

Chapitre 1 Sale petit vampire
Arthur Dentdure est un sale gosse !
Enfin... Non... Soyons précis : Arthur Dentdure est un sale petit vampire !
Et, là où il habite, à Trou-Vérolé, vous ne trouverez quasi-personne pour affirmer le contraire.
C’est que, dans cette lointaine bourgade, perchée sur les montagnes des Carpates, appréciée par les monstres du monde entier pour sa nuit permanente et son air délicieusement putride, Arthur Dentdure fait l’unanimité contre lui !
Gorgones, harpies et goules, qui sont parmi les cibles favorites du jeune vampire, passent leur temps à jacasser des bêtises passées de ce dernier et à redouter celles à venir. Et toujours, elles s’étonnent que le neveu de l’illustre Comte Dracula, un vampire bien sous tous rapports comme l’indique d’ailleurs son titre de noblesse, puisse se comporter comme un sauvageon de la pire espèce. Et si parfois, certaines de ces créatures tentent d’excuser un peu sa fougue, arguant qu’il n’a que 213 ans, les autres vieilles carnes répètent à l’unisson que la jeunesse ne saurait tout excuser !
Tenez ! Le voilà qui justement sort du manoir familial pour aller à l’école.
– Mais ? Pourquoi court-il ? soupire une gorgone.
– Il a encore dû faire une bêtise... répond une harpie.
– Sait-il faire autre chose ? demande une goule, consternée.
Et en effet, Arthur Dentdure cavale... Sa mère, Mina Dentdure, le poursuit jusque sur le perron, une pantoufle à la main, vêtue d’un peignoir de

velours noir et les cheveux dégoulinant d’une sorte d’épaisse mélasse marron.
– Arthur Dentdure ! Mon shampooing !
Reviens ici, immédiatement ! crie-t-elle.
Mais le garnement file, hilare, tandis que Mina Dentdure rentre chez elle, dépitée.
Les commères soupirent en grinçant de rires sourds : – Voilà ce qu’il se passe avec leur éducation positive !
Puis, comme Arthur se rapproche, elles se raidissent. Leurs bouches sont pincées. Elles se demandent à quelle sauce elles vont être mangées.
Elles attendent avec d’autant plus d’impatience, que sans les facéties et autres frasques du jeune vampire, elles auraient, finalement, bien peu de choses à se dire.

Arthur Dentdure passe devant les gorgones, il freine un peu sa course et goguenard, il leur lance :
– Bien l’bonjour, immondes immondices aux cheveux sales !
Toutes s’étranglent et les vipères, qui les coiffent, claquent leurs crochets venimeux dans sa direction, s’entortillant entre elles de mécontentement.
Les vieilles horreurs hurlent :
– Nous voilà toutes décoiffées !
Ensuite, Arthur Dentdure salue les harpies, bien installées sur leur perchoir :
– Comment allez-vous, horribles horreurs déplumées ?
Ces gros oiseaux de malheur se mettent à caqueter comme des poules effrayées. Secouant leurs plumes de colère, elles gémissent :
– Voilà nos plumes toutes dérangées !
Enfin, les goules qui font toujours les commères devant le cimetière ont le droit à :
– Adieu, affreuses affreusetés à l’haleine d’outre-tombe et aux chicots pourris !
Elles enragent tant qu’elles en perdent leur appétit, pourtant si célèbre dans le monde entier – surtout quand il s’agit de manger quelques cadavres bien frais !
Gorgones, harpies et goules crient alors en chœur :
– Arthur Dentdure, tu es un sale gosse !
Puis, comme le jeune vampire les abandonne, elles se retrouvent en conclave, jouant à la perfection les grandes dames offusquées, bien contentes, cependant, d’avoir de quoi commérer pour toute la journée.
Arthur Dentdure rejoint, comme tous les matins, son amie de toujours, la louve-garou
Magda Mac Croc. En fait, à bien y réfléchir, elle est peut-être le seul monstre de tout Trou-Vérolé à supporter ce jeune vampire. Elle le suit même, parfois, dans quelques-unes de ses aventures... Et tant pis si l’on pense qu’elle est une mauvaise graine ! De toute façon, les loups-garous ont naturellement mauvaise réputation – comme tous les monstres qui peuvent changer leur apparence et devenir... comble de l’horreur... des humains ! Et
si Magda Mac Croc freine de temps en temps les

ardeurs d’Arthur Dentdure, elle se délecte le plus souvent de ses frasques... Surtout quand ces dernières visent ces vieilles pipelettes.
– Tu as l’air bien content de toi, Arthur !
Qu’est-ce que t’as encore fabriqué ? demande Magda, amusée.
– Trois fois rien... J’ai juste mis de la graisse de crapaud dans le shampooing de ma mère... Tu aurais vu sa tête ! fanfaronne Arthur Dentdure.
– Roh ! Ta pauvre mère !
– Elle l’avait bien cherché. Qui réveille son enfant si tôt ?


