FDLM 459 : juillet - août 2025

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5 fiches pédagogiques avec ce numéro fiches pédagogiques avec ce numéro

// MÉTIER //

Idiamino Mboko, Angolais et profession devineur L’intelligence artificielle en mode pratique

Former les enseignants de français en Thaïlande

// LANGUE //

Émilie Pelletier, Québécoise : la francophonie pour identité

Enquête IPSOS- Institut français : une langue encore séduisante

Français

Besançon, 10-17 juillet 2025 : XVIe Congrès mondial de la FIPF

// ÉPOQUE //

Yoshua Bengio, un Franco-Canadien au sommet de l’IA

Besançon, ville de toutes les utopies

// DOSSIER //

ENSEIGNERA-T-ON ENCORE LES LANGUES EN 2050 ?

// MÉMO //

Kebir Mustapha Ammi :

« Algérie-France, tourner le page »

Le Paris tamoul du réalisateur Lawrence Valin

numéro 459

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LES REPORTAGES AUDIO RFI

Dossier : Le mot de Barbara Carlotti : « futur »

Nature : Les céphalopodes font pieuvre d'intelligence

Culture : Jeanne Lanvin, le chic français

Expression : Se monter le bourrichon

DES FICHES PÉDAGOGIQUES POUR EXPLOITER LES ARTICLES

- Région : Besançon, ville libre

- Zapp créatives : Créer un journal télévisé satirique avec HeyGen

Besançon, 10-17 juillet

12

BESANÇON, VILLE LIBRE

ÉPOQUE

08. Portrait

Apprendre à comprendre avec Yoshua Bengio

10. Tendances

Dur, dur d’être sans doudou

11. Sport

Y a pas que le tennis dans la vie !

12. Région

Besançon, ville libre

14. Idées

Emmanuel de Waresquiel : « Nous vivons en pleine amnésie »

17. Lieu

Paris est (redevenue) une fête

18. Exposition

Paris Noir, ville Lumière

LANGUE

18. Enquête

Le français : une langue encore séduisante

20. Étonnants francophones

Émilie Pelletier : « C’est à travers la francophonie que se définit mon identité »

21. Mot à mot

Dites-moi professeur

22. Politique linguistique

L’île Maurice : un plurilinguisme importé et paradoxal

24. Initiative

« Sports Friendly » : faire partie du jeu

25. Concours

« Fière de parler français avec toi »

Le français dans le monde sur Internet : www.fdlm.org

MÉTIER

28. Réseaux

Cynthia Eid : « Faire entendre notre voix ! »

30. Vie de prof

Idiamino Mboko : « Notre métier est souvent comparé à celui du devineur »

32. FLE en France

Le FLE pour tous à la Bibliothèque nationale de France

34. Focus

Michèle Valentin : « Faire confiance implique chez l’enseignant une prise de risque »

36. Expérience

Former les enseignants de français en Thaïlande : immersion, innovation et coopération

38. Savoir-faire

Apprendre une langue en réalité virtuelle

40. Interculturel

La « disponibilité » : un concept interculturel entre la France et la Chine

42. Français professionnel

Nouvelles approches en français de la santé

44. Innovation

L’intelligence artificielle en mode pratique

46. Tribune didactique

IA et FLE : représentations, opportunités, usages

48. Ressources

MÉMO

64. À écouter

66. À lire

70. À voir

INTERLUDE

06. Graphe

Utopie

26. Poésie

Souleymane Diamanka : « J’ai rêvé »

50. En scène !

Un étrange après-midi à l’Opéra

72. BD

Les Nœils.

DOSSIER

OUTILS

74. Mémo. Babel en folie.

Les aventures de Thibault, épisode 5.

75. Jeux.

Énigmes à la bibliothèque

77. Fiche pédagogique RFI

ENSEIGNERA-T-ON ENCORE LES LANGUES EN 2050 ?

Entretien : Nicolas Hervé : « L’éducation au futur est émancipatrice » ............................................. 54

Analyse : « Pour le meilleur et pour le pire » 56

Enquête : Quand la technologie devient enseignante ............................................ 58

Point de vue : Les nouveaux rapports aux savoirs 60

Astuces de classe : Comment stimulez-vous l’imaginaire du futur avec vos apprenants ?. 62

S’exprimer sur un mot francophone : « futur »

79. Fiche pédagogique

Liberté, égalité, parité ?

81. Fiche pédagogique

En cuisine, le crumble aux pommes

édito

SE FAIRE ENTENDRE

Bienvenue aux professeurs du monde entier qui se retrouveront à Besançon pour ce XVIe congrès de la Fédération internationale des professeurs de français ! Pour Le français dans le monde, une manière de célébrer une complicité avec une institution dont l’histoire est intimement liée à la sienne : commencée dans les colonnes du numéro 53 en 1967, où a été exprimée pour la première fois l’idée structurée de créer une fédération des professeurs de français, poursuivie en 2000, quand la revue est devenue celle de la FIPF.

Ce numéro entend d’abord exprimer un acte de solidarité avec tous ceux et toutes celles qui, au quotidien, enseignent le français : dans des situations et avec des objectifs et des stratégies variés, avec beaucoup ou peu d’élèves, avec l’appui de technologies sophistiquées ou un simple tableau noir…

Ce numéro veut aussi se tourner délibérément et avec lucidité vers l’avenir. Il entend porter votre conviction que le français conserve une attractivité auprès de publics choisis, comme le montre l’enquête IPSOS commandée par l’Institut français. Pour cela, il peut compter sur votre capacité impressionnante d’initiatives et d’innovation telle que nous l’illustrons numéro après numéro dans ces pages. Dans son premier communiqué en date du 23 juillet 1969, la FIPF se fixait trois objectifs : regrouper, favoriser la mise en commun d’expériences pour valoriser l’innovation et enfin susciter et faciliter les échanges entre ses membres. Reste aujourd’hui à remplir l’objectif le plus urgent : se faire entendre. Se faire entendre dans un monde paradoxal où l’intelligence artificielle suscite des inquiétudes légitimes mais ouvre aussi de nouvelles opportunités à la mise en œuvre d’un plurilinguisme effectif, démocratise l’accès aux langues, enrichit l’expérience des apprenants en offrant une personnalisation avancée des apprentissages. Se faire entendre, pour proclamer l’indispensable dimension humaine de l'apprentissage d’une langue. n

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org Commission paritaire : 0422T81661. 63e année

Responsable de la publication Cynthia Eid (FIPF) Édition SEJER – 92, avenue de France – 75013 Paris – Tél. : +33 (0) 1 72 36 30 67 • Directrice de la publication Catherine Lucet Service abonnements COM&COM : TBS GROUP - 235, avenue le Jour se Lève 92100 Boulogne-Billancourt - tél. : +33 (1) 40 94 22 22

Rédaction : Conseiller Jacques Pécheur • Rédacteur en chef NN • Secrétaire général de la rédaction Clément Balta cbalta@sejer.fr • Rédacteur David Cordina DCordina-Ext@cle-inter.com • Relations commerciales Marjolaine Begouin. mbegouin@cle-inter.com • Conception graphique - réalisation miz’enpage - www.mizenpage.com (pour les fiches : C. Balta) Imprimé par Estimprim – 6 ZA de la Craye 25110 Autechaux • Comité de rédaction Michel Boiron, Aurore Jarlang, Franck Desroches, Valérie Lemeunier, Isabelle Gruca, Chantal Parpette, Gérard Ribot. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de Mme Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de la Francophonie : Cynthia Eid (FIPF), Paul de Sinety (DGLFLF), Franck Desroches (Alliance française), Nivine Khaled (OIF), Marie Buscail (MEAE), Diego Fonseca (Secrétaire général de la FIPF), Évelyne Pâquier (TV5Monde), Nadine Prost (MEN), Doina Spita (FIPF), Lidwien Van Dixhoorn (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

