Bruits de Palais N°88

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LA REVUE DE PALAIS DES THÉS

Numéro 88

Hiver 2023

Le pu erh est le plus souvent compressĂ© en galette avant d’ĂȘtre emballĂ© dans une feuille de papier de riz.

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Dans le nord de la ThaĂŻlande, cette femme de l’ethnie Karen prĂ©lĂšve sur de vieux thĂ©iers les jeunes pousses qui permettront la fabrication du Mao Cha.

Pour une consommation de thé durable

Nous avons la joie de vous accompagner dans votre dĂ©couverte du thĂ© au quotidien. Nous souhaitons le faire en prĂ©servant notre environnement, les Ă©cosystĂšmes qui nous entourent et la terre dont le thĂ© est issu. Chaque geste a un impact et toutes les Ă©quipes de Palais des ThĂ©s se mobilisent pour que le monde de demain soit un peu plus proche de notre idĂ©al : un monde plus responsable, ouvert, oĂč le partage ait une place prĂ©pondĂ©rante.

Nous avons d’ores et dĂ©jĂ  pris des initiatives qui nous engagent sur le long terme. Dans les pays de thĂ©, nous accompagnons certains producteurs dans la transition de leur exploitation vers la culture bio. Tendre vers le zĂ©ro plastique dans l’ensemble de notre offre, vous proposer des thĂ©s d’origine et des crĂ©ations parfumĂ©es 100 % bio, et viser la neutralitĂ© carbone font partie de nos objectifs à horizon 2026.

GrĂące Ă  vous, nous pouvons aller encore plus loin. Comment ? En privilĂ©giant l’usage de contenants rĂ©utilisables pour conserver les thĂ©s et infusions que nous vous proposons, ou encore en ne chauffant que la quantitĂ© d’eau dont vous avez besoin pour dĂ©guster votre thĂ©. En effet, le bilan carbone d’une tasse de thĂ© dĂ©pend pour prĂšs de la moitiĂ© de la maniĂšre de le prĂ©parer ; en évaluant bien la quantitĂ© d’eau et en la chauffant à la bonne tempĂ©rature, vous nous aiderez Ă  le rĂ©duire !

Tous nos gestes comptent, et c’est ensemble que nous pourrons faire de la dĂ©gustation de thĂ© une consommation plus responsable et contribuer à l’écriture d’un futur engagĂ©, raisonnĂ© et enthousiasmant.

ÉDITORIAL
L’équipe
Palais des Thés En couv Ertur E

CULTURE

UN GRAND CRU, UN MASTER TEA SOMMELIER

CONTRIBUTEURS

Léo Perrin

Léo parcourt les plantations de thé pour sélectionner les meilleurs crus et transmet avec passion le fruit de ses voyages et de ses rencontres.

Paul Roudez

Master Tea Sommelier, Paul est formateur à l’École du thĂ©. De ses études d’histoire, il a gardĂ© le goĂ»t de la transmission.

Laetitia Portois

Laetitia aime particuliÚrement les thés verts japonais. Elle a plaisir à raconter des histoires et fait chaque jour de son métier une passion.

Perrin Des thés sombres au pays du Dragon 6
Thés et mets, des affinités partagées 14
CARNET DE VOYAGE Par Léo
PLANÈTE THÉ
Cuisiner le thé, cuisiner
thé
PLANÈTE THÉ
au
17
Le thé sombre, le thé du temps qui passe 20
THÉ Par Laetitia Portois
Paul Roudez La dégustation du Mao Cha de Cao Bo 26
Robert Fortune, l’espion du thĂ© 30
Par
RACONTEZ-MOI
Flower,
fine feuille des darjeeling de printemps
Toute l’actualitĂ© du Palais 34
THÉ
Madeleine au thĂ© Le Temps RetrouvĂ© 28 NumĂ©ro 88 ‱ Hiver 2023
THÉ D’EXCEPTION Himalayan
la
32 ÉBRUITÉ
DU
EN CUISINE
SOMMAIRE

Des thés sombres au pays du Dragon

Presque quatre annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es depuis mon dernier voyage au Vietnam. Quelques semaines auparavant, le gouvernement a annoncĂ© l’ouverture des frontiĂšres, l’occasion est trop belle, les raisons de venir trop nombreuses, mon billet est pris.

Aller dans un pays pour la premiĂšre fois est une expĂ©rience, y revenir en est une autre. On se plaĂźt Ă  retrouver les habitudes prises, on s’émeut Ă  retourner lĂ  oĂč on est dĂ©jĂ  allĂ©, Ă  constater les changements, Ă  redĂ©couvrir les parfums, les couleurs, les sons, tous ces Ă©lĂ©ments immuables constituant l’identitĂ© du pays visitĂ©. AprĂšs quelques jours Ă  HanoĂŻ Ă  vagabonder entre les opulents effluves de lotus, le rugissement des deux roues et les rencontres dans les Ă©choppes de thĂ©, je retrouve mon ami Nam pour un long voyage de six heures en direction de Cao Bo.

Revoir Cao Bo

Nam LĂȘ est un des directeurs de la grande manufacture de thĂ© de Cao Bo. Cao Bo se situe tout au nord du pays, prĂšs de HĂ  Giang, non loin de la frontiĂšre chinoise. C’est ici que naissent depuis plus de cinquante ans les plus beaux pu erh vietnamiens. Longtemps, la fabrique a travaillĂ© en direct avec Hong Kong, pour produire de prĂ©cieux thĂ©s ensuite envoyĂ©s dans l’ex-colonie britannique. Ces thĂ©s Ă©taient alors stockĂ©s dans des caves aux atmosphĂšres humides, en vue d’y dĂ©velopper de profonds arĂŽmes d’humus et d’encens. Ce n’est que depuis la fin des annĂ©es 1990 que ces thĂ©s s’ouvrent Ă  de nouveaux horizons, comme la France.

L’exploitation travaille avec une vingtaine de villages rĂ©coltant les feuilles dans les montagnes reculĂ©es. Les thĂ©iers, de variĂ©tĂ© Shan Tuyet, ne ressemblent Ă  rien d’autre sur terre. Oubliez ces jardins organisĂ©s oĂč les plants Ă  hauteur de bassin, tous alignĂ©s, dessinent de longues formes serpentines sur les flancs des vallĂ©es. Ici, le thĂ©ier est un arbre avoisinant les deux mĂštres pour les plus petits. Des arbres au tronc solide et Ă©pais, s’organisant librement en de denses forĂȘts sauvages ou bien, de façon plus clairsemĂ©e, mĂȘlĂ©s aux autres cultures locales. Des arbres anciens que le temps continue de façonner. Nous voilĂ  enfin arrivĂ©s dans cet endroit que j’affectionne tant. Il y a quatre ans, avec Nam, nous Ă©tions restĂ©s ici un mois pour qu’il m’enseigne les secrets de la fermentation du pu erh. Je retrouve la mĂȘme Ă©quipe, ces mĂȘmes sourires et ce mĂȘme parfum, celui du thĂ© fermentant doucement sous les bĂąches.

AprĂšs quelques accolades, il se fait tard et le dĂźner est prĂȘt. Ce soir, c’est un festin ! J’ai le droit au dĂ©licieux TiĂȘ ÂŽ t canh, une soupe de sang frais de canard coagulĂ© mais aussi Ă  des sashimis de carpe, et bien Ă©videmment à du rat de bambou, qui se marie plutĂŽt bien avec le vin alsacien que je viens de leur offrir. Étrange union du gewurztraminer avec un rongeur


7 CARNET DE VOYAGE
Ces camĂ©lias laissĂ©s Ă  l’état sauvage servent à la manufacture de dĂ©licieux thĂ©s sombres.

Le lendemain, aprĂšs une courte nuit, une dĂ©gustation de thĂ© m’attend au rĂ©veil. Dans la salle prĂ©vue Ă  cet effet, les tasses s’enchaĂźnent dans un flori lĂšge ininterrompu d’infusions toutes plus merveilleuses les unes que les autres. J’aime ici la profondeur des notes de sarrasin de certains pu erh Shu ainsi que leur rondeur et cette sucrositĂ© irrĂ©sistible. Je me plais Ă  tenter de dompter l’astringence si sauvage de leurs thĂ©s verts. Le temps joue sur les notes du thĂ©, qui Ă©volue au fil des annĂ©es. Je m’émeus face aux mĂ©tamorphoses qu’il opĂšre sur les exhalaisons d’un Mao Cha de 2017 et celui de cette annĂ©e, Ă  ressentir ces effluves doucement « champignons » Ă©clore sur les feuilles d’une galette de thĂ© lĂ©gĂšrement plus ancienne
 Le pu erh, comme le vin, lorsqu’il est bien rĂ©alisĂ©, se bonifie et les parfums rĂ©sultant de ce travail du temps sont d’une beautĂ© sans pareil.

Des bourgeons améthyste

Parmi ces liqueurs, un thĂ© se dĂ©marque. Un jeune Mao Cha de l’annĂ©e derniĂšre aux Ă©tonnantes notes fruitĂ©es m’évoque la gentiane et la papaye verte. Je demande Ă  Nam d’oĂč vient la singularitĂ© de ce thĂ© si aromatique qui a Ă©veillĂ© ma curiositĂ©.

« Les feuilles proviennent d’un village avec qui nous travaillons depuis l’annĂ©e derniĂšre. Allons-y si tu veux, c’est Ă  cĂŽtĂ© ».

