Pour La Science #550 - Août 2023

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Ethnomathématiques

LA THÉORIE DES GRAPHES se rĂ©vĂšle au

L 13256 - 550 S - F: 7,00 € - RD POUR LA SCIENCE 08/23 UNIVERS PRIMORDIAL Les premiers rĂ©sultats du JWST L’analyse de Nicolas Laporte astrophysicien Art & Science « LA CÈNE » DE LÉONARD DE VINCI VUE DE L’INTÉRIEUR ProbabilitĂ©s COMMENT LIMITER LES PERTES AU CASINO Biophysique VERS UNE INGÉNIERIE DES FORMES DE VIE ? DOM 8,50 € –BEL./LUX. 8,50 € –CH 12,70 FS –CAN. 12,99 $CA –PORT. CONT. 8,50  € –  MAR. 78 DH –TOM 1 100 XPF Édition française de ScientiïŹc American –AoĂ»t 2023n° 550
Vanuatu

Directrice des rédactions : Cécile Lestienne

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Rédacteur en chef : François Lassagne

Rédacteurs en chef adjoints : Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier

Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly

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Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe

Community manager et partenariats : Aëla Keryhuel aela.keryhuel@pourlascience.fr

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Réviseuses : Anne-Rozenn Jouble, Maud BruguiÚre et Isabelle Bouchery

Assistant administratif : Bilal El Bohtori

Responsable marketing : Frédéric-Alexandre Talec

Direction du personnel : Olivia Le Prévost

Fabrication : Marianne Sigogne et Stéphanie Ho

Directeur de la publication et gérant : Nicolas Bréon

Ont également participé à ce numéro : Laure Bonnaud-Ponticelli, Etienne Dumur, Mathieu Lihoreau, Antoine Petiteau, Gabriel Tobie

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Contact kiosques : À Juste Titres ; Alicia Abadie

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MLP

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Commission paritaire n° 0927K82079

DĂ©pĂŽt lĂ©gal : 5636 – AoĂ»t 2023

N° d’édition : M0770550-01

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SCIENTIFIC AMERICAN

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Origine du papier : Autriche Taux de ïŹbres recyclĂ©es : 30 %

« Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » : Ptot 0,007 kg/tonne

DITO É

COEXISTENCES INATTENDUES

Imprimé en France

Maury Imprimeur SA Malesherbes

N° d’imprimeur : 271 672

Dessiner sur le sable passe pour un jeu d’enfant. Dans l’archipel du Vanuatu, l’exercice est rĂ©servĂ© aux praticiens d’une tradition ancienne. L’Ɠil naĂŻf s’émerveillera des entrelacs dĂ©licats, ïŹgurant ici une tortue, lĂ  un papillon. Les populations pratiquant cet art enregistrent, elles, dans leurs rĂ©alisations leur mythologie et les Ă©pisodes de la vie collective.

L’ethnomathĂ©maticien Alban Da Silva y a vu la trace du concept mathĂ©matique de graphe eulĂ©rien, qui consiste Ă  dessiner une ïŹgure imposĂ©e d’un seul trait sans repasser deux fois sur une mĂȘme ligne. Il apporte la preuve, par une modĂ©lisation rigoureuse des pratiques observĂ©es, que certaines populations du Vanuatu ont littĂ©ralement la thĂ©orie des graphes au bout des doigts. Coexistent ainsi, dans ces fragiles et Ă©phĂ©mĂšres tracĂ©s, des rĂšgles empiriques transmises au ïŹl des gĂ©nĂ©rations et celles d’une thĂ©orie trĂšs importante pour les mathĂ©maticiens, ravivant la fascinante question des fondements anthropologiques de la pensĂ©e mathĂ©matique.

À quelque 11 000 kilomĂštres Ă  l’ouest du Vanuatu se joue une forme de coexistence autrement concrĂšte : celle des humains et des lĂ©opards. La densitĂ© humaine dans les environs de Mumbai est telle que les rencontres avec les grands fĂ©lins sont singuliĂšrement frĂ©quentes. L’éthologue indienne Vidya Athreya nous fait dĂ©couvrir les conditions qui depuis des siĂšcles rendent possible une cohabitation paciïŹque entre notre espĂšce et les grands fĂ©lins. Et qu’il s’agit de remettre Ă  jour dans un monde urbanisĂ©.

Il n’aura pas Ă©chappĂ© aux amateurs de science, ces derniĂšres semaines, une autre forme de coexistence inattendue : celle d’annonces contradictoires accompagnant les derniĂšres observations du tĂ©lescope spatial James-Webb. Quel Ăąge ont vraiment les premiĂšres galaxies de l’Univers ? Une Ă©quipe rĂ©pond 320 millions d’annĂ©es, une autre 200 millions, une autre encore abaisse la limite Ă  100 millions d’annĂ©es. Ces annonces, prĂ©sentĂ©es Ă  quelques jours d’intervalle parfois, signent la dĂ©rive de la course Ă  la publication, juge l’astrophysicien Nicolas Laporte. Il faudra attendre l’examen patient par les pairs pour obtenir une rĂ©ponse consistante.

La science est une entreprise de clariïŹcation et de distinction, qui exige du temps. Elle sait faire le tri entre ce qui mĂ©rite crĂ©dit et ce qui doit ĂȘtre abandonnĂ©. Elle crĂ©e des liens Ă©clairants entre des concepts et des domaines apparemment distants. Elle peut aussi, dans le champ de l’écologie, faciliter la dĂ©couverte de terrains d’entente entre parties prenantes. Toutes Ɠuvres utiles en temps de confusion informationnelle et de tensions environnementales. n

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 3

s

OMMAIRE

ACTUALITÉS GRANDS FORMATS

P. 6

ÉCHOS DES LABOS

‱ Le cerveau, un acteur rĂ©gulateur de l’inïŹ‚ammation

‱ Les racines multiples de notre espùce

‱ Le son grave de l’Univers

‱ Un pouls peut en cacher un autre

‱ Ces appeaux prĂ©historiques chantent encore

‱ Une particule de son « coupĂ©e en deux »

‱ On pompe et la Terre bascule

P. 16

LES LIVRES DU MOIS

P. 18

DISPUTES ENVIRONNEMENTALES

Sortir la tĂȘte de la bassine

Catherine Aubertin

P. 20

LES SCIENCES À LA LOUPE

Le culte de l’innovation

Yves Gingras

P. 34

BIOPHYSIQUE VERS UNE INGÉNIERIE DES FORMES VIVANTES ?

Philip Ball

Le champ Ă©mergent de la morphologie synthĂ©tique ïŹ‚oute les frontiĂšres entre vie naturelle et artiïŹcielle.

P. 43

BIOPHYSIQUE

« LA MATIÈRE BIOLOGIQUE EST À LA FOIS PHYSIQUE, ACTIVE ET RÉACTIVE »

Entretien avec Emmanuel Farge

Pour appréhender le vivant il faut tenir compte des interactions de ses propriétés physiques et des processus biochimiques qui lui donnent vie

P. 48

ASTROPHYSIQUE

SUR LES TRACES DE L’AUBE COSMIQUE

P. 56

ÉTHOLOGIE

VIVRE AVEC LES LÉOPARDS

LETTRE D’INFORMATION

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En couverture :

© Eric LaïŹ€orgue

Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot

Ce numĂ©ro comporte un courrier de rĂ©abonnement posĂ© sur le magazine sur une sĂ©lection d’abonnĂ©s.

Nicolas Laporte

Quand les premiÚres étoiles et galaxies sont-elles nées ? Depuis un an, le télescope spatial JWST est parti à leur recherche.

Et dĂ©jĂ  un ïŹ‚orilĂšge de dĂ©couvertes surprenantes surgit de ses observations

Vidya Athreya

RĂ©apprendre Ă  cohabiter avec les fauves : tel est le dĂ©ïŹ que la population indienne tente de relever pour prĂ©server ses grands carnivores

4 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023
fr
N° 550 / Août 2023

RENDEZ-VOUS

P. 80

LOGIQUE & CALCUL RUINER LE CASINO OU SE RUINER ?

Jean-Paul Delahaye

P. 68

NEUROPHYSIOLOGIE

CE QUE LA CHALEUR INFLIGE AU CERVEAU

Pieter Vancamp

Jour de canicule : on transpire, on rougit et on se sent groggy, voire confus, jusqu’à ĂȘtre incapable de travailler De fortes chaleurs nuisent Ă  nos performances physiques et mentales. Pourquoi ? Et comment s’en prĂ©munir ?

P. 22

ETHNOMATHÉMATIQUES

LA THÉORIE DES GRAPHES SE RÉVÈLE AU VANUATU

P. 74

HISTOIRE DES SCIENCES

« UBU COCU » OU L’ARCHÉOPTÉRYX

SELON ALFRED JARRY

Eric BuïŹ€etaut

Qu’est venu faire le plus ancien oiseau identiïŹĂ© jusqu’à prĂ©sent dans une piĂšce inconnue du pĂšre de la pataphysique ?

Contre toute attente, l’auteur de la saga du « PĂšre Ubu » n’est pas le seul lettrĂ© Ă  s’ĂȘtre intĂ©ressĂ© de prĂšs Ă  certains fossiles illustres.

ClassĂ©s patrimoine immatĂ©riel de l’humanitĂ© par l’Unesco, les dessins que tracent sur le sable certains habitants du Vanuatu suivent des rĂšgles qui leur confĂšrent des propriĂ©tĂ©s... de graphes mathĂ©matiques ! EnquĂȘte sur le terrain.

Les mathématiques des jeux de casino indiquent comment jouer pour perdre le moins possible.

P. 86

ART & SCIENCE

« La CĂšne », vue de l’intĂ©rieur LoĂŻc Mangin

P. 88

IDÉES DE PHYSIQUE

L’ombre de l’invisible Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik

P. 92

CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION

Les éléphants se sont-ils domestiqués ?

Hervé Le Guyader

P. 96

SCIENCE & GASTRONOMIE

Connaissez-vous bien la mayonnaise ?

Hervé This

P. 98

À PICORER

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 5

LE CERVEAU, UN ACTEUR RÉGULATEUR DE L’INFLAMMATION

Dans le noyau parabrachial du cerveau, les neurones marquĂ©s en rouge se projettent Ă  travers tout le cerveau et contrĂŽlent la libĂ©ration de cortisone aprĂšs la dĂ©tection d’un signal inïŹ‚ammatoire dans le sang.

En centralisant de nombreux signaux d’alerte, une rĂ©gion du cerveau, le noyau parabrachial, modulerait la rĂ©ponse anti-inïŹ‚ammatoire.

En cas de blessure ou d’infection, les cellules immunitaires, prĂ©sentes dans les tissus ou circulant dans l’organisme, s’activent et dĂ©clenchent, notamment, la rĂ©ponse inïŹ‚ammatoire. Dans les premiĂšres Ă©tapes de ce processus, elles libĂšrent diverses molĂ©cules ou « mĂ©diateurs de l’inïŹ‚ammation », par exemple des cytokines, des histamines, etc. Le rĂŽle de ces molĂ©cules est de recruter des cellules circulantes du systĂšme immunitaire, d’éliminer les agents pathogĂšnes ou encore d’engager la rĂ©paration des tissus lĂ©sĂ©s. Dans cette cascade de mĂ©canismes complexes, le cerveau n’est pas en reste. En dĂ©tectant la prĂ©sence de mĂ©diateurs de l’inïŹ‚ammation dans le sang, il induit une rĂ©ponse nommĂ©e « Ă©tat de maladie », qui consiste Ă 

rĂ©a ïŹ€ ecter l’énergie au sein de l’organisme pour mieux lutter contre la perturbation. Cette rĂ©action se traduit par des ajustements du mĂ©tabolisme (ïŹĂšvre, perte d’appĂ©tit, altĂ©ration de la production d’hormones, etc.) ou du comportement (Ă©vitement social, sommeil, etc.).

La modulation du systĂšme immunitaire est rĂ©alisĂ©e notamment par la synthĂšse dans la glande surrĂ©nale de cortisone, une hormone produite sous le contrĂŽle du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus La libĂ©ration de cette hormone est induite par diffĂ©rents signaux : psychologiques, sensoriels (liĂ©s Ă  la douleur) ou immunitaires (avec les mĂ©diateurs de l’inïŹ‚ammation). En 1999, Andrew Turnbull et Catherine Rivier, de l’institut Salk , en Californie , avaient dĂ©montrĂ© que certaines cytokines mĂ©diatrices de l’inïŹ‚ammation dĂ©clenchaient une activation de l’hypothalamus conduisant Ă  la production de cortisone dans la glande surrĂ©nale.

Certaines observations suggĂšrent que le cerveau a aussi une action rĂ©gulatrice sur la rĂ©ponse inïŹ‚ammatoire.

