

Nous voici devant l’atelier du Père Noël.
Si, par hasard, vous étiez tenté de chercher l’atelier sur une carte, posez votre doigt n’importe où, au hasard, là où vous habitez, là où vous voulez. Vous y êtes ? Alors maintenant remontez, remontez, remontez encore, jusqu’à arriver tout en haut, juste à côté du Pôle Nord. C’est là, dans une vallée discrète, c’est là qu’habite le Père Noël. Caché entre deux montagnes de glace, l’endroit est invisible et, même si c’est un des lieux les plus
célèbres au monde, il n’existe aucune photo de ce fameux atelier.
Cette histoire commence un 23 décembre.
Comme chaque année depuis… depuis si longtemps que plus personne ne sait depuis quand, une montagne de paquets cadeaux attend à côté d’un traîneau de couleur rouge et or. Il y en a de toutes les tailles, des gros et des petits, des très très lourds et des très très légers, certains sont emballés dans de jolis papiers colorés, d’autres dans des pochettes discrètes. Il y a des dizaines, des centaines, des milliers, des millions, des dizaines de centaines de millions de paquets, un pour chaque enfant de la terre, ce qui fait tout de même beaucoup de paquets.
– C’est trop… c’est beaucoup trop ! Chaque année, c’est plus et cette année, c’est trop ! Jamais
ça ne rentrera ! C’est trop !
– On aurait dû les ranger par couleur. Ça serait drôlement plus joli par couleur.
– Mais non, il fallait faire un plan. Le rangement c’est scientifique, c’est mathématique ! De toute façon tout est mathématique.
– Vous me faites rire avec vos idées à la noix !
C’est à grands coups de pied qu’on devrait faire rentrer tout ça. On commence par les plus gros, on cale avec des moyens et puis on enfonce les petits à grands coups de chausson !
– C’est nul ! Ranger c’est nul, les maths c’est nul, les couleurs c’est nul et les coups de savates c’est nul… c’est tout nul ! C’est nul et c’est trop !
– Rrrrrrrr, rrronnnn picchhhhhh… un discret ronflement monte de derrière l’immense pile de paquets.
Chaque année, c’est la même chose. Pendant de longs mois, les lutins ont bien travaillé, ils ont fabriqué, construit, inventé, ils ont fait des miracles et n’ont rien oublié. Mais quand vient le moment de charger, ils ne peuvent s’empêcher de se chamailler.
Ils sont cinq, enfin, presque cinq. Pourquoi presque cinq ? Attendez de les rencontrer et vous comprendrez.
En premier, il y a Zeta. De tous les lutins, elle est la plus carrée, elle aime que les choses soient bien rangées, elle aime compter, elle aime les chiffres et elle sait presque tout sur tout. Un vrai petit génie !
Ensuite, il y a Marcel. De tous les lutins, Marcel est le plus fort. Quand il faut porter une caisse, c’est Marcel. Quand il faut déplacer un meuble, c’est Marcel. Quand il faut soulever le traîneau pour changer un patin, c’est Marcel. Si c’est lourd, s’il faut de la force, c’est toujours à Marcel que l’on demande.
Puis arrive Ronchon. Ronchon est grognon. Il n’aime rien, sauf râler. Demandez-lui n’importe
quoi, il commencera par répondre « Non » ou « C’est nul », « Jamais », « J’aime pas », « Je refuse » et encore mille autres amabilités.
En quatrième se trouve Harmonie. Harmonie aime quand c’est beau, dans sa poche elle a toujours un pinceau, une touche de rouge, une de vert, un peu de bleu et du jaune aussi, Harmonie aime l’harmonie.
Et puis arrive le cinquième lutin.
– Ah non, proteste Ronchon, celui-là n’est pas le cinquième ! Non, celui-là ne compte pas pour un, il ne fait jamais rien.
– Il faut avouer, ajoute Zeta, qu’il est un défi aux mathématiques, quatre plus un, normalement ça fait cinq. Pourtant, avec lui, quatre lutins plus un lutin, ça ne fait que quatre lutins et demi.
– Ce n’est pas grave, grommelle Marcel en haussant les épaules, moi je travaille pour deux. Résultat, nous sommes trois lutins qui comptent pour un, un lutin qui en vaut deux et un dernier qui fait un demi. En vrai, nous sommes cinq et demi !
– Mais laissez-le, finit par dire Harmonie, il est beau quand il dort, il sourit ! Laissez-le, vous le savez que Morphée a besoin de sommeil.