AprĂšs deux heures et demie Ă  traverser les riviĂšres en scooter, Ă  chuter Ă  chaque centaine de mĂštres, la notion d’un « à cĂŽtĂ© » m’apparaĂźt de plus en plus floue. NĂ©anmoins, l’objet de ma quĂȘte semble se dessiner Ă  travers l’épaisse brume cotonneuse lorsque je vois poindre les premiers camĂ©lias. « Nous y sommes, ce sont les premiers thĂ©iers du village », m’explique Nam.

L’évidence des arĂŽmes si particuliers de ce thĂ© qui avait retenu mon attention se devine alors. Ces thĂ©iers au tronc massif, pluricentenaires pour la plupart, sont tous pourvus d’une particularitĂ© gĂ©nĂ©tique unique, qui pour une raison inconnue se retrouve en nombre dans ce village : la couleur violette de leurs feuilles ! Cette spĂ©cificitĂ© s’observe souvent sur des thĂ©iers anciens qui, avec le temps, dĂ©veloppent plus d’anthocyanes * dans leurs feuilles, les assombrissant jusqu’à tirer parfois au violet foncĂ©. Cette prĂ©sence d’anthocyanes en grand nombre va ainsi jouer sur les particules aromatiques des feuilles et dĂ©velopper dans le thĂ© un caractĂšre fruitĂ© bien spĂ©cifique.

Le joyau convoitĂ© est enfin Ă  portĂ©e de mes yeux : de beaux bourgeons amĂ©thyste. Ces thĂ©iers majestueux laissent imaginer de nombreuses perspectives. Si ce terroir est aussi bon sur du Mao Cha, qu’en serait-il avec du thĂ© noir ? Ou mĂȘme du blanc ? Ou bien toute autre couleur de thĂ© que le camĂ©lia peut nous offrir ? Je termine ma visite en laissant ces quelques idĂ©es infuser dans l’esprit crĂ©atif de mon ami Nam.

Le renouveau vietnamien

Direction Ta ThĂ ng, dans la province de LĂ o Cai. Il faut compter plus de neuf heures pour rejoindre un nouveau producteur dont j’ai entendu parler lors de mes quelques jours Ă  HanoĂŻ. Nous faisons une courte halte dans la ville de LĂ o Cai oĂč l’ambiance est bien diffĂ©rente de Cao Bo. Ici, l’architecture semble plus chinoise. Pas Ă©tonnant lorsque l’on sait que la ville situĂ©e sur le fleuve Rouge est un des postes-frontiĂšres avec le Yunnan. Cette proximitĂ©

*Les anthocyanes sont un colorant naturel allant du rouge orangé ou bleu pourpre.

8 CARNET DE VOYAGE
Des arbres anciens que le temps continue de façonner.

Le nord du Vietnam offre des paysages accidentĂ©s, oĂč les montagnes couvertes de vĂ©gĂ©tation luxuriante cĂŽtoient les plantations de thé escarpĂ©es.

avec la Chine joue un rÎle important dans le marché du thé local. Beaucoup de Chinois profitent de cette frontiÚre pour acheter du Mao Cha à faible coût aux différents groupes ethniques vietnamiens, pour le revendre sous une appellation chinoise à un prix bien plus élevé.

Depuis quelques annĂ©es, un changement radical s’opĂšre chez ces populations qui refusent parfois de vendre leur thĂ© aux Chinois afin que leur production serve Ă  la renommĂ©e de leur pays. Une dĂ©marche plus saine et plus transparente pour garantir l’origine des thĂ©s vietnamiens.

Je retrouve TuĂŁn Phan, qui s’occupe de la fabrication du thĂ© Ă  Ta ThĂ ng. Ensemble, nous partons pour une ultime heure de route afin de rejoindre ce lieu dont il me fait les Ă©loges. Dans ces montagnes que je dĂ©couvre, la montĂ©e en altitude m’offre de nouveaux paysages. De grands lacs bleus bordent les montagnes que quelques conifĂšres peuplent. Un air de BaviĂšre flotte et seule la prĂ©sence des jolies maisons Hmong vient trahir cette confusion gĂ©ographique.

Le secret des théiers centenaires

Au bout de ce chemin se trouve la manufacture de Ta ThĂ ng, créée il y a seulement trois ans. En 2019, un des actuels dirigeants, Nguyen Van Linh, est parti avec un groupe d’amis visiter la rĂ©gion, sans avoir l’intention d’y fonder une quelconque entreprise. Mais sous le charme de Ta ThĂ ng et de sa communautĂ©, il a dĂ©cidĂ©, avec ses amis, d’entreprendre un projet sur place pour soutenir le village.

12 CARNET DE VOYAGE
« Je donne au thé mon énergie. »

PerchĂ©e Ă  plus de 1 200 mĂštres d’altitude, la manufacture de Cao Bo produit depuis plusieurs annĂ©es des thĂ©s d’exception.

Dans cette vallĂ©e oĂč lacs et conifĂšres cĂŽtoient thĂ©iers sauvages, sont produits de dĂ©licieux thĂ©s noirs et thĂ©s blancs.

D’une ethnie Ă  l’autre, le rapport Ă  la terre change. Ici, les Hmongs cueillent les feuilles sur de vieux thĂ©iers centenaires.

Le producteur TuĂŁn Phan est fier de sa manufacture créée il y a seulement trois ans par un groupe d’amis sĂ©duit par Ta ThĂ ng et sa communautĂ©.

Conquis par les grandes forĂȘts de thĂ©iers centenaires dĂ©laissĂ©es par les Hmong depuis plusieurs siĂšcles et connaissant le potentiel de ces arbres, ils ont relancĂ© la production de thĂ©.

C’est sous la lumiĂšre d’une splendide pleine lune que je suis accueilli. TuĂŁn me fait visiter la manufacture oĂč le thĂ© noir s’oxyde lentement sur des claies de bambou tressĂ©, oĂč les bourgeons de thĂ© blanc sĂšchent doucement. En ce lieu rĂšgne une atmosphĂšre trĂšs paisible, les travailleurs habituellement si loquaces sont ici trĂšs silencieux, concentrĂ©s sur leur travail. TuĂŁn voit la manufacture du thĂ© comme une mĂ©ditation active, nĂ©cessitant un travail en pleine conscience pour un rĂ©sultat des plus prĂ©cis.

Le lendemain, nous partons voir la fameuse forĂȘt de thĂ©iers d’oĂč ses plus beaux thĂ©s proviennent. Les Shan Tuyet y ont tous au minimum deux cents ans. Certains mesurent plusieurs dizaines de mĂštres et je ne peux rĂ©sister Ă  aller cueillir quelques feuilles sur leur canopĂ©e. Sous ces grands arbres, quelques buffles nous observent et se font les gardiens de ce lieu presque sacrĂ©.

Lors d’une dĂ©gustation de quelques prĂ©cieuses feuilles manufacturĂ©es le jour mĂȘme, je pose Ă  TuĂŁn la mĂȘme question qu’à tous les producteurs que je rencontre Ă  travers le monde : « Quel est le secret d’un bon thĂ© ? » Alors entre deux bĂątons d’encens fumants, je le vois approcher ses mains au-dessus du thĂ©, fermer les yeux, et rester ainsi plusieurs minutes. « Je donne au thĂ© mon Ă©nergie », m’explique-t-il. Je ne suis pas vraiment certain que « l’énergie » joue un rĂŽle dans le goĂ»t de son thĂ© mais celui-ci est, sans aucun doute, un des plus beaux thĂ©s du Vietnam. ‱

13 CARNET DE VOYAGE
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THÉS ET METS, DES AFFINITÉS PARTAGÉES

Longtemps connu et apprĂ©ciĂ© pour ses vertus mĂ©dicinales et sa capacitĂ© à stimuler le corps et l’esprit, le thĂ© fut un aliment avant d’ĂȘtre une boisson raffinĂ©e dont on apprĂ©cie les qualitĂ©s aromatiques. Et il faut attendre le dĂ©but de notre siĂšcle pour que thĂ© et cuisine renouent des liens pourtant si Ă©vidents !

Du thé dans la soupe ?

ConsommĂ© depuis environ 3 000 ans, le thĂ© a longtemps Ă©tĂ© un ingrĂ©dient Ă  part entiĂšre. On a mangĂ© le thĂ© bien avant de le boire ! En effet, en Chine, originellement classĂ© parmi les herbes amĂšres, il Ă©tait intĂ©grĂ© à un mĂ©lange d’oignons, d’épices, d’écorces de fruits, de fleurs et de sel pour composer une soupe. Les feuilles Ă©taient Ă©crasĂ©es et compressĂ©es, puis rĂŽties et rĂ©duites en une fine poudre que l’on battait au fouet dans une eau bouillante. C’est ainsi qu’utilisĂ© comme un condiment, il est encore consommĂ© dans certaines rĂ©gions du Tibet.

