Dragons

Page 1


LES RACES DES ANCIENNES SEIGNEURIES

AVANT-LIRE

AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE CHAOS…

Il était formé d’eau, de glèbe, de lave et d’éther.

Les dragons le modelèrent peu à peu de leurs souffles puissants, imprimant leurs griffes sur la matière brute.

Ces êtres fantastiques hantent nos imaginaires depuis toujours. Ils sont les seigneurs des nues, les dévoreurs de princesses, ceux que l’on combat au péril de son âme.

Sauriens, oiseaux monstrueux, serpents des marécages et des grottes, caparaçonnés de fer, de rubis ou d’émeraude, ils volent, nagent, bondissent et se terrent au fin fond du légendaire.

Ailés, écailleux, cornus, ils sont les créatures des entre-mondes par excellence, liant de leur férocité mystérieuse les vapeurs d’univers dépassant les presciences humaines.

Avant l’ère du Dieu unique, les dragons cosmiques fécondaient la terre de leurs émanations puissantes et assombrissaient les nues de leurs ailes gigantesques. En ces temps anciens, ils faisaient partie du monde, en animaient les recoins les plus sauvages : îles oubliées, forêts impénétrables, grottes ou avens* profonds. Les dragons défendaient ces terres perdues à coups de dents et de griffes, anéantissant de leur hargne enflammée les intrus et les benêts.

Leur sagesse était immense, comme construite des joyaux qu’ils amassaient en leur antre. Le héros qui avait la témérité de les provoquer se devait d’être aussi clairvoyant que courageux.

Le dragon connaissait l’âme humaine et s’amusait à poser mille devinettes et énigmes aux importuns de passage, les menaçant des pires tourments au premier faux pas.

Monstrueux, de monstrum en latin, signifie « prodige, avertissement céleste ».

Les dragons sont donc terribles, oui, mais ils insufflent la terreur non par leur hideur, mais bien en tant que bêtes merveilleuses, liens avec les forces supérieures, et annonciateurs de danger.

* Découvrez le lexique à la page 77 de cet ouvrage.

LES ORIGINES DES DRAGONS

Des dessins aux flancs des grottes laissent supposer que le dragon accompagne les hommes depuis des temps sans mémoire. Était-il varan, crocodile, dinosaure, ou véritable être volant et cuirassé d’écailles ? Personne ne le sait. En revanche, sa présence ancienne comme les pierres semble avoir émergé conjointement au cœur de maintes cultures et aux quatre coins du monde.

Son ombre puissante effleure les mythologies grecques, celtiques, nordiques, et ses pouvoirs sacrés étaient déjà reconnus en Mésopotamie, sous les traits du terrible Mushkhushshu.

Dans la mythologie babylonienne, le dragon mange le soleil, puis la lune ; il est le grand maître des éclipses, détenant entre ses dents acérées le destin de l’humanité.

Son nom vient du grec ancien derkomaï, un verbe qui signifie « regarder fixement ».

Le dragon était un être cosmique aux premiers âges de la Terre. Il créa le chaos fécond, fut le maître de la lave en fusion, de l’orage et de l’ouragan. Il était alors craint et vénéré comme un dieu.

Le dragon celtique était sage, mystérieux et sacré. Grâce à ses mues successives, il était maître des métamorphoses et adhérait ainsi aux cycles de réincarnation. Le dragon était aussi thérapeute éclairé ; touchant de son aile de cuir les secrets de la terre féconde, du feu purificateur, des nues régénérantes. Il était le chef suprême, celui qui serait pour l’éternité lié au plus célèbre des rois de Bretagne, Arthur, fils d’Uther Pendragon.

Au tout début de l’époque médiévale, le dragon reste un symbole de force, de clairvoyance, de combativité. Il s’inscrivait alors sur les bannières et les blasons, et régnait en majesté sur les champs de bataille. Il fut l’emblème respecté de Richard Cœur de Lion, en 1191, au siège de SaintJean-d’Acre, et protégea de son aile les dynasties des Pendragon des terres de Bretagne.

Les Vikings sculptaient leurs embarcations (ou langskips) en têtes effrayantes de dreki nordiques.

Plus tard, au milieu du Moyen Âge, le dragon descendit de ses nobles pavillons, ses ailes s’atrophièrent et il devint un démon, perdant ainsi son aura de fertilité et de force.

Les chevaliers se devaient alors de le pourfendre ou de l’asservir, afin de le renvoyer vers ses territoires infernaux. Ces héros sauroctones*, comme saint Michel, saint Georges ou saint Véran, étaient les seuls, dit-on, à posséder une âme assez pure pour terrasser ces créatures maléfiques.

Dans la légende des Nibelungen, Richard Wagner réinventa le personnage de Siegfried, victorieux du dragon, comme triomphant de la partie sombre et mystérieuse de sa propre personnalité.