Cependant, l’activitĂ© du noyau paraventriculaire est connue pour ĂȘtre rĂ©gulĂ©e par de nombreuses autres rĂ©gions du cerveau DĂšs lors, il Ă©tait possible que d’autres

6 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023
ÉCHOS DES LABOS
P. 6 Échos des labos P. 16 Livres du mois P. 18 Disputes environnementales P. 20 Les sciences à la loupe
NEUROSCIENCES
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© Institut Pasteur / Ferdinand
Le cerveau dĂ©tecte l’inïŹ‚ammation et, en retour, contribue Ă  la rĂ©guler
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Jagot

circuits Ă©tablissent une connexion entre les signaux du systĂšme immunitaire et l’hypothalamus. En Ă©tudiant les interactions du cerveau et du systĂšme immunitaire chez la souris , les Ă©quipes de l’immunologiste GĂ©rard Eberl et des neuroscientifiques Pierre-Marie Lledo et Gabriel Lepousez, de l’institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS , ont justement dĂ©couvert un tel circuit par lequel le cerveau dĂ©tecte l’inïŹ‚ammation et, en retour, contribue Ă  rĂ©guler cette derniĂšre

Pour l’identiïŹer, les chercheurs ont d’abord administrĂ© diffĂ©rents mĂ©diateurs de l’inïŹ‚ammation Ă  des souris Ils ont alors constatĂ© une production de cortisone importante pour seulement certaines cytokines , notamment l’interleukine 1 bĂȘta (IL-1ÎČ). Ils ont remarquĂ© qu’une dose croissante d’IL -1 ÎČ n’augmentait pas la concentration de cortisone Ă©mise , mais prolongeait sa rĂ©ponse dans la durĂ©e

Les scientiïŹques de l’institut Pasteur ont constatĂ© que cette interleukine active dans un premier temps des neurones d’une rĂ©gion du tronc cĂ©rĂ©bral ( situĂ© sous le cerveau et directement reliĂ© Ă  la moelle Ă©piniĂšre ), le complexe vagal AprĂšs cette premiĂšre Ă©tape, les informations sont transmises du complexe vagal vers une autre rĂ©gion du tronc cĂ©rĂ©bral, le noyau parabrachial Cette zone est connue pour traiter divers signaux provenant d’autres rĂ©gions du cerveau, en lien avec la douleur et certaines mĂ©moires aversives ou traumatiques De lĂ  , les signaux de l’inïŹ‚ammation conduisent Ă  l’activation de neurones de l’hypothalamus, qui se traduit par une production et libĂ©ration de cortisone dans le sang. Cette hormone rĂ©duit alors le dĂ©veloppement de cellules immunitaires dans la moelle osseuse et le thymus, aïŹn d’éviter un emballement immunitaire qui pourrait ĂȘtre fatal , comme c’est le cas lors d’un choc septique.

En collectant de nombreux signaux provenant de l’extĂ©rieur ou de l’intĂ©rieur de l’organisme, le noyau parabrachial permet au cerveau de coordonner la meilleure rĂ©ponse possible – immunitaire , mĂ©tabolique et comportementale – en cas d’inïŹ‚ammation et a ainsi un rĂŽle central dans le processus de retour Ă  l’équilibre de l’organisme n

Le riche microbiome des récifs coralliens

Les analyses gĂ©nomiques des quelque 5 000 Ă©chantillons collectĂ©s par la mission « Tara PaciïŹc » sur les rĂ©cifs coralliens du PaciïŹque rĂ©vĂšlent un microbiome aussi riche que toute la biodiversitĂ© terrestre. Le microbiologiste Pierre Galand prĂ©sente ces rĂ©sultats Ă©tonnants.

intra-espĂšce de corail, nous avons prĂ©levĂ© les bactĂ©ries sur dix colonies par espĂšce. Pour le plancton, nous avons utilisĂ© trois tailles de ïŹltres pour sĂ©parer les bactĂ©ries libres (moins de 3 micromĂštres) du zooplancton et du phytoplancton, Ă  proximitĂ© du corail, Ă  la surface et Ă  distance.

Quels étaient vos objectifs lors de cette expédition de plus de deux ans avec la goélette Tara ?

Nous voulions cartographier la diversitĂ© de ces prĂ©cieux Ă©cosystĂšmes, dĂ©couvrir des zones Ă©cologiques aussi riches que le « triangle de corail » entre la Malaisie, l’IndonĂ©sie et les Philippines, qui concentre la plus grande biodiversitĂ© marine du monde. Et voir si la biodiversitĂ© des rĂ©cifs coralliens est en lien avec la diversitĂ© bactĂ©rienne.

Que savait-on de ce microbiome ?

La vision Ă©tait parcellaire. Les rĂ©cifs cĂŽtiers, situĂ©s entre 2 et 15 mĂštres de profondeur, sont la fabrique de la biodiversitĂ© marine : avec seulement 0,2 % de la surface du globe, ils abritent 32 % des espĂšces animales. On sait aussi que le corail est en symbiose avec des bactĂ©ries sans que l’on comprenne pourquoi. Avec le projet Tara PaciïŹc, notre analyse, Ă  l’échelle du PaciïŹque, avec un mĂȘme protocole de sĂ©quençage de l’ADN, a Ă©tabli un Ă©tat des lieux prĂ©cis des bactĂ©ries associĂ©es aux coraux, aux poissons qui y vivent et au plancton.

Quelle a été votre méthodologie ?

Tara a sillonnĂ© le PaciïŹque de mai 2016 Ă  octobre 2018 et rĂ©coltĂ© 5 392 échantillons de microbiome dans 99 rĂ©cifs coralliens de 32 Ăźles de l’AmĂ©rique Ă  l’Asie. CongelĂ©s Ă  bord Ă  – 80 °C, ces Ă©chantillons ont Ă©tĂ© envoyĂ©s par avion au gĂ©noscope du CEA. Dans un but de comparaison, nous avons ciblĂ© les rares espĂšces prĂ©sentes dans tout le PaciïŹque : trois coraux (Millepora platyphylla, Porites lobata et Pocillopora meandrina) qui di Ăšrent par leur mode de vie et leur rĂ©silience ainsi que deux poissons (le chirurgien bagnard, Acanthurus triostegus, et l’idole mauve, Zanclus cornutus), l’un herbivore, l’autre carnivore. Pour vĂ©riïŹer la variabilitĂ©

Votre analyse microbiologique est d’une ampleur inĂ©dite


Oui ! Impensable il y a dix ans
 Nous avons sĂ©quencĂ© l’équivalent de 50 000 gĂ©nomes humains. Plus de 800 mĂ©tagĂ©nomes et environ 540 000 portions d’ADN prĂ©alablement identiïŹĂ©es comme de bons marqueurs taxonomiques de bactĂ©ries. C’est beaucoup plus qu’on ne le pensait ! En extrapolant nos rĂ©sultats Ă  toutes les espĂšces connues de corail et de poissons du PaciïŹque, nous estimons que la biodiversitĂ© bactĂ©rienne de ces rĂ©cifs coralliens du PaciïŹque est du mĂȘme ordre que toute la biodiversitĂ© terrestre estimĂ©e. Quelles conclusions tirez-vous ?

Le plancton contient le plus grand nombre d’espĂšces bactĂ©riennes. La plupart des bactĂ©ries sont uniques Ă  leur hĂŽte que ce soit le plancton, les poissons ou le corail. Et le microbiome dĂ©pend du site. Mais ceux du PaciïŹque occidental, qui abrite une plus grande variĂ©tĂ© d’espĂšces de coraux que le PaciïŹque oriental, ne sont pas plus diversiïŹĂ©s. Nous n’avons pas trouvĂ© de corrĂ©lation signiïŹcative entre la tempĂ©rature de l’eau de mer et la diversitĂ© des microbiomes. Ni de lien Ă©tabli avec la biodiversitĂ© des rĂ©cifs. Mais nous avons identiïŹĂ© trois nouvelles bactĂ©ries, abondantes partout, signe d’une coĂ©volution pĂ©renne, associĂ©es chacune Ă  une espĂšce de corail. Et elles produisent l’indispensable vitamine B, ce qui pourrait ĂȘtre un des Ă©lĂ©ments de cette symbiose corail-bactĂ©rie. Plus largement, nous espĂ©rons identiïŹer des bactĂ©ries indicatrices de l’état de santĂ© des rĂ©cifs pour certains dĂ©jĂ  trĂšs dĂ©gradĂ©s, ou de l’environnement (tempĂ©rature, salinitĂ©). n

, 2023.

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 7
PIERRE GALAND Observatoire océanographique de Banyuls-sur-Mer (UMR Sorbonne Université/CNRS)
BIOLOGIE MARINE
Propos recueillis par Isabelle Bellin F. Jagot et al., Neuron P. E. Galand et al., Nature Communications, 2023.

BIOLOGIE MOLÉCULAIRE

UN MÉCANISME POUR S’ADAPTER AU FROID

L’encornet de Californie est dotĂ© d’un mĂ©canisme d’édition de ses molĂ©cules d’ARN qui reconïŹgure la structure de certaines de ses protĂ©ines, les rendant plus e caces Ă  basse tempĂ©rature.

Les cĂ©phalopodes n’en ïŹnissent pas de surprendre par leur comportement, leurs capacitĂ©s d’apprentissage, mais aussi et surtout par leur Ă©tonnante biologie. Des abysses glacials et obscurs aux eaux chaudes et peu profondes des tropiques, cette large famille d’animaux marins qui comprend les pieuvres, les seiches et les calmars occupe un grand Ă©ventail d’environnements ocĂ©aniques. Pour mieux comprendre cette adaptabilitĂ© aux diffĂ©rentes tempĂ©ratures de l’eau, Kavita Rangan et Samara Reck-Peterson, de l’universitĂ© de Californie Ă  San Diego, se sont intĂ©ressĂ©es Ă  l’encornet de Californie (Doryteuthis opalescens), qui habite dans les eaux du PaciïŹque sud-ouest amĂ©ricain, connues pour leurs variations saisonniĂšres de tempĂ©rature. Elles ont dĂ©couvert chez ces animaux un mĂ©canisme d’édition de leur ARN messager, qui amĂ©liore la fonctionnalitĂ© de certaines protĂ©ines Ă  basse tempĂ©rature.

Habituellement, des enzymes lisent l’ADN et produisent des ARN messagers, Ă  partir desquels sont synthĂ©tisĂ©es toutes les protĂ©ines d’un organisme. Mais certains processus d’édition de l’ARN permettent aux organismes de recoder ces molĂ©cules messagĂšres aïŹn qu’elles engendrent des protĂ©ines modiïŹĂ©es Il s’agit d’un processus trĂšs rare chez l’humain, mais relativement commun chez les cĂ©phalopodes Ă  corps mou, comme l’encornet de Californie Dans leur Ă©tude, les deux biologistes ont scrutĂ© Ă  l’échelle molĂ©culaire ce mĂ©canisme appliquĂ© Ă  deux protĂ©ines, la dynĂ©ine et la kinĂ©sine. Ces protĂ©ines jouent un rĂŽle important de moteur molĂ©culaire, transportant diverses cargaisons – des vĂ©sicules contenant des protĂ©ines, entre autres – le long d’autoroutes cellulaires qu’on appelle « microtubules », sortes de ïŹlaments qui constituent une partie du « squelette interne » des cellules.

Or il est frĂ©quent que des baisses drastiques de tempĂ©rature aïŹ€ectent l’eïŹƒcacitĂ© de certaines fonctions physiologiques La kinĂ©sine, par exemple, se dĂ©place plus lentement.

Travaillant sur des paralarves vivantes d’encornet, Kavita Rangan et Samara Reck-Peterson ont montrĂ© que, pour pallier cela, ces animaux avaient la capacitĂ© – par l’édition de leur propre ARN messager – de reconïŹgurer la structure en acides aminĂ©s de leur kinĂ©sine

L’encornet de Californie (Doryteuthis opalescens) est ectotherme : il ne produit pas sa propre chaleur interne. MalgrĂ© cela, il est capable de vivre dans une large variĂ©tĂ© de tempĂ©ratures ocĂ©aniques.

Cette reconïŹguration survient en particulier lorsque les paralarves sont immergĂ©es dans des eaux froides Les chercheuses ont alors reconstituĂ© ces kinĂ©sines modiïŹĂ©es en laboratoire , Ă  l’aide d’une technique d’ADN recombinant , aïŹn de mesurer leurs mouvements par microscopie optique. RĂ©sultat : la motilitĂ© des variants Ă©tait en eïŹ€et plus Ă©levĂ©e Ă  des tempĂ©ratures basses.

