9782728936373 Tous saints

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Tous saints !

20 TÉMOINS

DE LA FOI RÉCENTS

RACONTÉS PAR

Bénédicte Delelis

À sœur Marie-Faustine, Aude, Maïa, Hortense, Adeline, Florence, sœur Claire-Cécile, sœur Claire-Agnès, sœur Claire-Kateri et père Geoffroy de Pontac, afin que nous tenions jusqu’au bout notre promesse de suivre Jésus.

Introduction

Qu’ils sont beaux, ces visages d’hommes, de femmes, de jeunes de notre temps, transfigurés par la lumière de la bonté de Dieu… Pier Giorgio Frassati, Claire de Castelbajac, Baudouin et Fabiola de Belgique, Marcel Callo, Marie Noël, Charles de Foucauld, Chiara Luce, Daphrose et Cyprien Rugamba, le cardinal Van Thuân, Madeleine Delbrêl, Takashi et Midori Nagai, Franz Stock, Gianna Beretta Molla, Carlo Acutis, Sœur Clare Crockett, Franz Jägerstätter, Frédéric Ozanam !

De pays, d’âges, de positions sociales, d’états de vie et de tempéraments tous différents, ils manifestent chacun une manière originale de suivre le Christ. Car qu’est-ce qu’un saint, sinon un disciple de Jésus crucifié et ressuscité, déterminé à le suivre, à chaque époque, « non pas de loin, mais le plus près possible », selon l’expression du bienheureux Antoine Chevrier 1 ?

1. Antoine Chevrier, Écrits spirituels, Cerf, 2005, p. 37-38.

Le concile Vatican II, dans sa constitution sur l’Église Lumen Gentium, a remis en valeur la vocation de tous les baptisés : la sainteté. Celle-ci y est décrite comme « la plénitude de la vie chrétienne » et « la perfection de la charité 1 ». Ainsi, vivre l’Évangile, suivre Jésus de près, aimer comme il aime n’est pas réservé à des ermites maigres et barbus vivant par pénitence sur des colonnes, comme autrefois les moines stylites…

Dans l’immense et joyeux cortège des rachetés, il y a de la place pour une étudiante enthousiaste et tendre, un couple royal, un scout, un fermier sacristain pauvre, une femme poète amoureuse et tourmentée, un écrivain danseur… Il y a, dans les années terribles de la Seconde Guerre mondiale, des Allemands, des Japonais et des Français, ennemis par leur nationalité, compagnons et frères d’âme pourtant, sans se connaître.

Parmi ces grands croyants, certains sont joyeux, ont la foi limpide et meurent le sourire aux lèvres ; d’autres, angoissés, marchant à tâtons au milieu des épreuves de la vie, rendent leur dernier souffle en pleurant, implorant le pardon pour leurs péchés… Certains sont baptisés enfants, tombés dans la marmite de la foi quand ils étaient petits, d’autres se sont convertis plus tard, foudroyés par la miséricorde de Dieu. Religieux, évêques, prêtres, célibataires, mariés, jeunes, ils ont en commun l’amour et l’humilité de Jésus dans leur cœur, son nom sur leurs lèvres, son pardon

1. Lumen Gentium, no 40.

purifiant leurs fautes, sa force dans leurs faiblesses, sa charité qui les presse de ne jamais cesser d’aimer jusqu’à leurs ennemis… Et lorsqu’on lève les yeux vers eux, on aperçoit quelque chose de Jésus, de son visage étonnant et splendide.

Aujourd’hui encore, ces témoins du Christ sont pour nous un vivant appel : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi » (Mt 19, 21).

Le voudrons-nous ?

Pier Giorgio Frassati

Chérir les pauvres

1901-1925

Il y en a un, je crois, qui aurait été bien surpris d’apprendre que l’Église allait le déclarer saint : c’est Pier Giorgio Frassati ! Il est probable qu’en entendant ce bruit courir dans les couloirs du Ciel, Pier Giorgio en ait avalé de travers les bouffées de fumée de sa pipe céleste !

