5 fiches pédagogiques avec ce numéro fiches pédagogiques avec ce numéro
Nemanja Radulovi , violoniste entre France et Serbie
Afrique : le football, ascenseur social et économique
// MÉTIER //
Nisha Seshan (Inde): le choix du français
À chacun sa tour Eiffel… en Italie
Lituanie : objectif climat
// LANGUE //
Alain Mabanckou : « Casser la langue »
Rendez-vous francophone à Limoges
// DOSSIER //
AU BONHEUR DE PAGNOL
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LES REPORTAGES AUDIO RFI
Dossier : Silence, on lit !
Culture : Florence Mendez, humoriste cash et engagée
Nature : Herbivores et carnivores, quelles différences ?
Expression : Les mots de la pétanque
DES FICHES PÉDAGOGIQUES
POUR EXPLOITER LES ARTICLES
Fiche Le français facile avec RFI : Silence, on lit !
Région : Les Férias
Z'apps créatives : Créer un escape game d'horreur
FÉRIA
QUAND LE SUD FAIT LA FÊTE
ÉPOQUE
08. Portrait
Nemanja Radulovi : l’hymne à la joie
10. Tendances
Beau temps sur les applis météo
11. Sport
Afrique : le football, ascenseur social et économique
12. Région
Férias : quand le Sud fait la fête
14. Idées
Gérald Bronner : « On vit dans la même société, mais plus dans le même monde »
16. Lieu
Jeux, tu, il… nous jouons tous !
17. Expo
Célébrer le Brésil, entre nature et culture
LANGUE
18. Entretien
Alain Mabanckou : « C’est presque automatique chez moi de casser la langue »
20. Étonnants francophones
Maria Souza dos Santos Gomes : « On m’appelle “l’ambassadrice du français de l’Amapá” ! »
« Mettre un visage sur les enseignants de français dans le monde »
MÉTIER
28. Réseaux
Cynthia Eid : « Consolider, accompagner et ouvrir des perspectives nouvelles »
30. Vie de profs
Nisha Seshan : « Choisir le français a déterminé toute ma vie »
32. FLE en France
Immersion en classe affaires : au contact du réel
34. Expérience
À chacun sa tour Eiffel
36. Savoir-faire
Et on renverse la classe !
38. Initiative
Objectif climat !
40. Interculturel
La galanterie : un « matrimoine » à (re)découvrir
42. Innovation
Ludovia, une ruche « Ed Tech »
OUTILS
74. Mémo. Babel en folie.
Les aventures de Thibault, épisode 7
75. Jeux.
Les énigmes de la rentrée scolaire
77. Fiche pédagogique RFI
« Silence, on lit ! »
44. Français professionnel
Former en français des relations internationales
46. Tribune didactique
Les projets de l’ADCUEFE prennent leur ENVOL !
48. Ressources
MÉMO
64. À écouter
66. À lire
70. À voir
INTERLUDE
06. Graphe Mélodie
26. Poésie
Louis-Philippe Dalembert : « Voyage »
50. En scène !
Pagnol à toutes les sauces
72. BD
Les Nœils : « IA qu’à écrire »
DOSSIER
AU BONHEUR DE PAGNOL
Entretien : Jean-Jacques Jelot-Blanc : « Pagnol a fait sourire et rire le monde entier avec des drames » 54
Analyse : L’univers littéraire de Marcel Pagnol .... 56
Enquête : Pagnol, un influenceur pour la jeunesse 58
Reportage : Dans les collines de Pagnol .............. 60
Astuces de classe : Comment utilisez-vous les adaptations cinématographiques ? 62
79. Fiche pédagogique
Faire du nouveau avec les mots de tous les jours
81. Fiche pédagogique
L’eau et l’héritage : Marcel Pagnol en classe de FLE
édito
URGENCE
Nouveau mandat : on lira dans ce numéro l’entretien très volontariste que nous a accordé Cynthia Eid à l’aube de son nouveau mandat à la tête de la FIPF. Elle y énumère ses priorités : lutter contre la pénurie d’enseignantes et enseignants de français et pour leur revalorisation salariale ; mieux les accompag ner dans leur vie pédagogique et leur engagement associatif ; défendre et promouvoir le plurilinguisme ; innover dans les pratiques et les outils (intégration de l’IA et du numérique éducatif notamment) ; créer des passerelles avec les disciplines non linguistiques. La FIPF étant une fédération, chaque association fera sienne les priorités qui la concernent et qui entrent dans son champ de compétence. Il est cependant un préalable à toutes ces priorités, la place que chaque système éducatif entend accorder demain à l’enseignement des langues. Car les relais extérieurs aux systèmes éducatifs pour assurer ces enseignements sont nombreux et efficaces, et la conviction que l’on n’apprend pas une langue à l’école est de plus en plus partagée. Si l’on ajoute aujourd’hui la révolution générée par le traitement automatique des langues et par l’IA générative, modifiant les représentations quant à l’utilité demain d’apprendre une langue, notamment chez la génération Z, on discerne mieux où sont les urgences. Armer les associations pour qu’elles soient en mesure de s’approprier ces questions et d’y apporter des réponses susceptibles d’être entendues. À savoir dire et répéter qu’apprendre une langue entre en résonance avec des besoins fondamentaux, une manière d’être au monde en termes de communication, d’ouverture à l’altérité, de découverte des cultures et d’autres manières de vivre, d’acquisition d’outils pour décrire le monde et surtout le comprendre. Voilà l’urgence. n
Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org Commission paritaire : 0422T81661. 62e année
Responsable de la publication Cynthia Eid (FIPF)
Édition SEJER – 92, avenue de France – 75013 Paris – Tél. : +33 (0) 1 72 36 30 67 • Directrice de la publication Catherine Lucet Service abonnements COM&COM : TBS GROUP - 235, avenue le Jour se Lève 92100 Boulogne-Billancourt - tél. : +33 (1) 40 94 22 22
Rédaction : Conseiller Jacques Pécheur • Rédacteur en chef NN • Secrétaire général de la rédaction Clément Balta. cbalta@sejer.fr • Rédacteur David Cordina. DCordina-Ext@cle-inter.com • Relations commerciales Marjolaine Begouin. mbegouin@cle-inter.com • Conception graphique - réalisation miz’enpage - www.mizenpage.com (pour les fiches : Clément Balta) Imprimé par Isiprint – Parc des Damiers - 139 rue Rateau - 93120 La Courneuve • Comité de rédaction Michel Boiron, Aurore Jarlang, Franck Desroches, Valérie Lemeunier, Isabelle Gruca, Chantal Parpette, Gérard Ribot. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de Mme Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de la Francophonie : Cynthia Eid (FIPF), Paul de Sinety (DGLFLF), Franck Desroches (Alliance Française), Nivine Khaled (OIF), Marie Buscail (MEAE), Diego Fonseca (Secrétaire général de la FIPF), Évelyne Pâquier (TV5Monde), Nadine Prost (MEN), Doina Spita (FIPF), Lidwien Van Dixhoorn (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).
DAX, JOUR DE FÊTE, FÊTE DE JOUR
À Dax, dans les Landes, la féria dure cinq jours, aux alentours du 15 août. En 2025, elle a attiré pas moins de 1 230 000 personnes dans cette ville… de 22 000 habitants. Le programme débute avec une journée consacrée aux traditions landaises : une épreuve sportive rend hommage aux bergers qui gardaient leurs troupeaux montés sur des échasses. Juchés sur les leurs, les concurrents s’affrontent à l’occasion d’un gymkhana.
Évidemment, la course landaise n’est pas oubliée. Elle met face à face une vache et un homme. S’il s’agit d’un écarteur, il attend l’animal et l’esquive au dernier moment. Les sauteurs quant à eux rivalisent d’adresse pour bondir par-dessus. Ils doivent effectuer différentes figures, dont le fameux « pieds dans le béret » réalisé les jambes entravées. Le tout est accompagné d’airs musicaux interprétés par une banda, petit orchestre mobile.
La corrida espagnole ne manque pas d’amateurs, « les 8 000 billets d’entrée pour les combats de taureaux ont tous été vendus » , nous assure Pascal Dagès, adjoint au maire. Pendant toute la féria, le centre-ville est réservé aux festivités. On y boit, mange, danse, joue et s’amuse toutes générations confondues, du matin au soir. « Ici, explique l’élu, on met l’accent sur la fête en journée plutôt que la nuit. C’est un rituel que nous souhaitons transmettre à nos enfants ». n
Coursaye (ou sauteur de taureau) lors de la traditionnelle course landaise.