Français

BESANÇON, VILLE LIBRE

Besançon a été fondée dès l’Antiquité sur un site naturel exceptionnel, au pied d’une colline, là où une rivière forme une boucle presque parfaite. Ce cadre lui valait d’être facile à défendre et elle n’a été fortifiée qu’à différentes époques. En témoignent tours, remparts, bastions et autres bâtiments militaires, dont ceux de Vauban, au XVIIe siècle. Aujourd’hui, près de 1 600 membres des forces armées y sont en garnison. Proche de la frontière suisse et des montagnes du Jura, le territoire de la ville s’étend bien au-delà du méandre du Doubs. Jusqu’à la réforme territoriale de 2015, elle était le chef-lieu de la région Franche-Comté. « Libre » est un des premiers sens de l’adjectif « franc ». Et les Comtois sont attachés à leur indépendance. Au XIXe siècle, Besançon a vu naître des penseurs précurseurs du socialisme. En 1973, les ouvriers de l’usine LIP ont refusé le dépôt de bilan, occupé les locaux de leur entreprise et lancé une expérience d’autogestion. Si elle a échoué, cette démarche utopique a laissé des traces.

CAPITALE FRANÇAISE DE L’HORLOGERIE

L’affaire LIP a marqué les esprits par sa durée mais aussi parce que le nom de la société était synonyme d’excellence. Fondée à Besançon en 1867, elle est une de celles qui ont contribué, à partir du XVIIIe siècle, à en faire la capitale française de l’horlogerie. « Aujourd’hui, souligne l’historien d’art Pascal Brunet, la ville se ressent encore comme telle ». Si de nombreux ateliers ont fermé à la fin du XXe siècle, le savoir-faire ne s’est pas perdu. D’abord parce que, localement, ce secteur représente encore 5 000 emplois et que les entreprises concernées rayonnent bien au-delà des frontières hexagonales. Le groupe IMI, par exemple, qui fabrique des composants pour

l’horlogerie, a une envergure mondiale. Ensuite, la maîtrise du petit et du précis nécessaire pour réaliser un objet mesurant le temps s’est transférée au domaine des microtechniques. En témoigne la formation avec le prestigieux Supmicrotech, à l’origine un « laboratoire de chronométrie » fondé en 1902, qui prépare ses étudiants à exercer comme ingénieur, chercheur ou concepteur dans les domaines de la mécanique et des microtechniques. Un Musée du Temps célèbre ce parcours et réunit 1 500 montres et plus d’une centaine d’horloges. Et la cathédrale Saint-Jean possède un trésor : une imposante horloge astronomique qui rappelle aux passants l’habileté et la formidable créativité des artisans locaux. n

ÉCONOMIE
Au Musée du Temps.

PARIS EST UNE(REDEVENUE) FÊTE

La vie nocturne connaît un renouveau dans la capitale française, alors qu’à Berlin ou à Londres elle fait grise mine depuis la pandémie. Pourtant, Paris n’était pas vraiment à la fête il y a quelques années…

On se croirait à Berlin, dans un Biergarten, sur les rives de la Spree : des gens de tout âge boivent des bières en plein air, assis sur des bancs, autour de grandes tables, au son de musique électro. La décoration est faite de bois de récupération, de plantes et de guirlandes

lumineuses. Il est 23 heures et l’endroit est quasi plein en ce mois de mai. Nous ne sommes pas en Allemagne mais à Paris, au Jardin21, dans le quartier de La Villette, devenu celui des noctambules. On y compte au moins une quinzaine de lieux dédiés à la fête : Glazart, Kilomètre25, Cabaret Sauvage, À la Folie, le Gore… Au Jardin21, beaucoup sont « en mode before », entendez par là qu’ils prennent un verre pour commencer la soirée, avant de sortir en club. L’un des derniers nés est le Mia Mao, un entrepôt tout en béton qui jouxte le Jardin21. Ouvert en janvier, Mia Mao a été comparé au Berghain, célèbre discothèque berlinoise. Il a en commun une esthétique industrielle et brute. Ici le son est résolument techno, martial et rapide. Là encore, différentes générations se côtoient, jusqu’à 2 300 personnes. Trois jeunes Japonaises en visite

en France ont fait le déplacement.

« Il y a de nouveaux clubs excitants à Paris. Nous voulions absolument en découvrir un », relate l’une d’elles. La soirée commence à minuit pour s’arrêter à 7 heures du matin. Les plus valeureux passent « en mode after » : ils continuent à danser dans d’autres endroits, qui ouvrent de 6 heures jusqu’à l’après-midi. Direction le Fa/Wa, un club installé non loin, sous le périphérique. Robin, la vingtaine, est venu avec des amis après une fête à La Station – Gare des Mines. Il habite Amiens, à une heure de Paris : « Je prends souvent le dernier train pour passer

« Il y a de nouveaux clubs excitants à Paris. Nous voulions absolument en découvrir un »

la nuit en soirée. Je viens surtout pour la musique car j’aimerais bien en faire. » Un autre after a lieu à côté, mais en plein air les pieds dans le sable et la tête sous le soleil levant : au Glazart, un club précurseur du quartier.

Des clubs plus ouverts

Dimanche après-midi, les automobilistes passant sur le périph’ ne se doutent pas qu’en dessous, le club Virage accueille des jeunes qui dansent et chantent sur du rap, du ragga ou de la bass music. La foule est plus métissée que dans les soirées électro, et tout dans la déco rappelle qu’on est dans une ancienne fourrière : carcasses de voitures, feu tricolore, sièges en pneus, tables à partir de roues… Selon Rag, la directrice artistique de ce lieu qui peut accueillir 1 500 personnes, « les gens en ont marre d’être enfermés dans des clubs élitistes. Et le Covid est passé par là, redonnant l’envie de danser. Virage tente de fédérer différentes communautés mais nous sommes ouverts à toutes et tous. Il y a par exemple peu de soirées lesbiennes à Paris. » Pourtant, quinze ans plus tôt, Paris n’était pas à la fête. En 2009, une pétition « Quand la nuit parisienne meurt en silence » tentait d’alarmer la municipalité, se rappelle Éric Labbé, ancien disquaire à l’origine de celle-ci : « La Ville de Paris a reçu les principaux acteurs du secteur et un conseiller municipal a fini par devenir maire adjoint à la vie nocturne… » Paris y a vu un moyen de dynamiser des quartiers et d’attirer les touristes qui ont délaissé les nuits de Berlin ou Londres. De nouveaux lieux se sont créés ailleurs que dans le nord-est de Paris, comme les péniches Pisiboat ou le Barboteur, ou bien Kilowatt à Vitry-sur-Seine. « Des lieux éphémères atypiques ouvrent, ils suscitent la curiosité du public. Les trouver est parfois une aventure. Et on a souvent le sentiment d’être plus libres que dans une discothèque classique », estime Éric Labbé. On peut à nouveau le dire : Paris est une fête. n

Le Jardin21, près de La Villette.
©Jardin21

LANGUE |

Comment la langue française est-elle perçue autour du monde ? Son évocation n’est pas la même dans des pays riches et industrialisés et des pays émergents ; là où le français est la langue de l’ancien colonisateur, et où elle n’a jamais eu de position dominante ; dans les pays qui ont des relations étroites avec la France, et ceux qui vivent loin de cette interactivité. Résultats d’une enquête IPSOS conduite à la demande de l’Institut français.

