs les autres. RĂ©sultat : le nombre de productions baisse aussi, faute de moyens. PhĂ©nomĂšne corollaire, les États africains ne soutiennent pas, ou moins – voire plus du tout – leurs images. Autres prioritĂ©s, coups d’État, pauvretĂ©, etc. Et les producteurs privĂ©s ne se bousculent pas au portillon non plus. Pourquoi financer des films qui ne sont pas reconnus, vus, distribuĂ©s ? Et le serpent se mord la queue.

AprĂšs, on peut voir le positif : deux films africains sĂ©lectionnĂ©s en 2023, mĂȘme sans prix, au final, c’est un bon signe. Signe qu’il faut s’accrocher, continuer Ă  prĂ©senter des films toujours meilleurs et, un jour, l’un d’entre eux s’imposera. Et un « jury des jurys » cannois montrera, comme en 1975, qu’a priori, on n’a rien contre l’Afrique, ses sujets, son univers, sa maniĂšre de filmer. Mais lĂ  encore, ce sera Ă  elle de convaincre. Et au continent entier, privĂ© comme public, de soutenir son 7e art avec carrĂ©ment plus de vigueur. ■

AFRIQUE MAGAZINE I 441 – JUIN 2023 29
C’EST COMMENT ? DOM
PAR EMMANUELLE PONTIÉ

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