Une boisson raffinée

Sous la dynastie chinoise Song (960-1279), le thĂ©, vert, a commencĂ© Ă  ĂȘtre mis Ă  l’honneur comme une boisson dĂ©licate. Les feuilles sont alors rĂ©duites en une trĂšs fine poudre Ă  laquelle on ajoute un peu d’eau frĂ©missante. Avec les Ming (1368-1644), le thĂ© s’inscrit dans une recherche hĂ©doniste : on apprĂ©cie le plaisir, avant tout esthĂ©tique, de le prĂ©parer, de prendre du temps pour le dĂ©guster, de le boire dans une belle cĂ©ramique. Si l’on ne peut parler encore de recherche de goĂ»ts et encore moins d’émotions gustatives, on commence à identifier les spĂ©cificitĂ©s aromatiques des diffĂ©rents thĂ©s. Les feuilles sont pulvĂ©risĂ©es Ă  l’aide d’une meule, puis la trĂšs fine poudre obtenue est battue Ă  l’aide d’un fouet en bambou dans une eau frĂ©missante jusqu’à l’obtention d’un mĂ©lange mousseux. C’est selon cette technique qui a inspirĂ© les maĂźtres de thĂ© japonais que l’on prĂ©pare encore le matcha au Japon (Cha No Yu).

14 PLANÈTE THÉ

Depuis le xive siĂšcle, le thĂ© est donc consommĂ© sous sa forme actuelle, en infusion, dans un rĂ©cipient. La bouilloire remplace les bouteilles Ă  thĂ© de l’époque Tang (618-907) et les thĂ©s sont infusĂ©s dans des thĂ©iĂšres et des zhongs.

Le thé à table, une tradition ancestrale en Asie

En Chine comme au Japon, aussitĂŽt attablĂ©, votre tasse de thĂ© est remplie. Le thĂ© accompagne non seulement tout le repas mais peut ĂȘtre dĂ©gustĂ© Ă  tout moment, en toute occasion. Il rĂ©vĂšle toutes ces vertus que l’Occident met aujourd’hui en valeur : il hydrate, il aide les graisses Ă  se dissoudre rendant les mets plus digestes, il n’est pas calorique, il rĂ©chauffe
 Et au-delĂ  de ces bienfaits santĂ©, le thĂ© trouve, particuliĂšrement au Japon, des alliĂ©s naturels avec les mets traditionnels (sashimi, tempura, anguille grillĂ©e
).

PLANÈTE THÉ

DES THÉS « CUISINÉS »

On retrouve cette tradition du thĂ© comme ingrĂ©dient que l’on intĂšgre Ă  une prĂ©paration dans le lei chai consommĂ© au sud de la Chine (un thĂ© pilĂ© ou broyĂ©, mĂ©langĂ© à des graines rĂŽties, des herbes), le chai indien (une infusion de thĂ© noir, d’épices et de sucre dans du lait entier bouillant), le siri thay sri lankais (un thĂ© shakĂ© avec du lait en poudre, du sucre et de l’eau bouillante), le lahpet birman (un thĂ© fermentĂ© ou marinĂ©, souvent trĂšs Ă©picĂ©), ou plus rĂ©cemment le bubble tea (un thĂ© noir au lait sucrĂ©, trĂšs aromatisĂ©, auquel sont ajoutĂ©s des glaçons et des billes de farine de manioc ou de tapioca).

FIVE O’CLOCK TEA Vers 1840, la duchesse de Bedford aurait Ă©tĂ© la premiĂšre Ă  inviter ses amies Ă  se rĂ©unir, dans l’aprĂšs-midi, autour d’un thĂ© et de petits gĂąteaux. Ce moment, devenu un rituel, est aussi un hĂ©ritage de la rĂ©volution industrielle qui, en changeant les rythmes de travail, a retardĂ© l’heure du dĂźner et ainsi favorisĂ© cette « pause ». Cette pratique, rĂ©servĂ©e Ă  l’origine Ă  la noblesse, s’est ensuite dĂ©mocratisĂ©e.

D’infinis accords gastronomiques

Le thĂ© a longtemps Ă©tĂ© rĂ©servĂ© aux alliances avec des mets asiatiques – Ă  la classique et non moins dĂ©licieuse union entre le parfum torrĂ©fiĂ© d’un hojicha ou les notes grillĂ©es d’un genmaicha et un poisson cru – et s’efface souvent face Ă  l’incontournable accord mets et vins. Il est pourtant une incontestable alternative aux alcools, et notamment aux vins avec lesquels il rivalise par sa richesse et sa diversitĂ© aromatique. Pour dĂ©couvrir d’autres horizons gustatifs, il est intĂ©ressant de concevoir chaque accord en tenant compte de la variĂ©tĂ© presque infinie des thĂ©s et de leurs saveurs plurielles. Les diffĂ©rentes tempĂ©ratures de dĂ©gustation, propres au thĂ©, sont un formidable atout. Elles crĂ©ent une multitude de mariages possibles (voir les exemples illustrĂ©s ci-dessus) et permettent de jouer sur la texture et les arĂŽmes des mets avec lesquels il est bu. Imaginez aussi bien des associations ton sur ton, fusionnelles ou au contraire, en contraste1. Et en boutiques, nos tea sommeliers pourront vous apporter des conseils sur mesure ! ‱

1. Pour en savoir plus et dĂ©couvrir une multitude d’accords, consultez Tea Sommelier par F.-X. Delmas et M. Minet (ChĂȘne, 2016, p. 151-170) ou inscrivez-vous aux cours de l’École du thĂ© (www.ecoleduthe.com) dĂ©diĂ©s Ă  cette thĂ©matique.

16 PLANÈTE THÉ

Cuisiner le thé, cuisiner au thé

La cuisine orientale utilise le thĂ© depuis des millĂ©naires quand l’Occident commence depuis seulement quelques annĂ©es Ă  le mettre au goĂ»t du jour. MotivĂ©s par la recherche d’arĂŽmes complexes, les chefs ont trouvĂ© dans le thĂ© une boisson qui accompagne leurs plats et dans la feuille un ingrĂ©dient rĂ©vĂ©lant le potentiel aromatique d’un mets. Une expĂ©rience aussi savoureuse que simple Ă  dĂ©cliner dans la cuisine du quotidien.

Les cinq rùgles d’or

Le thĂ© est une petite cuisine qui sollicite tous les sens. Pour un plaisir optimal, imaginez, essayez, goĂ»tez !

RÈGLE D’OR N o  1

Remplacez dĂšs que possible l’eau par du thĂ©. À chaque fois qu’il y a un liquide dans une recette salĂ©e ou sucrĂ©e, pensez que le thĂ© peut ĂȘtre une alternative aromatique et subtile.

RÈGLE D’OR N o  2

Le thĂ© n’infuse pas que dans l’eau.

Le thé peut infuser dans du lait ou de la crÚme liquide, qui, tout comme le thé, sont de formidables capteurs de saveurs.

Selon qu’il infuse à chaud ou Ă  froid, testez et adaptez (souvent à la hausse) la dose de thĂ© et le temps d’infusion. Une maniĂšre de revisiter en un tour de main les grands classiques de notre rĂ©pertoire culinaire.

RÈGLE D’OR N o  4 Oubliez les rĂšgles, osez et goĂ»tez !

RÈGLE D’OR N o  3

Ne jetez pas vos fonds de théiÚre.

Lorsque vous ne finissez pas votre thĂ©iĂšre, rĂ©servez le thĂ© restant pour l’ajouter à un plat en cours de cuisson, à un assaisonnement
 Vous pouvez aussi donner une seconde vie aux feuilles hydratĂ©es.

Pour cuisiner le thĂ©, il faut oublier tous vos repĂšres tant en termes de dosage que de durĂ©e d’infusion. La liqueur que vous aurez prĂ©parĂ©e ne sera pas forcĂ©ment agrĂ©able Ă  boire mais pourra se rĂ©vĂ©ler un support aromatique formidable une fois intĂ©grĂ©e dans une prĂ©paration. Et n’oubliez pas que la cuisine comme le thĂ© sont une histoire de ratages qui ont rĂ©ussi.

RÈGLE D’OR N o  5

Faites un tour dans vos placards. La cuisine du placard se prĂȘte bien au thé : utilisez les thĂ©s dont vous disposez et revisitez vos recettes prĂ©fĂ©rĂ©es en vous demandant ce que le thĂ© pourrait apporter gustativement ou visuellement. Et si je mettais mon Earl Grey du matin dans l’appareil de mon cake aux agrumes ?

17 PLANÈTE THÉ

Vingt idĂ©es d’utilisation du thĂ© en cuisine

Le thĂ© peut ĂȘtre utilisĂ© en cuisine sous toutes ses formes : feuilles sĂšches entiĂšres ou Ă©miettĂ©es, feuilles infusĂ©es, ou en liquide (la liqueur). Cette liqueur demande souvent d’ĂȘtre surdosĂ©e afin d’obtenir un extrait de thĂ©, plus puissant.

1. Étuver les feuilles de thĂ© à la japonaise pour savourer leur mĂąche et leur fraĂźcheur vĂ©gĂ©tale rappelant l’épinard ou le cresson.

→ Salade de shincha, bonite et sauce soja

2. TorrĂ©fier les feuilles Ă  la chinoise pour leur cĂŽtĂ© craquant et leurs notes de noisette fraĂźche avec une pointe d’astringence. Qu’elles soient juste infusĂ©es ou sautĂ©es au wok, nature, en pickles ou en tempura, prĂ©fĂ©rez des jeunes pousses de thĂ© vert de printemps.