LE FRANÇAIS : UNE LANGUE ENCORE SÉDUISANTE

Bien sûr, l’image du français évolue avec le temps et l’histoire. Qu’en est-il aujourd’hui ? IPSOS, institut spécialisé dans les enquêtes d’opinion, a donc conduit une investigation approfondie en deux vagues (février et septembre 2024) qui donne une idée de ce qu’évoque la langue française dans douze pays du monde : Allemagne, Arabie saoudite, Colombie, États-Unis, Maroc, Nigeria, puis Chine, Corée du Sud, Liban, Ouzbékistan, Pologne, Vietnam. Un large échantillon représentatif de la population a été interrogé (plus de deux mille personnes par pays) pour qu’on se fasse une idée de ce que pensent les habitants, selon leur âge, leur sexe, leur niveau social.

Une commande de l’Institut français Cette commande de l’Institut français a donc pour but de dessiner le plus précisément possible les publics, et même les clients potentiels des établissements qui enseignent notre langue, en premier lieu les

Instituts français à l’étranger (il y en a 100) et les Alliances françaises (843). Tout cela pour permettre d’affiner l’offre pédagogique en fonction des besoins, des désirs, des espérances, des moyens et des mentalités des apprenants : mieux comprendre à qui on s’adresse et à qui on pourrait s’adresser et ainsi accroître l’attractivité de la langue française. Mais aussi différencier les cibles selon les zones géographiques : les

attentes ne sont pas les mêmes en Corée du Sud, en Chine et au Vietnam, alors que spontanément, on aurait tendance à associer les trois nations en fonction de leur localisation extrême-orientale. Les pays concernés par l’étude se répartissent autour du monde, mais l’enquête a écarté ceux qui avaient le français comme langue officielle. Peu d’Afrique, pas de pays qui ont été soumis à une francophonie coloniale (excepté le Maroc, et à un degré bien moindre le Vietnam). L’étude concerne donc essentiellement des gens qui ne sont pas exposés au français dans leur vie quotidienne et qui sont peu susceptibles d’utiliser cette langue pour échanger avec leurs compatriotes : on s’intéresse à une langue qui permet de se tourner vers l’extérieur et l’étranger.

Cinq thématiques ont été abordées pour évaluer cette perception de notre langue : l’image de la France, l’utilité de la langue française, l’image de la langue française, les freins à l’apprentissage et la notoriété des institutions françaises. On voit donc bien que la langue dont il est question est celle de la France : c’est là qu’elle est née, c’est

Mieux comprendre à qui on s’adresse et à qui on pourrait s’adresser et ainsi accroître l’attractivité de la langue française

PAR YVAN AMAR

encore là qu’elle trouve sa norme et sa légitimation. il n’est nullement question de modes d’expression qui seraient propres à la francophonie, sensibles à des habitudes ou des influences nées hors de l’hexagone. Ce qui se comprend d’ailleurs aisément : la demande de français à l’étranger se tourne essentiellement vers son lieu d’origine, marqué par une longue histoire assez centralisatrice.

Une image diversifiée Le résultat global est assez nettement positif : le tiers des personnes interrogées considère que la maîtrise du français est très utile et 25 % se déclarent vraiment intéressés par

TROIS QUESTIONS À…

AURORE

l’apprentissage de cette langue. C’est plus que ce qu’on aurait pu imaginer !

Autre tendance surprenante, alors qu’on pouvait s’attendre à ce que l’image du français séduise les couches sociales les plus favorisées, c’est bien souvent le contraire : les « CSP - » (dans le jargon sociologique, les catégories socioprofessionnelles situées au bas de l’échelle –autrement dit les plus pauvres !) sont souvent plus séduites par la possibilité de maîtriser le français. Pas partout évidemment… mais par exemple au Nigeria ou au Maroc, c’est flagrant (36 % et 33 %).

Autre étonnement, ce sont les plus jeunes qui se disent plus intéressés

que leurs aînés (54 % et 50 % dans ces deux mêmes pays). Mais ceci s’explique assez logiquement : il s’agit de pays africains où une bonne partie de la jeunesse peut lorgner sur l’Europe et notamment sur la France en espérant des conditions de vie et une insertion professionnelle plus favorables. À cela s’ajoutent des considérations différentes pour ces deux pays : le Nigeria, pays « anglophone » (même si bien sûr tout le monde n’y parle pas l’anglais) est environné de pays « francophones » : Bénin, Togo, Niger, Cameroun, Tchad… où tout le monde ne parle pas français mais où les activités commerciales sont très orientées vers cette langue. Quant au Maroc,

JARLANG, RESPONSABLE DU PÔLE LANGUE FRANÇAISE

À L’INSTITUT FRANÇAIS.

Avez-vous eu des surprises en découvrant les résultats de cette enquête ?

Oui, plusieurs. D’abord on a réalisé à quel point l’accès au français était lié à une idée de l’ascenseur social : l’apprentissage de cette langue, pour beaucoup et dans beaucoup de pays, évoque une possibilité de gravir des échelons professionnels et d’améliorer une condition modeste. Mais parfois les surprises se sont faites dans l’autre sens : on s’est aperçu par exemple qu’en Pologne le français avait une image trop terne. Et bien sûr cela nous

invite à envisager de nouvelles façons de le présenter et de le rendre attractif. Quels nouveaux accompagnements, quelles nouvelles procédures pourrontelles être envisagées de la part de l’Institut français?

De plus en plus, nous essaierons de favoriser le mouvement vers le français à partir de son ancrage dans la langue d’origine : il faut travailler dans les Instituts français et les Alliances françaises, bien sûr, mais aussi dans les systèmes éducatifs locaux. En mettant l’accent sur des secteurs éclairés par l’expérience française. L’hôtellerie et la restauration évidemment… mais aussi, par exemple, les métiers d’art. En jouant sur une

actualité récente, comme la restauration de Notre-Dame de Paris ou du domaine de Villers-Cotterêts. Les pratiques de la charpente, de la menuiserie, de l’architecture sont tout illuminées par un savoir-faire à la française. Comment avez-vous déterminé les nations concernées par l’étude ? Que penser de cette absence de l’Afrique subsaharienne francophone ? On en a choisi douze dans un premier temps : on ne pouvait prendre le monde entier. Mais certains pays ont, avec enthousiasme, cofinancé l’enquête, dans des proportions importantes. Ils se sont donc, plus que d’autres, retrouvés parmi les cibles interrogées. n

il est assez lié à la France par son histoire passée et présente. Avec la Chine, c’est une tout autre histoire : ce sont les moins jeunes et les plus aisés qui s’intéressent le plus au français : le tourisme n’y est pas pour rien et c’est l’un des motifs avancés. Alors qu’en Corée du Sud notre langue (comme l’ensemble des langues étrangères d’ailleurs) attire moins. Et pourtant elle a une singularité remarquable : elle reste associée à une certaine tradition des droits humains, et intéresse un fragment de population avide de nouvelles sur ce sujet. Et il semble bien que pour les Coréens les informations sur la vie démocratique, ses résistances ou parfois ses déboires passent plus souvent par des réseaux francophones que par d’autres.

Le français, langue de la Déclaration des droits de l’homme ? On le constate à travers cette enquête, cette langue est encore très souvent associée à des représentations anciennes et traditionnelles : elle est décr ite comme « belle », « romantique ». De même que la France est encore associée à des sujets assez attendus : le tourisme, la mode, la gastronomie, le vin… Mais le sondage montre bien que c’est aussi grâce à ces associations, même si parfois elles frisent le cliché, que la langue française se fait encore désirable et peut attirer de nouveaux apprenants. n

APPRENDRE UNE LANGUE EN RÉALITÉ VIRTUELLE

Dans le FDLM 449, Abdelbassat Abdelbaki montrait déjà les spectaculaires possibilités de l’immersion virtuelle pour apprendre une langue. Petit tour d’horizon bien réel de diverses applications qui peuvent être fort utiles à un apprentissage des langues qui tend à être plus communicatif, individuel et immersif.