– Tous les parents qui ont un enfant qui va à l’école, Arthur, se désole Magda Mac Croc.
– Ah ! Hum ! Peut-être... Puis bah après, j’en ai mis plein la figure à ces vieilles mégères.
– Oh ! Elles doivent être contentes comme tout. Tu leur as donné du grain à moudre. Elles vont encore répéter à tout le monde que tu es un sale morveux.
– J’espère bien ! conclut Arthur, pas peu fier.
Les deux amis, hilares, continuent leur chemin.
Mais comme ils se rapprochent de l’immense maison du plus infâme habitant de Trou-Vérolé, monsieur Grosappétit, un ogre, Arthur Dentdure donne un coup de coude à Magda Mac Croc.
– Dis Magda, tu te rappelles quand j’ai mis le feu à la crotte de troll et que ce gros balourd de

Grosappétit l’a éteinte en sautant dessus ? s’amuse le vampire. – Un carnage ! Il était tout recouvert, beurk. Enfin... Merci les problèmes ensuite.
Et en effet, ce jour-là, Arthur Dentdure avait peut-être, du moins c’est l’avis des monstres adultes de Trou-Vérolé, dépassé les bornes... C’est que l’on ne s’attaque pas en toute impunité à monsieur Grosappétit. L’ogre est le monstre le plus riche de tout Trou-Vérolé et peut-être même des Carpates toutes entières ! Il faut dire qu’avec toutes les usines qu’il possède, il a le bras long.
Si Arthur Dentdure ne venait pas d’une famille aussi illustre, il serait bon pour la maison de correction !

Depuis, monsieur Grosappétit a fait installer une quantité de caméras tout autour de son imposante bâtisse au goût plus que douteux. Le père d’Arthur, Nosfératou Dentdure, dit que cela fait très « nouveau riche ». C’est effectivement une imposante caverne artificielle, avec toutes les sophistications inutiles qu’apprécient souvent les grandes fortunes : un garage plus grand qu’un terrain de foot, une piscine d’eau croupie chauffée, un hammam aux vapeurs empoisonnées, une chambre froide pour viandes d’enfants humains – n’ayez pas peur, les monstres ne viennent jamais chez vous... en principe – et tout un tas de gadgets


dont on ne se sert qu’une seule fois, avant de les laisser prendre la poussière.
– Toujours aussi sophistiquée et jolie, sa baraque ! peste Arthur Dentdure.
– On dirait une maison d’humain ! Beurk !
– Regarde ! Il sort de chez lui. Quel gros plein de soupe ! souffle le vampire en tirant Magda derrière un bosquet de belladones putrides.
Monsieur Grosappétit est absolument repoussant, ce qui, à Trou-Vérolé, pourrait plutôt passer pour un compliment, mais pour vous autres, les lecteurs de cette histoire, simples humains, si vous le croisiez, vous feriez des cauchemars pendant longtemps !



Il a une peau verdâtre, couvertes de pustules rouges, son gros ventre poilu dépasse de son costume tout tâché de sang et une odeur pestilentielle le suit partout. Sa tête repose sur un cou énorme et on la dirait faite uniquement d’une gigantesque mâchoire. En effet, on ne voit que ses dents : immenses et pointues, avec toujours un peu de chair fraîche coincée dedans.
Son nez est épaté, morveux, couvert de gros poils noirs et ses yeux sont tout petits, ce qui lui donne un air abruti qu’il sait mettre à profit pour berner les gens avec qui il fait affaire. Enfin, ses cheveux, d’un orange sale, sont couverts d’une couche de graisse d’où tombe,


comme de la neige, des pellicules grosses comme un pouce.
Mais surtout... surtout, ce monsieur Grosappétit est un sale type ! Pour cause, il n’y a qu’une chose qui l’intéresse vraiment dans la vie, si on met de côté sa passion pour les gratins d’enfants : l’argent. Et, comme tous les monstres cupides, monsieur Grosappétit n’a jamais ses comptes en banque suffisamment pleins ! Cette soif inextinguible de richesse le pousse à saccager toujours un peu plus Trou-Vérolé... C’est pour cette raison qu’Arthur le déteste tant. L’ogre est prêt à tout pour de l’argent.
– Dis donc Magda, c’est moi où il a l’air pressé ? Et il a un dossier sous le bras. Tu arrives à lire ce qui est écrit ? demande à voix basse Arthur.
– Bien sûr ! On a une sacrée vue, nous autres les loups-garous. C’est écrit : usine de jus de chaussettes détox.
– Qu’est-ce qu’il manigance, encore ?
– Va savoir... Un sale truc, c’est certain.

Comme monsieur Grosappétit monte dans sa grosse berline avec chauffeur, Arthur Dentdure s’écrie :
– On le suit !
Magda Mac Croc n’a même pas le temps de retenir le jeune vampire, lui criant qu’il y a école et qu’ils vont être, encore une fois, en retard...
Il est déjà parti !
Les deux jeunes monstres se retrouvent donc à suivre la voiture. Fort heureusement, comme il y a beaucoup de circulation, ils n’ont aucune peine à prendre en filature monsieur Grosappétit.
– Il va vers les marais, non ? dit Arthur, essoufflé.
– On dirait bien ! Quel fainéant ! C’est à côté !
Mais, à proximité des marais, ils se retrouvent coincés par un grillage leur barrant le chemin.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? demande Arthur Dentdure. Y’avait pas de grillage avant !
– On dirait qu’ils ont entouré tous les marais... siffle Magda Mac Croc.
– Mais... C’est là qu’on vient se baigner en été... On va faire comment, nous ?
– Arthur ! Regarde ça !
Arthur Dentdure, 213 ans, est un sale petit vampire et le roi des bêtises ! Mais cette fois, ses facéties vont devoir attendre...
Car à Trou-Vérolé, quelque chose cloche : l’air devient respirable ! Accompagné de Magda Mac Croc, sa fidèle amie louve-garou, Arthur va vivre sa plus grande aventure. Entre potions magiques, courses-poursuites et rencontres avec la légendaire sorcière Cradingue, parviendra-t-il à rendre à sa ville son délicieux air nauséabond ?