→ ƒufs brouillĂ©s aux feuilles de thĂ© vert

4. Infuser les feuilles dans l’eau pour une cuisson directe (cĂ©rĂ©ales, fĂ©culents).

→ Lentilles au lapsang souchong

5. Infuser les feuilles dans l’eau pour apporter une touche aromatique originale (fumĂ©e, grillĂ©e, acidulĂ©e, Ă©picĂ©e
) Ă  une soupe.

→ VeloutĂ© de potiron Ă  l’Earl Grey

6. Infuser les feuilles dans la crÚme ou le lait, capteurs de parfums comme le thé.

→ CrĂšme au chai, purĂ©e au thĂ© fumĂ©

7. Faire un lit de feuilles pour une cuisson vapeur.

→ Lotte en vapeur au bancha, cabillaud en vapeur de thĂ© au jasmin

8. Faire une marinade pour parfumer et/ou attendrir une volaille, un gibier ou un poisson.

→ Brochette de poulet marinĂ© au chai

9. Faire une gelĂ©e en incorporant de la gĂ©latine ou de l’agar-agar dans la liqueur pour jouer sur les saveurs et les textures.

→ Aspic aux fruits rouges au thĂ© au jasmin

3. Infuser les feuilles, seules ou mĂ©langĂ©es Ă  un bouquet garni, dans l’eau pour parfumer un court-bouillon.

→ Riz ochazuke au sencha ariake (Bruits de Palais no 87, page 28)

10. Faire une émulsion pour capter les arÎmes du thé.

→ Espuma de pu erh

18 PLANÈTE THÉ

11. Parsemer ou enduire de poudre de thé pour relever un mets.

→ Fleur de sel au lapsang souchong ou sel gris au matcha

12. Réduire pour concentrer les arÎmes du thé par évaporation.

→ Jus corsĂ© de veau au darjeeling d’étĂ©

13. Déglacer pour apporter de la personnalité aux parfums pyrogénés et caramélisés des sucs dissous.

→ Encornets au wok dĂ©glacĂ©s au sencha

14. RĂ©aliser un extrait ou un concentrĂ© en faisant infuser un grand volume de feuilles de thé dans un peu d’eau frĂ©missante pendant 1 Ă  2 minutes.

→ Caramel au grand oolong top fancy

15. Clouter pour parfumer Ă  cƓur une viande, un poisson ou un lĂ©gume en insĂ©rant les feuilles dans sa chair.

→ Magret de canard au thĂ© fumĂ©

16. Fumer un aliment en le mettant en contact avec des feuilles de thé fumĂ©, en l’immergeant dans du thĂ© fumĂ© infusĂ© ou en incorporant du thĂ© fumĂ© dans la recette.

→ Saumon fumĂ© au lapsang souchong

LE MATCHA, LE THÉ PRÉFÉRÉ DES PÂTISSIERS

17. CroĂ»ter pour communiquer subtilement Ă  l’aliment les parfums du thĂ©.

→ Bar en croĂ»te de bao zhong

18. Arroser pour hydrater une viande que l’on rîtit.

→ Poularde arrosĂ©e au long jing, rĂŽti de bƓuf aux bourgeons de Yunnan, gigot au assam maijian

19. Colorer une préparation en jouant sur les teintes miel, brunes ou vertes du thé.

→ Chantilly au matcha

20. Aromatiser un cocktail avec une infusion, une extraction ou une macĂ©ration directe dans l’alcool.

→ Champagne au ThĂ© du Hammam

Par sa couleur flatteuse et son apparente simplicitĂ© d’utilisation, le matcha est depuis quelques annĂ©es le chouchou des pĂątissiers. Si les financiers, madeleines et autres mignardises au matcha sont dĂ©sormais des classiques, pensez aussi à intĂ©grer sa dĂ©licate poudre amĂšre dans des prĂ©parations salĂ©es. Enduisez, par exemple, un filet de poisson blanc saupoudrĂ© de matcha avant de le passer dans la pĂąte à tempura ou nichez dans un moelleux salĂ© un cƓur coulant au matcha.

→ Retrouvez plus de dĂ©tails et les recettes dans Tea Sommelier page 76 sq.

19 PLANÈTE THÉ

Le thé sombre, le thé du temps qui passe

Le thé sombre, dont le plus apprécié est le pu erh, est une couleur de thé encore peu connue des amateurs.

AppelĂ© thĂ© sombre, thé vieilli, thé fermentĂ© ou encore thĂ© de garde, il a la rĂ©putation de se bonifier en vieillissant, une spĂ©cificitĂ© qu’il doit à son mode de fabrication, mettant en Ɠuvre une vraie fermentation.

AprÚs la cueillette, les feuilles qui serviront à manufacturer le pu erh flétrissent au soleil pendant 24 heures.

L’histoire du thĂ© sombre remonterait au viie siĂšcle, mais il est restĂ© de longues annĂ©es dans l’ombre, avant de devenir l’objet d’un engouement et le fruit aujourd’hui d’une intense spĂ©culation. Un thĂ© mystĂ©rieux, dont les parfums se rĂ©vĂšlent et s’épanouissent au fil des ans
 Les premiĂšres traces du thĂ© sombre remontent Ă  la dynastie des Tang, au dĂ©but du viie siĂšcle. À l’époque, le thĂ© sert, entre autres, de condiment, utilisĂ© notamment pour assaisonner la soupe.

Aux origines du thé sombre, la galette

DenrĂ©e consommĂ©e au quotidien, la question de l’acheminement du pu erh dans toute la Chine se pose rapidement : comment transporter, conserver et optimiser les quantitĂ©s sur de longues distances, Ă  dos de cheval ? Un enjeu important, car le thĂ© sert alors de monnaie d’échange contre des chevaux au Tibet, oĂč il est consommĂ© comme un « lĂ©gume » dans l’alimentation trĂšs carnĂ©e des TibĂ©tains. C’est ainsi que naĂźt la route du thĂ©. Les Chinois ont alors l’ingĂ©nieuse idĂ©e de compresser les feuilles en forme de galettes, pour pouvoir facilement les empiler et les stocker. De plus, cette technique limite le contact des feuilles avec l’air et ralentit considĂ©rablement leur oxydation

Le thĂ© en vrac est ici pesĂ© pour ensuite ĂȘtre compressĂ© en galette de 357 grammes en moyenne.

lors du voyage. Fortuitement, on aurait remarquĂ© qu’au cours de ces longs trajets, le thĂ© aurait fermentĂ© naturellement, offrant lors de la dĂ©gustation, des caractĂ©ristiques gustatives uniques. Cette dĂ©couverte aurait marquĂ© la naissance des fameuses galettes de pu erh, un format encore utilisĂ© aujourd’hui dans le façonnage des thĂ©s sombres.

Pendant des siĂšcles, le thĂ© sombre se promĂšne au pas des mulets sur l’ancienne route du thĂ© et des chevaux (entre le Yunnan et le Tibet, jusqu’aux steppes de la Russie), constituant une monnaie d’échange pour les marchands nomades. Mais en 1391, l’empereur intime aux rĂ©gions productrices de cesser d’envoyer Ă  la cour impĂ©riale le thĂ© sous forme de feuilles compressĂ©es. Le vrac est privilĂ©giĂ©, les producteurs fabriquent alors des feuilles aux mille couleurs. Le thĂ© sombre continue son chemin, plus discrĂštement, connaissant un certain dĂ©clin. Pourtant, cette couleur de thĂ© concentre tout le savoir-faire des producteurs, Ă  l’origine de crus qui prennent le temps de s’affiner au fil des annĂ©es


Les thés sombres, des thés fermentés

La particularitĂ© du thĂ© sombre tient Ă  son mode de fabrication et aux phĂ©nomĂšnes de vieillissement qui en rĂ©sultent. Ce sont les seuls thĂ©s mettant en Ɠuvre une vraie fermentation. La rĂ©colte et le traitement des feuilles sont ici dissociĂ©s dans le temps. Ainsi, les mĂȘmes feuilles donneront, au terme de deux mĂ©thodes de fabrication diffĂ©rentes, deux thĂ©s sombres distincts. Cependant, tous deux sont issus de la fermentation du mĂȘme thĂ© : le Mao Cha.

Pu erh cru et pu erh cuit

On distingue le pu erh cru, dit « Sheng », un Mao Cha compressĂ© en galette, qu’on laisse vieillir, et le pu erh cuit, dit « Shu », dont la fermentation a Ă©tĂ© accĂ©lĂ©rĂ©e par la main de l’homme.

Les premiĂšres Ă©tapes de fabrication du Shu et du Sheng sont identiques : la cueillette est passĂ©e au wok (entre 10 et 20 minutes) pour obtenir une fixation partielle des oxydases (des enzymes permettant de stopper l’oxydation). Le thĂ© est ensuite roulĂ©, puis sĂ©chĂ© le plus souvent au soleil. Les processus de vieillissement diffĂšrent ensuite : long et naturel pour le pu erh Sheng, et accĂ©lĂ©rĂ© pour le pu erh Shu.

PU ERH OU THÉ SOMBRE ?