L’apprentissage par l’expérience, même virtuelle, augmente le degré de rétention mémorielle et permet des progrès quatre fois plus rapides (étude PWC*). De plus, en réalité virtuelle, on apprend sans avoir peur de faire des fautes, ce qui selon cette étude booste de 275 % la confiance en soi. Les expériences sont de plus en plus immersives et les applications développées jusqu’ici utilisent les principes pédagogiques les plus récents. Dans le contexte de la communication orale, on distingue « converser » et « parler en public ». Parmi les nombreuses applications disponibles, en voici quelques-unes qui se distinguent chacune par leur approche.

Converser

« Après un vol en douceur, me voici dans le train à Gênes. En face de moi,

Van

est professeur à Breda University of Applied Sciences. Il participera sur ce sujet au Congrès mondial de la FIPF à Besançon en juillet. Contact : reprise@pi.net

une jeune Italienne, peu timide, me salue d’un joyeux “ Buongiorno, come sta ?”. “Bene, grazie”, lui dis-je en choisissant une des trois réactions suggérées sur l’écran. Une conversation spontanée se développe. Mais voilà le contrôleur. Malheureusement, à l’aéroport, je n’ai pas eu le temps d’acheter un billet. “ Alors vous devez payer une amende !”, dit-il sévèrement. J’oublie que je porte un casque VR et réponds presque automatiquement en italien, aidé en cela par les suggestions. »

Je rêve ? Mais non, je me trouve dans le module « italien » de l’application populaire MondlyVR. Elle permet d’apprendre trente langues dans des scénarios réalistes, comme enregistrer son arrivée dans un hôtel, passer commande dans un restaurant et parler avec un chauffeur de taxi. La reconnaissance vocale fonctionne très bien et mes interlocuteurs réagissent tout de suite. Je peux ralentir le débit de parole pour mieux les comprendre. MondlyVR est entièrement basé sur l’apprentissage par la pratique, sans grammaire, même s’il offre aussi des exercices de vocabulaire. Si besoin, l’image peut être projetée sur un écran externe. Avant

de partir moi-même en Italie, j’ai parcouru tous les scénarios en quatre séances d’environ 40 minutes, une très bonne préparation.

Interagir

Immerseme est une application en ligne (sans appli) qui s’utilise aussi en 2D. Les quatre langues de travail (anglais, français, espagnol et chinois) permettent d’apprendre douze langues. Pour chacune, des enregistrements 360° avec des locuteurs natifs ont été réalisés dans le monde entier, de Tokyo à Madrid. Ainsi, vous pouvez apprendre à commander une tasse de thé en indonésien sur une terrasse tropicale entourée de cocotiers. On peut choisir parmi des dizaines de sujets : loisirs, famille, histoire… Immerseme utilise le CECR pour indiquer les différents niveaux de langue. Une version lente est aussi possible, éventuellement avec une réponse écrite plutôt qu’orale. Sur http://my.immerseme.com, tapez 2 x « demo » pour vous familiariser gratuitement. Une version utilisant l’intelligence artificielle sera bientôt disponible. Le programme convient parfaitement aux écoles (par élève, le prix s’élève à 41 € par an pour toutes les langues).

Immerseme a été conçu pour que les apprenants s’engagent davantage et interagissent les uns avec les autres

sous la direction d’un formateur virtuel. Il existe plus de 40 scénarios spécifiques, de la conduite d’une réunion à la préparation d’un argumentaire de vente. On peut aussi rencontrer quelqu’un à une heure convenue ou parler avec un camarade de classe en se lançant des avions en papier en virtuel, comme je l’ai fait avec João de São Paulo qui souhaitait pratiquer son anglais. Le vocabulaire et la prononciation peuvent être pratiqués séparément et sont suivis de scores et de feed-back

Parler en public

La VR permet de pratiquer dans un environnement sûr avec un public virtuel

Un article paru en mai 2023 dans Levende Talen (revue pour les profs de langues aux Pays-Bas) montre que, de toutes les tâches linguistiques, « savoir présenter » es t la compétence la plus importante dans l’enseignement professionnel secondaire et supérieur de mon pays. Chacun sait à quel point une présentation peut être stressante et s’entraîner devant un miroir ou avec un camarade de classe est loin d’être idéal. La VR (vitual relatiy ou réalité virtuelle) permet de pratiquer dans un environnement sûr avec un public virtuel. « Parler en public » peut aussi signifier participer à un entretien d’embauche, prendre la parole lors d’une réunion ou présenter un argumentaire de vente. « J e me trouve dans une salle de conférences bien remplie, pendant que mes auditeurs m’attendent. Sur l’écran derrière moi, ils peuvent voir le PowerPoint que j’ai préparé pour l’occasion. Je leur souhaite la bienvenue : “Mesdames et messieurs, chers collègues, bonjour ! ” Ils m’écoutent attentivement à tel point que j’oublie mon casque VR et le fait que je ne suis pas vraiment dans cette salle. »

Berry
de Wouw

Je rêve ? Mais non, c’est ce qui se passe dans Ovation et VRSpeech, des applications de pointe pour entraîner les compétences dites « douces » : savoir communiquer, travailler en équipe, résoudre des problèmes e tc. Comme lieu, on peut choisir une salle avec trois personnes, mais aussi un amphithéâtre rempli d’étudiants. Il est possible de s’asseoir ou de rester debout, d’écrire sur un tableau blanc que l’on peut déplacer à sa guise. Dans Ovation, on peut aussi faire une présentation avec un ami ou collègue. Des questions comme « Avez-vous des preuves qui soutiennent votre raisonnement ? » sont générées par l’IA et obligent l’utilisateur à rester vigilant. Sur l’écran, on reçoit un feed-back en temps réel, par exemple quand on utilise trop de mots de remplissage ou que le regard est trop concentré sur une seule personne. La présentation terminée, à l’aide de la transcription et d’un enregistrement, il est possible de l’évaluer. Un rapport généré par l’IA four-

nit des commentaires sur différents aspects, l’empathie manifestée, l’utilisation de la langue, la créativité et la cohérence. Ovation permet de s’entraîner en 24 langues. Espérons que vous serez ensuite ovationné… VRSpeech offre aussi des tuyaux et des vidéos d’instruction motivantes. Langues prises en charge : anglais, espagnol, allemand, italien et portugais. Le programme convient également pour pratiquer des compétences comme le storytelling, savoir négocier et présenter un argumentaire de vente.

« Osez apprendre ! », tel est le slogan de Speech Support qui choisit une tout autre approche : pendant l’entraînement, l’orateur en herbe coopère avec un collègue devant l’ordinateur qui contrôle l’environnement simulé et enregistre la présentation. Ensuite, ils analysent la présentation et recherchent les points à améliorer tels que le suivi oculaire, le ton de la voix (trop monotone…) et le suivi corporel (mouvement inopportun, gesticulation…). Comme dans VRS-

peech , on peut utiliser son propre PowerPoint . Quand j’ai rencontré son jeune P.-D.G. à Rotterdam, lors de l’Immersive Tech Week, il m’a affirmé que si ses clients (dont de nombreuses écoles) choisissent la réalité virtuelle, c’est « pour atteindre l’excellence en matière de formation et pour préparer les individus aux défis du monde réel. »

Introduire la réalité virtuelle à l’école

Dernièrement, après avoir commencé une session VR, un de mes étudiants a vite enlevé son casque parce qu’il lui donnait des vertiges. L’enseignant doit tenir compte d’une telle situation et avoir conscience que cette méthode ne convient pas à tout le monde. Cela dit, il faut expérimenter et investir suffisamment de temps pour se familiariser avec les versions de test disponibles. Si vous êtes enthousiaste, les étudiants le seront aussi. Et ne pas le faire seul : en parler avec ses collègues enseignants de langues et souligner

les avantages, notamment en ce qui concerne la différenciation que permet la VR pour les élèves qui rencontrent des difficultés d’apprentissage ou qui, au contraire, ont besoin d’enrichissement et peuvent travailler de manière autonome.