Il se sentait si misérable, Pier Giorgio, si pécheur souvent, plein de doutes, de combats, d’espoirs déçus quelquefois…

« J’ai besoin de prières, écrit-il à un ami en 1925, parce que je passe une période critique de ma vie. Tu sais, je suis à la veille d’abandonner ma vie d’étudiant […] pour entreprendre la difficile ascension de la vie, voie, hélas, assez dure depuis qu’en moi, quelque chose a changé, quelque chose qui annonce un orage très brutal 1 . »

1. Lettre à Gian Marin Bertini, 29 juillet 1925, in Cristina Siccardi, Pier Giorgio Frassati, Biographie, Artège, 2010, p. 248.

Ou encore : « Ce moment est difficile pour moi […], la lutte est dure, mais il faut quand même chercher à vaincre et à trouver notre petit chemin de Damas, pour pouvoir y marcher vers ce but que nous devons tous atteindre 1 . »

La mort prend Pier Giorgio par surprise, en 1925, à l’âge de vingt-quatre ans. En une semaine, il est emporté par une poliomyélite. Sa famille s’aperçoit de la gravité de la situation la veille seulement de son décès. Et Pier Giorgio meurt… en pleurant continuellement. La religieuse qui se tient auprès de lui la nuit précédente l’entend s’exclamer : « Est-ce que Dieu me pardonnera ? Il me pardonnera ? » Et il poursuit dans un cri angoissé : « Seigneur, pardonnez-moi, pardonnez-moi 2 ! »

Ce sont les derniers mots qu’on entend de lui. Non, ce n’était pas une mort brillante et bien élevée, ni une mort spectaculaire, ni même une mort édifiante. C’était tout bonnement la mort, déchirante.

Après vint la surprise : les lettres innombrables, la foule à l’enterrement, des pauvres, une multitude de pauvres inconnus de la famille du sénateur Frassati, célèbre directeur du journal antifasciste La Stampa. On écarquilla des yeux ronds et, saisi, chacun se demandait : « Mais qui était donc ce Pier Giorgio ? Nous connaissions un type sympa, qui aimait la poésie, la littérature, qui souffrait un peu

1. Lettre à Isidoro Bonini, 29 janvier 1925, in Lettres, Cerf, 2019, p. 400. 2. Cristina Siccardi, op. cit., p. 321.

dans les études ardues d’ingénieur à Polytechnique… un fameux montagnard, toujours la pipe à la bouche, effacé souvent, rigolo de temps à autre ; un jeune homme un peu décalé, qui faisait parfois honte à sa famille, d’ailleurs… N’avait-il pas demandé, à la fin d’une réception mondaine où il était arrivé en retard et sans manteau – alors qu’il faisait un froid de loup – s’il pouvait emporter les fleurs ? Qu’avait-il bien pu en faire ? »

Si on l’avait suivi, on aurait su comment Pier Giorgio utilisait les bouquets dont on ne se servait plus. Il les déposait sur les tombes des pauvres… Et le manteau ? Il avait été offert, sur la route, à quelque miséreux grelottant.

Ce grand amour des pauvres était né en Pier Giorgio en même temps que son amour de Jésus : dès l’enfance.

Un jour, une femme avait sonné à la porte des Frassati ; elle demandait l’aumône. Le petit garçon, haut comme un arrosoir, avait regardé la pauvre maman. Puis, il avait enlevé ses souliers et dit simplement : « Pour vos enfants. »

Adolescent, il s’inscrivit à la Société de Saint-Vincentde-Paul et commença à visiter les malheureux du quartier. Il se privait pour leur venir en aide, allant à pied afin d’offrir le montant du ticket de bus, apportant de la nourriture, des médicaments jusque dans des maisons dites malfamées par les gens élégants de son milieu… Mais lui n’en avait cure.

« Ça ne te dégoûte pas, ces lieux répugnants ? lui demandait-on quelquefois. Tu sais comment les filles de la famille que tu visites se conduisent 1 ?

– Jésus me rend visite chaque matin dans la communion, répondait Pier Giorgio. Moi, je lui rends visite en allant à la rencontre des pauvres. Autour d’eux, je vois une lumière que nous n’avons pas 2 . »

Lors d’un voyage en Allemagne, Pier Giorgio prit sa décision. Il ne serait pas prêtre. Il y avait songé, bien sûr. Il s’était interrogé : serait-ce sa vocation ? Il ne s’en trouvait pas digne. Mais surtout, il se sentait appelé à demeurer auprès des ouvriers, des gens simples et laborieux. À Polytechnique, il avait choisi la section « Corps des mines ». Être laïc au milieu des mineurs, appartenir au Christ et y servir les pauvres : voilà ce qui lui semblait être sa vocation. Sa mère en fut certainement soulagée, elle qui était si inquiète et exaspérée de ce qu’elle considérait comme la bigoterie de son fils : sa messe quotidienne, ses prières, son chapelet…

