Doux comme le silence (Ed. Favre, 2025) - EXTRAIT

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DOUX COMME LE SILENCE

UNE ENQUÊTE DE

L’INSPECTRICE

ALICE GINIER

POCHEPOCHE

Doux comme le silence

Éditions Favre SA

29, rue de Bourg

CH-1003 Lausanne

Tél. : (+41) 021 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com

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Dépôt légal en septembre 2025. Tous droits réservés pour tous pays. Sauf autorisation expresse, toute reproduction de ce livre, même partielle, par tous procédés, est interdite.

Couverture : Steve Guenat, Idéesse

Mise en pages : SIR

Impression : Sepec, France, lot 1

ISBN : 978-28289-2273-3

© 2025, Éditions Favre SA, Lausanne, Suisse

Les Éditions Favre bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2021-2025.

Raphaël Guillet

Doux comme

le silence

Roman
« Non seulement Dieu n’existe pas, mais allez trouver un plombier le dimanche ! »
Woody Allen

Chapitre 1

Les yeux d’Alice fixèrent la tête de mort sur la coque du smartphone de l’homme qui lui faisait face. Il parlait en ignorant les autres passagers du métro, agglutinés dans une rame pleine à craquer : Oui j’ai adoré cette nuit, mon lapin. La prochaine fois, je te mange !

Alice observa les autres personnes qui l’entouraient : une jeune cadre dynamique réprimant un bâillement, un adolescent dont la publicité sur le pull vantait les mérites du tourisme en Gruyère, une jeune femme aux cheveux bleus et un barbu qui lui faisait des clins d’œil. Alice fit semblant de ne pas remarquer ces œillades de mauvais dragueur.

Les autres usagers du métro écoutaient de la musique, regardaient leurs chaussures ou leur reflet dans la vitre. Un jeune homme d’une vingtaine d’années attira son regard. Alice repéra un air de famille dans les traits de son visage. Son petit frère Raoul, pensa-t-elle, ressemblerait à ce beau mec s’il était encore en vie. Et il aurait à peu près le même âge. Elle le regarda pianoter sur son smartphone. Elle-même n’avait pas emporté le sien, elle avait congé, elle ne voulait recevoir ni appels ni messages.

Une cinquantaine de personnes sortirent à la station du Flon et l’étau se desserra. Le barbu aux sourcils épais lui adressa deux nouveaux clins d’œil. Pour qui se prenait-il ? se demanda-t-elle avant

de comprendre : le gars n’était pas un dragueur, il souffrait d’un tic nerveux.

Le métro entama sa descente vers la gare. Alice ajusta l’élastique qui maîtrisait sa crinière blonde. Elle repositionna le sac à dos sur ses épaules puis fit bouger ses orteils dans ses chaussures de montagne. Elle les avait achetées à l’époque de sa formation de policière sur les hauteurs de Savatan et ne les avait plus chaussées depuis un an à cause de son master à l’École des sciences criminelles et de ses débuts professionnels d’inspectrice à la Police judiciaire de Lausanne.

Les randonnées en montagne lui avaient manqué durant ces douze mois de travail intense. Elle s’était contentée, pour se défouler, de deux-trois heures hebdomadaires de fitness en salle mais elle allait enfin retrouver l’air pur des Alpes. « Je serai au sommet de la Dent de Jaman avant midi » se dit-elle. Elle n’y était jamais allée et y tenait énormément. Son père s’y était rendu durant son service militaire et lui avait souvent parlé de l’extraordinaire vue panoramique depuis ce rocher au-dessus du lac Léman.

La voix enregistrée annonça la station terminus de la gare, la rame s’immobilisa en émettant un crissement désagréable. Alice observa à travers la vitre un mouvement de foule inhabituel. Quelque chose de spécial venait de se produire. Elle aperçut une jeune femme effondrée sur le quai. Les gens s’étaient spontanément écartés, créant un espace autour du corps allongé sur le sol. Alice dut attendre l’ouverture automatique des portes pour courir vers la victime. Elle s’agenouilla, lui parla sans obtenir de réponse, lui frappa la joue, lui saisit le poignet en cherchant son pouls et tenta de la ranimer.

Aucune réaction. La jeune femme ne respirait plus. Alice aperçut un téléphone sur le sol et le saisit.

Il y a quelqu’un ? demanda-t-elle C’est toi, Tiffany, qu’est-ce que tu fichais ?

Votre amie vient d’avoir un malaise, répondit Alice. Je vous rappelle dans deux minutes. Votre prénom ?

Maeva. Qu’est-ce qu’elle a, Tiffany ?

Je vous rappelle dans deux minutes.

Alice s’en rendit compte : elle ne parlait pas, elle hurlait. Elle raccrocha, appela le 144, donna toutes les informations nécessaires pour les secours puis chercha une nouvelle fois la respiration de la mourante. Peine perdue. Alice aperçut une tache rouge sur le tissu du sweat à capuche à la hauteur des seins. Elle fit basculer délicatement le corps inerte de la jeune femme et souleva ses habits. Ce n’était pas un malaise mais un crime. L’orifice d’entrée de la balle était bien visible sous l’omoplate. Alice fut choquée par l’évidence. La vie venait de la frapper de plein fouet. Une autre idée lui traversa l’esprit : la Dent de Jaman, c’était raté pour aujourd’hui ! Elle reprit ses manœuvres et entendit la sirène de l’ambulance. Un homme et une femme la rejoignirent en courant. Alice leur montra la blessure par balles et recula pour les laisser agir.