L’apprentissage des langues tend à être plus communicatif, plus individuel et plus immersif : il n’est donc pas étonnant que de plus en plus d’établissements d’enseignement investissent dans ces nouvelles technologies. Ainsi, mon université vient de créer un nouveau domaine Digital Realities , ouvert aux étudiants et chercheurs qui passeront de plus en plus de temps dans ces « autres » réalités.

Utiliser la VR pour maîtriser une langue, beaucoup d’étudiants trouvent ça cool ! Cependant cette approche n’est jamais une fin en soi. Elle n’est qu’un moyen parmi d’autres pour atteindre les objectifs fixés en matière de compétences. L’enseignant est et restera celui qui dirige le processus d’apprentissage. n

MÉTIER | INNOVATION

L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

EN MODE PRATIQUE

L’éducation a toujours été bousculée par l’émergence de nouvelles technologies, divisant souvent partisans du changement et des méthodes traditionnelles. Du magnétophone à l’arrivée d’Internet, chaque innovation a remis en question les pratiques établies.

L’intelligence artificielle, notamment dans sa forme générative, ne fait pas exception. Elle s’impose même comme l’une des technologies les plus vite adoptées. Menace ou opportunité, elle est désormais incontournable. Et les apprenants ne se sont pas fait attendre pour s’en emparer.

PAR GRÉGORY LASNE, HÉLÈNE ÉMILE ET ALIZÉE GIORGETTA

Fidèle à sa vocation d’innovation, le CAVILAM – Alliance Française partageait dès avril 2023 ses premières expérimentations de l’IA générative, sur LinkedIn et sur www.leplaisirdapprendre.com.

Deux ans plus tard, après de nombreux webinaires et formations, l’établissement lançait un groupe de travail piloté par deux expertes du CAVILAM – Alliance Française, avec une vingtaine d’enseignants.

Objectif : explorer l’usage de l’IA générative en classe de FLE, autour d’une question centrale, peut-être la seule qui compte : en quoi peut-elle vraiment améliorer l’enseignement/apprentissage du français ?

Le CAVILAM, soucieux de partager une réflexion collective, et Le français dans le monde ont choisi d’ouvrir une nouvelle collaboration sur ces questions que l’on retrouvera tous les deux numéros sous la rubrique Innovation.

Le CAVILAM – Alliance Française accueille étudiants et enseignants du monde entier : les premiers pour apprendre le français, les seconds pour enrichir leurs pratiques pédagogiques. Cette mission s’inscrit dans une dynamique plus large de réflexion et de production de ressources partagées avec la communauté des professeurs de français.

SAVOIR PROMPTER

Aujourd’hui, nous avons tous entendu parler de ChatGPT, l’agent conversationnel d’OpenAI, peut-être moins de Claude (Anthropic), Copilot (Microsoft), Gemini (Google) ou Mistral… Et nous nous y sommes tous essayés, avec plus ou moins de réussite. Car rédiger le prompt qui permettra d’obtenir le résultat attendu, ou du moins s’en approcher, n’est pas toujours simple. Avec quelques règles, on y parvient sans trop de difficultés. Par exemple, si vous demandez à un agent : « Créer un test final pour évaluer la maîtrise de l’alternance passé composé / imparfait », il proposera plusieurs exercices (QCM, phrases ou texte à compléter, production écrite, analyse de texte…). Mais cela vous conviendra-t-il ? Rien n’est moins sûr. Si vous avez déjà plusieurs fois échangé avec lui, il s’appuiera sans doute sur vos conversations passées. Peut-être que vous travaillez avec un autre groupe (niveau, public…). Il faudra alors lui demander des ajustements, plus ou moins nombreux.

Comment alors limiter les échanges avec l’agent (ce qui a bien sûr un coût énergétique) et gagner en efficacité ?

Premier conseil : conversez avec l’IA, en ayant un vrai échange écrit ou oral, et en utilisant l’impératif pour formuler une instruction. Plus le prompt est rédigé et

complet, plus le résultat est pertinent. Ensuite, structurer le prompt est essentiel. Il faut définir : le rôle spécifique de l’IA : doit-elle agir en tant qu’enseignant, apprenant, concepteur pédagogique… ?

le contexte : quel est le public visé (âge, niveau linguistique, spécificités…) ?

Quels sont les objectifs pédagogiques ? la tâche : que doit faire l’IA : créer un quiz, rédiger un dialogue, reformuler un paragraphe… ? C’est comme en classe : sans consigne claire, les apprenants sont perdus.

le format : quel type de résultat est attendu (format, longueur…) ? le ton peut aussi être une indication intéressante. Avez-vous besoin d’un écrit formel, d’un ton amical ou (légèrement) revendicatif ?

Souhaitez-vous des propositions un peu humoristiques dans un QCM ?…

Il ne faut pas hésiter à préciser ce qu’on ne souhaite pas. Ce qui n’est pas dit reste imprévisible. La surprise sera peut-être bonne, mais ce n’est pas garanti. Quand vous insérez un texte à analyser ou des mots à utiliser impérativement, placez-les entre crochets : l’IA comprend qu’il s’agit d’un support et non d’une tâche. C’est aussi entre crochets qu’on peut documenter l’IA, par exemple en précisant un descripteur du CECRL.

Enfin, si vous n’avez jamais testé un prompt, une astuce consiste à demander à l’IA de le reformuler (comme on demande à un apprenant de reformuler une consigne), ou de poser des questions pour affiner ou corriger. n

NE CONFONDEZ

PAS CHATGPT AVEC

UN MOTEUR DE RECHERCHE

Les précédentes versions de ChatGPT avaient été entraînées sur des bases de données s‘arrêtant en 2021, tandis que la version 4.0 (OpenAI ayant officialisé la version 4.5, pré-version en France) a étendu sa base

CRÉEZ DE NOUVELLES CONVERSATIONS

de connaissances jusqu’en 2024. Si besoin, l’agent conversationnel peut aussi se connecter à Internet, par exemple pour répondre à une question récente, précise ou hors de sa base de connaissances. Mais il ne remplace pas (encore) un moteur de recherche. Pour une information directe, vérifiable et sourcée, mieux vaut

Si les agents conversationnels vous demandent de vous connecter, ce n’est pas juste pour récolter vos données : cela permet aussi de garder l’historique de vos échanges. L’aviez-vous remarqué ?

Quand vous démarrez une discussion, l’agent en conserve la trace dans un onglet à gauche (il faut parfois cliquer sur l’icône « rectangle divisé deux » pour y accéder). Il attribue un titre à la conversation (titre que vous pouvez modifier par la suite). Vous pouvez ainsi reprendre un échange commencé plusieurs mois auparavant, comme si rien ne s’était passé. Il est préférable de créer une nouvelle conversation lorsque votre demande est très différente de la première : cela permet de mieux cadrer l’échange et le contexte de départ. Vous pouvez aussi archiver une conversation (elle n’apparaît plus dans l’historique) ou la supprimer définitivement. n

LE MATCH

À ma gauche, ChatGPT, l’agent d’OpenAI, connu de tous.

À ma droite, Le Chat de Mistral AI, concurrent français plus discret. Comparons-les selon différents critères.

utiliser votre outil habituel ! En revanche, pour synthétiser, reformuler ou interagir, l’agent conversationnel reste une excellente option.