Ce constat met en lumiĂšre l’étonnante plasticitĂ© phĂ©notypique de ces animaux ; ils sont capables de moduler leur protĂ©ome (l’ensemble de protĂ©ines de leur organisme) en rĂ©ponse Ă  un stimulus environnemental comme une variation de tempĂ©rature. Or Doryteuthis opalescens est un ectotherme, c’est-Ă -dire un animal qui ne produit pas sa propre chaleur interne . Kavita Rangan et Samara Reck- Peterson pensent que ce mĂ©canisme expliquerait en partie comment, malgrĂ© cela, ces animaux sont capables de s’épanouir dans une si large variĂ©tĂ© de tempĂ©ratures ocĂ©aniques n

12 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 ÉCHOS DES LABOS
K. Rangan et S. Reck-Peterson, Cell, 2023. © UC San Diego, Sea Grant California

BIOLOGIE ANIMALE

FOURMI, FEUILLE, CISEAUX

La fourmi Atta sexdens, une espĂšce coupeuse de feuilles prĂ©sente au BrĂ©sil, est capable de transporter un fragment de vĂ©gĂ©tal pesant jusqu’à six fois sa masse. Mais comment fait-elle pour ne pas couper de morceaux trop lourds ou, Ă  l’inverse, trop petits, qui l’obligeraient Ă  faire davantage d’allers-retours ?

Daniela Römer et ses collĂšgues, de l’universitĂ© de WĂŒrzburg, en Allemagne, ont rĂ©alisĂ© une sĂ©rie d’expĂ©riences et ont montrĂ© que la fourmi ancre ses pattes arriĂšre sur le bord de la feuille ce qui lui donne un point de rĂ©fĂ©rence pour dĂ©ïŹnir la trajectoire de ses mandibules lors du dĂ©coupage. Elle utilise aussi, dans une moindre mesure, les poils sensoriels situĂ©s au niveau de son cou. Ces derniers sont connus pour leur rĂŽle dans le positionnement de la tĂȘte. n

À LA SOURCE DES RAFALES SOLAIRES

MÉDECINE

CANCER : LE FACTEUR Y

Le cancer de la vessie est plus frĂ©quent et agressif chez les hommes que chez les femmes. En outre, mĂȘme si l’on prend en compte certains biais comme la surconsommation d’alcool et de tabac par les premiers, cette asymĂ©trie persiste. Quelle est son origine ?

L’équipe de Dan Theodorescu, du centre mĂ©dical de Cedars-SinaĂŻ, Ă  Los Angeles, avance une nouvelle explication qui est liĂ©e au chromosome Y. Chez les hommes ĂągĂ©s, le chromosome Y est parfois perdu lors de la division cellulaire. Cette perte, dĂ©jĂ  connue pour provoquer d’autres maladies, notamment cardiaques, rendrait les cellules tumorales plus agressives et induirait un « Ă©puisement » du systĂšme immunitaire. Cependant, l’équipe a aussi constatĂ© que, chez la souris, certains anticorps qui rĂ©activent le systĂšme immunitaire Ă©taient plus eïŹƒcaces quand les tumeurs Ă©taient sans chromosome Y. Une piste pour amĂ©liorer l’immunothĂ©rapie de ce cancer. n

Le vent solaire souïŹ„e usuellement Ă  des vitesses de 300 Ă  400 kilomĂštres par seconde, mais certaines pointes atteignent 800 kilomĂštres par seconde ! La pression thermique ne suïŹƒt pas Ă  expliquer ces rafales extrĂȘmes. Les spĂ©cialistes pensaient que le champ magnĂ©tique de l’étoile en Ă©tait Ă  l’origine, mais le mĂ©canisme en cause faisait dĂ©bat. Jusqu’à prĂ©sent, les observations Ă©taient rĂ©alisĂ©es de trop loin pour percer les dĂ©tails du processus. Or la sonde Parker Solar Probe a Ă©tĂ© conçue pour pĂ©nĂ©trer le plus loin possible dans la couronne solaire. En Ă©tudiant des donnĂ©es enregistrĂ©es lors de survols eïŹ€ectuĂ©s Ă  seulement 8 millions de kilomĂštres du Soleil, Stuart Bale, de l’universitĂ© de Californie Ă  Berkeley, et ses collĂšgues ont montrĂ© que le vent solaire rapide serait liĂ© au mĂ©canisme de crĂ©ation de certaines structures magnĂ©tiques dans des rĂ©gions nommĂ©es « trous coronaux ».

La surface du Soleil est constituĂ©e des cellules de convection de diïŹ€Ă©rentes tailles. Dans les trous coronaux, des zones relativement froides, les cellules atteignent parfois des tailles gigantesques aïŹƒchant un diamĂštre d’environ 30 000 kilomĂštres – on parle alors de « supergranules ». Dans ces rĂ©gions, les lignes de champ magnĂ©tique sont ouvertes, c’est-Ă -dire qu’elles se dirigent vers l’espace Mais prĂšs des bords des supergranules, ces lignes ouvertes interagissent avec des lignes de champ fermĂ©es (qui font des boucles Ă  la surface du Soleil) : elles se reconnectent et produisent des structures magnĂ©tiques en forme de S, les switchbacks. « La reconnexion rapide induit une tension sur les lignes de champs qui est relĂąchĂ©e sous forme d’énergie », dĂ©crit Jean-Baptiste Dakeyo, de l’universitĂ© Toulouse III. Cette Ă©nergie accĂ©lĂ©rerait les particules prĂ©sentes, la source du vent rapide n

Évrard-Ouicem Eljaouhari

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 13
H. A. Abdel-HaïŹz et al., Nature, 2023. S. D. Bale et al, Nature, 2023.
ASTROPHYSIQUE
Vue d’artiste de la sonde Parker Solar Probe face au Soleil. Fin juin, l’engin a rĂ©alisĂ© son seiziĂšme survol rapprochĂ© du Soleil. S’il continue de rĂ©sister aux conditions extrĂȘmes, il devrait effectuer encore une dizaine de passages jusqu’en 2025
© Nasa
D. Römer et al., Journal of Experimental Biology, 2023.

PHYSIQUE QUANTIQUE

UNE PARTICULE DE SON « COUPÉE EN DEUX »

GrĂące Ă  un dispositif s’inspirant du principe des miroirs semi-rĂ©ïŹ‚Ă©chissants, il est possible de manipuler quantiquement les ondes acoustiques comme on le fait pour les photons.

Lorsque Alice a traversĂ© le miroir, elle n’imaginait par dĂ©couvrir un monde merveilleux dont les rĂšgles dĂ©ïŹent en permanence l’intuition. D’une certaine maniĂšre, les physiciens sont les explorateurs d’un monde tout aussi fascinant que celui de Lewis Carroll, oĂč la mĂ©canique quantique mĂšne Ă  des phĂ©nomĂšnes Ă©tonnants et contre-intuitifs. Ses lois expliquent par exemple comment une particule peut passer par deux chemins diïŹ€Ă©rents en mĂȘme temps, un peu comme si elle avait Ă©tĂ© « coupĂ©e en deux » ! De tels tours de passe-passe sont maĂźtrisĂ©s depuis bien longtemps pour les photons, les particules de lumiĂšre. Mais peuton en faire autant avec les phonons, les « particules de son » ? L’équipe d’Andrew Cleland vient de dĂ©velopper un Ă©lĂ©ment clĂ© pour rĂ©aliser ce genre d’expĂ©rience.

L’idĂ©e de manipuler un phonon comme un photon est surprenante, car, contrairement Ă  ce dernier, le phonon n’est pas une particule Ă©lĂ©mentaire. On parle plutĂŽt de quasi-particule, car un phonon dĂ©crit en rĂ©alitĂ© un comportement collectif de typiquement 1015 particules, qui vibrent dans la matiĂšre et forment, par exemple, une onde acoustique Cependant, une quasiparticule se comporte par bien des aspects comme une particule unique et indivisible Et il est possible de mener des expĂ©riences quantiques avec de tels objets

Mais comment couper une particule en deux ? Une façon d’y parvenir consiste, dans le cas des photons, Ă  utiliser un miroir semi-rĂ©ïŹ‚Ă©chissant La particule de lumiĂšre a une certaine probabilitĂ© de traverser le miroir ou d’ĂȘtre rĂ©ïŹ‚Ă©chie Si aucune mesure n’est rĂ©alisĂ©e, le photon se retrouve dans une superposition d’états quantiques, il est dĂ©crit par une fonction mathĂ©matique composĂ©e de l’état oĂč il est rĂ©ïŹ‚Ă©chi et de l’état oĂč il est transmis Avec un jeu de miroirs, le photon passe alors par deux chemins en mĂȘme temps et interfĂšre avec luimĂȘme. C’est le principe de l’interfĂ©romĂštre de Michelson ou de celui de Mach-Zehnder

Ces manipulations menĂ©es sur les photons sont a priori applicables Ă  tout type d’objets quantiques , mĂȘme Ă  des phonons. Mais un Ă©lĂ©ment manquait dans la boĂźte Ă  outils des physiciens manipulant les phonons :

1015

C’EST LE NOMBRE DE PARTICULES QUI PARTICIPENT TYPIQUEMENT AU MOUVEMENT COLLECTIF

D’UNE ONDE SE PROPAGEANT DANS LA MATIÈRE. CE PHÉNOMÈNE EST DÉCRIT PLUS SIMPLEMENT PAR UN PHONON, UNE QUASI-PARTICULE, QUI PRÉSENTE DE NOMBREUSES PROPRIÉTÉS DES PARTICULES.

l’équivalent du miroir semi-rĂ©ïŹ‚Ă©chissant Or c’est exactement ce que vient de dĂ©velopper l’équipe d’Andrew Cleland

Le dispositif expĂ©rimental est composĂ© de deux qubits supraconducteurs, qui servent de sources de photons uniques Chaque source est ensuite associĂ©e Ă  un transducteur capable de convertir le photon en phonon unique , ou inversement de convertir un phonon en photon Entre les deux transducteurs, les chercheurs ont placĂ© un « peigne » constituĂ© de 16  dents mĂ©talliques que les phonons traversent. Chaque dent rĂ©ïŹ‚Ă©chit environ 3 % de l’énergie acoustique Un phonon Ă©mis depuis l’un des deux supraconducteurs a donc environ 50 % de chances d’atteindre le second supraconducteur et les 50 % restantes de revenir Ă  son point de dĂ©part Les chercheurs sont ensuite parvenus Ă  montrer que le phonon se trouvait bien dans un Ă©tat superposĂ©

Avec ce « miroir semi-rĂ©ïŹ‚Ă©chissant » pour phonons, les physiciens rĂ©ïŹ‚Ă©chissent dĂ©jĂ  Ă  des dispositifs hybrides de calcul quantique ou le dĂ©veloppement de rĂ©seaux de communication phononiques. Au pays des merveilles, l’imagination n’a pas de limite ! n

14 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 ÉCHOS DES LABOS
©
H. Qiao et al., Science, 2023.
ioat/Shutterstock
De la mĂȘme façon que la lumiĂšre est dĂ©crite comme une onde ou une particule (un photon), le son est reprĂ©sentĂ© par une onde acoustique ou par un phonon. Ce dernier partage de nombreuses propriĂ©tĂ©s des particules Ă©lĂ©mentaires. À ce titre, il peut ĂȘtre mis dans une superposition d’états quantiques.

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3 SOMMAIRE Les dĂ©ïŹs du voyage spatial P/40 P/85 P/54 P/17 P/4/VIVRE DANS L’ESPACE NATHALIE PATTYN ET PIERRE-FRANÇOIS MIGEOTTE P/29/COMMENT PROTÉGER LES VOYAGEURS SPATIAUX ? PARKER P/54/CRYOGÉNIE UN SOMMEIL DE GLACE R. LEHOUCQ ET -S. STEYER P/64/LA RUÉE VERS LA LUNE ADAM MANN P/40/COMMENT SOIGNER DANS L’ESPACE THIERRY, M. KOMOROWSKI, A. GOLEMIS ET L. ANDRÉ-BOYET P/58/UNE NOUVELLE ÈRE POUR LES VOLS SPATIAUX ALEXANDRA WITZE P/73/EN ROUTE VERS MARS DAMON LANDAU ET NATHAN STRANGE P/85/QUELLE EST LA MEILLEURE ROUTE VERS MARS ? JEAN-MICHEL COURTY ET ÉDOUARD KIERLIK P/91/CAP SUR ALPHA DU CENTAURE FINKBEINER P/17/LE CERVEAU, INTERDIT DE VOYAGE SPATIAL CHARLES LIMOLI
Une
Une lecture adaptée aux écrans

L’ESSENTIEL L’AUTEUR

> Au Vanuatu, un art traditionnel consiste à tracer avec le doigt des dessins sur le sable selon des rÚgles précises.