IDÉES
Vouloir repousser les limites du réel, un invariant de l’esprit humain ? Oui, mais ce désir atteint aujourd’hui des proportions inédites, qui font peser un risque sur la société, nous dit le sociologue Gérald Bronner, auteur d’ À l’assaut du réel (PUF).
À gauche, une illustration de l’antivax et conspirationniste que Donal Trump a nommé ministre de la Santé des États-Unis. À droite, l’Américaine Erika LaBrie, rebaptisée Erika Eiffel après son mariage, officialisé, avec la tour Eiffel en 2007. Deux faits, collectif et particulier, qui partent « à l’assaut du réel ».
« ON VIT DANS LA MÊME SOCIÉTÉ, MAIS PLUS DANS LE MÊME MONDE »
Votre ouvrage multiplie les exemples d’atteintes portées actuellement à la réalité. En quoi ce phénomène vous paraît-il inquiétant ?
La pensée désirante – expression qui traduit le wishful thinking anglais – existe dans toutes les cultures humaines. J’en veux pour preuve un texte qui date de plusieurs milliers d’années, L’Épopée de Gilgamesh , qui raconte précisément le désir du héros éponyme de s’affranchir de ses conditions biologiques pour atteindre l’immortalité. Ce souhait de faire plier le réel a été – et reste – un moteur formidable du développement humain : c’est lui qui a poussé à tailler des silex et fabriquer des outils pour compenser nos limites d’animaux dépourvus de carapace ou de crocs acérés. Notre capacité aiguë de concevoir un monde des possibles est précisément ce qui distingue l’humanité. Nous sommes des virtuoses des probabilités, et ce dès notre plus
jeune âge – les études menées sur les bébés le montrent bien. Il n’en reste pas moins que le réel est précisément ce qui impose un NON à la pensée désirante. Ou pour le dire autrement : si l’on désire de manière démesurée, on finit par se heurter au mur du réel. Or aujourd’hui, on fait tout ce qui est possible pour ne plus entendre ce NON.
Votre livre s’ouvre sur l’évocation de mai 1968. Ce mouvement est-il à l’origine de cette inflation contemporaine de la pensée désirante ?
mai 1968 a été un moment fort de son exaltation – on connaît bien ses fameux slogans, notamment « Soyez réalistes, demandez l’impossible ». Mais il n’aura été qu’une plaque tournante d’une tendance plus ancienne. Celle-ci est en partie liée au développement de la démocratie, régime politique qui permet de désirer plus et dans lequel – Benjamin Constant en
« Notre capacité aiguë de concevoir un monde des possibles est précisément ce qui distingue l’humanité. Nous sommes des virtuoses des probabilités, et ce dès notre plus jeune âge »
faisait déjà le constat – les individus cherchent à plier le bien commun à leurs propres désirs. Le déclin de la croyance au progrès, la disparition des grandes aventures collectives amplifient encore le phénomène. Aujourd’hui, c’est une aventure personnelle qui est recherchée : la découverte de soi, le « développement personnel », né dans les années 1980 et dont le succès ne s’est jamais démenti depuis.
Parmi les facteurs déterminants, vous pointez aussi du doigt le numérique. Comment pousse-t-il à s’affranchir du réel ?
Les mondes numériques offrent à chacun la possibilité de se faire la conception du réel qui lui convient.
La dérégulation des marchés de l’information comme le fonctionnement des algorithmes nous conduisent à ne plus lire que les opinions conformes aux nôtres. Plus grave encore, avec le développement de l’IA, la frontière entre le monde réel et le monde artificiel se fait de plus en plus poreuse : il faut savoir que depuis 2016, le volume d’informations produites par les agents artificiels, sur la base d’autres textes d’origine humaine ou déjà artificielle, surpasse la production
humaine, sans que l’on puisse distinguer clairement les uns des autres – c’est ce que j’ai appelé « l’artificialisation des terres numériques ». La confusion croissante entre les deux mondes facilite le développement d’un scepticisme opportuniste : on peut aisément mettre en doute la véracité quand cela nous arrange –un certain nombre d’hommes politiques le font déjà.
Vous évoquez cette femme qui a épousé le mur de Berlin, cet homme qui s’est marié avec un personnage de fiction, ces individus qui croient être des ours… Mais ne sont-ils pas des cas extrêmes et marginaux ? Certains cas sont isolés, d’autres forment parfois des communautés dont le nombre n’est pas anodin – d’autant que le numérique aide à rassembler ceux qui seraient restés autrement de simples rare-
JEUX, TU, IL… NOUS JOUONS TOUS !
Les bars à jeux connaissent un succès croissant en France. Ces cafés un peu particuliers sont l’occasion pour les adultes de se retrouver autrement qu’autour d’un verre dans une ambiance forcément ludique.
PAR NICOLAS DAMBRE
De l’extérieur, ce bar parisien ne semble pas se distinguer des autres, si ce n’est que la décoration est moins tendance. Pas de lumières tamisées, pas de vieux comptoirs, ni de belles chaises… Aux Mauvais Joueurs, les gens sont assis sur des bancs autour de grandes tables et l’ambiance est singulière, entre concentration… et éclats de voix. Dans le fond de la salle, six personnes viennent de terminer –bruyamment – une partie. Non loin, un couple joue au Skyjo. Les murs
sont couverts de grandes étagères remplies jusqu’au plafond de boîtes de jeux de société. Difficile de s’y retrouver ! Les jeux sont classés en une douzaine de catégories : dés, cartes, stratégie, coopération, tuiles… Les bars à jeux se sont d’abord développés à Paris, qui en compte une vingtaine, puis en France avec près de 200 établissements sur tout le territoire. un Réseau des cafés ludiques s’est même créé. Le premier a été ouvert par Patrick Ruttner en 1995, dans le Quartier latin. C’est notamment au Royaume-Uni qu’il découvre de nombreux jeux pour adultes, inconnus en France. Il gère aujourd’hui Oya, un établissement caché derrière la Place d’Italie.
« Avant ces cafés à jeux, les ludothèques existaient, mais elles sont plus institutionnelles et s’adressent plutôt aux enfants. Tout le monde a joué dans sa jeunesse, souvent aux mêmes jeux. Lorsque j’ai créé mon premier lieu, jouer c’était un peu comme retourner en enfance. Alors qu’aujourd’hui, les 20 à 30 ans trouvent tout à fait normal de jouer. » Le Scrabble, le bridge ou la belotte pouvaient passer pour un
passe-temps de personnes âgées. La pandémie de Covid a favorisé la (re)découverte de jeux de société, anciens ou récents, en boîte de carton ou en ligne sur Internet.
Cavernes d’Ali Baba
Le principe de ces cafés à jeux est souvent le même : un prix fixe par personne de 3 à 7 euros et une consommation à renouveler toutes les 1 h 30 ou 2 heures. Différentes générations se côtoient : des étudiants, de jeunes actifs, des quadras ou des retraités… voire des enfants avec leurs parents les mercredis ou dimanches. Il y a les habitués et les curieux. La plupart ne viennent pas pour faire un Monopoly, un Puissance 4 ou un Uno, mais plutôt pour découvrir de nouveaux jeux dans ces véritables cavernes d’Ali Baba. On peut tout essayer, quitte à abandonner une partie ou au contraire à acheter un jeu pour l’avoir chez soi. Les jeux d’argent n’y ont pas droit de cité.
Bien sûr, il y a des phénomènes de mode. Comme les jeux à identité cachée façon Loups-Garous ou Time Bomb. Mais il existe des classiques, à l’instar de Carcassonne ou les Aven-
turiers du rail. Les bars à jeux se remplissent davantage l’automne et l’hiver, les clients se font plus rares aux beaux jours. Mais ces établissements se diversifient et proposent aussi des animations lors de mariages, d’anniversaires ou en entreprise. Les femmes viennent de plus en plus nombreuses, elles amènent souvent leur conjoint ou des connaissances. Si la plupart des clients de bars à jeux se déplacent entre amis ou collègues, il est possible d’arriver seul pour se greffer à une « table ouverte ». Amélie, la vingtaine, venue avec trois amies, est une habituée : « Cela permet de se retrouver en vrai et pas via des écrans. Et contrairement aux autres bars, il n’y a pas d’hommes qui tentent de nous adresser la parole pour draguer. Les relations avec les autres sont plus simples et plus joyeuses. » Si les téléphones mobiles sont rangés, il faut parfois les sortir dans certains bars pour regarder un tutoriel sur Internet afin de mieux comprendre les règles d’un jeu inconnu. Chez Oya, toute l’équipe connaît les règles des 1 300 jeux disponibles et vous les explique. Comme plusieurs de ses
« Cela permet de se retrouver en vrai et pas via des écrans. Les relations sont plus simples et plus joyeuses »
confrères, le café est aussi éditeur de jeux (une soixantaine à son actif). On assiste par ailleurs au développement des « escape games » et autres « quiz rooms » – en français, jeux d’évasion et jeux de questions. Patrick Ruttner pense qu’il y a de la place pour toutes ces activités. « Nous avons sans doute les mêmes publics : des gens qui souhaitent sortir de chez eux, se retrouver avec d’autres personnes. Si en anglais on parle de board games [jeux de plateau], en français, on dit jeux de société, cela montre bien que c’est surtout une façon d’être ensemble, de créer du lien. »n
Le mur de jeux du bar parisien Oya.