Autre possibilité : Perplexity, qui fait aussi office de moteur de recherche amélioré. Moins bavard que ChatGPT, il fournit des réponses toujours sourcées. L’avez-vous testé ? n

RETOUR D’EXPÉRIENCE

Imaginez : vous trouvez un article parfaitement adapté à votre thématique de classe. Pris par le temps, vous demandez à un agent conversationnel de créer des questions de compréhension. Vous lui faites confiance, ne relisez pas vraiment… et partez en cours. Au moment d’animer l’activité, vous ne vous sentez pas très à l’aise, les questions tiennent la route, certes, mais vous les auriez formulées autrement. Certaines vous semblent même superflues. Si l’utilisation d’un agent conversationnel permet de gagner du temps dans la préparation d’une activité, elle ne dispense en rien d’un temps de relecture et d’adaptation. Vous êtes l’expert pédagogique, et vous connaissez votre classe mieux que quiconque. D’où l’importance de garder un regard critique sur toute activité générée par l’IA. n

DÉFI PROMPT !

Améliorez le prompt « Créer un test final pour évaluer la maîtrise de l‘alternance passé composé / imparfait. » en appliquant les conseils de l‘article. Lorsque vous avez terminé, comparez le résultat avec notre proposition. Qr code ci-contre n

TRIBUNE DIDACTIQUE

IA ET FLE : REPRÉSENTATIONS, OPPORTUNITÉS,

USAGES

L’intelligence artificielle s’immisce dans nos classes. Que ce soit pour nos étudiants ou nos collègues, elle suscite réticences ou engouements, soulève bien des interrogations, crée de nouvelles opportunités, modifie les usages, renforce l’autonomie des apprenants, facilite l’individualisation des apprentissages et conduit aussi à redéfinir le rôle de l’enseignant. À Lille, Lyon, Tours, Besançon, voici quelques exemples d’utilisation de l’IA dans les centres de FLE.

GENEVIÈVE VASSAUX, ILCF PARIS

MOTEUR DE CRÉATIVITÉ

Comme partout, les apprenants du CLA sont des utilisateurs d’IA. L’équipe du Labo du prof a donc tenté de développer créativité et regard critique sur ces technologies, afin de sortir les étudiants de leur position de simples consommateurs et en faire des utilisateurs inventifs et avisés.

Dans Le Labo du prof, l’IA prend place dans un parcours d’apprentissage qui débouche sur une tâche actionnelle intégrant son utilisation. Ainsi, les apprenants sont invités à écrire un prompt pour générer une image, coécrire une histoire avec ChatGPT ou créer une chanson avec Suno. La créativité donne à la langue étrangère une couleur émotionnelle dont elle est souvent dépourvue. Cependant, hormis pour quelques apprenants ayant une pratique artistique, elle se limite souvent à un travail d’expression écrite. Générer image ou

mélodie avec l’IA permet d’aboutir à une création complète qui donne du sens à la langue et l’ancre dans une expérience sensible. Par ailleurs, apprendre à écrire une instruction et à dialoguer avec une IA demande de la réflexion et un langage spécifique. Travailler ces compétences aide les apprenants à mieux utiliser cet outil et en connaître ses limites. Enfin, les IA actuelles génèrent souvent des productions stéréotypées. Des activités de génération d’image sont par exemple l’occasion d’un travail sur leurs biais. Les apprenants pourront alors développer un sens critique nécessaire à tout apprentissage et à toute utilisation de la technologie. L’IA en classe de FLE amène ainsi à repenser l’apprentissage dans une optique de collaboration critique entre les robots et les hommes. n Téléchargez les fiches du Labo du prof : https://bit.ly/4hf7R8o

FORMER À L’AUTONOMIE

L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans le Centre de Ressources en Langues (CRL) du CUEFEE a profondément transformé l’accompagnement à l’autonomie en FLE. Grâce à des outils tels que ChatGPT, les dispositifs de remédiation, d’interaction orale et d’acquisition lexicale ont gagné en pertinence et en efficacité. Cette technologie permet d’offrir un accompagnement sur

mesure, adapté à la diversité des profils d’apprenants, tout en rendant l’apprentissage plus engageant grâce à des supports ludiques et interactifs. Parmi les activités menées au CRL, la production écrite occupe une place centrale. Comme la rédaction de prompts pour l’IA qui stimule la créativité et favorise l’apprentissage en autonomie. En travaillant en

PAR AUDE DUBUISSON ET CLAIRE MALLET, CLA BESANÇON
PAR MARIA CARRION, CUEFEE – UNIVERSITÉ DE TOURS
Image générée par l’IA pour les fiches Le Labo du prof.
TRIBUNE COORDONNÉE PAR ÉMILIE GRÉAULT, UNIVERSITÉ DE REIMS, ADCUEFE.COM

Français

RETROUVEZ LA FICHE PÉDAGOGIQUE

RFI en pages 77-78 et le reportage audio sur www.fdlm.org

ENSEIGNERA-T-ON ENCORE

LES LANGUES EN 2050 ?

Poser cette question, tout à fait provocatrice quand on témoigne depuis plus de soixante ans de cet enseignement, c’est forcément créer un horizon d’attentes auquel ce dossier essaie d’apporter des réponses – comme l’avait fait, dès 1973, notre centième numéro intitulé Vers l’an 2000

L’affirmation du chercheur Nicolas Hervé, dont l’entretien ouvre ce dossier, servira de boussole : « J’affirme que l’éducation, aujourd’hui, doit préparer non pas à suivre des routes déjà tracées, mais à orienter sans carte précise, et donc à développer des capacités d’exploration, d’attention, d’invention collective. » Et la première halte vers cette terra incognita, c’est celle que propose la technologie. Notre enquête part de cette question cruciale : « La technologie

dominera-t-elle un jour l’enseignement des langues, occultant complètement le rôle du professeur ? » Alors que l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle ou encore la traduction automatique gagnent chaque jour du terrain, certains y voient une béquille précieuse, quand d’autres s’alarment de la perspective d’un enseignement sans les hommes. On lira ici les témoignages de ceux qui opposent à l’envahissante technologie, « les subtilités de l’apprentissage », « le besoin d’échange », « La relation et le lien affectif qui unissent apprenant et enseignant ».

Au-delà de la vision tronquée du monde qu’ils transmettent, analyse Michel Boiron, le risque majeur qu’impliquent ces outils est l’isolement des individus, leur déconnexion avec le monde réel, une certaine forme de désocialisation. En réponse, apprendre une langue répond

justement à des besoins fondamentaux : communiquer, s’ouvrir à l’autre, découvrir, explorer des cultures et des manières de vivre, se définir soi-même par rapport aux autres, apprendre à décrire le monde et à le comprendre en adoptant plusieurs points de vue…

Celui de Jacques Pécheur décrypte le marché des langues de demain. Au-delà de celui que dessine l’IA, il pointe un marché de niches qui impose des réponses éclatées conformes à l’ère dans laquelle nous évoluons, où chaque consommateur-apprenant attend qu’on s’adresse à lui individuellement. Et d’imaginer la méthodologie qui va avec. « En travaillant au croisement des langues, des cultures et des expériences migrantes ou transnationales, conclut Nicolas Hervé, les enseignants de FLE sont en première ligne pour faire émerger des récits pluriels du monde et du futur. » À vous de jouer. n

L’ÉCOLE… ET APRÈS ?

« L’ÉDUCATION AU FUTUR EST ÉMANCIPATRICE »

Face aux bouleversements écologiques, politiques et sociaux qui redessinent nos horizons, comment envisager les enjeux éducatifs et les transformations pédagogiques à l’aune des évolutions technologiques ? Entretien avec Nicolas Hervé, auteur de Penser le futur (Le Bord de l’eau).

PROPOS RECUEILLIS PAR JEANNE RENAUDIN

On dit souvent que l’école prépare l’avenir, mais ce futur reste flou ou absent des curriculums. En quoi est-il nécessaire d’en faire un objet de réflexion ?