On peut vous aider ? demanda une vieille dame.

Alice la remercia mais ce n’était pas nécessaire. Elle reprit le téléphone portable de la victime en pressant la touche rappel :

Maeva ?

Oui

Je m’appelle Alice, je travaille pour la police. Votre amie Tiffany est mal en point. Je n’ai pas beaucoup de temps, je vous rappellerai. Donnez-moi votre numéro !

Mais vous l’avez sur le portable de Tiffany, mon numéro !

L’appareil de votre amie va sans doute se verrouiller ! Donnez-le-moi, s’il vous plaît !

Alice avait un stylo mais pas de papier. Elle nota rapidement les dix chiffres sur la peau de sa main gauche.

Désolée, à plus tard !

Alice raccrocha en se jurant de ne plus jamais laisser son propre téléphone à la maison. On ne peut plus vivre sans, aujourd’hui, conclut-elle en baissant la tête vers Tiffany. Son premier mort depuis qu’elle était inspectrice. Certainement pas le dernier.

Chapitre 2

Son dos lui fit mal en ouvrant la boîte aux lettres. Saloperie de vieillesse, pesta-t-il en attrapant deux enveloppes et le Monde diplomatique auquel il était abonné depuis toujours.

L’ascenseur le hissa jusqu’au quatrième étage et Victor Morand se retrouva enfin chez lui. La femme de ménage était déjà repartie, tant mieux. Il s’assit dans son fauteuil de lecture, posé au milieu de la chambre d’amis, appelée ainsi bien qu’il n’en eût aucun. Pas même un copain, avait maintes fois ironisé Diane, son épouse, décédée six ans plus tôt.

Il feuilleta son journal mais la rumeur de la ville le gêna. Il se releva et marcha jusqu’au salon. La femme de ménage avait laissé la fenêtre ouverte pour aérer la pièce. C’était mercredi, jour de marché sur la place de la Palud. Le silence ne revint que partiellement, une fois la fenêtre refermée. Le double vitrage l’immuniserait contre le boucan extérieur mais la gérance ne voulait pas en assumer les frais et il n’était pas question pour lui de payer de sa poche. Il en avait les moyens avec ses économies et sa retraite de professeur d’archéologie mais plutôt crever, pensait-il, que de mettre un genou à terre devant la gérance et la compagnie d’assurances, propriétaire du bâtiment.

Une sirène de police retentit dans le lointain lorsqu’il entra dans la cuisine pour se faire un café. Le temps que l’eau chauffe, il découvrit une miette

de pain sur la table, essuya plusieurs traces de doigts sur l’inox du frigidaire et pesta contre sa femme de ménage, tout juste bonne à demander une augmentation de salaire.

Il emporta sa tasse de café, vérifia au passage la propreté de la salle de bains et retourna dans la chambre d’amis. Il s’arrêta devant l’unique tableau accroché au centre de la pièce : un portrait maladroit de Winston Churchill. Victor l’avait peint lui-même quelques années plus tôt dans le cadre d’un cours gratuit du programme de vacances de l’université. Il avait surtout raté les yeux. Churchill affichait un regard de bovin endormi et non celui du vieux lion facétieux.

Victor tenait à conserver ce tableau raté car Churchill était un de ses héros. Bien plus efficace contre la barbarie nazie que Picasso et son célèbre Guernica.

Il posa sa tasse sur la table basse à côté du fauteuil, se rassit et se releva une nouvelle fois : il serait plus à l’aise sans sa veste en velours côtelé. Il s’en débarrassa, plongea une main dans la poche droite, en ressortit un pistolet qu’il déposa juste à côté de la tasse de café.

Maintenant il pouvait lire.

Chapitre 3

Alice regarda l’ambulance repartir à vide. Un médecin vint officialiser le décès de la jeune femme. Trois experts de la police scientifique s’affairaient autour de son corps en quête d’indices alors que le flux des passagers du métro était canalisé par un cordon de sécurité.

Elle vit Sting s’approcher d’elle. Un de ses collègues à la brigade criminelle.

Tu n’as vraiment rien vu ? demanda-t-il

Rien ! Il va falloir lancer un appel à témoins.

Rassure-toi, c’est déjà fait !

Ce qui m’étonne, c’est que je n’ai rien entendu.

Tu penses au coup de feu ?

Oui. Au silence de la foule aussi. Personne n’a crié parmi les gens qui attendaient le métro. Peut-être parce que personne n’a compris ce qui se passait.

Alice et Sting soulevèrent les rubans qui délimitaient la scène de crime et rejoignirent la rue à l’extérieur de la station de métro.

Va quand même marcher. Tu es en congé, Alice !

Je renonce.

Cela te changerait les idées.

Non. J’aimerais travailler avec l’équipe qui sera chargée de cette enquête, expliqua-t-elle alors que le téléphone de la défunte sonnait dans sa main droite.

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