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CHAPITRE 1

La silhouette encapuchonnée traversait les bois d’un pas rapide. Elle avançait solitaire, le front baissé, sans rien regarder autour d’elle.

Le spectacle de Brocéliande au printemps était pourtant superbe. Partout les chênes fleurissaient en grappes blanchâtres, tandis que les feuilles d’un vert tendre frissonnaient dans la brise. Les fougères semblaient avoir pris possession des rares espaces dégagés entre les vieux troncs.

Mais le marcheur ne s’arrêtait pas. Il progressait sans aucun bruit, flottant presque au-dessus du sol.

Même si le temps avait passé depuis la disparition de Merlin, Eliavrès se souvenait parfaitement de la guerre qui avait opposé les Brittons, les Pictes et les Saxons dans la plaine de Camlaan. Lui-même avait échoué à imposer son champion sur le trône de Britannia mais l’enchanteur n’avait pas réussi non plus. Tout était à recommencer.

Cette nuit, l’homme avait senti que Merlin allait sortir du sommeil. Merlin et sa maudite apprentie ! C’était une sensation extrêmement désagréable, comme une déchirure dans ses entrailles. Il n’y avait pas de temps à perdre.

Voilà pourquoi il arpentait la forêt sans jamais prendre de repos.

Le sentier le conduisit à une petite colline où chantaient des sansonnets et des rouges-gorges. Un hêtre fatigué se penchait pour allonger son ombre sur le gazon léger qui couvrait le monticule.

Eliavrès s’arrêta et, pour la première fois, examina les alentours. Son nez crochu était la seule partie du visage, avec sa bouche, qui dépassait de la capuche. Le décor était charmant. L’homme grimaça de mécontentement.

Quoique certain de ne pas s’être trompé, il ne décelait autour de lui nulle trace de ce qu’il venait chercher. Son regard se posa sur tous les éléments qui composaient le tableau.

C’étaient d’abord deux énormes racines noueuses qui paraissaient grimper la pente. Puis, un peu plus haut, une grosse bosse de terre s’arrondissait, comme si une deuxième colline plus modeste avait voulu se développer sur la première.

À partir de là, deux troncs pourris s’étaient abattus sur les côtés. Leur chute devait dater car ils étaient à demi enfouis dans l’herbe drue. Leurs extrémités visibles avaient conservé des séries de bourgeons déformés qui faisaient penser à des chenilles obèses.

Au sommet se détachait un rocher volumineux que les saisons avaient profondément raviné, dessinant des formes étranges, effrayantes. Un trou s’était creusé, mais les pluies n’avaient attaqué que les parties tendres de la pierre. Des sortes de dents de granite hérissaient le bord de la cavité. On entendait une source clapoter à l’intérieur.

Juste après, une fleur écarlate s’épanouissait, démesurée, à moins que ce ne fût un fruit. Enfin, deux cailloux sombres brillaient au milieu de la mousse. L’autre flanc de la butte était entièrement couvert de ronces dont les tiges épineuses s’enchevêtraient dans un indescriptible désordre.

Alors Eliavrès sourit et se découvrit la tête.

Il était d’une maigreur repoussante, les traits creusés jusqu’à faire ressortir son crâne et ses mâchoires. Ses yeux s’enfonçaient profondément dans leurs orbites, au point qu’on n’aurait pu déterminer la couleur des prunelles.

Retroussant les longues manches de sa robe, l’homme étendit les mains devant lui. La rune Odal apparut sur sa paume ouverte.

– Toi qui habites ces lieux, viens à moi, je t’appelle !

Sa voix était sourde et profonde. Elle semblait monter de la terre.

– Viens à moi ! répéta-t-il, impérieux.

Un moment passa. Les oiseaux n’osaient plus chanter. Peutêtre avaient-ils fui.

Soudain, l’une des racines trembla. Les fibres de bois parurent se contracter. Les nœuds se tordirent. L’humus, secoué, se déversa sur les côtés, laissant apparaître des jambes épaisses aux genoux plus épais encore.

Puis, ce fut au tour des bourgeons de tressauter. Ils se recroquevillèrent à la manière de doigts recourbés. Les branchages se replièrent : c’étaient des mains tordues. Les troncs devinrent des bras.

La seconde colline se souleva, ventre gigantesque. Les pierres obscures se fendirent et Eliavrès y reconnut des yeux. Quant à la mousse et aux ronces, elles se révélèrent être des poils et des cheveux. Le gros fruit rouge figurait le nez.

La gueule formidable bâilla, montrant les crocs.

Le regard de la créature se posa sur l’homme. Elle gratta pensivement le lichen qui lui couvrait les joues. Les morceaux de végétation tombèrent peu à peu, donnant à l’apparition une allure grossièrement humaine.