C’est en effet un paradoxe frappant : l’école est censée préparer les élèves à leur avenir, mais elle n’en fait pas pour autant un objet de réflexion et de questionnement. Il est pourtant devenu urgent d’apprendre à penser le futur selon moi. D’abord, parce que nous vivons dans un monde marqué par l’incertitude,

Nicolas Hervé est professeur en didactique des transitions écologiques et des questions socialement vives, agrégé de Physique, directeur adjoint de l’Unité mixte de recherche « Éducation, Formation, Travail, Savoirs » (Université Toulouse Jean-Jaurès et École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole).

les crises systémiques (écologiques, climatiques, technologiques, sociales), et des transformations rapides. Dans ce contexte, ne pas former les jeunes à imaginer différents futurs possibles, ne pas les aider à identifier et évaluer les conséquences et risques des changements en cours, revient à les priver d’outils essentiels pour comprendre et agir sur leur monde. Ensuite, parce qu’il est difficile d’échapper aux deux grands récits qui colonisent notre manière de voir le futur : d’un côté celui de l’effondrement civilisationnel, et de l’autre celui du développement technologique vu comme solution à tous les problèmes. L’école a un rôle crucial à jouer pour

« L’école a un rôle crucial à jouer pour déverrouiller les imaginaires et cultiver une pluralité de visions du futur »

déverrouiller les imaginaires et cultiver une pluralité de visions du futur.

Pourquoi la notion cartographique de « terra incognita » vous semble-t-elle si féconde pour penser le rôle d’éducateur aujourd’hui ?

J’utilise la notion de terra incognita, ce terme cartographique qui désignait les zones encore inexplorées sur les anciennes cartes, pour insister sur le caractère inédit, incertain et potentiellement dangereux de notre époque. L’ampleur des changements en cours – crise climatique, effondrement de la biodiversité ou irruption de l’intelligence artificielle – fait que nous avançons dans un territoire dont les contours sont flous, instables, et menaçants. Cette image est utile pour penser notre rôle d’éducateur, car elle rappelle que nous ne sommes plus dans une logique de transmission de savoirs stabilisés dont nous sommes les héritiers. En convoquant la terra incognita, j’affirme que l’éducation, aujourd’hui, doit préparer non pas à suivre des routes déjà tracées, mais à orienter sans carte précise, et donc à développer des capacités d’exploration, d’attention, d’invention collective. Cela implique de reconnaître que les élèves ne vont pas seulement vivre dans un monde en mutation, mais qu’ils auront à agir sur lui, ils sont des acteurs du changement. Pour cela, l’école doit laisser plus d’espace à l’incertitude, à la complexité et au discernement éthique.

Vous montrez que le futur n’est pas neutre : il est déjà chargé d’idéologies, de récits et d’émotions. Comment un enseignant peut-il prendre conscience de ses propres représentations du futur ? C’est une question essentielle, car les représentations du futur sont toujours traversées inconsciemment par des imaginaires, des croyances, des peurs ou des espoirs. Un enseignant porte ainsi en lui des visions du futur qui orientent sa manière d’enseigner et d’interagir avec les élèves. Prendre conscience de ses représentations, c’est d’abord accepter de les questionner. Sans y prendre garde, nous avons en effet tendance à réduire le futur à un seul scénario, celui qui nous apparaît le plus probable. Mais le futur, par définition, est ouvert, incertain, surprenant. Ce questionnement peut passer par des démarches réflexives : écrire ou dessiner ce que l’on imagine pour le futur, analyser l’origine de ces visions, les confronter à d’autres récits. C’est

LE FUTUR… ET APRÈS ?

« POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE »

Tel était le titre de l’éditorial du centième numéro du Français dans le monde, daté de 1973 et rédigé par Guy Capelle, auteur célèbre pour ses méthodes et fondateur du BELC, formulant des hypothèses sur l’avenir de l’enseignement des langues en l’an 2000. À l’heure où débarque l’intelligence artificielle, qu’en sera-t-il demain ?

Est-ce que tu peux corriger mes erreurs en français ? Je voudrais simuler un échange dans un magasin de chaussures ? Tu es la vendeuse et moi l’acheteuse ? Est-ce que tu peux corriger mes erreurs à la fin de la conversation ? — Avec plaisir Ranya ! Nous pouvons commencer quand tu veux. » Ranya, étudiante tunisienne, n’échange pas avec un professeur ou une amie, mais avec un outil d’intelligence artificielle. La vendeuse est très aimable et répond correctement. Elle corrige ensuite les erreurs.

L’utilité future des machines dans le cadre de tâches d’apprentissage était déjà mise en avant dans l’article de Guy Capelle en 1973* : « Les moyens technologiques rendront ces tâches plus légères et plus rapides. Outre l’apprentissage des éléments de base et l’autocorrection, ils permettront le contact authentique et fréquent à distance avec des individus de l’autre communauté et l’auto-évaluation par l’élève de ses possibilités réelles de communication. Les machines ne seront plus seulement des instruments destinés à imposer une matière soigneusement programmée à l’avance. Elles seront également, au service de l’individu, des moyens de découverte personnelle. »

L’auteur avait-il anticipé l’arrivée de Zoom ou de Teams et les agents conversationnels de l’intelligence artificielle ? La réalité a dépassé cette vision. Les pratiques se diversifient et transforment radicalement l’expérience d’apprentissage :

plateformes, applications mobiles, cours en visio, dispositifs immersifs, dispositifs adaptatifs évolutifs. Elles remplacent parfois l’enseignement en présentiel, en particulier dans l’enseignement extrascolaire.

Des évolutions technologiques toujours plus performantes Internet et les moteurs de recherche ont fondamentalement modifié l’accès aux informations et aux connaissances : immédiateté, accessibilité, bases de données et sources pratiquement infinies. L’arrivée des outils de l’IA grand public révolutionne à son tour des pans entiers de nos sociétés et évidemment le secteur

tils, a accès aux savoirs, mais aussi aux savoir-faire et à l’acquisition de compétences. L’enseignement-apprentissage des langues sera sans doute complètement repensé avec ces nouveaux outils. Les évolutions technologiques sont fascinantes : traductions instanta-

« L’arrivée des outils de l’IA grand public révolutionne des pans entiers de nos sociétés et évidemment le secteur de l’apprentissage-enseignement »

de l’apprentissage-enseignement. Chaque semaine apparaissent de nouveaux outils encore plus performants.

Certaines compétences deviennent quasi obsolètes : la mémorisation, la capacité à analyser ou à résumer de longs documents, la recherche documentaire. D’autres compétences s’imposent comme indispensables : savoir rédiger ou définir une instruction (un « prompt ») ; comprendre la réponse donnée par l’outil d’intelligence artificielle ; savoir évaluer de manière critique la réponse proposée. L’utilisateur, guidé par ces ou-

nées, interfaces qui passent d’une langue à l’autre, interlocuteurs virtuels capables de prendre en compte le contexte personnel et social de l’utilisateur et de simuler des conversations quasi naturelles en langue première de l’usager, mais aussi dans d’autres langues. Et nous ne sommes qu’au début du développement des performances de ces outils. Pourquoi donc devrait-on passer des mois, voire des années à apprendre une langue alors qu’une machine peut aider si facilement à communiquer ? Les outils sont transportables, évolutifs, de plus en

Michel Boiron est expert, conseiller et formateur en français langue étrangère. Il a été directeur du CAVILAM - Alliance française de 1997 à 2022.
PAR MICHEL BOIRON

IA, réalité virtuelle, traduction automatique…

La technologie dominera-t-elle un jour l’enseignement des langues, occultant complètement le rôle du professeur et l’apprentissage d’humain à humain ?

LA TECHNOLOGIE… ET APRÈS ?

QUAND LA TECHNOLOGIE DEVIENT ENSEIGNANTE

APPRENDRE UNE LANGUE SANS L’HUMAIN : MISSION IMPOSSIBLE ?

Les technologies évoluent à grande vitesse, et une interrogation s’impose dans le monde de l’apprentissage des langues : le besoin de médiation humaine est-il en passe de disparaître ?