Oui, Pier Giorgio resterait laïc. Il pensa un moment au mariage avec Laura Hidalgo, qui tenait le secrétariat de leur petit groupe d’amis, appelé « Les Types louches ». Mais, est-ce parce qu’elle ne plut pas à ses parents ? Craignait-il, alors qu’ils menaçaient de se séparer, que cela brise irrémédiablement leur couple ? Ou avait-il

1. Dans ce livre, les propos entre guillemets dont la source n’est pas indiquée en note sont ceux que l’auteur a librement reformulés. 2. Cristina Siccardi, op. cit., p. 164-165.

l’intuition que le mariage n’était pas sa voie ? On ne le saura jamais… En tout cas, il ne lui déclara pas sa flamme et se retira, le cœur brisé pourtant.

« Mon programme tient en ceci, dit-il : convertir cette sympathie spéciale que j’avais pour elle, et qui n’est pas voulue, pour la fin à laquelle nous devons parvenir, à la lumière de la charité. » Puis il ajoute : « Comme catholiques, nous possédons un amour qui dépasse tous les autres 1 . »

C’est cet amour qui embrase Pier Giorgio jusqu’à la fin. Quand il comprend qu’il va mourir, son ultime geste est d’écrire un mot pour faire livrer les piqûres d’un malade, puis il vide son portefeuille : voilà des sous pour publier une petite annonce pour les pauvres… Pier Giorgio aime jusqu’à la dernière minute.

« Tu me demandes si je suis joyeux, écrit-il à sa sœur Luciana quelque temps auparavant. Comment ne pourrais-je pas l’être ? Tant que la foi m’en donnera la force : toujours joyeux ! [La voie chrétienne] est joie même à travers les douleurs 2 . »

1. Lettre à Isidoro Bonini, 6 mars 1925, in Lettres, op. cit., p. 420-421.

2. Lettre à Luciana, 14 février 1925, in Cristina Siccardi, op. cit., p. 341.

Pier Giorgio, enseigne-nous ta bonté inlassable dans une vie tout ordinaire, ta charité pour les pauvres et les malades puisée dans l’Eucharistie, ton amour désintéressé qui fut ta joie au milieu de toutes les peines. Nous te prions pour les jeunes : fais lever des saints parmi cette génération !

Claire de Castelbajac

Louer éternellement

1953-1975

Un gros éclat de rire qui roule et tourneboule jusqu’au rez-de-chaussée de la vieille maison de Lauret, dans le Sud-Ouest de la France ? C’est Claire de Castelbajac ! Des baisers qui claquent, des exclamations de bonheur, un ouragan de tendresse ? C’est elle.

Ah ! Claire n’est pas triste, ça non ! Depuis l’aube de sa vie, elle est gaieté. Elle sait à peine marcher, qu’emportée par la gratitude d’exister elle court embrasser tout ce qui se présente à son regard d’enfant ébloui : la gazelle qui broute au fond du jardin de Rabat, où elle est née, les fleurs, la balançoire, les poupées et, surtout… ses parents mille fois chéris. Claire est issue d’un second mariage. Son père, Louis, après la mort de sa première femme, a épousé Solange. Claire, née le 26 octobre 1953, est l’unique enfant de cette seconde union. Mais elle a des demi-frères et sœurs plus grands qu’elle aime avec toute l’ardeur dont son cœur est capable.

D’ailleurs, à bien y réfléchir, Claire chérit tout avec un égal enthousiasme : la maîtresse, l’école, les repas qu’elle dévore avec un formidable appétit, les animaux de la ferme voisine de Lauret, où elle emménage lorsqu’elle a six ans. Il est si difficile de résister à sa joyeuse gentillesse qu’un jour elle revient de l’école avec une croix de récompense qu’on lui a épinglée sur la poitrine uniquement pour ne pas la décevoir !