Le pu erh doit son nom Ă  la ville du mĂȘme nom. L’endroit fut autrefois le point de dĂ©part de la route du thĂ© et un important pĂŽle d’échanges commerciaux liĂ©s au thĂ©. Aujourd’hui, seuls les thĂ©s sombres produits dans cette rĂ©gion peuvent prĂ©tendre Ă  l’appellation d’origine de « thĂ© pu erh », que l’on dĂ©finit juridiquement depuis 2003 comme un « thĂ© produit Ă  partir de feuilles rĂ©coltĂ©es sur des thĂ©iers Ă  grandes feuilles Da Ye poussant dans le Yunnan, sĂ©chĂ©es au soleil et ayant subi une fermentation due Ă  un processus naturel ou initiĂ© par l’homme 1 ». Chez Palais des ThĂ©s, nous avons choisi de continuer Ă  appeler « pu erh » les thĂ©s qui suivent le processus traditionnel Ă©tabli dans les pays frontaliers. Ainsi, vous pourrez par exemple trouver dans nos boutiques un pu erh Shu du Vietnam.

23 CULTURE THÉ
1. Le Guide de dĂ©gustation de l’amateur du thĂ©, Christine Barbaste, François-Xavier Delmas, Mathias Minet, La maison Hachette Pratique, 2022, p. 74.

Pour la compression des pu erh, les feuilles sĂšches sont Ă©tuvĂ©es quelques minutes, puis placĂ©es dans une poche en coton, que l’on glisse ensuite entre les plaques d’une presse, ce qui permet de former la galette par Ă©crasement. Puis on la laisse sĂ©cher sur une Ă©tagĂšre pendant vingtquatre heures. La galette est ensuite emballĂ©e dans du papier de riz. Parfois, ces galettes sont achetĂ©es par des intermĂ©diaires qui les « mettent Ă  vieillir » pendant de nombreuses annĂ©es, dans l’optique d’obtenir un pu erh Sheng. C’est au cours de cette Ă©tape qu’a lieu la post-fermentation : sous l’effet de micro-organismes prĂ©sents dans le thĂ©, dans un endroit humide et ventilĂ©, les feuilles fermentent et oxydent naturellement. Cette rĂ©action est due à l’action de bonnes bactĂ©ries naturellement prĂ©sentes dans la feuille, qui sĂ©crĂštent des enzymes modifiant la chimie de la feuille originelle. Au fil des annĂ©es, la galette dĂ©veloppe un profil organoleptique particulier. Il s’agit d’une opĂ©ration d’affinage Ă  part entiĂšre : certaines galettes de pu erh cru peuvent se dĂ©guster trĂšs rapidement. Tout comme le vin, si l’on aime les notes d’un vin « jeune », il n’est pas nĂ©cessaire d’attendre dix ans avant de le dĂ©guster. D’autres seront conservĂ©es en caves de nombreuses annĂ©es avant d’ĂȘtre vendues.

Le pu erh Shu a vu, quant Ă  lui, son vieillissement accĂ©lĂ©rer selon une mĂ©thode inventĂ©e au dĂ©but des annĂ©es 1970, afin de rĂ©pondre Ă  une demande toujours grandissante. Le Mao Cha est Ă©tendu sur le sol et aspergĂ© d’eau avant d’ĂȘtre recouvert d’une toile. La tempĂ©rature augmente trĂšs vite, pour atteindre 60 °C Ă  l’intĂ©rieur du monticule. Les micro-organismes prolifĂšrent trĂšs rapidement, duvets et moisissures apparaissent. Une fois le degrĂ© de fermentation souhaitĂ© obtenu, les feuilles sont Ă©talĂ©es en couche mince et sĂ©chĂ©es naturellement pendant deux semaines. Faciles Ă  stocker, ces thĂ©s pourront ĂȘtre consommĂ©s immĂ©diatement.

Une promenade en forĂȘt

Les pu erh sont d’une richesse olfactive Ă©tonnante. Ils nous conduisent de bois en sous-bois, d’odeurs de cuir Ă  des parfums de paille humide. De façon prĂ©visible, les pu erh crus et cuits dĂ©veloppent des notes tout Ă  fait diffĂ©rentes. Un pu erh cru jeune (aprĂšs cinq ans de garde) offre une douce astringence, il nous emmĂšne en promenade dans une forĂȘt aprĂšs la pluie, aux parfums d’herbe juste coupĂ©e, de pierres et de terre. Au fil des infusions, il rĂ©vĂšle des notes subtiles, minĂ©rales et fruitĂ©es. Le pu erh cuit est, lui, plus direct, plus boisĂ©, presque animal. Les notes de cuir, de champignons, de mousse et de bois cirĂ© se mĂȘlent avec harmonie, soulignĂ©es par de subtils arĂŽmes de vanille et de caramel. C’est un thĂ© beaucoup plus rond, que l’on aime dĂ©guster pendant les mois d’hiver, assis au coin du feu. ‱

LE PU ERH, UN OBJET DE SPÉCULATION

Depuis 2007, l’engouement pour le pu erh est spectaculaire en Chine. En quelques semaines, ce thĂ© est devenu le fruit d’intenses spĂ©culations. Ainsi, en 2013, certaines galettes ont dĂ©passĂ© le millier d’euros Ă  la foire du thĂ© de Canton. Les pu erh Sheng sont trĂšs prisĂ©s : collectionneurs et amateurs investissent dans des galettes relativement jeunes en pariant sur leur Ă©volution. D’autres acquiĂšrent ces thĂ©s uniquement dans un but spĂ©culatif, comme cela se pratique pour les grands crus dans le monde du vin.

Écouter le thĂ© sombre

Pour en apprendre davantage sur le thĂ© sombre, dĂ©couvrez le podcast « Un thĂ©, un voyage » qui lui est consacrĂ©. François-Xavier Delmas, fondateur de Palais des ThĂ©s, nous emmĂšne sur l’ancienne route du thĂ©, et surprend notre palais en nous invitant à dĂ©guster plusieurs thĂ©s, tous plus Ă©tonnants les uns que les autres.

24 CULTURE THÉ

Depuis des millĂ©naires, la mĂ©decine chinoise prĂȘte au pu erh des vertus digestives et dĂ©puratives. C’est un thĂ© que l’on aime dĂ©guster avec des mets de caractĂšre, comme un parmesan, un vieux cantal, ou encore du gibier. Une façon originale de surprendre ses invitĂ©s en remplaçant le vin par du thĂ© !

La dégustation du Mao Cha de Cao Bo

C’est une famille de thĂ©, les Mao Cha, plutĂŽt qu’un thĂ© en particulier, que je vous propose de dĂ©couvrir. Originaires pour la plupart d’Asie du Sud-Est, une rĂ©gion que j’affectionne, ils me donnent l’impression d’ĂȘtre en prĂ©sence de ce qui se rapprocherait le plus des thĂ©s des origines, mythiques et souvent fantasmĂ©s. Une passerelle sensorielle entre le passĂ©, le prĂ©sent et le futur.

Pour notre voyage, partons Ă  la rencontre du Mao Cha 2022 de Cao Bo, produit dans l’extrĂȘme nord du Vietnam, à quelques encablures de la frontiĂšre chinoise. Un paysage de vallĂ©es perdues et de jungle, caractĂ©ristique de ce petit pays producteur, encore mĂ©connu, si cher Ă  mon cƓur.

Des peuples

au soleil, Ă  l’air libre afin de laisser les enzymes agir et transformer la feuille. Notre Mao Cha de Cao Bo illustre parfaitement ce savoir-faire avec ses belles feuilles longues, Ă©lĂ©gantes et trĂšs rĂ©guliĂšres aux reflets vert oxydĂ© [1] . Il se dĂ©gage de ces derniĂšres un puissant parfum vĂ©gĂ©tal oĂč le caractĂšre humide de la rĂ©gion est omniprĂ©sent.

De vénérables théiers

Paul Roudez a rejoint Palais des ThĂ©s en 2002. Responsable de boutique pendant une dizaine d’annĂ©es, il aime dĂ©sormais ĂȘtre l’intermĂ©diaire entre le thĂ© et les personnes qu’il forme. Master Tea Sommelier, il doit à ses études d’histoire son approche anthropologique du thĂ©. Les thĂ©s sombres, et notamment les Mao Cha, comptent parmi ses prĂ©fĂ©rĂ©s.

Relativement nouveaux dans nos thĂ©iĂšres, les Mao Cha sont le thĂ© de tous les jours pour les peuples qui les produisent. Dans cette vĂ©ritable mosaĂŻque ethnique, le thĂ©, avec sa valeur cultuelle et culturelle, fait partie du quotidien. Si pour mieux apprĂ©hender un thĂ©, il faut comprendre qu’il est le reflet de ceux qui le font, les Mao Cha en sont certainement les meilleurs ambassadeurs. Il n’y a pas un Mao Cha, mais des Mao Cha !

Un savoir-faire

Produire un Mao Cha repose sur des étapes simples : fixer, rouler et sécher. Simples, seulement en apparence ! Fixer la feuille, mais pas totalement afin de conserver son pouvoir oxydatif. La rouler délicatement afin de ne pas trop la casser. Sécher, le plus souvent

Dans cette rĂ©gion du nord du Vietnam, les thĂ©iers sont le plus souvent laissĂ©s Ă  l’état naturel, perdus dans la forĂȘt. Pour rĂ©colter les plus beaux bourgeons, les cueilleurs grimpent parfois jusqu’à 4 Ă  5 mĂštres du sol. Ces thĂ©iers sont un Ă©lĂ©ment essentiel, fondamental.