> Il est possible de modĂ©liser cette pratique pas Ă  pas Ă  l’aide d’outils mathĂ©matiques.

> Une telle modélisation révÚle que les experts du dessin

sur le sable du Vanuatu ont une dĂ©marche qui relĂšve d’une branche des mathĂ©matiques, la thĂ©orie des graphes.

> Elle fournit aussi des clĂ©s pour mieux comprendre cette pratique et les rĂ©cits qui l’accompagnent, reïŹ‚ets des cosmogonies des sociĂ©tĂ©s vanuataises et de leurs traditions.

ALBAN DA SILVA ethnomathĂ©maticien, agrĂ©gĂ© de mathĂ©matiques, docteur en histoire et philosophie des sciences, professeur en classe prĂ©paratoire en NouvelleCalĂ©donie, chercheur associĂ© au laboratoire Sphere de l’universitĂ© Paris CitĂ©

La théorie des graphes se révÚle au Vanuatu

ClassĂ©s patrimoine immatĂ©riel de l’humanitĂ© par l’Unesco, les dessins que tracent sur le sable certains habitants du Vanuatu suivent des rĂšgles qui leur confĂšrent des propriĂ©tĂ©s
 de graphes mathĂ©matiques ! EnquĂȘte sur le terrain.

Octobre  2015, Port-Vila Ma mission de formation d’enseignants en mathĂ©matiques du lycĂ©e français de la capitale du Vanuatu touche Ă  sa ïŹn Le proviseur me convie Ă  partager un kava, la boisson traditionnelle de l’archipel Je m’en rendrai compte un peu plus tard , mais pour tout chercheur en sciences sociales qui travaille sur les sociĂ©tĂ©s de ce pays, le partage du kava est un moment trĂšs fructueux pour la collecte d’informations FabriquĂ©e Ă  partir des racines de l’arbre du mĂȘme nom , cette boisson induit un effet relaxant propice Ă  la libĂ©ration de la parole. Cette premiĂšre rencontre avec le kava l’a Ă©tĂ© aussi avec le « dessin sur le sable ». Au cours de la soirĂ©e , l’un des stagiaires a sorti une grande planche recouverte d’un sable trĂšs ïŹn. AprĂšs avoir soigneusement aplani la surface, il s’est mis Ă  dessiner avec un doigt une « grille » faite de lignes horizontales et verticales, sur laquelle il s’est appuyĂ© pour tracer un sillon sans jamais lever le doigt À la ïŹn, l’artiste a fait le commentaire suivant en

bislama (ou bichlamar, un pidgin anglomĂ©lanĂ©sien utilisĂ© au Vanuatu) : « Hemia hem i wan ïŹs i ronwe i stap unda stone from i kat wan sak » ( « C’est un poisson qui se cache sous une pierre pour Ă©chapper au requin »).

La ïŹ‚uiditĂ© du tracĂ©, mĂȘlĂ©e aux eïŹ€ets du kava, m’a plongĂ© dans un Ă©tat de fascination et d’émerveillement La technique employĂ©e m’a immĂ©diatement Ă©voquĂ© le dĂ©fi intellectuel consistant Ă  dessiner une ïŹgure imposĂ©e d’un seul trait sans repasser deux fois sur une mĂȘme ligne Ce principe, utilisĂ© dans certains cassetĂȘte, met en jeu le concept mathĂ©matique de « graphe eulĂ©rien »

Alors que je tentais de rassembler mes idĂ©es, un stagiaire s’est approchĂ© de moi et m’a glissĂ© Ă  l’oreille : « Alors Monsieur le professeur, oĂč sont les mathĂ©matiques dans ce dessin ? » Sans le savoir, par cette remarque, il allait faire basculer les six annĂ©es suivantes de ma vie dans un travail doctoral sur le dessin sur le sable. Une question m’a tout particuliĂšrement animĂ© : « Comment de tels dessins ont Ă©tĂ© créés ? » Mon enquĂȘte m’a menĂ© bien plus loin que je ne l’imaginais En observant les experts dessiner

Avant de rĂ©aliser un dessin sur le sable, le praticien trace une grille, le plus souvent rectangulaire, mais parfois circulaire, comme celle-ci, qui servira de support au dessin Skul blo ïŹs, « l’école des poissons », oĂč seize poissons mangent autour d’un corail.

22 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023
ETHNOMATHÉMATIQUES
POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 23 © Alban Da Silva

sur le sable, en les interrogeant sur leur maniĂšre de procĂ©der, en collectant sur le terrain de nombreux dessins et leur histoire, et aussi en explorant les travaux d’ethnologues du XXe siĂšcle dĂ©jĂ  intriguĂ©s par ces reprĂ©sentations, j’ai mis au point un modĂšle mathĂ©matique de la pratique du dessin sur le sable qui suit ïŹdĂšlement la rĂ©alisation des Ɠuvres. Ce modĂšle fournit un cadre rigoureux qui m’a permis de montrer que la crĂ©ation de ces dessins et leur exĂ©cution s’apparentent Ă  une approche mathĂ©matique : elles sont le fruit d’algorithmes et d’opĂ©rations de nature algĂ©brique Le langage mathĂ©matique est donc appropriĂ© pour dĂ©crire les dĂ©marches des experts du dessin sur le sable Et mĂȘme plus : il aide Ă  comprendre comment ces dĂ©marches reïŹ‚Ăštent les relations que les sociĂ©tĂ©s du Vanuatu entretiennent avec leur environnement.

UN ART TRADITIONNEL

Le Vanuatu est un archipel oĂč vit une population d’environ 315 000 personnes rĂ©parties sur 83  Ăźles Ce pays possĂšde la plus haute densitĂ© linguistique au monde, puisqu’on y dĂ©nombre

24 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 ETHNOMATHÉMATIQUES LA THÉORIE DES GRAPHES AU BOUT DES DOIGTS

L’archipel du Vanuatu (nommĂ© Nouvelles-HĂ©brides jusqu’en 1980) est le pays qui possĂšde la plus grande densitĂ© linguistique du monde. Il existe souvent plusieurs langues sur une mĂȘme Ăźle (ci-dessus une plage de l’üle Espiritu Santo) et on en dĂ©nombre plus d’une centaine au total. Le dessin sur le sable se pratique sur les Ăźles du centre (pointillĂ© vert). L’auteur s’est concentrĂ© sur la province de Penama, plus particuliĂšrement sur les Ăźles Maewo et PentecĂŽte.

138 langues vernaculaires. Les deux langues oïŹƒcielles d’éducation sont le français et l’anglais, le bislama faisant oïŹƒce de langue vĂ©hiculaire Ce constat se traduit par des rĂ©alitĂ©s culturelles trĂšs diïŹ€Ă©rentes du nord au sud du pays, voire au sein d’une mĂȘme Ăźle, mĂȘme si des traits sont communs Ă  toutes les sociĂ©tĂ©s Ainsi, la pratique du dessin sur le sable n’est rĂ©pandue que dans certaines Ăźles du centre Elle n’est pas sans rappeler une autre maniĂšre de dessiner Ă  mĂȘme le sol existant dans le Tamil Nadu, en Inde Mais elle possĂšde des caractĂ©ristiques uniques au monde qui ont amenĂ© l’Unesco Ă  la classer au patrimoine immatĂ©riel de l’humanitĂ© en 2008.

VANUATU

Zone de pratique de dessins sur sable

Province de Penama

drawing en anglais , sandroing en bislama . Traditionnellement, elle consiste Ă  rĂ©aliser avec le doigt – sur la terre battue des villages, le sable des plages ou la cendre – des ïŹgures formĂ©es le plus souvent d’une ligne continue refermĂ©e sur elle-mĂȘme et contrainte par une grille composĂ©e de lignes ou de points Les mots « continue » et « fermĂ©e » ont ici le mĂȘme sens qu’en mathĂ©matiques : un dessin sur le sable s’apparente Ă  une courbe continue fermĂ©e du plan.

Ce dessin sur le sable évoque un poisson caché sous une pierre pour échapper à un prédateur.

Ma thĂšse repose sur deux enquĂȘtes de terrain, menĂ©es sur les Ăźles Maewo en  2018 et PentecĂŽte en 2019, notamment dans le nord de cette derniĂšre, dans la sociĂ©tĂ© Raga (prononcer [Ra-ra]). Avec Ambae, ces deux Ăźles constituent la province de Penama et sont liĂ©es par des mythes communs, ce qui a grandement facilitĂ© mes recherches.

L’activitĂ© « dessin sur le sable » est probablement millĂ©naire Au Vanuatu, on la nomme sand

Il est difficile d’avoir une idĂ©e prĂ©cise du nombre de dessins toujours pratiquĂ©s de nos jours , mais il est acquis que de nouveaux apparaissent alors que certains disparaissent çà et lĂ  Un systĂšme trĂšs proche de la propriĂ©tĂ© intellectuelle existe dans les sociĂ©tĂ©s du Vanuatu , rendant l’accĂšs Ă  ce savoir traditionnel parfois sensible et difficile .

L’objet se rĂ©vĂšle pluridimensionnel S’il existe des dessins iconiques d’animaux, d’insectes ou de plantes, certains sandroing nourrissent des liens Ă©troits avec les mythes, les cosmogonies, l’organisation sociale ou encore les traditions de ces sociĂ©tĂ©s, regroupĂ©es sous

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 25
© Martin Valigursky/Shutterstock (paysage) voyager624/Shutterstock (globe) ; Peter Hermes Furian/shutterstock (carte) ; © Alban Da Silva (poisson) Port-Vila Maewo PentecÎte Epi Ambrym Malakula Espiritu Santo Ambae Vanuatu
Efate

le nom gĂ©nĂ©rique de kastom Ils servent aussi de support Ă  des narrations rĂ©vĂ©lant les dimensions Ă©thiques ou politiques des sociĂ©tĂ©s du centre du Vanuatu. Dans de nombreux cas, chaque dessin porte un nom vernaculaire liĂ© Ă  ces diïŹ€Ă©rents aspects. Aujourd’hui, dans ces sociĂ©tĂ©s, cette pratique est reconnue comme un art graphique traditionnel comportant une dimension mnĂ©motechnique impliquĂ©e dans la remĂ©moration de connaissances rituelles, mythologiques et environnementales. NĂ©anmoins, les mots de Jief Todali, un chef coutumier que j’ai cĂŽtoyĂ© dans la rĂ©gion Raga, dans le nord de PentecĂŽte, sont Ă©clairants pour comprendre quelle place occupe cette activitĂ© pour la population locale, les Raga Selon lui, les dessinateurs ne sont que les porte-parole : « Avant l’arrivĂ©e des tuturani (les Ă©trangers blancs), les gens du nord de PentecĂŽte ne savaient pas parler Ils s’exprimaient Ă  l’aide de dessins qu’ils traçaient sur le sol avec leurs doigts À la place des gens, les rochers, les pierres, le sol des collines et des vallĂ©es, le vent, la pluie, l’eau de la mer parlaient. Mais maintenant la situation est inversĂ©e, ce sont les gens qui parlent et la terre, le vent, la pluie et la mer se sont tus. Maintenant les gens Sia Raga disent parfois : “Nous devons parler pour la terre, car elle ne peut plus parler pour elle-mĂȘme ” »

Ajoutons enïŹn que cet art Ă©phĂ©mĂšre – le dessin est eïŹ€acĂ© une fois terminĂ© – stimule la narration. Les praticiens accompagnent gĂ©nĂ©ralement leurs dessins par le rĂ©cit d’un mythe ou d’un conte, les plus douĂ©s Ă©tant capables de le faire tout en dessinant Il n’est pas rare qu’ils fassent alors appel Ă  l’imagination des spectateurs, suggĂ©rant au sein du dessin des dĂ©tails en lien avec leur histoire : des lieux, des personnages, des animaux, des lĂ©gumes


DES EXPERTS ET DES RÈGLES

Il existe diïŹ€Ă©rents niveaux de pratique. Certaines personnes ne pratiquent pas du tout, d’autres connaissent quelques dessins plutĂŽt simples, tandis que des « experts » – dĂ©signĂ©s comme tels par le reste des membres de chaque sociĂ©tĂ© – disposent d’un impressionnant rĂ©pertoire (jusqu’à quatre cents dessins de l’aveu de certains). Si les premiĂšres ethnographies mentionnaient que cet art Ă©tait rĂ©servĂ© aux hommes, il semble que ce ne soit plus le cas de nos jours. Plusieurs femmes que j’ai rencontrĂ©es avaient un haut niveau d’expertise