La santé de la petite fille est assez fragile. Une fois, à la suite d’une grave infection, l’enfant, brûlante de fièvre, plonge dans un semi-coma. Après une nuit d’angoisse, de soins et de prières, Claire se sent mieux. Mais c’est décidé, elle suivra l’école à la maison, pour ne pas mettre en danger sa santé. C’est vraiment la belle vie : les galopades dans les champs avec le voisin Simon, les leçons de piano dont elle raffole, les énormes tartines de chocolat pour le goûter… Au milieu de tout cela, il y a Jésus, membre de la famille à part entière, dans la maison des Castelbajac.

« Ma bien chère maman chérie, écrit-elle à l’âge de neuf ans, je vous remercie :

1 – d’avoir permis à votre petite fille Claire de jouer dans la neige (prix : 10 baisers)

2 – de me donner à manger et des habits (20 baisers)

3 – de me faire mille tendresses le matin en m’éveillant et le soir en me couchant (50 baisers)

4 – de m’avoir fait chrétien [sic] et enfant de Dieu par le baptême (très précieux : 1 000 baisers 1). »

En observant cette petite fille vive et rieuse, les vieilles tantes de Claire s’extasient de leur voix chevrotante : « C’est merveilleux comme Claire possède la joie de Dieu 2 ! » Claire entend. Plus tard, en y repensant, elle comprendra. À cette époque de sa vie, ce n’était pas encore la joie de Dieu qui habitait son cœur, mais tout simplement la joie de vivre ! Il lui fallait encore découvrir une joie qui résiste aux difficultés et aux peines de la vie, une joie qui ne s’éteint ni avec la solitude ni avec les échecs et les déceptions… Là, ce serait véritablement la joie de Dieu.

L’adolescence et surtout la jeunesse vont être pour Claire l’école de cette joie. Elle passe ses années de collège et de lycée à Toulouse, d’abord en pension chez des religieuses, puis dans une famille amie. Il lui faut apprivoiser l’éloignement de ses parents, la perte de son indépendance, les notes plus ou moins bonnes, les amitiés plus ou moins faciles… Très casse-cou, Claire se blesse le dos et révise le bac à l’hôpital. Elle n’a pas perdu une miette de la gaieté et de la tendresse de son enfance, qu’elle distribue sans compter aux aides-soignantes, aux voisins de chambre isolés, aux visiteurs… Elle prie et reçoit la communion tous les jours. Ensuite, le bac en poche, elle se prépare à entrer au Restauro, une école de restauration de peintures

1. Dominique-Marie Dauzet, Claire de Castelbajac, Que ma joie demeure, Presses de la Renaissance, 2010, p. 49.

2. Vivre Dieu dans la joie : Claire de Castelbajac, Lauret, 1988, p. 113.

prestigieuse à Rome. Pour cela, elle suit une année d’histoire de l’art à la faculté de Toulouse, puis quelques mois de préparation intenses à Rome. À sa profonde surprise, elle est reçue ! La grande aventure commence. Très vite, ça n’est pas aussi facile qu’elle l’avait imaginé. Les parents sont loin. Un cadre affectif et structurant lui manque. Elle s’éparpille, noue des amitiés un peu à tort et à travers, ne travaille plus, fait la fête, quitte Rome à minuit avec des copines pour admirer le lever du soleil au bord de la mer…

À son arrivée en Italie, Claire se rendait à la messe tous les matins, comme elle l’avait toujours fait. Elle sortait de là toute bonne, toute pure, pleine de la sainteté de Jésus ! Mais autour d’elle, aucune de ses amies n’a la foi. On lui lance un jour : « Tu y viendras, tu verras, à notre athéisme 1 ! » Claire secoue la tête. « Bien sûr que non ! »

Elle a la foi chevillée au corps depuis l’enfance ! Aimer Jésus et la Sainte Vierge lui est aussi naturel que de respirer ! Pourtant, Claire prie moins, va moins à la messe, puis un jour elle rate celle du dimanche… Peu à peu, sa foi vacille. « À quoi bon aller à la messe si le cœur n’y est plus ? écrit-elle à ses parents. J’y vais par habitude. N’estce pas de l’hypocrisie ? »

Elle lance des appels à prier pour elle. Elle se sent soumise à toutes sortes de tentations. Elle a été amoureuse d’un garçon en France qui ne l’était pas d’elle. Ici, à 1. Ibid., p. 100.