Pour Philippe Blanchet, professeur en sociolinguistique et didactique des langues, « on ne peut pas réduire l’apprentissage des langues à une simple acquisition de compétences communicatives. D’autres enjeux relèvent de la transformation de la personne qui apprend

une nouvelle langue, car elle va acquérir un moyen de comprendre et de dire le monde différemment. Ce travail d’ordre interculturel, essentiel, doit être restitué dans l’épaisseur humaine : son apprentissage ne peut se limiter à l’usage de supports technologiques. » Les langues s’acquièrent par la négociation de sens, l’adaptation aux réactions de l’interlocuteur et la construction de liens. Apprendre une autre langue, c’est bien plus qu’acquérir un outil de communication.

« Les soutiens technologiques jouent un rôle important dans l’apprentissage, mais ça n’est qu’un outil complémentaire, poursuit Philippe Blanchet. Homo Loquens : ce qui fait l’humanité des humains, c’est cette capacité à parler. Aucune matière n’est plus humaine que les langues. Le rôle du professeur, en tant que personne, est donc irremplaçable. » Un constat partagé par Pierre Martinez, professeur en sciences du langage et didactique des langues, qui

pointe les limites d’un apprentissage en solo face à la machine, qui « tiennent à la carence en socialisation, même si les assistants personnels, pour certains déjà humanoïdes, sont désormais dotés de capacités contextuelles considérables ». Pour lui, l’apprentissage doit s’inscrire dans un modèle équilibré : « La formule souhaitable pourrait être : un tiers d’enseignement formel, un tiers d’actions pilotées (classe inversée, e-tandem, projet collaboratif…), un

QUEL DÉFI POUR LES ENSEIGNANTS ?

Milos Avramovic (34 ans), prof FLE depuis 15 ans

« La traduction automatique, les lunettes connectées, les chatbots … Pour moi, ces outils peuvent peut-être servir pour se débrouiller dans un pays dont on ne connaît pas la langue. Mais si on veut vraiment apprendre une langue étrangère, ils sont inutiles et même dangereux, car ils peuvent induire en erreur dans les subtilités de l’apprentissage. Certains de mes étudiants ont commencé le français via des applications et se sont tournés vers moi car ils voulaient qu’un professeur “vivant” et non “virtuel” leur explique certaines particularités linguistiques qu’ils peinaient à saisir. Autre exemple : outre mon métier de prof de FLE, je suis aussi traducteurinterprète judiciaire. Le domaine juridique est un champ très strict et complexe, où la traduction automatique n’a aucune pertinence, car il faut connaître toutes les nuances de la terminologie. » n

tiers d’autonomie et de prise de responsabilité de l’apprenant sur ses activités. » L’enseignant, loin d’être relégué au second plan, voit ainsi son rôle évoluer. L’authenticité linguistique, mais aussi culturelle, reste garantie par la présence humaine, même si la technologie peut enrichir l’expérience. « L’immersif virtuel a sa place sous toutes ses formes, conclut Pierre Martinez, mais il doit être situé dans le curriculum et non pas relever d’un éclectisme aléatoire. » n

Stéphanie Olszowy (45 ans), prof de FLE depuis 23 ans « Ce qui me fait le plus peur, c’est la traduction automatique. J’ai déjà assisté à des scènes troublantes, où un smartphone posé sur la table semblait être devenu un convive à part entière : on se met alors à dialoguer avec un téléphone, à lire la traduction de la conversation plutôt que de vivre pleinement l’échange. Ce type d’outil efface les intentions, les intonations, les subtilités du dialogue. Cet usage ne pousse pas à faire l’effort d’apprendre et je crains que, par confort, on en vienne à privilégier ces technologies au détriment de nos propres capacités cognitives. Mais si la crainte d’être remplacée est réelle, une lueur d’espoir subsiste : si on me contacte, ce n’est pas juste pour apprendre à parler le français, c’est parce qu’ils ressentent le besoin d’échanger avec une Française, qui connaît non seulement sa langue, mais aussi son pays, sa culture. » n

LA MORT DU MANUEL… ET APRÈS ?

LES NOUVEAUX RAPPORTS AUX SAVOIRS

C’était au tournant des années 2010, au début de l’ère du tout numérique et des réseaux sociaux. Des institutions m’avaient sollicité pour parler, comme pour ce dossier, de la pédagogie du futur. J’étais revenu sur l’intuition de l’article de Francis Debyser sur « La mort du manuel et le déclin de l’illusion méthodologique ». Oui, mais après ?

JACQUES PÉCHEUR

Dessiner cet après le manuel, c’est d’abord interroger ce qui constitue aujourd’hui l’illusion méthodologique dominante, sa doxa : le Cadre européen commun de références pour les langues, brandi comme les Tables de la Loi mais surtout tardif et dernier grand récit méthodologique apparenté à l’époque des certitudes idéologiques d’avant l’ère postmoderne. À savoir la nôtre : celle qui nie le transcendantal et lui préfère la multitude des émetteurs tous équivalents, leurs discours de vérités provisoires et éclatées ; celle qui substitue à la verticalité une communication horizontale, dans un monde plan, dématérialisé et déterritorialisé, celui des réseaux ; celle où aux grands récits de l’histoire collective se substituent les petits récits individuels jusqu’aux stories éphémères d’Instagram.

Des intuitions à prendre en compte

Et pourtant l’histoire de la méthodologie telle que nous l’avons racontée en train de se faire dans Le français dans le monde n’a pas manqué de lanceurs d’alerte qui sont nos phares pour aujourd’hui.

Irremplaçable, René Richterich pour ses fulgurances et son art de faire éclater les cadres, le temps et l’espace : oui, on apprend partout, tout le temps et à sa convenance. Incontournable, Louis Porcher, son attention à tout ce qui change, aux

environnements médiatiques et numériques, aux rapports de l’apprenant à l’apprentissage et à son individualisation, aux pratiques culturelles, notamment le nomadisme. Décisive par ses intuitions : Janine Courtillon. On lui doit une véritable poétique méthodologique : Archipel , bien plus qu’un nom de méthode, un design de l’apprentissage. Initiateur, Max Dany, d’une autre manière d’évaluer : souple, évolutive, capitalisable, en phase avec la demande. Voilà notre héritage en partage. Reste une question préalable que le surgissement de l’IA dans nos vies avec son cortège d’inquiétudes n’a pas manqué de provoquer : avec les progrès du traitement automatique des langues, les enseignera-t-on encore dans les décennies qui viennent ? Ou se contentera-t-on, comme on peut déjà le faire aujourd’hui, de poser entre deux interlocuteurs s’exprimant chacun dans sa langue une application qui fera le travail de traduction – voire de porter une de ces fameuses paires de lunettes connectées qui font leur apparition sur le marché ?

En tout cas, ce qui se joue dans l’immédiat et dans l’urgence, c’est la manière dont on intégrera dans

l’apprentissage le développement des technologies liées à la traduction automatique des langues, comme nous l’impose aujourd’hui notre environnement numérique : l’interaction vocale, la traduction automatique, l’analyse sémantique, l’analyse et la recherche de contenus, la reconnaissance et la synthèse vocales.

Un bouleversement cognitif

Ce qui se joue aussi, c’est la prise en compte d’un nouveau rapport au savoir où l’on peut discerner trois grands mouvements : la délégation, la transformation et la fragmentation du savoir.

La délégation : si notre façon d’apprendre était basée sur la rareté du savoir, désormais, avec Internet et les réseaux sociaux, tous les savoirs du monde ou presque sont disponibles en trois clics, si l’on sait où et comment chercher. Au point que dans l’apprentissage et l’évaluation, on doit tenir compte de l’évolution du rapport entre mémoire et

Ce qui se joue dans l’immédiat et dans l’urgence, c’est la manière dont on intégrera dans l’apprentissage le développement des technologies liées à la traduction automatique des langues,

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