

Le papier,kézako

Créer son atelier de papier chez soi


Avant de rentrer dans le vif du sujet et de fabriquer votre papier recyclĂ©, je vous propose ici de revenir sur quelques dates et Ă©lĂ©ments clĂ©s de lâhistoire du papier.
Câest en Ăgypte, pendant lâAntiquitĂ© (il y a plus de 5â000 ans), que le premier support dâĂ©criture que lâon peut appeler « papier » a vu le jour. On utilise alors les tiges dâune plante africaine, le souchet Ă papier, ou Cyperus papyrus. Les tiges de la plante sont mises Ă tremper dans lâeau en fines lamelles, qui sont ensuite superposĂ©es en deux couches, verticales et horizontales, avant dâĂȘtre frappĂ©es. Une fois le feuillet soigneusement sĂ©chĂ©, on obtient une surface lisse et souple, que lâon peut assembler et stocker en rouleau (appelĂ© volumen). Vous pouvez observer comme la lumiĂšre traverse les fibres du papyrus sur la photo ci-contre.
Ce nâest que bien plus tard que les Chinois inventent un papier tel quâon le connaĂźt, Ă base de fibres vĂ©gĂ©tales indĂ©pendantes. En 105 apr. J.-C., un haut fonctionnaire chinois nommĂ© Cai Lun rĂ©dige la recette officielle de la pĂąte Ă papier. Il mentionne tout dâabord le trempage dans lâeau des fibres de lin pour obtenir une pĂąte plus
homogĂšne et rĂ©sistante que le papyrus, et prĂ©conise ensuite lâutilisation de lâĂ©corce de mĂ»rier, du chanvre et de chiffons de lin.
Ce secret restera bien gardĂ© jusquâen 751, date de la bataille de Talas remportĂ©e par les troupes abbassides, oĂč des prisonniers chinois devront livrer leur recette aux Arabes victorieux. La technique du papier se diffuse dĂšs lors jusquâen Occident.
RĂ©volutionnaire, cette mĂ©thode de pĂąte Ă papier nâa pas beaucoup changĂ© depuis !
Au fil du temps, le mortier manuel est remplacĂ© par des moulins Ă papier qui permettent de produire de plus grandes quantitĂ©s de pĂąte Ă papier. Ils sont installĂ©s le long de riviĂšres pour utiliser la force motrice du courant et actionner des maillets qui vont rĂ©duire des chiffons de tissus en pĂąte : câest ce quâon appelle le papier chiffon !
Le premier moulin Ă papier en France se trouverait prĂšs de Troyes. Le Moulin du Roy, dont la fondation remonterait Ă 1288, a pour la premiĂšre fois Ă©tĂ© mentionnĂ© officiellement en 1348, soit un siĂšcle avant lâinvention de lâimprimerie par Gutenberg.
En 1798, Louis-Nicolas Robert invente la premiĂšre machine Ă papier, qui permet de produire des bandes de papier allant jusquâĂ 15 m de longueur. Câest le
dĂ©but de lâindustrialisation du papier ! Mais lâaugmentation de la production entraĂźne une pĂ©nurie de matiĂšre premiĂšre : les chiffons de lin et chanvre. Il faut donc rĂ©flĂ©chir Ă dâautres alternatives pour trouver de la fibre de cellulose. Il se trouve que lâabondance de forĂȘts et dâarbres feuillus et rĂ©sineux en Europe apporte une piste intĂ©ressante : en 1844, un brevet sur lâutilisation de la pĂąte Ă bois est dĂ©posĂ© par lâAllemand Friedrich Keller.
En utilisant les arbres comme matiĂšre principale pour la fabrication de papier, notre consommation nĂ©cessite lâabattage de milliards de spĂ©cimens chaque annĂ©e. Cela contribue Ă augmenter le taux de dĂ©forestation sur lâensemble de la planĂšte. Pour minimiser cet aspect, il est important de choisir des papiers qui proviennent de forĂȘts durablement gĂ©rĂ©es. Il existe des logos environnementaux visibles sur les packagings : FSCÂź (Forest Stewardship Council), PEFCTM (Programme for the Endorsement of Forest CertiïŹcation), lâĂ©colabel europĂ©en, NF EnvironnementâŠ