26 UN GRAND CRU, UN MASTER TEA SOMMELIER
1. Des feuilles rĂ©guliĂšres, signes d’un savoir-faire.

ThĂ©iers des origines, plus proches des Assamica que des Sinensis , ils sont issus d’une hybridation soit naturelle soit créée par l’Homme. Ce sont les fameux Shan Tuyet (« neige de montagne », en rĂ©fĂ©rence Ă  leurs bourgeons blancs duveteux), des thĂ©iers gĂ©nĂ©ralement trĂšs anciens (150 Ă  300 ans) parfaitement adaptĂ©s Ă  ce milieu. ConsidĂ©rĂ©s comme un trĂ©sor du ciel par les populations, ces arbres Ă  thĂ© sont trĂšs respectĂ©s, et pour certains, classĂ©s au patrimoine national. Ces « VĂ©nĂ©rables » sont le vĂ©ritable trĂ©sor de ces forĂȘts perdues, car ils sont uniques !

Un sentiment d’unicitĂ© trĂšs prĂ©sent au moment de l’infusion : j’ai face Ă  moi un thĂ© peu ordinaire avec lequel il va falloir Ă©changer et dialoguer afin de se comprendre. L’infusion exprime un bouquet puissant, de vĂ©gĂ©tal, d’animal, de fruits trop mĂ»rs. Les feuilles se sont bien ouvertes [2] et avec elles, mes sens. À la tasse, la liqueur lĂ©gĂšrement dorĂ©e [3] est propice au rĂȘve, Ă  la recherche d’un ailleurs, entre

la fraĂźcheur vĂ©gĂ©tale d’un thĂ© vert et les notes lourdes d’un thĂ© sombre. Le fruitĂ© est bien marquĂ©, gourmand Ă  souhait, mais la liqueur exprime aussi une Ă©lĂ©gante astringence. DĂ©routant.

Une singularité

Les Mao Cha sont la base des thĂ©s sombres tels que nous les connaissons. Et dans une ultime mutation, ils pourront devenir des galettes Sheng ou Shu (lire aussi p. 20-25) selon les traditions et les besoins des producteurs. Il n’est d’autres types de thĂ© avec un pareil destin ! Cette famille de thĂ© est donc tout Ă  la fois un oui et un peut-ĂȘtre, un prĂ©sent et un futur. Les producteurs disent de ces thĂ©s qu’ils ont l’Esprit du Ciel et l’Esprit de la Terre rĂ©unis en eux.

Boire un Mao Cha, c’est donc accepter tout cela et ĂȘtre soi-mĂȘme Ă  un carrefour : s’interroger sur le chemin que l’on veut suivre en sachant qu’il n’y en a pas de meilleurs ou de moins bons, tout en acceptant d’ĂȘtre toujours surpris. Les infusions rĂ©pĂ©tĂ©es de ce

thĂ© au gaiwan reflĂštent ce sentiment : elles Ă©voluent dans les nuances au risque de nous perdre et nous emportent dans les dĂ©tours de notre mĂ©moire et du temps. Elles nous aident Ă  mieux comprendre la longue Ă©volution qu’a connue le thĂ© pour devenir la boisson que nous connaissons. Tout a commencĂ© dans cette zone reculĂ©e des lointaines frontiĂšres du Xishuangbanna et tout continue Ă  ĂȘtre créé dans ces rĂ©gions.

C’est tout cela que promet le Mao Cha de Cao Bo au grĂ© des passages d’eau. L’ensemble des infusions se structure, se densifie autour de notes fruitĂ©es mĂȘlĂ©es de fraĂźcheur minĂ©rale et de subtiles nuances animales. Un équilibre sensoriel franc et direct apparaĂźt. Un lien se crĂ©e entre le thĂ© et moi. Presque un pacte. ‱

Mao Cha de Cao Bo

CULTIVAR Shan Tuyet

ORIgIne Cao Bo (Vietnam)

RÉCOLTe printemps 2022

COnseIL s de pRÉpARATIOn

→ Au GonG Fu ChA (gaiwan)

ACCORd gOURmAnd

une fourme d’Ambert

→ RĂ©f. 3364 – 22  € les 100 g

27
2. Une fois hydratĂ©es, les Ă©lĂ©gantes feuilles s’ouvrent. 3. Les reflets or de la liqueur.

Madeleine au thé Le Temps Retrouvé

À l’occasion de la sortie du Temps RetrouvĂ©, la cheffe pĂątissiĂšre Claire Heitzler a imaginĂ© cette dĂ©licieuse recette qui rĂ©vĂšle l’équilibre subtil entre la douceur de la madeleine et les dĂ©licats arĂŽmes miellĂ©s et torrĂ©fiĂ©s du thĂ©.

Pour 20 madeleines

À prĂ©parer la veille

Pour le lait infusé

45 g de lait demi-écrémé

4 g de thé

Le Temps Retrouvé

Pour les madeleines

45 g de lait infusé

150 g de farine + pour le moule à madeleines

7 g de levure chimique

3 g de thé

Le Temps Retrouvé

150 g de beurre

doux + pour le moule à madeleines

115 g d’Ɠufs

(ou 3 petits Ɠufs)

100 g de sucre semoule

22 g de miel de rhododendron

Pour le lait infusé

1. Portez le lait à ébullition.

2. Ajoutez le thé. Laissez infuser pendant 30 minutes.

3. Passez au chinois le lait infusé pour retirer les feuilles de thé.

4. Pesez la prĂ©paration filtrĂ©e et rajoutez du lait jusqu’à obtenir 45 g. RĂ©servez.

Pour les madeleines

1. Dans le lait infusé tiÚde, ajoutez le miel. Réservez.

2. Tamisez la farine et la levure chimique. Réservez.

3. Concassez les feuilles de thé.

4. Faites fondre le beurre à environ 80 °C.

5. Blanchissez les Ɠufs avec le sucre semoule.

6. Lorsque le mélange est bien blanchi, ajoutez le lait infusé au miel, la farine et la levure, le thé concassé, puis le beurre fondu. Filmez et réservez au réfrigérateur pendant 24 heures.

7. Beurrez et farinez le moule Ă  madeleines.

8. Mélangez la pùte à madeleines afin de la lisser.

9. Garnissez le moule. Enfournez à 180 °C pendant 6 à 8 minutes.

28 DU THÉ EN CUISINE
Le Temps Re TROUVÉ → RĂ©f. 7080 − 12  € les 100 g

Robert Fortune, l’espion du thĂ©

En 1848, la Compagnie des Indes orientales confie Ă  Robert Fortune, un botaniste Ă©cossais, une mission trĂšs spĂ©ciale : percer les secrets de fabrication du thĂ© en Chine, et prĂ©lever graines de thĂ©ier et techniques traditionnelles pour faire de l’Inde le nouveau « champ de thé » de l’empire britannique. Une histoire d’espionnage industriel qui bouleversa la gĂ©ographie et le monde du thĂ©.

Introduit en Angleterre au xviie siĂšcle, le thĂ© est devenu en quelques dĂ©cennies une boisson populaire. Au dĂ©but des annĂ©es 1840, le pays est frappĂ© par une famine qui dĂ©cime la classe ouvriĂšre. Le thĂ©, alors mĂȘlĂ© Ă  du sucre et du lait, permet d’endurer le rythme effrĂ©nĂ© des journĂ©es de travail jusqu’au (maigre) repas du soir. À l’époque, la Grande-Bretagne s’approvisionne exclusivement en Chine, dĂ©tentrice du secret de fabrication de cette boisson depuis plus de 5 000 ans. En 1839, la premiĂšre guerre de l’opium oppose les deux nations. HumiliĂ© par sa dĂ©faite, l’empire du Milieu taxe l’importation du thĂ© sur le territoire anglais Ă  hauteur de 70 %. La valeur marchande de la plante explose. Craignant une rĂ©volte nationale, la trĂšs puissante Compagnie des Indes orientales dĂ©cide de briser le monopole chinois en produisant son propre thĂ©, en Inde.

La mission de Fortune

Deux frĂšres Ă©cossais, les Bruce, ont identifiĂ© en Assam une sous-espĂšce de thĂ©ier sauvage. Le climat Ă©tant propice Ă  la culture du thĂ©, l’honorable Compagnie missionne le botaniste Robert Fortune pour dĂ©velopper la production et

ainsi accĂ©der Ă  la rentabilitĂ©. Sa mission : recueillir plants et graines des meilleurs thĂ©iers, les transporter jusque dans l’Himalaya, et engager des « cultivateurs de thĂ© expĂ©rimentĂ©s et de bons manufacturiers sans lesquels nous ne pourrons pas dĂ©velopper nos plantations dans l’Himalaya 1 ». L’aventure commence