Aujourd’hui, la fantasy fait une part belle aux dragons : Robin Hobb, George R.R. Martin, J.R.R. Tolkien, Ursula K. Le Guin, et bien d’autres génies de ce genre littéraire replacent le dragon sur le trône incrusté de sagesse et d’ancienneté que le christianisme lui a ravi.

APPARENCE & SYMBOLIQUE

Le dragon, par définition, est cuirassé d’écailles, cornu et griffu à souhait. Il crache le feu par ses naseaux rougeoyants, et sa crête mouvante est hérissée d’épines venimeuses.

Il est souvent décrit immense comme une montagne, ses anneaux enserrant les collines et les volcans. Ses yeux à facettes discernent le vrai à travers les apparences et les mensonges (les dragons terrifient et ensorcellent pareillement).

Être hybride, il déroule ses ailes de chauve-souris au clair de lune, déploie les écailles de sa queue à la surface des eaux glauques, transperce l’air de ses rugissements et du feu de ses entrailles. Il englobe tous les éléments et contient, en son âme rebelle, la nature entière.

Le dragon est polymorphe*, et son rôle de protecteur touche aux nuages, à la fécondité de la terre, aux secrets enfouis sous les eaux ou au cœur des grottes.

Son devoir de gardien, tel Ladon du jardin des Hespérides, le fait accéder au monde des dieux. Il n’est pas issu des royaumes divins, mais sa force et sa clairvoyance en font un gardien des seuils, des portes ou des trésors.

Il n’est donc ni homme, ni dieu, ni bête, mais un être de force et de chaos qui hante les nuits, les marécages et les territoires des entre-deux.

Il fascine, hypnotise même, et profite de cet ascendant pour pétrifier et dévorer l’intrus en ses demeures.

En science alchimique, le dragon est l’énergie primordiale, le chaos constructeur. Il est personnalisé par le processus de la calcination, la purification intense qui détruit les impuretés afin de permettre la renaissance spirituelle.

LÉGENDES DRAGONNES

Pour quelle raison le dragon hante-t-il les contes, les légendes et les récits depuis les temps les plus reculés et en tous lieux ?

Peut-être parce qu’il possède plusieurs visages : il est le dévorant, celui qui « fait renaître ». Il est le protecteur des trésors, le guetteur. Il est aussi le guide, celui qui, sculpté à la proue des navires ou sur les oriflammes de guerre, mène au combat.

Thésée, Persée, Jason, Hercule, Jonas…

Ces héros combattirent et tuèrent la plupart du temps le dragon, le monstre, parfois. Comme Jonas, ils furent dévorés, puis recrachés avec un peu plus de sagesse et de connaissance qu’auparavant.

Le dragon est donc une épreuve, une épine sur le chemin initiatique, permettant d’accomplir un cycle de connaissance et de renaissance.

Il est doté de la capacité d’altérer les perceptions humaines dans le seul but d’être vénéré.

Dans les récits des Eddas* nordiques, Sigurd boit le sang et mange le cœur du dragon Fáfnir, qu’il a vaincu. Grâce à cette victoire, il devient presque invincible, et comprend dès lors le langage des oiseaux, la langue des initiés.

Tristan, autre héros médiéval, tua le dragon d’Irlande à qui était offerte chaque jour une jeune vierge.

Ce dragon obstruait les portes de la ville jusqu’à l’ingestion du sacrifice. Tristan sauva les jeunes victimes et ouvrit ainsi les portes symboliques de la connaissance.

Le dragon est ainsi mêlé, d’une part à la mort, et d’autre part au savoir initiatique. Lors de cataclysmes, de tempêtes, de tremblements de terre ou d’éruptions volcaniques, des sacrifices étaient offerts aux dragons tout-puissants afin d’apaiser leur courroux.

Le christianisme, en voulant dompter ces manifestations naturelles et dangereuses, fit affronter les dragons par de preux chevaliers, conduits par Dieu, par des saints, des saintes ou des ermites, tous capables de domestiquer les forces de la terre, de l’eau, des nues ou des volcans.

Ainsi, la Tarasque du Rhône fut apprivoisée par sainte Marthe, qui la transforma en un gros chat affectueux, crachant le feu au bout de sa laisse.

Saint Michel précipita sur terre le dragon de l’Apocalypse.

Quant à sainte Marguerite, du fond de son cachot, elle fut avalée par un dragon immense, puis elle ressortit de ses entrailles, lui perçant l’échine de sa croix…

Le dragon est ainsi une énergie vitale dont se nourrit le héros ou un danger chaotique, issu du monde chthonien* et qui doit être asservi.

Il est surtout, et avant toute chose, la force de vie, l’union des quatre éléments : le feu de ses naseaux, l’air chantant sous ses longues ailes, sa queue de poisson ondulant sous l’eau et ses griffes bien plantées dans la terre féconde.

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.