Rome, elle a du succès. Soudain, la possibilité d’avoir un amoureux juste pour le plaisir, sans lendemain, lui semble attrayante. Mais elle résiste. Toutefois, elle ne s’est jamais sentie si seule et si vide. Où est la joie qui l’habitait autrefois ?

L’été suivant, elle est de retour en France après une année scolaire médiocre et une amitié douloureusement rompue. Heureusement, le bon air de Lauret, l’affection des siens, un séjour à Lourdes puis un pèlerinage en Terre Sainte la remettent sur pied. C’est une Claire renouvelée qui revient au Restauro, se remet au travail, retourne à l’église, change ses amitiés et replace Jésus au centre.

Claire a compris : la joie de Dieu, « c’est quand Dieu prend plus de place dans ton âme que tout le côté humain et désespérant 1 ». Alors, même si la joie de vivre s’émousse ou disparaît, peut demeurer cette stable joie de Dieu.

Claire poursuit ses études à Assise, où elle loge chez des religieuses. Ses pinceaux à la main, elle déborde d’une allégresse qui ruisselle sur tous… Quand elle rentre à Lauret pour Noël, elle lance à sa maman : « Si je mourais maintenant, je crois que j’irais au Ciel tout droit, car le Ciel c’est la louange de Dieu, et j’y suis déjà 2 . » Quelques jours plus tard, elle meurt d’une leucémie foudroyante, le 22 janvier 1975, à l’âge de vingt-deux ans.

1. Ibid., p. 114.

2. Ibid., p. 144-145.

Claire,

toi qui as reçu le don de la gratitude, toi qui as choisi courageusement la pureté, entraîne-nous dans ta joie et ton esprit de louange !

Tu nous montres avec ta simple vie d’étudiante que notre vocation à tous, c’est le bonheur.

Carlo Acutis

Se laisser transformer par l’Eucharistie

1991-2006

Le miracle, dans la vie de Carlo Acutis, ce qui émerveille, dans l’existence de ce jeune Italien mort à quinze ans, c’est la gratuité du don de Dieu et la pureté limpide de la réponse que Carlo a offerte en retour.

Carlo ne vient pas d’une famille pilier de sacristie. Il est né à Londres de parents milanais, expatriés aisés, très pris par leurs métiers respectifs. La mère, Antonia, raconte qu’à cette époque elle est allée à la messe trois fois dans sa vie. C’est Beata, la nounou polonaise, qui, lorsque la famille rentre à Milan, fait découvrir au petit garçon la Sainte Vierge et Jésus. En vacances d’été chez les grandsparents, dans un paysage de rêve au bord de la Méditerranée, elle l’emmène prier au sanctuaire marial voisin.

Il semble que l’âme de ce petit garçon jovial et un peu rond soit une de ces bonnes terres dont parle l’Évangile.

Le grain jeté par Beata prend racine et pousse.

Quand le grand-père de Carlo meurt, l’enfant prie de toutes ses forces pour que le vieux monsieur, dit nonno, aille vite au Ciel : Beata a dit que c’était là que se rendaient les morts quand leur âme était prête. Carlo réclame donc d’aller à la messe afin de prier pour nonno. La famille est surprise, mais consent volontiers. Elle se laissera entraîner doucement dans le sillage de la foi du petit garçon.

Le coup de cœur de Carlo, c’est l’Eucharistie. Il se prépare avec grand sérieux à sa première communion, qu’il reçoit dans un monastère de religieuses, un jour éclatant de juin. Le soir de la fête, sa décision est prise : il ira à la messe tous les jours.

« Aller à la messe le dimanche, c’est déjà bien, Carlo, non ? »

Non, non, seulement le dimanche, ça ne suffit pas à Carlo. Son cœur le pousse et l’appelle vers le tabernacle, qui l’attire comme un aimant. Jésus devient son pain quotidien.