Un voyage en Chine interdite

Quand Robert Fortune arrive en Chine, l’épopĂ©e du thĂ© colonial a donc commencĂ©. Chasseur de plantes ayant dĂ©jĂ  voyagĂ© dans l’empire du Milieu, cet Écossais est considĂ©rĂ© par ses pairs comme un aventurier cultivĂ©, qui n’hĂ©site pas Ă  risquer sa vie pour dĂ©couvrir de nouvelles espĂšces. AprĂšs la guerre de l’opium, aucun Occidental n’est autorisĂ© Ă  voyager dans les terres, sous peine de mort. Pour contourner le danger et passer inaperçu, Fortune porte l’habit traditionnel et une longue natte. Il prĂ©tend voyager depuis une rĂ©gion lointaine situĂ©e au-delĂ  de la Grande Muraille pour justifier ses traits occidentaux et son accent. Un artifice efficace, malgrĂ© quelques situations oĂč sa ruse manque d’ĂȘtre dĂ©couverte. Les plants les plus faciles Ă  se

procurer se situent au sud du pays, mais les connaisseurs savent que les thĂ©s noirs de meilleure qualitĂ© sont produits au Nord, dans la rĂ©gion des Montagnes jaunes, lĂ  oĂč aucun EuropĂ©en n’a encore pĂ©nĂ©trĂ©. Robert Fortune embarque alors pour le voyage d’une vie, Ă  la rencontre d’une nature sauvage et inĂ©dite. Au fil des mois, il dĂ©couvre la Chine des riviĂšres mouvementĂ©es, profitant du voyage jusqu’aux rĂ©gions de thĂ© pour explorer les rives Ă  la recherche de fleurs et de fruits jusqu’ici inconnus. AprĂšs de longs jours, le voilĂ  arrivĂ© dans le territoire de Hwuy-chow, au cƓur des monts Huang. Les premiĂšres plantations apparaissent. Il prend le temps d’observer, notant que les locaux ne touchent pas aux thĂ©iers les plus faibles, attendant que ces derniers soient vigoureux avant de rĂ©colter les feuilles. Il s’émerveille devant la dextĂ©ritĂ© des cueilleuses et rĂ©ussit Ă  subtiliser les graines de ces Camellia sinensis dont il est encore persuadĂ© qu’elles servent uniquement Ă  manufacturer le thĂ© vert. Puis la route continue jusqu’à l’Anhui, au cƓur des Montagnes jaunes, oĂč de nouveau il parvient Ă  rĂ©cupĂ©rer plants et graines de thĂ©s servant Ă  manufacturer le thĂ©

30 RACONTEZ-MOI

noir. TrĂšs observateur, il comprend que le thĂ© noir et le thĂ© vert proviennent de la mĂȘme plante et que seul le traitement de la feuille aprĂšs cueillette est responsable de la couleur du thĂ©. L’énigme est enfin rĂ©solue.

L’arrivĂ©e du thĂ© en Inde

Acheminer le thĂ© jusqu’en Inde ne se fait pas sans difficultĂ©s. Les plants de Camellia sinensis perdent de leur vitalitĂ© lorsqu’ils ne sont plus en terre, et l’arrosage en caisses « fermĂ©es » entraĂźne leur moisissure. Le premier envoi est

un Ă©chec. L’utilisation dans un second temps des caisses de Ward (des serres miniatures ressemblant Ă  un aquarium dotĂ© d’un couvercle) permet d’éviter ces dĂ©sagrĂ©ments. La mĂ©thode est infaillible, les plants arrivent en parfaite santĂ© : la mission est un succĂšs. La culture du thĂ© se rĂ©pand alors en Inde et dans les contreforts de l’Himalaya, avant d’ĂȘtre introduite sur l’üle de Ceylan. Robert Fortune contribue ainsi Ă  son amĂ©lioration et Ă  la fabrication du thĂ© dans un empire britannique en pleine expansion. En 1856, la premiĂšre plantation de thĂ© est

lancée à Darjeeling. En 1874, la région ne compte pas moins de cent douze jardins.

Fortune rapporte Ă©galement de son fructueux pĂ©riple en Chine des centaines de variĂ©tĂ©s de fleurs et de fruits, comme le kumquat, le jasmin, les azalĂ©es, marquant pour les siĂšcles Ă  venir le visage du jardin Ă  l’anglaise. Mais il a contribuĂ© avant tout Ă  assurer la continuitĂ© de ce temps pour soi tant apprĂ©ciĂ© des Anglais : le tea time ! ‱

1. Ordre de mission reçu par Robert Fortune de la part du marquis de Dalhousie, gouverneur général des Indes de 1848 à 1856. Robert Fortune (1812-1880)

Himalayan Flower, la fine feuille des darjeeling de printemps

Un parfum floral s’échappe avec finesse de l’Himalayan Flower, dont le bouquet annonce avec fraĂźcheur les premiĂšres notes du printemps. D’une grande richesse aromatique, ce thĂ© noir est issu des rĂ©coltes printaniĂšres et se partage comme une confidence d’initiĂ©s entre amateurs du monde entier. À raison, car le dĂ©guster, c’est prendre un aller simple pour l’Inde, sur les terres Ă©ternelles de Darjeeling.

Dans les contreforts de l’Himalaya , une centaine de jardins se partagent le privilĂšge de cultiver l’un des thĂ©s les plus prisĂ©s au monde : le darjeeling. AurĂ©olĂ©e de mystĂšre, cette appellation (la seule Indication GĂ©ographique ProtĂ©gĂ©e du monde thĂ©icole) offre des thĂ©s profonds aussi rares que copiĂ©s
 mais jamais Ă©galĂ©s.

Au carrefour de cultures et de traditions

Nombreux sont les passionnĂ©s Ă  avoir succombĂ© au bien nommĂ© « jardin de la foudre » (du tibĂ©tain DorjĂ© Ling). À la croisĂ©e du Tibet, du Bhoutan, du NĂ©pal et du Bangladesh, la rĂ©gion est un carrefour de cultures et de traditions dans lesquelles le thĂ© a une place cruciale. La plante a mĂȘme scellĂ© l’histoire de cette terre de confluences : si en 1780, le territoire Ă©tait contrĂŽlĂ© par les rois bouddhistes du Sikkim, il a ensuite Ă©tĂ© envahi par le NĂ©pal, puis les Anglais en ont pris le contrĂŽle en 1835 pour le compte de la Compagnie britannique des Indes orientales. Sous des latitudes idĂ©ales pour la culture du thĂ©, Darjeeling a ainsi

traversĂ© les Ă©poques et les bouleversements politiques pour pouvoir offrir aujourd’hui son thĂ© noir inimitable et prĂ©servĂ©.

Des théiers à perte de vue

Depuis la ville de Darjeeling, au cƓur du Bengale occidental, se dĂ©voile un paysage onirique : la chaĂźne de montagnes sacrĂ©es de l’Himalaya dĂ©coupe sur 250 km ses crĂȘtes vertigineuses, et sur ses versants, des champs entiers d’arbustes verdoyants s’étendent Ă  perte de vue. Ici, pas de thĂ©iers d’Assam comme ailleurs dans le pays. C’est le botaniste Robert Fortune (lire p. 30-31) qui, au xixe siĂšcle, vient planter en Inde des thĂ©iers rapportĂ©s de Chine. Le Camellia sinensis ainsi expatriĂ© s’est tant Ă©panoui sur ces terres bengalies que les plantations se sont peu Ă  peu Ă©tendues jusqu’à quasiment recouvrir les pentes escarpĂ©es de ces zones montagneuses.

Une récolte de printemps exceptionnelle

Aujourd’hui, ces jardins de thĂ© occupent 17 500 hectares et emploient la moitiĂ© de la

population locale ! Certains d’entre eux donnent au printemps d’exquises feuilles et de dĂ©licats bourgeons d’un vert tendre cueillis Ă  la main. Ces premiĂšres rĂ©coltes de l’annĂ©e sont trĂšs attendues et cĂ©lĂ©brĂ©es pour l’excellence incontestĂ©e de leur production. Et pour cause : les arbustes, soigneusement laissĂ©s en dormance pendant plusieurs mois, ont concentrĂ© dans leurs plus jeunes pousses toutes les huiles essentielles lentement accumulĂ©es pendant l’hiver. Ainsi, seules les premiĂšres cueillettes de printemps contiennent une si grande quantitĂ© de bourgeons ( golden tips) et de premiĂšres feuilles chargĂ©es d’essences aromatiques, et cela compose un first flush (littĂ©ralement, « premiĂšre rĂ©colte ») tellement exceptionnel qu’il est demandĂ© dans le monde entier.

Un thé rare et mystérieux

Des effluves sacrĂ©s Ă©manent de ce thĂ© mythique qui retrace en une tasse l’histoire entiĂšre de la boisson. CultivĂ©s entre temples bouddhistes et hindous, les feuilles et bourgeons de cet Himalayan Flower se parent

32 THÉ D’EXCEPTION

de teintes cuivrĂ©es pour infuser en une liqueur dorĂ©e, avec une Ă©lĂ©gante astringence doublĂ©e d’une pointe d’amertume. Le rĂ©sultat : un thĂ© noble qui se dĂ©veloppe sur la longueur avec beaucoup de persistance, soutenue par une structure tannique unique !

Ses notes florales, vĂ©gĂ©tales et amandĂ©es en font l’alliĂ© parfait d’un croissant bien beurrĂ© tout juste sorti du four, pour s’éveiller aux merveilles de cette rĂ©gion hors du temps dĂšs les premiĂšres heures du jour. ‱

DES GRADES DANS LE THÉ ?

On peut souvent lire sur les thĂ©s noirs une Ă©nigmatique sĂ©rie de lettres. Elle indique en rĂ©alitĂ© le grade du thĂ©, et notamment le type de cueillette ainsi que la taille de la feuille. Par exemple, lorsqu’il est notĂ© F.T.G.F.O.P., soit Finest Tippy Golden Flowery Orange Pekoe, cela signifie que le thĂ© provient de la cueillette la plus fine composĂ©e des deux premiĂšres feuilles et du bourgeon terminal qui se retrouve dorĂ© par l’oxydation. Une rĂ©colte particuliĂšrement remarquable !