Du dĂ©butant Ă  l’expert, tous respectent un ensemble de « rĂšgles » Les sociĂ©tĂ©s du Vanuatu Ă©tant de tradition orale, il n’en existe aucune trace Ă©crite, mais durant mon enquĂȘte de terrain j’ai Ă©tabli une liste de principes suivis dans la majoritĂ© des cas Les dessins commencent tous par le tracĂ© d’une grille qui constituera

Ce dessin a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© en 2018 par Donia sur une plage du village de NaonĂ©, dans le nord de l’üle Maewo. NommĂ© Mat, il fait rĂ©fĂ©rence Ă  la technique de tressage de nattes. Les nattes ont une grande importance rituelle et symbolique au Vanuatu. L’üle PentecĂŽte est par exemple connue pour ses « nattes rouges », dont la technique de coloration les rend uniques dans l’archipel.

leur support et qui dĂ©ïŹnit un ensemble de nƓuds et d’arĂȘtes (voir l’encadrĂ© page 28) Sept rĂšgles indiquent ensuite les mouvements autorisĂ©s : aller de nƓud en nƓud sans repasser par le mĂȘme chemin, ne pas couper la grille autrement qu’en ses nƓuds, revenir au point de dĂ©part sans lever le doigt
 Tout cela s’apparentait Ă©trangement Ă  des mathĂ©matiques, mais quel Ă©tait le lien exact entre ces deux pratiques ? Je n’étais pas le premier Ă  me poser cette question. Mon sujet de thĂšse s’inscrit en fait dans la continuitĂ© des travaux menĂ©s par la mathĂ©maticienne amĂ©ricaine Marcia Ascher, une des pionniĂšres de l’ethnomathĂ©matique

Depuis une quarantaine d’annĂ©es, ce champ disciplinaire s’est structurĂ© et institutionnalisĂ© autour d’une communautĂ© d’anthropologues et de mathĂ©maticiens qui questionnent les variations culturelles des concepts et savoirs mathĂ©matiques, notamment ceux Ă©laborĂ©s en dehors du champ acadĂ©mique Auparavant, il Ă©tait tenu pour acquis – notamment en raison de la prĂ©gnance des thĂ©ories Ă©volutionnistes en anthropologie – que le recours Ă  l’écriture Ă©tait une condition nĂ©cessaire Ă  la pratique des mathĂ©matiques. Le plus souvent , les chercheurs n’avaient donc Ă©valuĂ© les savoirs mathĂ©matiques dĂ©veloppĂ©s dans les diïŹ€Ă©rentes sociĂ©tĂ©s du monde qu’à l’aune des sources textuelles qu’elles avaient produites. Ce faisant, ils avaient rĂ©duit ceux des sociĂ©tĂ©s dites « de tradition orale » aux pratiques de numĂ©ration et aux aspects gĂ©omĂ©triques et procĂ©duraux impliquĂ©s dans la crĂ©ation de divers artĂ©facts (tissage, vannerie, ornementation
). Certaines activitĂ©s, que des ethnographes avaient pourtant documentĂ©es, s’étaient ainsi retrouvĂ©es nĂ©gligĂ©es pendant fort longtemps

ETHNOMATHÉMATIQUES LA THÉORIE DES GRAPHES AU BOUT DES DOIGTS 26 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 © Alban Da Silva

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EMMANUEL FARGE est directeur de recherche Inserm Ă  l’institut Curie, Ă  Paris, oĂč il est responsable de l’équipe MĂ©canique et gĂ©nĂ©tique du dĂ©veloppement embryonnaire et tumoral, au sein de l’unitĂ© mixte 168 du CNRS.

Depuis quelques annĂ©es, on s’aperçoit qu’il est impossible d’apprĂ©hender le vivant sans prendre en compte ses propriĂ©tĂ©s physiques, les processus biochimiques en jeu, et leurs interactions.

La matiÚre biologique est à la fois physique, active et réactive

Vous ĂȘtes physicien de formation et, depuis de nombreuses annĂ©es, vous vous intĂ©ressez aux interactions de la biologie et de la physique durant le dĂ©veloppement embryonnaire et la tumorigenĂšse. D’oĂč est venu votre intĂ©rĂȘt pour ce sujet ?

Cela s’est fait un peu par hasard Durant ma thĂšse, au dĂ©but des annĂ©es 1990, j’étais dans un laboratoire de l’Institut de biologie physicochimique, Ă  Paris , oĂč les chercheurs Ă©tudiaient une « pompe Ă  phospholipide » appelĂ©e « ïŹ‚ippase ». La membrane des cellules vivantes est constituĂ©e de deux couches de lipides couplĂ©es et la ïŹ‚ippase pompe les lipides

de la couche externe vers la couche interne À l’époque , on ne connaissait pas la fonction physiologique de ce pompage et j’explorais la rĂ©ponse physique de la membrane Ă  la diïŹ€Ă©rence de surface induite par cette activitĂ© biochimique de pompage. La membrane est trĂšs facilement dĂ©formable, ses propriĂ©tĂ©s d’élasticitĂ© relĂšvent de la physique de la matiĂšre molle Par consĂ©quent, le pompage la courbe nĂ©cessairement vers l’intĂ©rieur de la cellule.

J’examinais donc si la ïŹ‚ippase Ă©tait une force motrice de l’endocytose, le processus d’invagination de la membrane par lequel les cellules ingĂšrent des substances extĂ©rieures

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 43 BIOPHYSIQUE

J’avais commencĂ© par travailler sur des systĂšmes mimĂ©tiques, des liposomes, puis, Ă  l’institut Pasteur, sur des cellules vivantes en stimulant l’activitĂ© de la ïŹ‚ippase, ce qui avait en eïŹ€et stimulĂ© l’endocytose J’ai donc eu rapidement conïŹance dans l’idĂ©e que le couplage biochimique - biomĂ©canique engendrait des processus physiologiques importants pour la cellule C’est alors que j’ai appris l’existence de groupes, comme celui d’Eric Wieschaus Ă  l’universitĂ© Princeton, aux États-Unis, qui Ă©tudiaient le contrĂŽle gĂ©nĂ©tique de la morphogenĂšse biomĂ©canique chez la drosophile Ces groupes Ă©tudiaient des mutants qui ne dĂ©veloppaient

Pendant quarante ans, l’eïŹ€ort s’est portĂ© sur les aspects biochimiques du dĂ©veloppement ÂŁ

pas certains mouvements morphogĂ©nĂ©tiques et leur inïŹ‚uence sur la forme de l’embryon. Je me suis alors demandĂ© si l’inverse existait aussi

l’inïŹ‚uence des dĂ©formations mĂ©caniques de l’embryon sur l’expression des gĂšnes –, et je me suis lancĂ©.

Étiez-vous le premier Ă  vous intĂ©resser au rĂŽle de la mĂ©canique dans le contrĂŽle des processus biologiques ?

Il y avait dĂ©jĂ  eu des expĂ©riences , par exemple en cancĂ©rologie (dans le laboratoire de Mina Bissell, aux États-Unis), qui avaient montrĂ© que les cellules tumorales Ă©taient plus rigides que les cellules saines en rĂ©ponse Ă  la rigiditĂ© de leur substrat – due Ă  la ïŹbrose qui se dĂ©veloppe avec la tumeur –, ce qui stimulait leurs propriĂ©tĂ©s d’invasivitĂ© tumorale D’autres expĂ©riences sur les cellules endothĂ©liales qui forment les parois des vaisseaux sanguins avaient aussi rĂ©vĂ©lĂ© qu’en rĂ©ponse Ă  des ïŹ‚ux sanguins trop importants, les jonctions entre les cellules se renforçaient. Mais les e ïŹ€ ets observĂ©s des stimulations mĂ©caniques Ă©taient plutĂŽt de nature physique (renforcement de la structure, de la rigiditĂ©, motilitĂ© des cellules
). On ne trouvait pas d’expĂ©rience dĂ©montrant un contrĂŽle mĂ©canique de la diïŹ€Ă©renciation des cellules, c’est-Ă -dire de leur destin, y compris dans le cadre du dĂ©veloppement embryonnaire, le stade par excellence oĂč les cellules se spĂ©ciïŹent , certaines devenant par exemple l’endoderme – le tube gastrique primitif de

l’embryon –, d’autres l’ectoderme, qui donnera l’épiderme et le systĂšme nerveux.

Ne rĂ©ïŹ‚Ă©chissait-on pas dĂ©jĂ  de longue date Ă  l’effet possible de la forme sur la biologie ?

Au dĂ©but du XXe siĂšcle, notamment, le biologiste Ă©cossais D’Arcy Thompson dĂ©fendait l’idĂ©e que la physique et la mĂ©canique intervenaient dans la structuration des organismes vivants


Il y avait en eïŹ€et une longue tradition d’approches physiques et mathĂ©matiques en embryologie, qui s’attachait Ă  comprendre le dĂ©veloppement des formes des organismes et en particulier de l’embryon. Ces approches ont Ă©tĂ© majoritaires tant que le seul observable en embryogenĂšse Ă©tait la morphologie , avant l’avĂšnement de la biologie molĂ©culaire et de la gĂ©nĂ©tique On voyait bien que diffĂ©rents organes possĂ©daient diïŹ€Ă©rents types de formes liĂ©es Ă  leurs fonctions Jusqu’à la fin du XXe siĂšcle, des chercheurs ont ainsi essayĂ© de comprendre le dĂ©veloppement et l’évolution des formes soit via l’hydrodynamique – la mĂ©canique newtonienne de l’écoulement des ïŹ‚uides –, soit via des dĂ©marches plus mathĂ©matiques comme celle de D’Arcy Thompson, qui recherchait si des transformations mathĂ©matiques simples suïŹƒsaient pour dĂ©crire les diïŹ€Ă©rences de morphologie entre deux espĂšces parentes Mais ces chercheurs ne pouvaient pas, Ă©videmment, penser la diïŹ€Ă©renciation cellulaire puisqu’à l’époque on ne connaissait pas l’existence des gĂšnes.

Cette approche a disparu avec l’avĂšnement de la biologie molĂ©culaire ?

En fait, aprĂšs la dĂ©couverte du gĂ©nome, dans les annĂ©es 1950, et des gĂšnes du dĂ©veloppement, l’intĂ©rĂȘt s’est focalisĂ© sur le rĂŽle de la morphogenĂšse biochimique dans le dĂ©veloppement embryonnaire, c’est-Ă -dire sur le fait que certains tissus sont le produit de cellules qui ne sont pas diïŹ€Ă©renciĂ©es de la mĂȘme façon que les autres Pendant quarante ans, de façon naturelle, l’eïŹ€ort s’est majoritairement portĂ© sur les aspects biochimiques du dĂ©veloppement. Et ïŹnalement, les approches physicomathĂ©matique et biochimique ont avancĂ© chacune de leur cĂŽtĂ©.

Les travaux de nature physique n’ont pas pris en compte l’existence du gĂ©nome ?

Pas tous au dĂ©but, semble-t-il. Cela faisait 2 400  ans (depuis les travaux d’Aristote) que l’observable Ă©tait plutĂŽt de nature physique, il Ă©tait alors naturel que les recherches s’attachant Ă  comprendre le dĂ©veloppement de la morphologie biomĂ©canique des structures multicellulaires du vivant Ă  l’aide de la physique seule se poursuivent Les premiers couplages avec la gĂ©nĂ©tique sont venus justement au dĂ©but des annĂ©es 1990 d’équipes qui se sont intĂ©ressĂ©es au contrĂŽle gĂ©nĂ©tique du dĂ©veloppement des

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BIOPHYSIQUE LA MATIÈRE BIOLOGIQUE EST À LA FOIS PHYSIQUE, ACTIVE ET RÉACTIVE

forces induisant la morphogenĂšse biomĂ©canique au cours de l’embryogenĂšse. L’un des premiers groupes qui a travaillĂ© sur ce sujet est celui de Dan Kiehart , alors Ă  l’universitĂ© Harvard . En 1991, il a montrĂ© que durant le dĂ©veloppement embryonnaire de la drosophile, un moteur molĂ©culaire – une myosine – se concentre et se stabilise sur la surface apicale des cellules (vers l’extĂ©rieur de l’embryon) au pĂŽle postĂ©rieur de l’embryon. Quand la myosine est stabilisĂ©e, une contraction se produit sous l’action de ce moteur, qui dĂ©clenche l’invagination et la formation du tube gastrique

À peu prĂšs au mĂȘme moment , l’équipe d’Eric Wieschaus et d’autres identiïŹaient les gĂšnes responsables de ces mouvements morphogĂ©nĂ©tiques C’est ainsi que quelques groupes de gĂ©nĂ©ticiens ont commencĂ© Ă  Ă©tudier le contrĂŽle gĂ©nĂ©tique du dĂ©veloppement des formes physiques de l’embryon, et donc le contrĂŽle de la morphogenĂšse biomĂ©canique par des processus biochimiques Et c’est alors, Ă  ma connaissance, que sont apparues les premiĂšres recherches ayant menĂ© Ă  coupler processus biomĂ©caniques et biochimiques dans le dĂ©veloppement embryonnaire