Voilà, celui qui ronfle derrière le tas de paquets, c’est Morphée, le cinquième lutin, celui qui ne compte pas tout à fait pour un et dort pour deux.
Comme chaque 23 décembre, les lutins ont prévu de ranger les cadeaux dans le traîneau du Père Noël. Alors, comme chaque 23 décembre après-midi, les lutins se disputent. Heureusement, ce jour-là, comme chaque 23 décembre depuis plus longtemps que le plus ancien souvenir du plus vieux des lutins, le Père Noël arrive pour tout arranger.
– Ne me dites pas que vous êtes encore en train de vous battre ! s’amuse-t-il.
– Heu… Nous discutons et nous ne sommes pas tous d’accord. Pourtant, c’est quand même évident, on aurait dû calculer avant !
– Pas du tout, commençons par le plus gros et puis tassons ensuite !
– Je propose que nous mettions les rouges en premier, puis les bleus et les jaunes et enfin les verts en dernier.
– Moi, je n’aime pas ranger les cadeaux, c’est nul, c’est fatigant !
Les uns après les autres, comme chaque année à la même date, les lutins expliquent donc au Père
Noël ce qu’il faudrait faire et déplorent que les autres refusent de le faire
– Et pourtant, vous le savez, vous, Père Noël, que c’est moi qui ai raison ! lâchent en même temps Marcel, Harmonie, Zeta et Ronchon.
Même Morphée, d’un sonore et très affirmatif « Rrrrrrronnnnnn », donne son avis.
– Cette année, il y a du nouveau ! s’exclame le
Père Noël, tout joyeux de l’effet qu’il est déjà sûr de produire. Cette année, c’est moi qui vais tout ranger !
– Vous ? Tout seul ? Mais enfin, Père Noël, à votre âge, c’est déraisonnable ! Vous n’avez plus la force, proteste Marcel.
– Et puis je vous connais, s’inquiète Harmonie, vous allez encore mélanger toutes les couleurs.
– En plus, continue Zeta, quand on voit comment est rangée votre chambre, vous n’y arriverez jamais.
– Moi, j’aime pas quand c’est vous qui rangez ! conclut Ronchon.
Le Père Noël s’approche du traîneau en riant, et il appuie sur un bouton rouge au milieu du tableau de bord. Aussitôt le coffre s’ouvre, une pince géante en sort et attrape tous les
paquets. En une minute, c’est fait, tout est rangé.
Elle met les gros en premier, les rouges avec les rouges, les verts avec les verts et dispose tout de façon mathématique et logique.
Les lutins sont subjugués.
– C’est une nouveauté, explique le Père Noël.
Une invention de cette année, je savais que ça me servirait ! Et maintenant, à table ! ordonne-t-il en riant et en filant vers sa maison.
À la table du Père Noël, tout le monde est invité. D’un côté, il y a de jolies chaises en bois clair, de l’autre de belles bottes de paille où viennent s’asseoir les rennes ; d’un côté mille délices sucrées, éclairs au chocolat, pièces montées, choux à la framboise, tarte à la rhubarbe et de l’autre mille plats orange : flancs, gâteaux, jus, clafoutis, mirotons et beignets, tous à la carotte.
– Dans 24 heures, on décolle, dit le Père Noël, alors il faut être en forme. Prenez des forces !
Tout le monde rit et parle en même temps, et cela fait un joyeux brouhaha. Comme chaque année, les lutins ont réussi leur mission, tous les cadeaux du monde ont été fabriqués, comme chaque année il ne manquera pas un jouet, pas un train miniature, pas une poupée, pas un jeu de société et tous les chaussons du monde seront remplis. Pendant ce repas, les lutins oublient de se disputer, les rennes racontent leurs plus beaux souvenirs de voyages et tout le monde est heureux.
Et même Morphée, que les parfums sucrés d’un cake aux amandes ont réveillé, s’est attablé et participe au dîner. Il finira par s’endormir, c’est sûr, mais pas avant d’avoir goûté la tarte aux framboises. Au mur, un gros cadran qui sert de compte
Le 24 décembre au matin, l’impensable arrive : le Père Noël ne peut plus bouger !
Bloqué par un terrible lumbago, il con e sa mission à ses cinq lutins...
Et cette équipe de secours promet d’être... explosive !
Entre un Yéti a amé, une piscine de carottes et une mystérieuse maison oubliée, cette année, c’est sûr, la distribution des cadeaux ne ressemblera à aucune autre !
Éclats de rire garantis à chaque page !