LANGUE |
ÉTONNANTS FRANCOPHONES
À chaque numéro, le témoignage d’une personnalité marquante de l’émission de TV5MONDE présentée par Ivan Kabacoff. Aujourd’hui, Ivanete Maria Souza dos Santos Gomes, enseignante brésilienne.
« ON M’APPELLE “L’AMBASSADRICE
DU FRANÇAIS DE L’AMAPÁ” ! »
Je suis née le 28 mai 1968 à Macapá, une ville de l’État de l’Amapá, au Brésil, où j’ai toujours vécu et que j’aime profondément. J’y ai été enseignante de portugais, puis de portugais et de français. J’ai toujours voulu enseigner : enfant, déjà, je jouais à la maîtresse, tandis qu’adolescente, j’apprenais à lire aux enfants du quartier. Après mon diplôme d’institutrice en 1987, j’ai commencé à travailler dans une école, puis j’ai obtenu ma licence de lettres. J’ai ensuite continué à me former à l’enseignement du portugais et occupé différents postes.
Aujourd’hui, ma passion pour le français occupe une place énorme dans ma vie, je vis et respire en français. Pourtant, ce n’est qu’à la fin des années 2000 que j’ai découvert la langue française et en suis tombée amoureuse. J’étais déjà adulte, mère de deux enfants, ce qui a rendu mon apprentissage laborieux. Je sortais du travail le soir et j’allais directement au centre de langue et de culture françaises Danielle-Mitterrand pour étudier. À l’époque, les manuels de FLE étaient accompagnés de cassettes audio avec les dialogues. Le son n’était pas bon : je me cachais dans une salle avec un magnétophone pour écouter plusieurs fois…
Je ne regardais les transcriptions qu’à la troisième. Le français était devenu une passion, alors j’ai fait des efforts herculéens pour y arriver. Peu à peu, j’ai développé des compétences solides, enrichies par la lecture, la télévision francophone, les voyages et les amis français. Après y avoir étudié, je suis restée dix ans au centre Danielle-Mitterrand en tant que prof. Je m’apprêtais à prendre ma retraite, en 2018, quand le secrétariat à l’Éducation m’a proposé de coordonner l’éducation bilingue de la première école bilingue portugais-français de l’Amapá : l’école Professora Marly Maria e Souza da Silva, où je travaille encore aujourd’hui.
Une frontière partagée
Je suis allée en France neuf fois, surtout pour mes études : c’est toujours une expérience merveilleuse, pour perfectionner ma maîtrise de la langue et me nourrir de la culture. Je me sens chez moi en France et je chéris le lien qui existe entre la France et le Brésil, cette amitié ancienne qui perdure. Si je suis si attachée au français, c’est aussi parce que cette langue m’a ouverte au monde et me permet de le lire autrement. Être bilingue m’a donné accès à des savoirs, des expériences et une ouverture culturelle que je n’aurais jamais connus autrement. La francophonie m’a appris le respect de la diversité culturelle et, dans notre monde globalisé, m’a permis de comprendre le rôle du
français en diplomatie, en science ou dans la sphère du commerce. Des portes se sont ouvertes à moi. Au Brésil, et particulièrement à l’Amapá, cette langue jouit d’une image positive, renforcée par la proximité de la Guyane. Cette frontière partagée stimule les échanges linguistiques, scientifiques et environnementaux, notamment autour de la forêt commune à protéger. J’appartiens d’ailleurs au groupe de travail Relations internationales et éducation du secrétariat à l’Éducation de l’Amapá. Nous organisons des stages croisés entre professeurs de Guyane et de Macapá, et soutenons le développement de projets communs. C’est très gratifiant de voir tous les efforts que j’ai faits porter leurs fruits : je crée des ponts entre l’Amapá et la France, je soutiens des collègues moins expérimentés, je contribue aussi à faire rayonner la francophonie dans mon État et aide les étudiants de mon école à trouver du sens à leur apprentissage du français. Mon entourage perçoit très positivement ce lien unique avec la France. Certains me surnomment même « l’ambassadrice du français de l’Amapá ». À ma retraite, je m’imagine toujours active au sein de l’Association des professeurs de français de l’Amapá, avec plein de projets de coopération Amapá-France. Je ferai peut-être des cours de français pour les Brésiliens et de portugais pour les Français. Et je voyagerai encore plus, bien sûr, en France et dans d’autres zones francophones du monde ! n
Sur le tournage de Destination Brésil
Logo de l’école bilingue où travaille Ivanete
LANGUE |
« METTRE UN VISAGE SUR
LES ENSEIGNANTS DE FRANÇAIS DANS LE MONDE »
À l’occasion de son Congrès mondial, qui a eu lieu à Besançon en juillet, la FIPF a présenté son nouveau Livre blanc, intitulé Les Artisans de la francophonie, près de dix ans après celui qu’avait dirigé Jean-Pierre Cuq.
En 2016, le but du premier Livre blanc était de faire un état général de l’enseignement du français dans le monde. Une grande enquête avait été faite, avec la participation de toutes les Commissions de la FIPF, pour établir ce bilan. En 2025, la démarche est la même : mener une grande enquête internationale, mais cette fois l’objectif est un peu différent puisqu’il s’agit de mieux comprendre qui sont les enseignants et enseignantes de français dans le monde. Pourquoi ce livre est-il important aujourd’hui ? Pour les coordinatrices de cet ouvrage, Cynthia Eid, présidente de la FIPF, et Aline GermainRutherford, de l’Université d’Ottawa
(Canada) et sa conseillère, il fallait impérativement faire cette enquête car « il est temps de mettre un visage humain sur cet enseignement, d’entendre la voix de ces professionnels qui, malgré les obstacles, continuent d’inspirer des millions d’apprenants à travers le globe ». Selon elles, « dans un contexte où le métier d’enseignant de français perd de son attractivité, où les formations peinent à combler les besoins croissants, et où les inégalités se creusent entre les régions du monde, ce document se veut à la fois un cri d’alarme, un outil de plaidoyer et une célébration. Il s’agit de mieux comprendre pour mieux agir : comprendre les forces, les défis, et les aspirations des enseignants de français, pour poser les bases d’un avenir plus
équitable, valorisant et durable pour la profession. »
Renforcer l’enseignement de la langue française dans le monde
L’enquête présentée dans Les Artisans de la francophonie a été faite auprès de plusieurs milliers d’enseignants de français, dans le monde entier, et s’intéresse à de nombreux aspects : les informations personnelles (âge, sexe, etc.), la formation initiale et continue, les forces et manques ressentis dans l’exercice du métier, les motivations, les approches pédagogiques utilisées dans les cours, les ressources privilégiées et les besoins en ressources nouvelles… Cette enquête permet donc d’avoir une idée précise de qui sont aujourd’hui les enseignants et enseignantes de français, et de mieux comprendre ce qu’il est possible de faire pour les aider et renforcer l’enseignement de la langue française dans le monde. Au fil des chapitres on découvre des bâtisseurs d’espoirs confrontés
à des défis grandissants : précarité, manque de reconnaissance, isolement professionnel, pénurie inquiétante de nouvelles recrues. Et pour certains apprenants, ils représentent bien plus qu’un professeur : ils sont une voix qui encourage, une main tendue vers un avenir meilleur, une fenêtre ouverte sur un monde plus grand. Derrière la langue, il y a des visages, des histoires, des engagements inébranlables. Ce Livre blanc vient à point nommé les regarder, les soutenir et leur accorder toute la place qu’ils méritent. En complément des résultats de cette enquête, le nouveau livre blanc de la FIPF contient aussi une présentation générale de la Fédération en 2025 : bilan de l’action de ses huit Commission et des projets menés pendant la mandature 20212025, et perspectives pour l’avenir. n
TÉLÉCHARGER LE LIVRE BLANC
L’ouvrage « les artisans de la francophonie » (2025) est téléchargeable gratuitement sur le site du GERFLINT, collection Essais Francophones : https://gerflint.fr/essais
Cynthia Eid et Aline Germain-Rutherford (au centre) à la présentation du Livre Blanc au Congrès mondial de Besançon, en juillet.