Dans les régions himalayennes, le temps change trÚs vite. Le soleil resplendit, puis la brume et la pluie saisissent les plantations en quelques minutes à peine.

HIm ALAyA n FLO weR → RĂ©f. 1500 − 15  € les 100 g

L’actualitĂ© du Palais

Les feuilles de thĂ© s’épanouissent dans le gaiwan, un objet qui permet de libĂ©rer tous leurs arĂŽmes.

De futurs ingénieurs agronomes au Népal

Accompagner les producteurs des pays de thĂ© dans la conversion de leur exploitation et les aider à obtenir une certification bio est l’un des engagements pris dans le cadre de notre projet d’entreprise.

Pour mener Ă  bien ce projet, nous travaillons avec deux Ă©tudiants, FĂ©lix et Jean, ingĂ©nieurs agronomes d’AgroParisTech et l’École supĂ©rieure des agricultures (Angers). AprĂšs avoir suivi une formation au thĂ© chez Palais des ThĂ©s, puis avoir dĂ©couvert ses modes de production auprĂšs d’un cultivateur des PyrĂ©nĂ©es, les deux apprentis

ingénieurs sont partis pour le Népal. Pendant quatre mois, ils apporteront leur expertise à notre ami de longue date, Prakash Raya, et tenteront de faciliter la transition de son exploitation Kalapani vers le bio, une manufacture avec qui nous travaillons depuis peu, qui produit de délicieux thés verts. Une aventure sur le terrain à suivre !

MASTER TEA SOMMELIERS

Une nouvelle promotion de Master Tea Sommeliers

Le 28 juin dernier, ils Ă©taient plus de trente membres de nos Ă©quipes Ă  passer l’examen de Master Tea Sommelier. Créé en 2016 par Palais des ThĂ©s, ce diplĂŽme consacre un haut niveau de connaissance du thĂ© et une approche de conseil personnalisĂ©e. C’est aussi une maniĂšre de distinguer les meilleurs experts en boutiques et au sein de l’entreprise, tout en tĂ©moignant de la volontĂ© de la maison de rassembler la plus grande communautĂ© de spĂ©cialistes du thĂ©. Dix d’entre eux ont Ă©tĂ© diplĂŽmĂ©s aprĂšs de longues Ă©preuves. N’hĂ©sitez pas Ă  venir leur poser toutes vos questions en boutiques !

35 ÉBRUITÉ

Une nouvelle année de thé

Hong Yu Lu

→ RĂ©f. 2254 – 24  € les 100 g

Ce thĂ© noir chinois dont le nom signifie « rosĂ©e de jade noire » est fabriquĂ© dans la rĂ©gion du Hubei. Sa saveur sucrĂ©e rĂ©vĂšle une grande complexitĂ© aromatique avec des notes cacaotĂ©es, miellĂ©es et boisĂ©es.

Kesane oolong

→ RĂ©f. 2717 – 24  € les 100 g

Emblématique du savoirfaire géorgien, cet oolong est réalisé à partir de plusieurs cultivars, dont un spécifique aux qimen chinois. Rond et gourmand, il révÚle de subtiles notes pyrogénées ainsi que des parfums boisés et fruités.

36 GRANDS CRUS

INFUSIONS DU LOUVRE

1. Jardin de Vénus bio

→ RĂ©f. DV9540Z – 18  € la boĂźte mĂ©tal de 160 g

2. Nuit Égyptienne bio

→ RĂ©f. DV9550Z – 15  €

la boßte métal de 85 g

THÉS D’ORIGINE

9. Yunnan Da Ye

→ RĂ©f. 2950 – 12,90 € les 100 g

En vente fin février 2023.

10. Mao Cha Impérial

→ RĂ©f. 2260 – 18 € les 100 g

PARIS FOR YOU

Paris by day

3. → RĂ©f. D7730N – 12 € l’étui de 20 mousselines

4. → RĂ©f. DV7730Z – 16 € la boĂźte mĂ©tal de 100 g

5. → RĂ©f. 7730 – 12,50 € les 100 g

Paris by night

6. → RĂ©f. DV7720Z – 16 € la boĂźte mĂ©tal de 100 g

7. → RĂ©f. D7720N – 12 € l’étui de 20 mousselines

8. → RĂ©f. 7720 – 12,50 € les 100 g

Les boßtes métal seront disponibles progressivement dans vos boutiques à partir de janvier 2023. Les étuis mousselines et les pochettes vrac également, à compter du mois de février.

37 NOTRE SÉLECTION
5. 1. 2. 3. 7. 6. 4. 8. 9. 10.

OFFRE THÉOPHILE

Découvrez les secrets de fabrication des Earl Grey !

Avec ces trois Earl Grey Ă  prix doux, nous vous invitons à vivre une expĂ©rience sensorielle en Ă©coutant le podcast « Un thĂ©, un voyage » consacrĂ© Ă  cet incontournable thĂ© parfumĂ©. L’occasion de s’offrir un voyage immobile et de s’évader, assis tranquillement au coin du feu


Dans l’épisode 1 de la saison 3 de son podcast, François-Xavier Delmas, fondateur de Palais des ThĂ©s, nous emmĂšne en voyage dans le sud de l’Italie, Ă  Reggio de Calabre, ville cĂŽtiĂšre situĂ©e à quelques encablures de la Sicile. On y trouve cet agrume dont le zeste diffuse un parfum puissant et floral, trĂšs estimĂ© des parfumeurs : la bergamote. C’est Ă©galement l’ingrĂ©dient indispensable du Earl Grey, ce thĂ© parfumĂ© parmi les plus dĂ©gustĂ©s outre-Manche, dont le succĂšs n’a jamais Ă©tĂ© dĂ©menti depuis sa crĂ©ation au xixe siĂšcle. En hommage Ă  la tradition anglaise,

Palais des ThĂ©s a créé plusieurs recettes parfumĂ©es aux parfums puissants et dĂ©licats : Blue of London, un thĂ© noir du Yunnan qui s’associe avec justesse Ă  la fraĂźcheur de la bergamote, Green of London, oĂč thĂ© vert et parfums zestĂ©s s’équilibrent avec finesse, et le ThĂ© des Lords, un thĂ© noir qui rĂ©vĂšle toute la puissance de cet agrume.

Au milieu des arbres fruitiers, au son de la mer Ionienne, plongez -vous dans l’histoire de l’emblĂ©matique Earl Grey, en dĂ©gustant ce « parfum qui se boit ». Un voyage auditif qui nous transporte, au rythme de la dolce vita


Pour Ă©couter le podcast, scannez ce QR code, et pour profiter de l’offre, rendez-vous en boutiques ou sur notre site.

Notre sélection

→ 100 g de Blue of london

Retrouveznous sur palaisdesthes

Bruits de Palais est une publication de Palais des Thés

Rédaction en chef Bénédicte Bortoli, Chloé Douzal, Mathias Minet Direction artistique et mise en page

Laurent Pinon et Aurore Jannin pour Prototype Stylisme Recette et Nouveautés

Sarah Vasseghi

Illustrations

StĂ©phane Humbert-Basset, sauf p. 31 : AmĂ©lie Cordier

Impression

AchevĂ© d’imprimer en janvier 2023 sur les presses du groupe Prenant (France)

Photogravure

Key Graphic

Palais des Thés

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction sous quelque forme que ce soit, rĂ©servĂ©s pour tous pays.

CrĂ©dits photographiques Fonds photographique Palais des ThĂ©s – François-Xavier

Delmas : p. 2, 4, 13 (gauche), 20-21, 22, 25, 33, 39 ‱ LĂ©o Perrin : p. 6, 10-11, 12, 13 (droite) ‱ Guillaume Czerw : couverture, p. 26, 27, 29, 34, 36, 37 ‱ Kenyon Manchego : p. 28, 33 (bas) ‱ Jean Rosas et FĂ©lix Caillau : p. 35.

Service clients 01 43 56 90 90

→ 100 g de Green of london

→ 100 g de ThĂ© des lords

Cette offre vous est proposĂ©e au prix exceptionnel de 23 € au lieu de 29,30 €.

→ RĂ©f. OB88VO

Offre valable du 13 fĂ©vrier au 12 mars 2023 dans toutes les boutiques Palais des ThĂ©s participant à l’opĂ©ration, en vente par correspondance et sur palaisdesthes.com, rĂ©servĂ©e aux clients ThĂ©ophile. Dans la limite des stocks disponibles, non cumulable avec toute autre offre ou remise.

CoĂ»t d’un appel local, du lundi au samedi de 9 h Ă  18 h

Service Cadeaux d’affaires 01 73 72 51 47

CoĂ»t d’un appel local, du lundi au vendredi de 9 h Ă  18 h

Dans le sud de l’Italie poussent les bergamotes, une variĂ©tĂ© d’agrumes trĂšs estimĂ©e par les parfumeurs du monde entier.

palaisdesthes.com 4,90 € « Quand je bois du thĂ©, il n’y a que moi et le thĂ©. Buvez votre thĂ© lentement, avec rĂ©vĂ©rence, sans vous prĂ©cipiter vers l’avenir. » ThĂ­ch Nh T ha N h moine bouddhiste vietnamien

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Bruits de Palais N°88 by PALAIS DES THES - Issuu