On nous fait marcher

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Conférence Université de Pau. 2002 « On nous fait marcher » Le problème bipède dans l'évolution humaine. La bipédie est une caractéristique essentielle de l'homme nous dit-on. Elle le définit en tant qu'être biologique, espèce. Elle est l'apanage de l'homme, de l'humain. Déjà Linné en 1758 en avait fait un caractère distinctif du genre Homo par rapport aux primates. A cette époque l'homme n'appartient pas aux primates, il s'en différencie et notamment par ce caractère. Depuis les taxonomistes ont réintégré l'homme dans le groupe des primates en tant que représentant à part entière même si un peu spécial sur un plan comportemental et social. Mais les singes ne sont pas bipèdes. Les animaux marchent à quatre pattes. Aristote déjà mettait l'accent sur ce caractère si particulier et unique que possède l'homme et qui lui permet de s'élever. Cette érection a quelque chose de mythique. L'homme s'élève au dessus de... de qui? des animaux, du monde animal. C'est l'opposition animalité/humanité qui est présente constamment dans toutes ces réflexions depuis 2000 ans d'histoire occidentale. Il faut définir l'homme, le circonscrire, lui donner des attributs spécifiques afin de le distinguer des autres espèces. Le distinguer de ces autres êtres vivants dont on a du mal à croire qu'ils puissent avoir un quelconque rapport avec nous. Définir l'homme, c'est le distinguer, le mettre à part. Son fonctionnement est différent. Il faut différencier car seule la différence est gênante. Pour Aristote l'homme est debou parce que son genre tend à se rapprocher du monde d'en haut, le monde lunaire, celui des astres, des dieux, là où règne la perfection. L'homme érigé est un véritable symbole? Symbole de l'extraction du monde animal. A l'époque, puisqu'Aristote est notre premier grand taxonomiste, les êtres inférieurs sont rampants. Ils ont un rapport constant et vital avec la terre. Les petits vers vivent dans la terre et ils en proviennent. Les quadrupèdes sont encore assez proches du sol mais tendent à s'élever. On retrouvera ce système hiérarchique chez Linné bien plus tard. C'est la fameuse échelle des êtres, la scala naturae. L'homme s'extrait de son animalité mais sans aucune notion évolutionniste à l'époque. L'homme est tout en haut de cette échelle et il domine le monde du haut de son mètre et quelques. Buffon affirme en 1749: « tout marque dans l'homme, même à l'extérieur, sa supériorité sur tous les êtres vivants; il se soutient droit et élevé, son attitude est celle du commandement, sa tête regarde vers le ciel et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de sa dignité. (…) Il ne touche à la terre que par ses extrémités les plus éloignées, il ne la voit que de loin et semble la dédaigner... Finalement ce qui nous manque et nous avons tenté maintes fois l'expérience ce sont des ailes. Elles seules nous permettent de nous élever plus haut encore. » De cette brève incursion dans l'histoire de la pensée de notre civilisation nous constatons la valeur de mythe que possède la bipédie. Depuis le transformisme et l'évolutionnisme ont repris et réarrangé les idées avec des arguments scientifiques mais l'épopée mythique de l'humanité reste présente et très agréable à entendre. Une question qu'on est en droit de se poser et qui déjà vient abîmer le bel édifice c'est : l'homme estil vraiment le seul à pratiquer la bipédie? Chez les scientifiques du XIXe siècle cela ne faisait aucun doute car celle pratiquée par l'homme se distingue très clairement de celle pratiquée par d'autres espèces telles les oiseaux, certains lézards. Aujourd'hui il faut modifier la définition de la bipédie afin de pouvoir distinguer des bipédies différentes. En effet il se trouve que le caractère est apparu plusieurs fois au cours de l'évolution des espèces et ce de manière indépendante: les oiseaux, les dinosaures, les lézards, des placentaires comme nous entre autres, des marsupiaux. En 1779 Blumenbach crée pour l'être humain l'ordre des bimanes afin de mieux le distinguer des singes quadrumanes. Mais il se trouve aussi que bon nombre d'autres primates utilisent à l'occasion ce mode de locomotion. Aujourd'hui l'on parle de répertoire locomoteur chez les primates car dans son ensemble ce groupe présente une variabilité locomotrice assez grande et une simple classification des espèces en fonction de leur type locomoteur s'avère réductrice et fausse. Ainsi le gibbon pratique-t-il la bipédie durant environ 10% de son temps selon ses activités, l'orang-outan jamais, le


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