Tombée dans la marmite des mots et des langues lorsqu’elle était petite, Nisha Seshan enseigne le français depuis ses 20 ans. Après avoir fait ses armes à l’Alliance Française de Pune, capitale culturelle du Maharashtra, cette Indienne singulière est aujourd’hui indépendante, dans tous les sens du terme.
PROPOS RECUEILLIS
PAR SARAH NUYTEN
« CHOISIR LE FRANÇAIS A DÉTERMINÉ TOUTE MA VIE »
Lorsque j’étais enfant, on me surnommait « l’ermite » car j’étais toujours plongée dans mes livres. Même aux fêtes, je disparaissais rapidement pour aller lire dans un coin. À la maison, nous n’avions pas de télévision, mais mes parents nous faisaient la lecture. Ils ont toujours cultivé cette ouverture culturelle : mon père, journaliste, avait un peu appris le français, il avait voyagé en Europe ; ma mère, historienne, a beaucoup lu en ancien anglais et en français. Tout naturellement, ma sœur et moi étions de grandes lectrices.
Une série de romans anglais a été déterminante pour moi, vers l’âge de 12 ou 13 ans : The Chalet School d’Elinor M. Brent-Dyer, qui suit le quotidien d’élèves d’une école plurilingue du Tyrol autrichien. Les élèves apprennent l’anglais le lundi, l’allemand le mardi, le français le mercredi… Je ne comprenais pas toujours les phrases écrites dans ces langues, ni les blagues que les personnages se lançaient sur leurs erreurs de traduction. Cette frustration m’a donné envie d’apprendre ! En Inde, nous sommes naturellement polyglottes. Je suis née dans le Tamil Nadu mais j’ai presque toujours vécu à Pune (à 2 heures de Mumbai), alors à la maison, on parlait anglais, tamoul et marathi. Ici, à l’école, on peut choisir
une langue étrangère. Un peu par hasard, j’ai pris le français. Ce choix a déterminé toute ma vie. À l’université, j’ai suivi un cursus en sciences sociales et langues : ma matière principale était l’anglais, tandis que le français était ma discipline secondaire. Et puis j’ai franchi les portes de l’Alliance française de Pune et ça a été un déclic. Là-bas, on n’apprenait pas en passant par la traduction, mais en immersion. On parlait, on écoutait, on s’imprégnait directement de la langue et si on ne comprenait pas tout, ce n’était pas grave, on comprendrait plus tard. J’ai adoré les sonorités, le jeu possible avec les mots, le travail de prononciation. Je sentais depuis
toujours que l’enseignement était ma vocation, je voulais être prof de français, d’anglais ou de danse. Mais en faisant plus de français, c’est devenu une évidence.
Grenoble, la montagne et le fromage
En 2004, j’ai vécu ma première immersion en France, trois semaines dans une famille à Brétigny, en région parisienne. Puis, en 2005, j’ai passé neuf mois à Grenoble comme assistante d’anglais dans une école primaire. Tout ce que j’avais lu et étudié, je le vivais enfin. C’était extraordinaire. Grenoble est devenue ma ville de cœur. Je suis toujours émerveillée par les montagnes, qui
« J’ai adoré les sonorités, le jeu possible avec les mots, le travail de prononciation. Je sentais depuis toujours que l’enseignement était ma vocation »
sont partout où l’on regarde : c’est un bonheur incommensurable. Sans parler des spécialités culinaires de Savoie, de la tartiflette à la raclette, du bon pain français et du vin. Je suis revenue plusieurs fois à Grenoble, notamment pour mon master de FLE entre 2009 et 2012, où j’ai vécu cette perspective du français hors les murs, dans la vraie vie, dans les bars… J’ai aussi lu énormément. La série Astérix m’a marquée car, si je la connaissais, je ne savais pas qu’à l’origine elle était écrite en français ! Lorsque j’avais commencé à lire, je trouvais que c’était très dur à comprendre, notamment en raison des jeux de mots. Plus tard, je suis tombée sur un album par hasard dans un vide-grenier et je me suis replongée dedans : coup de foudre ! J’ai acheté plusieurs albums par la suite et lors de mes activités autour de la BD, je conseille toujours à mes étudiants – à partir du C1 ou C2 –
Et si les étudiants prenaient la place de l’enseignant ? C’est le pari de Jean-Charles Cailliez, enseignant-chercheur à Lille. Son idée de « classe renversée » a transformé les cours magistraux en sessions collaboratives, où l’apprentissage se construit sans se départir des fondamentaux.
ET ON RENVERSE LA CLASSE !
L’idée est partie d’un adage qui dit que la meilleure façon d’apprendre c’est d’enseigner », sourit Jean-Charles Cailliez. À 63 ans, cet enseignant-chercheur en biologie cellulaire et moléculaire à l’Université catholique de Lille, dans le nord de la France, est intarissable lorsqu’il évoque la classe renversée, un concept de son cru inspiré des classes collaboratives et inversées. « Pendant vingt-cinq ans, j’ai été un prof classique, je faisais des cours magistraux et je n’avais aucun souci avec l’enseignement de ma matière » , raconte-t-il. La bascule
survient en 2012, lorsqu’il se forme aux méthodes du codesign, une démarche centrée sur les utilisateurs, qui fait appel à l’intelligence collective pour élaborer des solutions. Il développe ces procédés au sein d’ateliers et de réunions, constate que cela fonctionne. Alors, durant l’été 2012, Jean-Charles Cailliez réfléchit à la meilleure manière de les transposer en classe, pour rendre les élèves acteurs et non simples consommateurs de leur apprentissage. Il crée un scénario, élabore un modèle de travail en équipe, bâtit des exercices, une boîte à outils… Et en parle à ses collègues : « Tout le monde se marre… », se souvient-il. D’abord baptisé « classe Do It Yourself », le cours commence en janvier 2013 avec 80 étudiants de 3e année de licence. Succès immédiat. « L’originalité réside dans le fait
On n’est pas obligé de renverser toute sa classe, il suffit d’un chapitre, d’une partie de cours, pour que la dynamique change
que je me suis attaquée à une matière principale et à un cours magistral, et que j’ai immédiatement demandé à chaque étudiant d’évaluer les séances avec des points positifs et négatifs », résume l’enseignant-chercheur. Il partage ces retours sur les réseaux sociaux et via son blog, faisant rapidement des émules. Il est contacté par des profs, des entreprises, est invité à des colloques, on lui propose d’écrire des livres* L’expérience pédagogique devient une activité de formation et de conseil, et son approche, renommée « classe renversée », essaime dans le monde entier, à tous les niveaux scolaires.
Concrètement, ça marche comment ?
La classe renversée peut être mise en place avec des groupes allant d’une dizaine jusqu’à 80 étudiants, l’effectif optimal étant une quarantaine d’élèves. Ils sont répartis en groupes de six, constitués par Jean-Charles Cailliez : « Je mélange les bons, les moins bons, les filles, les garçons, je sépare les affinités. » Pour faciliter l’organisation des équipes, dont les membres ne se connaissent pas toujours, des rôles sont attribués : le délégué, le responsable de la bibliographie, celui qui s’occupe des
questions, de l’iconographie… Une répartition bien souvent abandonnée dès que le groupe apprend à travailler ensemble.
« Quand ils arrivent en classe, ils ne savent pas ce qui va leur arriver. » Les étudiants disposent uniquement des têtes de chapitres pour bâtir le cours, mais la liberté de la méthode n’efface pas la rigueur : il y a un programme à suivre. « J’ai des attendus, il faut que le cours qu’ils produisent ressemble à celui que j’aurais fait », poursuit le professeur de biologie cellulaire et moléculaire. Chaque séance de 2 heures est divisée en tronçons : travail autonome des équipes, exercices collaboratifs, séquences de cours magistraux, évaluation… « Les temps de cours magistraux sont courts, mais essentiels. C’est comme s’ils envoyaient leur meilleur élève au tableau ! Et quand je pose des questions, ils savent que je soulève un point incontournable. » Les phases de production sont suivies de phase d’échange et de challenge avec les autres équipes, pour améliorer le cours. 80 % de la note est commune, 20 % individuelle, mêlant contrôle continu et examen final.