Mais le regard ne se portait alors que sur l’inïŹ‚uence du gĂ©nome sur la morphologie
 Oui, mais c’est allĂ© assez vite ïŹnalement puisque j’ai appris l’existence de ces recherches en 1996. C’est Ă  ce moment-lĂ  que m’est venue l’idĂ©e de poser la question inverse. Il me paraissait naturel qu’il y ait un contrĂŽle biomĂ©canique de l’expression des gĂšnes du dĂ©veloppement embryonnaire, ne serait-ce que pour une question de « contrĂŽle qualitĂ© ». Dans une vision alors encore trĂšs centrĂ©e sur le gĂ©nome, vu comme l’organisateur du dĂ©veloppement embryonnaire, il paraissait diïŹƒcile d’imaginer qu’il ne soit pas en mesure de contrĂŽler l’état d’élaboration de la forme qu’il « a la charge » de produire Si le produit est une diïŹ€Ă©renciation biochimique, c’est assez direct, parce que le proïŹl biochimique d’expression des gĂšnes d’une Ă©tape donnĂ©e induit la diïŹ€Ă©renciation de l’étape suivante via des signaux biochimiques : le proïŹl d’expression des gĂšnes change, ce qui informe le systĂšme sur l’étape du dĂ©veloppement Mais si le produit est morphologique – mĂ©canique –, comment cela fonctionne-t-il ? L’hypothĂšse la plus simple Ă©tait que le gĂ©nome dĂ©tecte le champ de contraintes mĂ©caniques liĂ© Ă  la morphologie qu’il façonne

LA GASTRULATION, UN PROCESSUS BIOMÉCANIQUE

Chez la drosophile, lors de la gastrulation – une dĂ©formation de l’embryon qui conduit Ă  la diffĂ©renciation de ses cellules en trois feuillets, le mĂ©soderme, l’endoderme et l’ectoderme –, le gĂšne snail contrĂŽle des pulsations cellulaires qui induisent la contraction de l’embryon en stabilisant un moteur, la myosine-II, sur la surface externe des cellules, ce qui conduit Ă  l’invagination de l’embryon et Ă  la spĂ©ciïŹcation

du mĂ©soderme, caractĂ©risĂ©e par l’expression du gĂšne twist (Ă  gauche) Quand on mute le gĂšne snail, on bloque la gastrulation (au centre), mais si on stimule mĂ©caniquement l’embryon mutĂ© pour remplacer les pulsations manquantes dans le mutant de snail par une simple dĂ©formation mĂ©canique, on rĂ©tablit l’induction de la stabilisation de la myosine et l’expression de twist (Ă  droite).

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 45 © Emmanuel
Farge
Sauvage
10 ”m
Muté Myosine-II Twist Muté et stimulé mécaniquement

Et pour qu’il y ait un retour eïŹƒcace, le plus simple Ă©tait que certains gĂšnes du dĂ©veloppement embryonnaire soient mĂ©canosensibles D’oĂč l’hypothĂšse que j’ai Ă©tĂ© amenĂ© Ă  formuler.

Comment cette hypothÚse de gÚne mécanosensible a-t-elle été accueillie ?

D’abord, il a fallu la tester. On a commencĂ© par des choses simples : dĂ©former un embryon de drosophile suivant un axe, Ă  l’aide d’un petit montage piĂ©zoĂ©lectrique, avant qu’il ne dĂ©veloppe ses propres mouvements morphogĂ©nĂ©tiques et regarder si les cellules changeaient de destin. Pouvait-on induire une diïŹ€Ă©renciation cellulaire en rĂ©ponse Ă  ces dĂ©formations ? La rĂ©ponse a Ă©tĂ© « oui » : les cellules dorsales se sont mises Ă  exprimer les gĂšnes qui les transforment en cellules ventrales Les embryons n’avaient plus de polaritĂ© dorsoventrale. On obtenait un ventre tout autour de l’embryon, juste en le dĂ©formant ! On a appelĂ© ce mĂ©canisme « induction mĂ©canique de la diïŹ€Ă©renciation » C’est un processus de « reprogrammation gĂ©nĂ©tique » mĂ©caniquement induit Une grande partie des biologistes du dĂ©veloppement ont bien reçu ces travaux, car cela ouvrait une nouvelle voie dans la comprĂ©hension des processus de dĂ©veloppement embryonnaire Depuis, d’autres expĂ©riences, menĂ©es sur d’autres types d’embryons et d’autres systĂšmes, sont venues corroborer cette hypothĂšse. RĂ©cemment encore, en 2019, Ardon Shorr et ses collĂšgues, Ă  l’universitĂ© Carnegie Mellon, aux États-Unis, ont obtenu le rĂ©sultat que nous avions observĂ© sur l’embryon de drosophile en dĂ©formant cette fois des centaines d’embryons par circulation dans des tuyaux dont ils contrĂŽlaient le diamĂštre.

Mais c’est une chose de voir qu’on peut inïŹ‚uer mĂ©caniquement sur l’expression de gĂšnes du dĂ©veloppement embryonnaire, c’en est une autre de savoir si le systĂšme se dĂ©veloppe en utilisant cette propriĂ©tĂ© . C’est ce qu’on a fait en bloquant la compression de certaines cellules de l’embryon de drosophile par ablation de tissus bien choisis et en rĂ©tablissant cette compression Ă  l’aide de particules magnĂ©tiques On a montrĂ© qu’eïŹ€ectivement, dans certains domaines de l’embryon, les contraintes mĂ©caniques internes de l’embryogenĂšse induisent l’expression massive d’un gĂšne impliquĂ© dans la diïŹ€Ă©renciation cellulaire, twist Sans l’activation mĂ©canique de son expression, le tube gastrique antĂ©rieur se forme, mais ses cellules ne sont pas diïŹ€Ă©renciĂ©es. La moitiĂ© du tube est alors incapable de digĂ©rer, et la larve meurt de ne pas pouvoir se nourrir, signe que ce mĂ©canisme est fonctionnel et vital

Donc, aujourd’hui, cette induction mĂ©canique de la diffĂ©renciation est intĂ©grĂ©e dans la comprĂ©hension des processus de morphogenĂšse dans le monde vivant ?

LA HOULE À L’ORIGINE DE LA PREMIÈRE GASTRULATION

?

En 2022, l’équipe d’Emmanuel Farge a montrĂ© qu’un choanoïŹ‚agellĂ©, un organisme proche des mĂ©tazoaires (les animaux pluricellulaires) formĂ© d’une colonie de cellules, inverse activement sa courbure sous l’effet de la houle, selon un processus qui implique l’activation du moteur myosine II, comme la gastrulation de l’anĂ©mone Ă©toilĂ©e et celle de l’embryon de drosophile, dĂ©clenchĂ©e par une contrainte mĂ©canique interne (voir la ïŹgure page 45). Ses travaux et les similitudes observĂ©es chez le poisson-zĂšbre et l’éponge suggĂšrent que la houle serait Ă  l’origine de la gastrulation chez l’ancĂȘtre de tous les mĂ©tazoaires.

Oui , d’autant plus que maintenant on connaĂźt le processus molĂ©culaire Ă  l’Ɠuvre : le capteur – la ÎČ-catĂ©nine, une protĂ©ine des jonctions entre les cellules – et le mĂ©canisme qui conduit de la contrainte mĂ©canique Ă  la diïŹ€Ă©renciation cellulaire. Et d’autres Ă©quipes ont trouvĂ©, par exemple, que ce mĂ©canisme est impliquĂ© dans la diïŹ€Ă©renciation menant Ă  la formation des follicules qui donneront les plumes dans l’embryon de poulet. Un mĂ©canisme similaire faisant intervenir d’autres molĂ©cules mĂ©canosensibles interviendrait aussi lors de la toute premiĂšre diïŹ€Ă©renciation cellulaire Ă  l’origine du dĂ©veloppement de la souris.

L’a-t-on observĂ© chez d’autres espĂšces encore ?

Oui, et mĂȘme trĂšs Ă©loignĂ©es dans l’arbre du vivant. On s’est en eïŹ€et aperçu que chez le poisson-zĂšbre comme chez la drosophile, les tout premiers mouvements morphogĂ©nĂ©tiques de l’embryogenĂšse induisent la diïŹ€Ă©renciation du mĂ©soderme, le premier tube Ă  se former dans l’embryon et qui donnera les organes internes hormis le tube gastrique. Dans les deux cas, les

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et
Frontiers in Cell and Developmental
Nguyen
al.,
Biology, 2022
BIOPHYSIQUE LA MATIÈRE BIOLOGIQUE EST À LA FOIS PHYSIQUE, ACTIVE ET RÉACTIVE

gĂšnes activĂ©s diïŹ€Ăšrent mais ont la mĂȘme fonction de diïŹ€Ă©renciation du mĂ©soderme, et le mĂ©canisme est le mĂȘme, ainsi que le capteur mĂ©canosensible, toujours la ÎČ-catĂ©nine On s’est donc demandĂ© si un site de cette protĂ©ine crucial pour le mĂ©canisme (une tyrosine qui devient accessible et activable quand la protĂ©ine se dĂ©forme) Ă©tait conservĂ© chez tous les mĂ©tazoaires, c’est-Ă -dire non seulement les vertĂ©brĂ©s (dont le poisson-zĂšbre) et les arthropodes (dont la drosophile), ou plus gĂ©nĂ©ralement les bilatĂ©riens (animaux prĂ©sentant une symĂ©trie bilatĂ©rale), mais aussi les cnidaires comme l’anĂ©mone de mer, ou mĂȘme les Ă©ponges. Nous l’avons trouvĂ© prĂ©sent dans tous les animaux testĂ©s ! Cela ouvrait la possibilitĂ© que l’induction mĂ©canique dĂ©pendante de la ÎČ-catĂ©nine qui conduit Ă  la spĂ©ciïŹcation des premiers feuillets embryonnaires soit partagĂ©e par les embryons d’un trĂšs grand nombre d’espĂšces ayant divergĂ© d’un ancĂȘtre commun il y a trĂšs longtemps, peut-ĂȘtre le premier mĂ©tazoaire.

Est-ce

testable ?

On l’a fait chez Nematostella, une anĂ©mone de mer constituĂ©e, pour simpliïŹer, d’un tube digestif avec quelques systĂšmes protomusculaires qui lui permettent de se mouvoir et de capturer ses proies On a stimulĂ© les embryons avec des ïŹ‚ux hydrodynamiques marins –  son environnement naturel Cela a suffi pour dĂ©clencher l’invagination du premier tube

BIBLIOGRAPHIE

N. M. Nguyen et al., Mechano-biochemical marine stimulation of inversion, gastrulation, and endomesoderm speciïŹcation in multicellular Eukaryota, Frontiers in Cell and Developmental Biology, 2022.

P.-A. Pouille et al., Mechanical signals trigger myosin II redistribution and mesoderm invagination in Drosophila embryos, Sci. Signal., 2009.

N. Desprat et al., Tissue deformation modulates twist expression to determine anterior midgut di erentiation in Drosophila embryos, Developmental Cell, 2008.

embryonnaire de cet animal (l’endomĂ©soderme) et sa diïŹ€Ă©renciation Ă  un stade oĂč, normalement, elle ne se produit pas Et ce mĂ©canisme est dĂ©pendant de ce mĂȘme processus impliquant la ÎČ - catĂ©nine ! Donc l’ancĂȘtre commun de Nematostella, du poisson-zĂšbre et de la drosophile, qui vivait il y a 600 Ă  700 millions d’annĂ©es, prĂ©sentait probablement dĂ©jĂ  ce mĂ©canisme. Le fait qu’il soit liĂ© Ă  la conservation d’une mĂȘme tyrosine dans toutes les espĂšces suggĂšre que ce mĂ©canisme existe depuis l’ancĂȘtre commun de toutes les espĂšces animales, y compris les Ă©ponges Mais il faudrait un laboratoire en bord de mer pour tester cette hypothĂšse sur ces derniĂšres, car elles se cultivent diïŹƒcilement

Ce mĂ©canisme existe-t-il aussi chez l’humain ?