– Je te connais, marmonna l’être colossal. Tu es le nécromant…

L’autre s’inclina avec respect.

– On m’appelle Eliavrès. Et toi, comment faut-il te nommer ?

Le monstre réfléchit longuement. Il soufflait un air poussiéreux, encombré d’insectes qui se tortillaient en touchant le sol.

– Je suis Yspaddaden…

Il se replongea encore un moment dans ses pensées.

– J’ai faim, ajouta-t-il.

Ses paroles résonnaient dans son extraordinaire ventre comme dans une grotte.

– Eh bien, dit le nécromant, je suis venu te proposer un marché. Il y a, tout près d’ici, un village. Je suis certain que les habitants seront tout disposés à t’offrir une partie de leurs récoltes et de leur nourriture. La guerre est loin désormais et les moissons ont été bonnes. Tu y trouveras de quoi te remplir la panse.

L’ogre grogna, méfiant. Il attrapa un champignon brun qui lui avait poussé sur la joue et l’enfourna dans sa gueule. Son gros doigt se tendit vers Eliavrès.

– Pourquoi ferais-tu cela pour moi, petit homme ?

– En échange, je vais te demander un travail.

La créature fronça ses sourcils broussailleux. Des pans entiers de mousse se détachèrent. Dès que le nécromant fut certain d’avoir toute l’attention du géant, il reprit :

– Le roi de ce pays est occupé aux frontières. Il ne surveille pas la région de Britannia. Tu dois en faire ton royaume et le garder contre tous ceux qui voudraient te le reprendre. Moi, je ferai ce qu’il faut pour t’y aider. As-tu compris ?

Après un long silence, l’ogre acquiesça lentement.

– Acceptes-tu ce marché ?

Son interlocuteur eut un nouvel hochement de tête. Des gargouillements se firent encore entendre.

– Maintenant dis-moi, petit homme, quel est ce village où tu veux que je m’installe ?

Eliavrès rabattit sa capuche et commença à s’éloigner sous le couvert des arbres.

– Tu le trouveras facilement. Il s’appelle Camaaloth…

CHAPITRE 1

Un cavalier apparut au sommet de la colline. Il se tenait bien trop loin pour qu’on puisse distinguer son visage. Le soleil éblouissant avait délavé le paysage, effaçant les couleurs et les contours. L’homme posa la main en visière sur son front et observa longuement la vaste plaine.

Puis, avec lenteur, il fit pivoter son cheval et le dirigea vers la pente.

Une caresse sur son visage. Ana ouvrit les yeux.

Au-dessus d’elle s’étendait la vaste frondaison d’un arbre. Sur un fond de feuilles vert émeraude se déployaient des fleurs blanches, rehaussées de rose. Dormait-elle encore ?

L’apprentie repensa à l’inconnu de son songe. Qui cela pouvait-il être ? Où allait-il ? Il lui restait au réveil une légère amertume au fond de la gorge.

Longtemps, elle avait rêvé d’un prince et celui-ci était mort.

Un autre avait été sauvé à sa place.

Elle se redressa sur sa couche. Le pétale qui lui avait effleuré la joue, tomba sur le sol. La mémoire lui revenait peu à peu. Le

retour de Tintagel, le passage à Carduel pour confier Arthur à Antor. Tous ces morts…

– Merlin ?

Le cri s’échappa de sa bouche. Elle se tourna vers l’enchanteur qui était étendu dans son dos. Il sommeillait toujours. Sa barbe avait poussé, ainsi que ses cheveux, formant une sorte de second manteau grisâtre. Son maître paraissait très vieux.

Quand Ana lui posa la main sur l’épaule, ses doigts sentirent une couche poudreuse qui se désagrégeait. Voilà d’où venait cette teinte étrange ! Le vent avait soufflé sur les restes du foyer et dispersé les cendres dans toute la maison. Comment l’appelait-on déjà ? Oui, l’esplumeor.

À cet instant, le mage grogna et la jeune fille en ressentit un soulagement extrême. Une seconde, elle avait cru…

Rassurée, elle se concentra sur le décor. Ils se trouvaient bien à l’intérieur de la chaumière de Merlin. Mais depuis quand un pommier avait-il poussé au beau milieu de l’âtre ? Ses branches occultaient même le trou ménagé dans le toit pour laisser échapper la fumée. Le tronc était épais et noueux. Combien de temps avaient-ils donc dormi ?

Le regard de l’apprentie croisa celui de l’enchanteur qui eut l’un de ses rares sourires. Il se releva et s’étira en faisant craquer ses articulations. Avec ces mouvements, la poussière pâle s’envola de sa toison qui en parut plus sombre.