Ni utilisation paresseuse de l’IA ni interdiction
Détail étonnant : ce sont les étudiants qui construisent les questions et les réponses de l’examen. « Le jour J, ils ont tout sous la main : les chapitres qu’ils ont fabriqués, la centaine de questions qu’ils ont élaborée, ils peuvent utiliser internet, l’IA, se mettre à deux pour répondre, énumère Jean-Charles Cailliez. Sauf qu’ils n’ont pas le temps de se servir de tout ça s’ils n’ont pas le cours en tête : grâce au format de l’examen, je peux contrôler la mobilisation des connaissances. » L’enseignant, vice-président de la section Intelligence artificielle et Éducation de l’Université catholique de Lille, a adapté les modalités d’évaluation aux nouveaux défis posés, notamment, par l’utilisation de l’IA.
PAR SARAH NUYTEN
Jean-Charles Cailliez.
AU BONHEUR DE PAGNOL
Un tout nouveau film d’animation de Sylvain Chomet, Marcel et Monsieur Pagnol .
Une adaptation au printemps 2022 du Temps des secrets. Ses films restaurés et réédités, accompagnés de sortie en salles. La publication régulière de ses titres en bandes dessinées… Cinquante ans après sa mort, l’œuvre de Pagnol est plus vivante que jamais. Une œuvre protéiforme, théâtrale, cinématographique, littéraire, à l’image de ce touche-à-tout de génie, humaniste moderne, traduisant Virgile ou Shakespeare, féru de mathématiques, inventeur du tournage en décor naturel et même d’une voiture à trois roues, la Topazette ! Même loin de la Provence qui l’a vu naître, nos chemins finissent toujours par croiser l’auteur de la trilogie marseillaise. Sa famille, héroïne de ses Souvenirs d’enfance, appartient désormais au patrimoine national en même temps qu’à celui de toutes les familles, tant elle leur ressemble.
« L’universel, on l’atteint en restant chez soi », rappelle le biographe Jean-Jacques Belot-Blanc en citant Pagnol. Et d’ajouter :
« Tous ces petits personnages qui sont loin làbas, près de cette Méditerranée, ressemblent aux personnages que l’on a chacun autour de soi. »
Et pourtant, comme l’analyse Jacques Pécheur, son œuvre mélange subtilement le réel et la fiction, l’auteur y reconstruit le passé avec une subjectivité assumée, sans prétention d’exactitude : « Les souvenirs sont vrais, mais pas forcément les faits », disait-il. Mais qu’importe la manière, et les différents interlocuteurs d’Ingrid Pohu font le même constat : « On pénètre dans un monde dans lequel on prend le temps : celui de vivre, d’écrire et surtout d’aimer. » Des valeurs fondamentales que veut transmettre le guide Olivier Chesneau aux nouvelles générations. « Quand je me retrouve dans les collines, je leur dis : “Vous comprenez pourquoi le petit Marcel se sentait si bien ici ?” Je leur fais sentir le thym, le romarin. Juste le plaisir d’être immergés dans la nature et d’apprécier, comme Marcel, les petits bonheurs du quotidien. » Ces collines, notre reporter Nicolas Dambre invite à les parcourir, de La Treille aux barres de Saint-Esprit et à la colline de la Tête Ronde, dans les traces du petit et du grand Pagnol. De son acolyte académicien, Mauriac disait : « Il semble s’être glissé dans cette antichambre de l’éternité en passant par la fenêtre, le seul qui sente l’air du dehors. » Un patrimoine commun où chacun respire à son aise : le bonheur au bon air. n
Le Petit Monde de Marcel Pagnol, un musée à Aubagne qui recrée l’univers des films de Pagnol en santons.
Toutes les illustrations de ce dossier sont issues du film d'animation de Sylvain Chomet, Marcel et Monsieur Pagnol
RETROUVEZ LA FICHE PÉDAGOGIQUE
RFI en pages 77-78 et le reportage audio sur www.fdlm.org
28 février 1895 Né à Aubagne (Bouches-du-Rhône)
1904 Premières vacances à la « Bastide Neuve », près du village de La Treille, qui servira de décor à ses Souvenirs d’enfance
1922 Professeur adjoint d’anglais au lycée Condorcet à Paris
1927 Première représentation de sa pièce Topaze à Berlin qui connaîtra un succès mondial.
1929 Marius, première pièce de sa trilogie marseillaise, avec l’acteur Raimu dans le rôle-titre
1931 Marius, l’un des premiers films parlants à succès, est adapté au cinéma par Alexander Korda
1932 Fonde ses propres studios de cinéma, à Boulogne-Billancourt et à Paris
1933 Le Gendre de monsieur Poirier, premier film du Pagnol réalisateur
1940 Son film La Fille du puisatier est censuré par le régime de Vichy
1946 Élu à l’Académie française. Mort de Raimu
1951 Topaze, dernier film tourné avec Fernandel
1957 Parution du premier tome de ses Souvenirs d’enfance, La Gloire de mon père
1962 L’Eau des collines, une adaptation en deux tomes, Jean de Florette et Manon des sources, de son film Manon des sources de 1952
18 avril 1974 Meurt à 79 ans. Enterré au cimetière marseillais de La Treille n
« PAGNOL A FAIT SOURIRE ET RIRE LE MONDE ENTIER AVEC DES DRAMES »
Ancien journaliste et critique de cinéma, Jean-Jacques Jelot-Blanc a consacré plusieurs ouvrages à la vie de Pagnol et aux grands acteurs comiques qu’il a connu, comme Fernandel et Raimu. Après Pagnol inconnu (Michel Lafon, 2010), il a publié en avril 2024, pour le cinquantenaire de sa mort, Marcel Pagnol, Autant en emporte la gloire (Privat).
PROPOS RECUEILLIS PAR CHLOÉ LARMET
Qu’est-ce qui vous a poussé à consacrer un nouvel ouvrage à Marcel Pagnol ? Depuis mon plus jeune âge je suis un « pagnolophile ». Comme lui, je suis né à Aubagne, au pied de ces collines qu’il a filmées et chantées dans ses livres. J’ai usé mes fonds de culotte sur le puits de la fille du puisatier, j’ai enlevé des morceaux de pierre de la ferme d’Angèle, je suis monté au village en ruine d’Aubignane. Et je ne suis pas le seul puisque chaque année, plus de 200 000 visiteurs partent d’Allauch et d’Aubagne pour aller emprunter le chemin des Bellons et suivre les traces de son œuvre. Raconter la vie de cet homme, se mouvoir dans sa mémoire peut sembler prétentieux parce qu’il a lui-même conté merveilleusement bien des pans entiers de son existence, dans les quatre romans de ses souvenirs d’enfance en particulier. Je repense aux premières lignes de La Gloire de mon père : « Je suis
né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers. » Le dernier chevrier, c’est Paul, ce petit frère qui va mourir trop tôt d’une vilaine maladie et qui l’inspire.
Une jeunesse « dorée » au soleil du Midi mais non moins studieuse… Né en 1895 d’un père instituteur, Marcel était un écolier très sérieux, il apprend l’anglais, le latin et aura très vite des lettres alors que le petit Paul est un peu laissé en liberté et passe son temps dans les collines. Paul est cet hymne à la Provence, au soleil, au thym, à la cigale et au romarin : tout un univers que Marcel découvre grâce à lui et à cet ami d’enfance mort lui aussi très tôt, David Magnan, dit Lili des Bellons. Son père Joseph et sa mère Augustine ont beaucoup compté pour lui mais le petit Paul, c’est vraiment l’âme de sa plume.
Son autre famille, c’est celle du théâtre et du cinéma ?
Quand Paul, sa mère et son père ont disparu, il a eu en effet besoin d’une famille autour de lui alors il se l’est créée : il met toute sa vie d’enfance dans ses livres et tous ses amis dans ses films. C’est cette famille théâtrale et cinématographique qui m’intéresse surtout aujourd’hui. J’aime à dire que Pagnol est le Molière du XXe siècle : comme lui, il s’est entouré d’une troupe devenue sa vraie famille, à la fois côté technique et côté casting, avec bien sûr Raimu, Fernandel et Rellys mais aussi Henri Poupon ou Charles Blavette, des acteurs magnifiques. On pourrait écrire des dizaines de livres sur Pagnol avec des angles différents et de grands écrivains y ont déjà travaillé avant moi, comme Yvan Audouard et Raymond Castans que j’ai bien connus. Après m’être assuré que Nicolas Pagnol, le petit-fils de Marcel et un ami, était d’accord, je voulais cette fois-ci écrire une somme, revenir sur tout ce qu’il a dit, fait, écrit et filmé pour comprendre où il avait raison, où il s’était trompé et approcher celui qui reste mon maître littéraire.