La fabrication de la pĂąte Ă bois exige Ă©galement lâutilisation de grosses quantitĂ©s dâeau. Elle est aussi relativement polluante, car les Ă©tapes sont nombreuses et plusieurs procĂ©dĂ©s chimiques interviennent dans sa prĂ©paration, notamment des agents blanchissants. Ainsi, plus un papier est blanc, plus il a Ă©tĂ© traitĂ© chimiquement.
Pour toutes ces raisons, la pĂąte Ă bois nâest pas utilisĂ©e pour une fabrication artisanale de papier. Sont privilĂ©giĂ©es les pĂątes obtenues Ă partir de plantes ïŹbreuses ou du recyclage de papiers existants.
Si aujourdâhui en France nous ne pouvons compter que quelques rares lieux de production artisanale de papier, dans certaines parties du globe, cet art ancestral est encore bien prĂ©sent.
Ă travers mes diffĂ©rents voyages, jâai eu la chance de dĂ©couvrir des papiers uniques, parfois Ă©tonnants, et mĂȘme dâobserver des artisans travailler sur leurs productions. Voyager, câest apprendre Ă connaĂźtre lâautre, dĂ©couvrir des cultures singuliĂšres, des facettes nouvelles dâun artisanat qui nous passionne et attise notre curiositĂ©.
Toutes les matiĂšres fibreuses pouvant devenir pĂąte Ă papier, chaque coin du globe utilise des ressources qui lui sont propres. Quand en France on va fabriquer du papier artisanal Ă base dâortie, de gazon du jardin ou de restes de lĂ©gumes du potager, en Amazonie ce sont les plantes exotiques comme la feuille de bananier qui peuvent servir. Ă Cuba, jâai pu me procurer du papier Ă base de coco ou de canne Ă sucre. En Chine, le bambou est historiquement utilisĂ© dans la fabrication de papier artisanal. Sur les Ăźles des Seychelles on trouvera facilement du
papier en fibre de coco, au Japon le papier Kozo est fabriquĂ© avec des fibres de mĂ»rier, au Sri Lanka on fait sĂ©cher les excrĂ©ments dâĂ©lĂ©phants avant de les transformer en papier⊠Surprenant, nâest-ce pas ?
Outre le plaisir de toucher la matiĂšre, de se (re)connecter Ă elle (et câest dĂ©jĂ pas mal !), fabriquer son propre papier, câest perpĂ©tuer des gestes hĂ©ritĂ©s de nos ancĂȘtres papetiers, faire perdurer cet artisanat dâart et pouvoir sâaffranchir des papiers industriels.
Le papier a quelque chose de passionnant : tel un cuisinier, on peut imaginer mille recettes, pour en changer son grammage (lâĂ©paisseur du papier), sa couleur, sa texture⊠La fabrication de papier recyclĂ© amĂšne une certaine satisfaction de crĂ©er soi-mĂȘme un matĂ©riau unique, qui pourra ĂȘtre utilisĂ© pour de nombreux projets crĂ©atifs.
Le rĂ©sultat sera toutefois toujours Ă©tonnant, parfois mĂȘme inattendu, car la beautĂ© sâexprime souvent dans les imperfections et les accidents. On ne sâennuie jamais quand on fabrique du papier !
Le papier a quelque chose de magique : on peut transformer une matiĂšre brute, de simples fibres qui flottent dans lâeau, en un objet singulier. En recyclant de vieux morceaux de papier, on transforme un dĂ©chet, un rebut qui nâintĂ©ressait personne, en une feuille de papier qui peut ĂȘtre un vrai bijou. Une fibre de papier peut ĂȘtre recyclĂ©e environ cinq fois, ce serait dommage de ne pas lui donner une seconde vie, quâen pensez-vous ?