– Es-tu bien reposée ? demanda-t-il comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

Ana acquiesça. Elle était si heureuse de retrouver son mentor après les aventures qu’ils avaient vécues ensemble ! Mais Merlin ne semblait pas vouloir profiter de ces retrouvailles. Il se mit

sur ses jambes et, secouant les cendres qui le couvraient, se dirigea vers la porte.

Une fois sur le seuil, il s’arrêta pour saisir son bâton :

– Tu viens ?

Aussitôt, Ana s’élança sur ses talons. Ce n’était pas le moment de le perdre de nouveau.

Ils marchèrent à travers Brocéliande. L’air printanier était doux. Partout éclataient des camaïeux de verts. Chênes, hêtres, fougères : la nature resplendissait. Des parfums enivrants de fleurs flottaient dans les sous-bois.

Distraite, Ana ne prit pas garde au chemin qu’ils empruntaient. Ce fut seulement une fois arrivée qu’elle reconnut la source chaude où elle s’était baignée jadis, en quittant sa famille. L’apprentie n’en éprouvait aucun regret. Elle savait que le petit Bleïz, le seul frère qu’elle aimait, avait été recueilli par un couple de Carlion.

Des herbes folles brouillaient les limites du bassin. Le mage avait déjà plongé dans les eaux fumantes, s’ébrouant comme un chien joyeux, nettoyant la crasse accumulée dans sa crinière.

– Ah ! s’exclama-t-il. Je ne connais rien de mieux qu’un bon bain après un long repos !

– Justement, maître, comment expliquez-vous la présence d’un pommier au centre de l’esplumeor ?

Merlin haussa les épaules :

– La magie permet beaucoup de choses…

Elle le dévisagea. L’enchanteur paraissait avoir considérablement rajeuni en l’espace de quelques instants. Il avait désormais l’allure d’un solide trentenaire au torse constellé de tatouages bleutés. Même sa barbe avait connu une mue étonnante : les longs crins gris étaient tombés, remplacés par de courts poils châtains.

– À ton tour, je te laisse la voie libre…

Il sortit de l’eau, complètement nu, attrapa sa tunique et s’en drapa.

Soudain, Merlin leva la tête, l’oreille dressée, comme s’il entendait un appel silencieux.

– Que se passe-t-il ?

Il fronça les sourcils à la question de son apprentie et lui fit signe de se taire. Un long moment de silence passa encore. Puis le sorcier déclara :

– Je dois y aller.

– Comment ? balbutia la jeune fille. Pourquoi ?

– Un vieil ennemi rôde dans le coin.

– Je veux venir avec vous !

– Hors de question ! Tu n’es pas préparée à affronter cela !

Il darda sur elle ses iris bleu-vert. Ana y lut une véritable inquiétude. Elle renonça à le suivre. Après tout, il était le maître.

– Qu’est-ce que je dois faire en vous attendant ?

Il s’apprêtait à s’enfoncer dans les bois.

– Nous avons commencé un travail. Tu dois le continuer.

– Je ne comprends rien à ce que vous racontez !

– Je te rappelle que notre but est de donner un roi à Britannia. Trouve le prince et fais le nécessaire pour qu’il monte sur le trône.

– Vous voulez dire que je dois aller chercher le petit Arthur ?

Merlin était déjà en route. Il se détourna à demi pour lui répondre :

– Qui d’autre ?

Puis, il disparut entre les troncs.

Ana demeura seule, stupéfaite par ce départ soudain. Elle demeura un moment immobile avant de pester contre son manque de réaction.

J’aurais dû insister !

Maintenant, il était trop tard. Nul n’aurait su rattraper l’enchanteur dans sa course forestière. Soupirant, la jeune fille décida de suivre les instructions de son maître.

Elle commença par se baigner. Ses cheveux avaient beaucoup poussé. Ils atteignaient une longueur invraisemblable : quand elle se tenait debout, ils touchaient terre. Sa mèche blanche avait crû dans les mêmes proportions. Sous la cascade, l’apprentie nettoya l’abondante toison avant de la couper un peu en dessous de la taille, à l’aide du poignard qu’elle portait à la ceinture.

Puis, elle se frotta la peau où les cendres s’étaient comme incrustées. Les runes gravées sur ses bras, ses épaules et son dos avaient bien cicatrisé. L’encre bleue avait viré au noir.

Une fois sa toilette terminée, elle ramassa les restes de sa chevelure, ne pouvant se résoudre à les jeter. Ana déposa le tout en repassant par l’esplumeor. Elle enfila la robe bleue que Vortimer lui avait trouvée jadis.