À parcourir la vie de Marcel Pagnol, on a le sentiment qu’il a tout fait. Il commence par l’enseignement, le théâtre puis réalise des films, devient écrivain, se retrouve en même temps homme d’affaires, scientifique, amateur de boxe…
On dit souvent « qui trop embrasse mal étreint », je crois qu’il a prouvé le contraire. Voilà quelqu’un qui
a tout géré et tout dirigé par luimême parce qu’il voulait être au plus près de ce qu’il faisait, disait, pensait. C’était quelqu’un de très bricoleur et Jacqueline Pagnol, sa veuve, immortelle Manon des sources, me disait souvent qu’il avait un talent multiple. Si l’on prend le cinéma par exemple, il était auteur, scénariste, réalisateur mais aussi producteur, distributeur. Il disposait même de ses propres studios et laboratoires où il pouvait étalonner les pellicules, quitte à faire des erreurs. Quand on pense que la Compagnie Méditerranée de Films existe encore alors qu’il l’a créée en 1954 ! Pareil pour la casquette d’écrivain, il n’avait pas de secrétaire et a toujours refusé de déléguer, lui seul pouvait tenir cette fameuse plume ronde que l’on trempe dans l’encrier avant de remplir ses cahiers d’écolier en fin de journée. Lorsque tel un Rastignac il monte à Paris en 1922, il a un côté je veux me battre, j’en veux encore plus, avec un grand pouvoir de persuasion en prime. Mais sa réussite est surtout due
L’UNIVERS LITTÉRAIRE DE MARCEL PAGNOL
Classique et populaire. L’univers de Marcel Pagnol est profondément enraciné dans le terroir provençal, mais il touche à l’universel avec cet accent consubstantiel au Midi qui chante encore dans l’imaginaire collectif.
PAR JACQUES PÉCHEUR
Marcel Pagnol est un écrivain immensément populaire et ce qui frappe d’emblée, c’est l’écart entre la réception d’une œuvre singulière et complexe par le grand public et la considération mesurée qu’elle suscite chez les spécialistes de la littérature. La première question qui vient à l’esprit c’est « Pourquoi aime-t-on tant Marcel Pagnol ? » « Parce qu’il parle de choses qui nous rassemblent comme la famille, l’amitié et la nature… , explique son petit-fils Nicolas. Lire Pagnol, c’est entrer dans un confort, dans un joli monde. On se sent bien chez lui, on a envie d’y rester. C’est une littérature qui met du baume à l’âme. »
La langue d’un humaniste Pourtant dans le champ littéraire dans lequel il a émergé, il ne faisait pas bon être un Marcel Pagnol. En
effet, dans les années 1920, ce sont les surréalistes et leurs épigones qui occupent « le champ littéraire », pour parler comme Bourdieu. « C’est le surréalisme, analysait Julien Gracq, qui nous a dit le temps qu’il faisait à notre époque, je veux dire la configuration des nuages plus ou moins orageux qui s’assemblaient en nous tous ! » Pourtant, complétait JeanPaul Sartre, « en marge des grands ténors du désespoir [les surréalistes], un humanisme discret fleurit. » Cet humanisme fut ainsi marqué du sceau d’une infamie ayant partie liée avec une certaine ringardise –des critiques parlant volontiers d’arrière-garde ou de « littératures périphériques », celles qui précisément occupaient une place de choix dans le panthéon littéraire de Marcel Pagnol : Pierre Loti (l’idiot pour les surréalistes), Maurice Barrès (le traître) et Anatole France (le poli-
cier), tous représentants d’une littérature pour laquelle André Breton n’a pas de mots assez durs dans son Manifeste du surréalisme (1924) : « Je l’ai en horreur, car elle est faite de médiocrité, de haine et de plate suffisance. C’est elle qui engendre aujourd’hui ces livres ridicules, ces pièces insultantes. » Tant pis pour les surréalistes, mais Anatole France avait tout pour plaire à Marcel Pagnol qui aimait son style, cette figure de bon maître donné en exemple à des générations d’élèves par les instituteurs et notamment par son père, Joseph Pagnol, dont les avis ont toujours compté. Anatole France est cet humaniste pétri de grec et de latin, anticlérical comme son paternel, écrivant simplement, clairement et justement comme un grand classique, un auteur guidé par la raison, dreyfusard et socialiste. Bref, une littérature enracinée qui rend hommage à sa langue. C’est bien de ce côté-là que se situe Pagnol, du côté de la tradition et des belles lettres, d’un goût affirmé des vertus romanesques, du recours aux ressources d’une imagination féconde, du côté d’écrivains un peu oubliés aujourd’hui, Charles Péguy, Maurice Barrès, Jacques Chardonne ou Georges Duhamel mais aussi de Paul Morand ou encore de Jean Giono, avec qui il reste aujourd’hui l’unique représentant toujours aimé et célébré. Eux qui ont, évidemment, la Provence en partage.
Une œuvre enracinée
Car cette pérennité de l’œuvre de Marcel Pagnol, il faut aller
la chercher dans un univers profondément enraciné dans le terroir provençal, son unique décor. Un décor fait de ces collines, ces garrigues, ces petits villages avec leurs fontaines, ces champs d’oliviers au point de devenir des personnages à part entière. Mais il faut aussi aller la chercher dans sa galerie de personnages tous proches du peuple, de l’instituteur au paysan, au chasseur et à l’artisan.
Au fil des livres on s’attache ainsi aux jeunes femmes libres, fortes, sensibles et émouvantes que sont Fanny ou Manon, on s’amuse de Panisse, le bon bourgeois commerçant pragmatique et bon enfant, on se méfie du « papet », César Soubeyran, le vieux patriarche manipulateur et violemment réaliste, on s’identifie au jeune narrateur, Marcel, curieux, observateur et sensible, on aimerait sauver Ugolin, tiraillé dans Jean de Florette entre ambition de réussir et culpabilité. Bons ou « méchants », tous ont en commun cette part d’humanité qui appartient à la philosophie humaniste de l’écrivain où le pardon, la bonté et la simplicité sont des vertus cardinales.
Il ne faudrait pourtant pas se laisser abuser par ce côté souriant sinon « chantant », du moins en surface, et se souvenir de ce que Barthes écrit
PAGNOL, UN INFLUENCEUR POUR LA JEUNESSE
Marcel Pagnol est toujours étudié à l’école. Que peuvent apprendre les jeunes générations à travers ses livres, ses pièces de théâtre et ses films ? Sans doute à regarder le monde avec acuité et sensibilité. Ce magicien des mots racontait la vie avec simplicité, tendresse, humour mais aussi vérité. Une œuvre intemporelle.
PAR INGRID POHU
On imagine très bien
Marcel Pagnol dire aux écoliers visitant sa maison natale transformée en musée : « N’oubliez jamais d’observer le monde qui vous entoure, d’aimer vos proches et de raconter vos souvenirs, cela vaut tous les trésors du monde ! » Au 16, cours Barthélémy, à Aubagne, dans l’appartement reconstitué au rez-de-chaussée avec des meubles d’époque, les enfants remarquent tout de suite l’absence
ET PLUS SI AFFINITÉS !
Pagnol sans faute La « dictée Marcel Pagnol » met à l’épreuve les passionnés de grammaire et d’orthographe sur un texte signé du célèbre Académicien provençal. Ouvert à tous, cet évènement célèbre la langue française dans une ambiance conviviale. Organisée depuis 2018 à Aubagne (la 8e et dernière édition a eu lieu le
de salle de bains. « Je leur explique qu’au début du siècle précédent, les habitants ne bénéficiaient pas de l’eau courante. D’entrée de jeu, ils comprennent la différence entre l’époque de Marcel et la leur », confie Olivier Chesneau. Guide ici depuis dix-sept ans, il s’appuie sur le tableau généalogique, les photos de la famille Pagnol et les souvenirs illustrés pour raconter la vie et l’œuvre de l’écrivain, cinéaste et homme de théâtre français. « On leur rappelle aussi que Marcel était un petit garçon comme eux, un fils d’instituteur qui a réussi à se construire une existence phénoménale à force de travail et d’intelligence et qu’il a du mérite, car c’est en réussissant le concours des bourses qu’il a pu accéder aux études supérieures. » Enseignante à l’école élémentaire Pin Vert à Aubagne, Marina Orcier aime travailler sur l’œuvre de Pagnol. « Déjà, il raconte sa vie d’enfant à 8-9 ans, c’est l’âge de mes élèves, souligne-t-elle. Et ce qui leur plaît aussi, c’est qu’il fait plein de bêtises, il ment, donc ils s’identifient au jeune Marcel. » D’autant plus que sa manière d’écrire avec des mots simples leur parle. « En classe, on a lu La Gloire de mon père et des extraits du Château de ma mère. Il dit des choses très belles qui les touchent, comme sur son amitié avec le jeune berger Lili. Cela leur permet en même temps d’enrichir leur vocabulaire, leurs expressions. On a même fabriqué un journal sur Pagnol. » Marina Orcier a aussi à cœur de transmettre ses valeurs humanistes mais aussi sa sensibilité, sa modestie. « Mes élèves ont découvert une vie qu’ils ne
12 octobre), elle se divise en trois catégories : moins de 16 ans, amateurs et invités.