Oui, l’équipe de ValĂ©rie Weaver, Ă  l’universitĂ© de Californie Ă  San Francisco, a rĂ©ussi Ă  stimuler mĂ©caniquement la diïŹ€Ă©renciation de cellules embryonnaires humaines en mĂ©soderme par exactement le mĂȘme mĂ©canisme dĂ©pendant de la ÎČ - catĂ©nine . On le retrouve aussi dans la progression tumorale Notre Ă©quipe a montrĂ© que les pressions de croissance tumorale induisent l’activation de la voie ÎČ - catĂ©nine selon exactement le mĂȘme processus dans les cellules saines comprimĂ©es avoisinant les tumeurs , participant Ă  leur reprogrammation tumorale Celle de ValĂ©rie Weaver a trouvĂ© les mĂȘmes processus activĂ©s en rĂ©ponse Ă  la rigiditĂ© ïŹbrotique tumorale

Finalement, le couplage biomĂ©canique est partout, peut-ĂȘtre mĂȘme Ă  l’échelle cellulaire ?

Il est probablement prĂ©sent dans de nombreux cas. Si on regarde toutes les protĂ©ines associĂ©es Ă  des structures dĂ©formables dans une cellule – elles sont nombreuses –, elles ont toutes des sites actifs susceptibles d’ĂȘtre cachĂ©s par une conformation et ouverts par des dĂ©formations, et donc d’ĂȘtre activĂ©s mĂ©caniquement Une fois que l’on a compris cela , la question devient plutĂŽt : comment le systĂšme fait pour ïŹltrer les signaux mĂ©caniques fonctionnels ? Comment les systĂšmes ont Ă©voluĂ© pour garder certaines voies mĂ©canosensibles fonctionnelles, par exemple au cours du dĂ©veloppement embryonnaire, et pour se protĂ©ger des dĂ©formations hasardeuses appliquĂ©es Ă  d’autres voies ?

Donc oui, aujourd’hui, il est diïŹƒcile de penser l’aspect physique sans penser l’aspect gĂ©nĂ©tique du vivant et inversement. Les deux sont trĂšs fortement intriquĂ©s La matiĂšre biologique est Ă  la fois physique – dĂ©formable – et, Ă  travers les mĂȘmes objets, active et rĂ©active biochimiquement. De fait, il est probable que l’on ne puisse pas, dans de nombreux cas, Ă©chapper Ă  ce couplage. n

Propos recueillis par Marie-Neige Cordonnier

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 47

DiplĂŽmes d’UniversitĂ© de l’Observatoire de Paris

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ÉTHOLOGIE 56 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023
Ce léopard de Mumbai traverse la frontiÚre séparant théoriquement les espaces dévolus aux humains de ceux dévolus à la nature.

Ce texte est une adaptation de l’article Living with leopards, publiĂ© par ScientiïŹc American en avril 2023.

Vivre avec les léopards

RĂ©apprendre Ă  cohabiter avec les fauves : tel est le dĂ©ïŹ que la population indienne tente de relever pour prĂ©server ses grands carnivores.

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 57
© Steve Winter
VIDYA ATHREYA

L’ESSENTIEL

> Panthera pardus fusca, le léopard indien, vit au sein de nombreuses régions indiennes densément peuplées.

> Pour rĂ©duire les conïŹ‚its avec les humains, la Fonction publique forestiĂšre indienne dĂ©porte des panthĂšres dans les rĂ©serves naturelles, ce qui

les stresse et multiplie les accidents.

> L’étude du comportement des lĂ©opards montre que lĂ  oĂč les habitants acceptent traditionnellement leur prĂ©sence et savent se comporter avec eux, les conïŹ‚its sont rarissimes.

OĂč vivent les animaux sauvages ? Notre rĂ©ponse Ă  cette question dĂ©pend de la culture dont nous sommes issus, de l’éducation que nous avons reçue et de ce que nous voyons sur les Ă©crans La rĂ©ponse de l’éthologue que je suis est plutĂŽt conditionnĂ©e par un certain conïŹ‚it entre ma formation scientiïŹque et mes constatations de terrain. Quand, dans les annĂ©es 1990, j’ai commencĂ© ma carriĂšre en Ă©tudiant le lion d’Asie et la panthĂšre nĂ©buleuse dans des rĂ©serves naturelles indiennes, je prenais encore trĂšs Ă  cƓur le principe de base de la biologie de la conservation : les animaux sauvages dans la nature sauvage ! Et cela s’appliquait d’abord aux grands carnivores
 Puis dans les annĂ©es 2000, j’ai Ă©tĂ© confrontĂ©e Ă  une rĂ©alitĂ© : Panthera pardus fusca, c’est-Ă -dire le lĂ©opard indien, vit au voisinage, voire Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme, de certaines agglomĂ©rations urbaines « Il ne devrait pas ! », a protestĂ© l’éthologue en moi, mais il y vivait bien, franchissant les clĂŽtures des rĂ©serves aussi nonchalamment que les murs mentaux Ă©rigĂ©s par les scientiïŹques entre la nature et l’humanitĂ© Voyons par exemple le cas de la premiĂšre panthĂšre – lĂ©opards et panthĂšres sont une seule et mĂȘme espĂšce ! – que j’ai Ă©quipĂ© d’une balise GPS. Il s’agissait d’un grand mĂąle, qui, au cours de l’été 2009, Ă©tait tombĂ© dans un puits proche de Junnar, une ville situĂ©e en arriĂšre de Bombay, dans le Maharashtra, l’un des vingt-huit États indiens. Pour lui faire quitter le rebord dominant l’eau, oĂč il s’était rĂ©fugiĂ©, les gardes forestiers installĂšrent une cage-piĂšge au sommet d’une Ă©chelle , qu’ils descendirent dans le puits Manifestement fatiguĂ© par la chaleur de la journĂ©e, le vieux lĂ©opard resta imperturbable, mĂȘme une fois en cage. Notre Ă©quipe Ă©tait composĂ©e du vĂ©tĂ©rinaire Karabi Deka, d’Ashok Ghule, un agriculteur me servant de traducteur et de guide dans la rĂ©gion, et de moi-mĂȘme, alors doctorante. Nous vĂ©riïŹĂąmes d’abord que le vieil animal n’était pas blessĂ©, puis nous l’anesthĂ©siĂąmes

Il ne grogna mĂȘme pas quand il reçut la ïŹ‚Ă©chette Son calme et sa douceur nous incitĂšrent Ă  le nommer Ajoba, ce qui en marathi, la langue oïŹƒcielle du Maharashtra parlĂ©e par 72 millions de locuteurs, signiïŹe « grand-pĂšre »

L’AUTRICE

Le soir mĂȘme, Ă  quelque 50 kilomĂštres de lĂ , nous avons relĂąchĂ© Ajoba dans une forĂȘt, avant, dans les semaines suivantes, d’observer ses Ă©tonnants dĂ©placements grĂące aux positions envoyĂ©es de proche en proche par son collier. Ajoba nous inquiĂ©ta, car, quittant la forĂȘt que nous avions choisie pour lui servir de refuge, il franchit successivement des Ă©tendues agricoles, une rĂ©serve naturelle, la forĂȘt d’usines fumantes d’une zone industrielle , une autoroute Ă  quatre voies et une gare ferroviaire intensĂ©ment frĂ©quentĂ©e
 Ayant parcouru 125 kilomĂštres en un mois, il s’installa Ă  la lisiĂšre de la jungle du parc national Sanjay Gandhi , qui jouxte cette agglomĂ©ration de plus de 20 millions d’habitants qu’est Bombay !

Traditionnellement , l’IFS – l’Indian Forest Service , c’est - Ă  - dire la Fonction publique forestiĂšre indienne – gĂšre la peur des panthĂšres en capturant les fĂ©lins dĂ©couverts dans des zones habitĂ©es pour les relĂącher en forĂȘt. Et voilĂ  que nous dĂ©couvrions que la premiĂšre chose que faisait le vieil Ajoba , sans doute tombĂ© dans un puits du cĂŽtĂ© de Junnar parce que l’IFS avait cherchĂ© Ă  l’éloigner des banlieues de Bombay, Ă©tait de rentrer Ă  la maison !

13 000 LÉOPARDS

Nous autres , humains , pensons ĂȘtre les seuls Ă  agir de notre propre chef. Toutefois, comme les dizaines de millions d’Indiens ruraux qui subissent actuellement la transformation de leurs forĂȘts et de leurs champs en mines , usines , barrages et autres autoroutes, les animaux sauvages s’adaptent pour survivre dans ce monde de plus en plus diïŹƒcile La biologie des grands fĂ©lins implique qu’ils doivent ĂȘtre capables de franchir des dizaines, voire des centaines, de kilomĂštres pour trouver un partenaire et avoir des petits ; sans cette dispersion, la consanguinitĂ© serait rampante et l’extinction de leurs espĂšces imminente C’est bien parce que les grands chats indiens ne se laissent pas conïŹner aux 5 % de la surface du pays ayant le statut de rĂ©serves naturelles que l’Inde continue d’abriter, en plus de ses 1,4  milliard d’habitants , 23 % des espĂšces de carnivores de la planĂšte,

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Wildlife Conservation Society.
VIDYA ATHREYA éthologue à la Société indienne de préservation de la vie sauvage (Wildlife Conservation Society)

dont la moitiĂ© de ses tigres, la seule population survivante de lions d’Asie , et prĂšs de 13 000 lĂ©opards


Toutefois, la survie de ces grands carnivores implique qu’ils ne causent pas de dĂ©gĂąts susceptibles d’inciter les humains Ă  se venger Dans le monde entier, la principale menace pesant sur les grands fĂ©lins est l’homme (lire l’encadrĂ© page 65). En Inde, les braconniers Ă  la recherche de peaux, de griïŹ€es ou d’os, qui font l’objet d’un traïŹc illicite, ou encore les paysans furieux d’avoir perdu du bĂ©tail, ont, selon les chiïŹ€res de la SociĂ©tĂ© indienne de protection de la faune , tuĂ© entre  1994 et  2021 prĂšs de 5 200 panthĂšres. Pour autant , la façon dont beaucoup de ruraux indiens considĂšrent les animaux sauvages rend possible la survie de milliers d’entre elles, mĂȘme dans des zones oĂč vivent 400 habitants par kilomĂštre carrĂ©. L’observation de ces fauves m’a convaincue : pour que les grands carnivores aient une chance de survie Ă  l’avenir, il faut changer notre façon de les percevoir. Voici donc l’histoire commune de deux espĂšces hautement capables d’adaptation, et partageant le mĂȘme espace. En ces temps sombres pour la vie sauvage, il s’agit d’une histoire pleine d’espoir, dans laquelle l’image des

redoutables grands fĂ©lins assoiïŹ€Ă©s de sang est remplacĂ©e par celle d’animaux sauvages qui, comme les humains, tentent de survivre, d’élever leurs petits et de vivre dans leur propre sociĂ©tĂ©, une sociĂ©tĂ© qui s’entremĂȘle Ă  la nĂŽtre

ƒIL POUR ƒIL

Petite ïŹlle, j’ai dĂ©couvert l’histoire du dieu hindou Ayyappa. C’est depuis ce temps-lĂ  que les grands fĂ©lins me fascinent Quand il Ă©tait enfant, Ayyappa reçut l’ordre d’aller chercher du lait de tigresse Il y parvint, et revint Ă  califourchon sur le dos de l’animal. Les images de mon livre Ă©taient paciïŹques, pleines d’empathie et de comprĂ©hension, et elles sont restĂ©es imprimĂ©es dans ma tĂȘte En 2001, aprĂšs un master en Ă©cologie et en biologie Ă©volutive, je me suis retrouvĂ©e dans le canton de Junnar, une zone rurale couverte de champs de canne Ă  sucre MĂšre d’un enfant en bas Ăąge, j’y avais suivi mon mari, physicien au RadiotĂ©lescope gĂ©ant Ă  ondes mĂ©triques , et je prĂ©voyais de consacrer mon temps Ă  ma ïŹlle. Toutefois, des reportages faisant Ă©tat d’un grand nombre d’attaques de lĂ©opards dans la rĂ©gion m’intriguĂšrent : entre 2001 et 2003, prĂšs de Junnar, pas moins de 44 personnes furent attaquĂ©es

Bombay, une agglomĂ©ration de plus de 20 millions d’habitants, borde le parc national Sanjay Gandhi et d’autres zones naturelles qui abritent une cinquantaine de lĂ©opards.

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© Nayan Khanolkar

Si certaines de ces attaques Ă©taient peut-ĂȘtre accidentelles, d’autres Ă©taient clairement prĂ©mĂ©ditĂ©es, comme celles de ces nuits chaudes pendant lesquelles une panthĂšre vint saisir un petit enfant dormant dehors entre ses parents, le tuant si vite et si silencieusement qu’aucun des deux adultes ne se rĂ©veilla


Cela n’avait aucun sens ! Comment autant de panthĂšres pouvaient-elles vivre dans ce paysage agricole sans herbivores et autres proies sauvages ? Pourquoi Ă©taient-elles si agressives ?