Un après-midi, il passe devant le cinéma avec sa mère. Devant la file de ceux qui se pressent pour acheter des billets, il soupire : « Pourquoi n’y a-t-il pas la queue devant le tabernacle ? Ah… si les gens savaient qui est là, il y aurait des kilomètres de queue pour voir Jésus ! »

Carlo va à l’école, au foot ; il a reçu une petite caméra, filme les animaux de la famille et monte des courtsmétrages amusants. Au fond, si on formulait ce qui frappe chez ce petit garçon comme les autres, ce serait certainement la qualité d’amour de son cœur. Carlo a l’art de se

faire l’ami de tous, de partager les joies, les peines, de faire rire, d’égayer. Les parents d’un garçon de sa classe divorcent. C’est assez mal vu dans le milieu où évolue Carlo. Qu’à cela ne tienne : lui, invite le garçon à jouer. Il faut le distraire de son chagrin. Chaque matin, il salue gaiement les gardiens d’immeuble avec qui il se lie d’amitié. Il noue une relation forte avec le majordome mauricien de la famille, Rajesh. Bientôt, ce sont les pauvres de la rue qui attirent son regard. Avec grand-mère Luana qui habite juste à côté, il prépare des spaghettis et va les déposer, tout chauds, sur les genoux d’un homme pauvre, échoué en bas sur le trottoir, dans le froid de l’hiver.

Quelquefois, Carlo est même un peu déconcertant. En grandissant, cela lui déplaît de plus en plus lorsqu’on lui offre trop d’affaires. Un jour, il déroute sa mère en refusant catégoriquement une paire de chaussures neuves. Elle ne comprend pas. Mais Carlo a déjà des souliers et ne voit pas l’intérêt d’une nouvelle paire ; il préfère marcher léger vers Jésus pauvre. Une autre fois, il décline la proposition de son père d’aller en pèlerinage à Jérusalem alors que, tout le monde le sait, le jeune garçon adore les voyages.

« Pourquoi aller à Jérusalem ? interroge-t-il. Jérusalem est dans tous les tabernacles du monde ! »

Carlo aide le prêtre de la paroisse à enseigner le catéchisme aux plus petits. Il soupire un peu parfois. Qu’il est difficile de transmettre un grand amour de Jésus aux enfants agités et distraits ! Carlo s’évertue à trouver de nouvelles méthodes. Il se passionne pour les miracles

eucharistiques. À Lanciano par exemple, au viiie siècle, une hostie s’est transformée en morceau de chair véritable, entre les mains d’un prêtre qui doutait de la présence réelle du Christ. En 1970, des analyses scientifiques ont été faites, donnant des résultats qui stupéfient Carlo. Le morceau étudié s’avère être une partie du myocarde, le muscle du cœur. Et, malgré l’ancienneté du miracle, l’analyse montre que ce muscle appartient à un homme encore vivant, du même groupe sanguin que l’homme du linceul de Turin. Si les gens connaissaient cela, ne se précipiteraient-ils pas à la messe, en prenant conscience de son invraisemblable grandeur ? songe Carlo. Il prépare alors une grande exposition sur le web, planète nouvelle, sur laquelle il navigue avec un talent précoce. Il y consacre tous ses temps libres au point que sa grand-mère trouve quelquefois que c’est un peu beaucoup… Que c’est aux prêtres d’être missionnaires, que Carlo ferait mieux de faire des mathématiques… Mais Carlo est persuasif. Chacun est appelé à être apôtre ! Lui, c’est aujourd’hui par le web qu’il peut l’être !

L’adolescent prie son chapelet tous les jours, a soif d’amitiés pures. Quand on fera l’examen de ses navigations sur internet après sa mort, on découvrira que ses pas ne se sont pas égarés sur des routes ténébreuses. Carlo ne veut pas perdre une minute à des choses qui ne plaisent pas à Dieu.

En septembre 2006, l’exposition de Carlo doit être inaugurée à Assise. Mais il ne se sent pas bien. Il a de la fièvre. Est-ce la grippe ? les oreillons ? Au début, on

ne s’affole pas. Un matin, tout de même, il ne peut plus se lever, on l’emmène à l’hôpital. Le diagnostic tombe comme la foudre : une leucémie. Il ne reste que quelques heures à vivre à Carlo. Le temps d’un sourire, il a fermé les yeux pour toujours.

À son enterrement, les parents dévastés découvrent, stupéfaits, une foule d’inconnus pour eux, mais tous aimés de leur fils. Au lieu du glas, un carillon sonne à toute volée quand le cercueil sort. Une rumeur se répand : c’est Carlo qui monte au Ciel ! Et sans attendre, grâces et miracles pleuvent…

Cher Carlo, demande pour nous la grâce que l’Eucharistie nous transforme, nous aussi ! Qu’elle agisse en nous puissamment, afin que nous devenions les saints originaux que nous sommes appelés à être…

Pas des photocopies, des originaux !

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