Un patrimoine à découvrir À Aubagne, les juniors explorent aussi un lieu insolite : Le petit monde de Marcel Pagnol. Le parcours et la production artistique de l’académicien y sont exposés à l’aide de deux cents
« N’oubliez jamais d’observer le monde qui vous entoure, d’aimer vos proches et de raconter vos souvenirs, cela vaut tous les trésors du monde ! »
connaissent pas : un quotidien sans ordinateur, téléphone, télé ni jeux vidéo. Et ils se rendent compte que Marcel avait une existence très riche. Pagnol c’est aussi l’amour des livres, la notion de travail en tant que metteur en scène et réalisateur. »
Vivre, écrire, aimer
Son œuvre offre tout naturellement une porte d’entrée vers le théâtre et le cinéma. « Le but c’est de faire des liens entre ses œuvres, de comprendre comment il est passé du théâtre au
santons en argile, un savoir-faire traditionnel local. Ils y découvrent une œuvre de l’artiste Daniel Scaturro, où sont représentés Marcel et son univers : les villages de la Treille et d’Aubagne d’antan, les barres rocheuses du Saint-Esprit, et tous les personnages de ses films dont ils peuvent regarder des extraits : Le Schpountz, La Femme du boulanger, Manon des sources… n
La maison natale de Pagnol à Aubagne a été transformé en petit musée.
Les lieux de l’enfance et de l’œuvre de l’écrivain et cinéaste se confondent dans cette Provence chérie qu’il a su mythifier et rendre éternelle.
PAR NICOLAS DAMBRE
DANS LES COLLINES DE PAGNOL
Je suis né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers » , écrit Marcel Pagnol en ouverture de La Gloire de mon père, premier des quatre tomes de ses Souvenirs d’enfance. Mais c’est à Marseille, où il arrive à l’âge de 2 ans, qu’il passera l’essentiel de son enfance. La cité phocéenne lui inspirera sa fameuse pièce de théâtre Marius , qui se déroule pour l’essentiel dans le Bar de la Marine, sur le Vieux-Port. Créée à Paris un an après l’énorme succès de Topaze (1928), elle connaîtra le même destin quand certains y voyaient une œuvre caricaturale ou folklorique. Si bien que cette pièce deviendra un film, produit par les studios américains Paramount et tourné en studios par Alexandre Korda. Le premier long-métrage de la désormais fameuse trilogie marseillaise (Marius, Fanny et César) . Pagnol tournera lui-même le dernier dans les studios qu’il a fait construire en plein centre de Marseille, aujourd’hui détruits. Son premier scénario original s’intitule Merlusse, qui se déroule dans le lycée Thiers, où le jeune Marcel avait effectué une grande partie de sa scolarité. Il s’y était lié d’amitié avec un certain Albert Cohen, le futur écrivain.
La Treille, plateau de cinéma Né en 1895, comme le cinématographe des frères Lumière, Marcel Pagnol s’est vite passionné pour le cinéma parlant. Le jeune professeur d’anglais et écrivain de théâtre part en 1929 à Londres découvrir Broadway Melody et en revient subjugué :
« Le film parlant est un moyen d’expression nouveau qui prendra au théâtre ses meilleurs comédiens et peut-être ses meilleures salles. » Il décide donc de passer derrière la caméra. L’un de ses premiers films est inspiré d’une nouvelle de Jean Giono. Le film est tourné en 1933 dans le village de La Treille, sur les hauteurs de Marseille. C’est ici que le petit Marcel venait passer ses vacances, dans la fameuse bastide où se reposait sa mère, Augustine, avant qu’elle ne meure quand il n’avait que 15 ans. « La maison s’appelait la Bastide Neuve, mais elle était neuve depuis bien longtemps. » (La Gloire de mon père).
C’est à La Treille que Pagnol tourne Manon des sources. Le clocher sur lequel un homme est perché au début du film, la place avec sa fontaine qui se tarit ou le Cercle sont toujours là
Dans le hameau voisin des Bellons, Marcel fait la connaissance de Lili, le petit braconnier des collines. Il évoque cette amitié dans le second volume de ses Souvenirs d’enfance, Le Château de ma mère . Suivront Le Temps des secrets et Le Temps des amours. Des souvenirs pour l’essentiel dans ces collines. Comme ce jour d’orage durant lequel l’enfant des villes et l’enfant des champs se réfugient dans une grotte sous le pic du Taoumé, qui permet de passer d’un vallon à l’autre, à condition de ne pas être trop gros…
Derrière le village de La Treille, au pied des collines, subsiste les ruines d’une ancienne ferme, achetée par Pagnol pour y tourner Angèle . Le plancher de l’étage est détruit pour installer des projecteurs, un trou (encore visible) est percé dans la façade pour y placer une caméra. Le réalisateur fait prolonger le chemin du Ruissatel pour accéder au vallon en véhicule. Car les caméras et les projecteurs pèsent très lourd à cette époque. L’électricité est amenée par câble depuis La Treille. Inspiré d’un roman de Giono, le film raconte le destin d’une jeune femme qui vit avec ses parents dans une ferme isolée. Séduite par un mauvais garçon, elle arrive à Marseille où elle est forcée de se prostituer. C’est aussi à La Treille que Pagnol tourne Manon des sources. Le clocher sur lequel un homme est perché au début du film, la place avec sa fontaine qui se tarit ou le Cercle sont toujours là. Des voitures en plus. Dans les collines, on peut aussi découvrir la grotte où vivait Manon.
Le cinéaste tournera de nombreux films en extérieur, alors que jusqu’ici le septième art se crée en studios. Une petite révolution. « Le
père du néoréalisme au cinéma, ce n’est pas moi, c’est toi. Si je n’avais pas vu La Fille du puisatier, je n’aurais jamais tourné Rome, ville ouverte », dira à Pagnol Roberto Rossellini. À la fin des années 1930, Marcel Pagnol a pour ambition de créer une Cité du cinéma, un « Hollywood provençal ». Il achètera 24 hectares de terrains dans les collines de son enfance puis le château de la Buzine, celui du Château de ma mère. Mais il ne sera jamais transformé en studios de cinéma comme en rêvait le cinéaste.
Par les chemins des collines
Un peu plus haut sur les barres de Saint-Esprit, après avoir grimpé un chemin caillouteux, on tombe sur une autre bâtisse en ruines, celle du film Regain, avec l’acteur Fernandel. Ici, le chef décorateur attitré de Pagnol, Marius Brouquier (originaire de la Treille), a entièrement créé le village en ruines du roman de Giono, rebaptisé Aubignane, avec quelques bâtiments et une église. Il faut dire qu’il est maçon de métier. Ne subsiste aujourd’hui que la maison de Panturle, le dernier habitant du village, lequel renaîtra dans le
SUr LES PLATEForMES
SEUL CoNTrE
ToUS
Le Mohican rejoint la liste des grands films corses des dernières années, aux côtés d’À son image et du Royaume Frédéric Farrucci orchestre un western insulaire moderne d’une âpreté fascinante, voire déconcertante. L’œuvre s’impose comme une tragédie politique : Alexis Manenti, magnétique, incarne un berger corse déterminé à défendre ses terres face à la mafia locale et aux promoteurs cupides. Le cinéaste brosse le portrait d’un homme seul face au monde moderne, imagemiroir d’une île dont l’identité vacille chaque jour sous la menace de l’effacement. n
Disponible sur Canal+
L’ENFEr, C’EST
Soi-MÊME
Onoda, 10 000 nuits dans la jungle est sans aucun doute l’un des plus grands films français des dernières années. Arthur Harari entraîne le spectateur dans une expérience hypnotique, quasi mystique. Hirô Onoda, soldat japonais envoyé aux Philippines en 1944, continue de croire à la guerre trente ans après la capitulation de son pays. La jungle, alors, se referme sur lui comme un piège sensoriel, un espace saturé où les repères se dissolvent, où le temps se distend à l’infini. Vertigineux. n
Disponible sur Filmo TV
rÉTroSPECTivE
MArCEL PAGNoL
Après la resortie l’année dernière de dix films de Marcel Pagnol, six autres œuvres du cinéaste sont ressorties en 4K chez Carlotta : Merlusse, Cigalon, Naïs, Manon des sources, Ugolin et Les Lettres de mon moulin Merlusse, premier film qu’il a écrit pour le cinéma sans passer par le théâtre, est l’une des plus belles découvertes de cette sélection. Il a d’ailleurs inspiré Winter Break d’Alexander Payne, qui a remporté un Oscar et trois Golden Globes. Immanquable ! n Disponibles à la location VOD sur Canal+
TroiS QUESTioNS à SYLvAiN CHoMET
Sylvain Chomet (Les Triplettes de Belleville, L’Illusionniste) est revenu au cinéma d’animation avec Marcel et Monsieur Pagnol. Particularité : le jeune Marcel fait irruption dans la vie de l’auteur, le guidant sur le droit chemin quand celui-ci est en proie à de nombreux questionnements.