Ensuite, ses pas la menèrent à travers les vieux rocs familiers qui jonchaient çà et là les sentiers de Brocéliande : la forme dressée de la Sentinelle, la surface lisse du Grand Chauve, la silhouette allongée du Gisant. Elle surprit un troupeau de biches et une harde de sangliers. Tous la regardèrent passer d’un œil indifférent. Elle passa par Rigomer, dans l’espoir d’apercevoir Morgue. La dernière fois qu’elles s’étaient rencontrées, Ana s’était montrée assez froide. Elle ne voulait pas rester sur un malentendu avec celle qui lui avait enseigné la lecture et l’écriture. Mais les eaux du lac demeuraient désespérément étales : la fée était absente.

L’apprentie reprit sa route, attristée par cette nouvelle solitude.

Le chemin déboucha dans une clairière couverte de plantes rampantes aux feuilles en forme de cœur et lisérées de rouge. Ana reconnut les petites fleurs blanches qui tapissaient l’herbe. Des blocs de granite couverts de mousse s’empilaient, formant entre leurs masses imposantes une ouverture qui, malgré la saison chaude, exhalait une brume continuelle.

Quand elle tendit la main vers le portail de pierre, les runes de son avant-bras s’illuminèrent d’un éclat bleu saphir. Un picotement désagréable courut sur sa peau.

Le brouillard s’épaissit et l’avala tout entière. Le ciel se couvrit de ténèbres piquetées d’étoiles.

Après avoir quitté Tintagel, elle avait ramené le nourrisson Arthur à Carduel. Il devait toujours vivre chez Antor. Mais était-il possible de placer un nouveau-né sur le trône de Britannia ? Merlin ne semblait pas avoir pensé à ce problème.

Rejetant ses doutes, Ana poursuivit sa route à travers l’ombre. Son corps flottait sur les langues de vapeur. À aucun moment, elle n’hésita sur la direction à prendre. Elle n’avait plus besoin de se repérer aux étoiles désormais.

Cependant, juste avant d’arriver à bon port, elle éprouva le sentiment étrange d’être observée. Un frisson lui remonta l’échine. Mais il n’y avait personne aux alentours, seulement le silence et la nuit.

Ce fut un soulagement d’émerger du passage obscur.

Quand les fumées se dissipèrent, la magicienne reconnut l’ancienne villa où sa famille avait vécu de longues années. Ses parents, ses frères, ses sœurs étaient tous partis à présent et l’habitation restait vide.

Les ruines n’avaient guère changé. La végétation avait fini par envahir presque toutes les pièces, à l’exception de l’atrium. Ana

eut soudain envie de voir le dernier fragment de toit en tuiles qui les avaient protégés tout ce temps.

Elle s’éloigna du portique aux colonnes corinthiennes qui avait manifestement fait office de cairn pour les Romains, au temps où ils dominaient encore Britannia. En entrant dans la grande salle vide, elle eut la surprise d’y trouver un homme.

Il ne devait guère avoir plus d’une vingtaine d’années, malgré sa longue barbe blonde. Assis sur un tas de gravats, il lisait un énorme grimoire en murmurant les mots pour lui-même, dans une curieuse psalmodie.

Dérangé dans sa lecture, il releva les yeux et dévisagea un moment l’intruse. Puis son front se plissa en une grimace incrédule.

– Ana ?

La magicienne eut un mouvement de recul. Qui était cet étranger qui semblait la connaître ? Elle scruta ses prunelles bleues qui lui paraissaient étrangement familières.

Alors, elle comprit. Non, c’était impossible !

– Bleïz ? C’est toi ?

Ému, le jeune homme hocha la tête.

– Mais, bredouilla-t-elle, co… comment ? Tu étais un petit garçon quand je t’ai laissé.

Son frère sourit tristement à travers ses larmes :

– Grande sœur, cela fait quinze ans que tu as disparu…

Une fois sortie du long sommeil dans lequel Merlin l’a plongée, Ana découvre qu’Arthur est en âge de réclamer la couronne de Britannia. La jeune fille compte bien honorer sa promesse et, enfin, installer sur le trône d’Angleterre le seul souverain capable de restaurer la paix. Arthur, pourtant, doit se montrer digne d’une telle destinée. Il doit retirer Excalibur de son rocher. Or, de nombreux hommes convoitent l’épée magique…

La quête d’Arthur ne fait que commencer. Ana est prête à tout pour le défendre, tout comme les valeureux chevaliers qui les accompagnent et ne sont autres que Lancelot, Keu et Gauvain. Le fils d’Uther Pendragon parviendra-t-il à vaincre ses ennemis et protéger son peuple ? Et si l’un des plus grands mythes devait tout à Ana, la petite voleuse devenue apprentie enchanteresse ?

Prix TTC: 17,95 €

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