« PAGNoL ÉTAiT UN AvENTUriEr »
Qu’est-ce qui vous attire dans l’œuvre de Marcel Pagnol ?
Il y a plusieurs choses : déjà, il y a beaucoup de souvenirs de lecture. La Gloire de mon père, quand j’étais au collège, m’avait beaucoup marqué. Ensuite, j’ai vu ses films qui passaient beaucoup à la télévision dans les années 1970 et 1980. Étonnamment, je n’avais pas fait le lien entre l’écrivain et le réalisateur. Mais les deux m’ont autant fasciné l’un que l’autre. Quand on regarde sa trilogie marseillaise [Marius, Fanny et César] ou La Fille du puisatier, on sent une justesse constante dans son cinéma. Et puis, une fois que j’ai plongé dans sa vie, je me suis rendu compte que c’était un homme incroyable et passionnant. Il avait vraiment une vie d’aventurier. Pour un auteur, c’est assez rare ! D’habitude, ils sont plutôt enfermés dans leur chambre (rires)
toucher le reste de la France. Régulièrement, il changeait les titres de ses œuvres. Il avait vraiment besoin des autres pour progresser, notamment de Raimu, qui l’a beaucoup aidé. Le doute, c’est ce qui m’a frappé : malgré sa réputation d’être un des plus grands auteurs français du XXe siècle, il était humble et doutait constamment de son talent. Mais il avançait quand même, porté par cet esprit d’aventurier.
Avez-vous été surpris en explorant les archives à son sujet ?
Oui, ce qui m’a le plus marqué, c’était son manque de confiance en lui. C’était quelqu’un d’audacieux, mais qui doutait énormément. Il avait toujours l’impression que ses pièces ne marcheraient pas, que les gens ne les comprendraient pas. Il faisait tout pour que ses œuvres soient bien comprises. Toute sa vie, il a navigué entre les conseils de ses amis, des gens qui lui disaient « il faut faire ceci » ou « il faudrait faire cela ». Par exemple, pour la trilogie marseillaise, il avait du mal à croire qu’une pièce en marseillais pourrait
Comment avez-vous eu l’idée d’intégrer cet aspect fantastique, avec le petit Pagnol traversant les âges aux côtés de son aîné ?
Ça vient de ma visite chez Jacqueline Pagnol (19202016), qui était très malade à l’époque mais vivait encore dans l’hôtel particulier parisien de Marcel, intact depuis 1974. En visitant le bureau de Pagnol, j’ai eu l’impression qu’il était encore présent. L’idée m’est venue : que se passerait-il si le petit Pagnol venait revoir son moi adulte et l’aidait à surmonter la peur de la feuille blanche ?
Cela permettait aussi d’évoquer son enfance, peu présente dans le film, tout en donnant une dimension poétique et symbolique. En plus de ça, le petit Pagnol, celui de La Gloire de mon père, c’est celui que j’ai rencontré en premier, comme la plupart des enfants qui lisent ses œuvres à l’école. Confronter ces deux arts, ces deux personnes qui n’en sont qu’une, je trouvais ça intéressant. Si on le pouvait, on discuterait tous avec notre autre version de nous-mêmes, plus jeune, pour la prévenir ou la rassurer. n
PAriS, LA ProvENCE
Il y a, dès les premières minutes de Marcel et Monsieur Pagnol, une beauté qui saisit. Sylvain Chomet réaffirme son goût pour l’élégance graphique et la précision artisanale. Le film déploie un univers visuel d’une richesse presque tactile : la ligne claire, nette et souple, sculpte des visages à la fois caricaturaux et intimes, où l’on reconnaît immédiatement Pagnol mais aussi Raimu ou Fernandel, tandis que les décors – rues de Provence, intérieurs modestes, ateliers de cinéma – sont recréés avec une minutie qui les gorge de mémoire. Difficile de ne pas succomber au charme d’un style qui nous manquait depuis Les Triplettes de Belleville (2003) et L’Illusionniste (2010). Cette fois, Chomet délaisse le muet qui avait marqué ses œuvres passées pour plonger dans
LES ProCHAiNES SÉANCES
23e édition du Festival des cinémas d’Afrique du pays d’Apt (6-11 novembre). Les jurys de chaque catégorie sont exclusivement composés de jeunes, sous la présidence de professionnels du cinéma. Tout au long de l’année, l’association propose des ciné-clubs et même des ateliers de direction d’acteur. n
un cinéma du dialogue, à l’image de celui de Pagnol. On côtoie justement le dramaturge à différentes époques de sa vie, on retrouve son père méfiant, ses doutes artistiques avant chaque présentation de pièce, son amour de la Provence…
Sylvain Chomet a ramené l’auteur à la vie et le dévoile sous un nouveau jour, avec une accessibilité rare. Pagnol est démystifié, simplifié, humanisé. Le cinéaste parvient ainsi à conjuguer hommage et incarnation, convoquant la figure de l’écrivain-cinéaste sans la figer dans le marbre. Marcel et Monsieur Pagnol traduit en animation la densité de la mémoire et la musique des mots, s’imposant comme une méditation sensible sur le temps, sur l’art et sur la survivance des voix. n
Le Festival du cinéma québécois de Biscarrosse revient pour une 10e édition du 8 au 14 novembre. Sélection de films variés, expositions, conférences et animations, qui témoigne de la richesse du patrimoine cinématographique et culturel de la Belle Province. n
En 2024, le Brussels Art Film Festival (12-16 novembre) avait récompensé le merveilleux Soundtrack to a Coup d’État de Johan Grimonprez. De nouveau le couronnement d’un grand film ? n
EN SÉriES
LA roUTE DE LA GUÉriSoN
Empathie est une création québécoise qui cumule avec habileté drame et humour. Florence Longpré –également créatrice de la série – et Thomas Ngijol, toujours très justes, participent grandement à sa réussite. L’œuvre met en scène une psychiatre vulnérable, autant confrontée aux souffrances de ses patients qu’à ses propres démons. Douleur et espoirs s’entremêlent dans ce récit qui rappelle l’importance de la santé mentale, à l’heure où celle-ci est de plus en plus fragilisée… notamment chez les enfants. n Disponible sur Canal+
LE PoUvoir DES rÉSEAUX
Portrait fascinant et oppressant du chaos contemporain, La Fièvre transforme un incident sportif en maelström émotionnel. Ana Girardot et Nina Meurisse tentent chacune de manipuler le scandale pour le rendre encore plus omniprésent sur la scène médiatique. La série offre une plongée dans nos obsessions collectives, interrogeant la fragilité du lien social, la propagation de la peur, la viralité des rumeurs et les effets déstabilisants de la médiatisation dans notre monde hyperconnecté. n Disponible sur Canal+
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La 43e édition du Festival Tous Courts se déroulera en deux temps : du 24 au 28 novembre en métropole dans les cinémas partenaires, puis du 1er au 6 décembre à Aix-en-Provence, où des conférences et ateliers accompagnent la diffusion des films. n
Les Arcs Film Festival, célèbrera du 13 au 20 décembre, pour sa 17e édition, le cinéma européen indépendant avec une centaine de films. De nombreux invités du cinéma français s’y rendent pour accompagner les multiples avant-premières proposées par l’événement. n
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ASTUCES DE CLASSE
Racontez vos « tr ucs et astuces » sur une t hématique de classe par ticulière ! Notre chroniqueur Adr ien Payet les recueillera dans cette double-page très vivante et très appréciée.
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