L’administration forestiĂšre du Maharashtra ne cessait d’en capturer dans les zones rurales de l’État et de les relĂącher en forĂȘt : intelligents, les lĂ©opards sont nĂ©anmoins des chats, de sorte qu’ils tendent Ă  se laisser prendre dans les cages-piĂšges Dans la littĂ©rature scientiïŹque, je n’ai trouvĂ© aucun article sur la prĂ©servation de grands carnivores en dehors de rĂ©serves naturelles. AprĂšs m’ĂȘtre procurĂ© une petite subvention, j’ai montĂ© une Ă©quipe capable d’installer Ă  leur encolure des puces Ă©lectroniques non Ă©mettrices, mais identiïŹables Ă  l’aide d’un lecteur portatif. J’ai alors commencĂ© Ă  noter oĂč chaque lĂ©opard Ă©tait capturĂ© et pourquoi, et vite compris que si on les dĂ©plaçait dans les jungles, ce n’était pas parce qu’ils avaient attaquĂ© quelqu’un, mais seulement parce qu’on les avait aperçus prĂšs d’un village

En 1972, le gouvernement indien a promulguĂ© une loi – le Wild life (protection) act, c’estĂ  - dire la « Loi sur la protection de la vie sauvage » – selon laquelle il est interdit de chasser les espĂšces en danger, mĂȘme si l’élimination occasionnelle d’un tigre ou d’un lĂ©opard « mangeur d’hommes » peut ĂȘtre accordĂ©e. Depuis les annĂ©es 1980, l’IFS, qui a la responsabilitĂ© de gĂ©rer les gros animaux sauvages d’Inde, retranche

systĂ©matiquement les panthĂšres errant dans les zones habitĂ©es aïŹn de rĂ©duire les conïŹ‚its avec les humains Pour autant, ce qui s’est rĂ©vĂ©lĂ© Ă  Junnar dans les annĂ©es 2000, c’est que le dĂ©placement de ces superbes fĂ©lins tachetĂ©s augmentait les conïŹ‚its


Pendant longtemps, les habitants du canton signalaient quatre attaques par an en moyenne. En rĂ©ponse, l’administration des forĂȘts lança en fĂ©vrier 2001 un vaste programme de transfert, de sorte qu’en une annĂ©e, les gardes forestiers dĂ©placĂšrent quarante lĂ©opards vers deux rĂ©serves situĂ©es Ă  des dizaines de kilomĂštres Les attaques triplĂšrent alors prĂšs des rĂ©serves, atteignant une moyenne de quinze par an ; la proportion d’attaques mortelles doubla, atteignant 36 % Elles devinrent aussi plus nombreuses Ă  proximitĂ© des sites oĂč l’on relĂąchait les fauves Une panthĂšre capturĂ©e et marquĂ©e Ă  Junnar, puis transfĂ©rĂ©e dans une rĂ©serve situĂ©e dans le nord-ouest de l’État du Maharashtra, attaqua plusieurs personnes prĂšs du lieu de son relĂąchement Une fois qu’elle fut recapturĂ©e, nous pĂ»mes montrer grĂące Ă  la puce que nous lui avions implantĂ©e qu’il s’agissait bien du mĂȘme individu . MĂȘme si depuis toujours des lĂ©opards vivent dans la rĂ©gion, c’était bien la premiĂšre fois que les attaques se multipliaient Ă  ce point Panthera pardus est extrĂȘmement furtif, de sorte qu’observer comment une capture suivie d’une remise en libertĂ© en forĂȘt affecte un membre de cette espĂšce est diïŹƒcile Ce que nous savons, c’est que le stress ampliïŹe l’agressivitĂ© des grands fĂ©lins On constate par exemple que le dĂ©placement de grands chats de zoo en zoo augmente leurs taux d’hormones de stress Chez les chats, avoir un foyer est un impĂ©ratif biologique ! Dans les rares zones oĂč les lĂ©opards sauvages se montrent occasionnellement , comme au Sri Lanka et en Afrique, leur vie sociale est centrĂ©e sur les femelles ; il est logique que la perturbation de ces relations aggrave le stress dĂ» au dĂ©placement Des Ă©tudes menĂ©es en Russie sur des tigres Ă©quipĂ©s de colliers suggĂšrent qu’ils attaquent surtout aprĂšs avoir Ă©tĂ© provoquĂ©s ou blessĂ©s. En 1988, pour la premiĂšre fois depuis 1904, des lions d’Asie ont attaquĂ© des humains : l’évĂ©nement s’est produit aprĂšs le dĂ©placement de 57 lions, capturĂ©s dans des zones habitĂ©es, vers le parc national de Gir, la rĂ©serve qui leur est consacrĂ©e

VIVRE ET LAISSER VIVRE

Les fĂ©lins que l’on dĂ©porte se mettent-ils Ă  considĂ©rer les humains comme des menaces ? Quelle qu’en soit la raison, force est de constater que le dĂ©placement de lĂ©opards hors de leur milieu habituel, suivi par leur relĂąchement en terrain inconnu, a eu des consĂ©quences dĂ©sastreuses pour les paysans qui les ont rencontrĂ©s par hasard Au dĂ©but des annĂ©es 2000, alors que je parcourais l’État du Maharashtra pour

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© Nayan Khanolkar Des vĂ©tĂ©rinaires posent un collier Ă©metteur sur un lĂ©opard aïŹn de pouvoir Ă©tudier ses dĂ©placements et son comportement.

Leopard (Panthera pardus) Status, Distribution, and the Research Efforts across Its Range, PeerJ, 2016 (statut par sous-espÚces) ; Kontur (densité démographique)

UN FÉLIN POLYVALENT

L’insaisissable lĂ©opard (Panthera pardus) est le plus adaptable des grands fĂ©lins. Puissant coureur, nageur et grimpeur, il parcourt les forĂȘts tropicales, les zones arides et les champs cultivĂ©s d’Afrique et d’Asie du Sud jusqu’à l’extrĂȘme-orient gelĂ© de la Russie. Chasseur invĂ©tĂ©rĂ©, il se nourrit de tout ce qui lui tombe sous la patte : cerfs, singes, bovins, chĂšvres, chiens, voire rats ou poissons. Trois sous-espĂšces, les lĂ©opards de l’Amour (P. p. orientalis), d’Arabie (P. p. nimr) et de Java (P. p. melas), sont en danger critique d’extinction ; les autres sont en danger ou menacĂ©es.

HIMACHAL PRADESH Statut du léopard Présent Présence non prouvée Disparu

SOUS - CONTINENT INDIEN

Aire agrandie ci-dessous

Habitants par kilomÚtre carré

250-1 000

1 000-1 500

Plus de 1 500

QUAND HUMAINS ET LÉOPARDS SE RENCONTRENT

Le lĂ©opard indien (Panthera pardus usca) vit dans des territoires trĂšs peuplĂ©s, et mĂȘme aux abords de Mumbai. Le lien immĂ©morial qu’entretiennent les populations rurales et surtout indigĂšnes du sous-continent avec ce grand fĂ©lin pousse de nombreux paysans Ă  tolĂ©rer la perte occasionnelle d’une chĂšvre ou d’un chien. Les lĂ©opards s’attaquent rarement aux humains, et lorsqu’ils le font, l’attaque semble souvent liĂ©e Ă  une violence prĂ©cĂ©demment infligĂ©e par ces derniers.

MAHARASHTRAÉTATDU

DensitĂ© humaine moyenne dans les zones d’habitat des lĂ©opards (personnes par kilomĂštre carrĂ©)

Sous-espÚce de léopard

Panthera pardus orientalis

P. p. nimr

P. p. melas

P. p. kotiya

P. p. japonesis

P. p. delacouri

P. p. saxicolor

P. p. fusca

P. p. pardus

0 500 1 000

Statut selon la densité humaine Présent Disparu

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 61
© D. P. Huffman ; sources : A. B. Stein et al., Panthera pardus, Amended Version of 2019 Assessment, IUCN Red List of Threatened Species, 2020
léopards)
Andrew P. Jacobson et al.,
(habitat des
;
Parc national de Girk Mumbai Junnar Akole

Les maisons des Warlis sont souvent ornĂ©es de peintures traditionnelles de lĂ©opards ou d’autres animaux sauvages, illustrant leur tradition de coexistence avec les autres ĂȘtres vivants. Pour autant, eux aussi prĂ©fĂšrent ne pas avoir ce genre de visiteur nocturne dans leur maison !

62 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 ÉTHOLOGIE VIVRE AVEC LES LÉOPARDS

Ă©quiper les panthĂšres de puces identiïŹcatrices, je fus intriguĂ©e par un territoire de collines et de vallĂ©es magniïŹques situĂ© au nord de Junnar De nombreux lĂ©opards y Ă©taient capturĂ©s, telle cette femelle piĂ©gĂ©e avec ses petits au milieu d’un champ de blĂ©. Manifestement, l’espĂšce Panthera pardus fusca Ă©tait trĂšs reprĂ©sentĂ©e dans cette zone trĂšs peuplĂ©e, mais sans que des attaques ne s’y produisent Naturellement, j’ai voulu comprendre.

Cela faisait alors dĂ©jĂ  quatre ans qu’en collaboration avec l’administration des forĂȘts, je travaillais sur les lĂ©opards Cette collaboration et mon dossier persuadĂšrent deux biologistes chevronnĂ©s, spĂ©cialistes de la faune sauvage

Ullas Karanth, ancien directeur de la SociĂ©tĂ© indienne de prĂ©servation de la vie sauvage, et Raman Sukumar, de l’Institut indien des sciences –, de soutenir mon projet de thĂšse sur l’écologie de Panthera pardus fusca Je commençai mon travail autour de la ville d’Akole. Je n’étais alors mĂȘme pas sĂ»re qu’il y aurait autour de cette agglomĂ©ration de 20 000 habitants assez de lĂ©opards pour apprendre quelque chose de signiïŹcatif Ă  l’aide d’outils comme les piĂšges photographiques Aucun biologiste n’avait jamais signalĂ© la prĂ©sence d’une panthĂšre dans la rĂ©gion, mais les gardes forestiers m’en apportĂšrent les preuves : des empreintes fraĂźches en bord de champ, devant des maisons, voire dans une cour de rĂ©crĂ©ation ; des chiens disparus ou mordus ; ici et lĂ , un cochon mort ; certaines de ces proies hissĂ©es dans des arbres, maniĂšre typique des lĂ©opards de les mettre Ă  l’abri des autres prĂ©dateurs. Clairement, j’entamais mes recherches au bon endroit !

Toutefois, quelle idĂ©e n’avais-je pas eu de fonder mon Ă©tude sur l’usage de piĂšges photographiques dans une zone oĂč les humains grouillaient ? J’étais alors l’une des derniĂšres biologistes Ă  employer des appareils photos analogiques : leurs pellicules coĂ»taient cher et se volaient
 En outre, la pĂ©riode Ă©tait diïŹƒcile pour ma ïŹlle de 6  ans, qui protestait chaque fois que je partais pour une semaine Ă  Akole Quoi qu’il en soit, je commençai par prĂ©senter mon projet Ă  200 paysans, que j’interrogeai aussi sur leurs rencontres avec les lĂ©opards et leurs pertes de bĂ©tail. Ils se montrĂšrent tout d’abord surpris de voir une Ă©thologue, a fortiori une femme, parcourir leurs champs sur des kilomĂštres Ă  la recherche de signes du passage de panthĂšres, aïŹn de dĂ©terminer oĂč installer des camĂ©ras dans les champs de canne. Heureusement, ils s’accoutumĂšrent vite Ă  ma prĂ©sence, et m’offrirent souvent petit dĂ©jeuner, dĂ©jeuner ou thé 

Au dĂ©but, ce ne fut pas sans peur que je marchais seule dans des champs de canne Ă  sucre et autres cultures de deux mĂštres de haut, oĂč les grands fĂ©lins pouvaient se cacher, ou encore dans le lit de riviĂšres Ă  sec bordĂ©es d’arbres, oĂč ils aiment Ă  se reposer Il me fallait Ă©viter de

surprendre un lĂ©opard, de sorte que j’ai pris l’habitude de parler tout haut mĂȘme si je marchais seule ; si quelqu’un m’accompagnait, nous bavardions constamment. Mais Ă  force de discuter avec les habitants de la rĂ©gion, ma peur s’est envolĂ©e, car ils interagissaient souvent avec les panthĂšres Un jour, dans un cafĂ© de village, un client m’a racontĂ© en riant comment sa femme, qui jetait de l’eau sale sur le champ situĂ© en contrebas de leur maison , fut terrifiĂ©e lorsqu’elle entendit le grognement d’indignation du grand chat qu’elle avait mouillĂ© sans le vouloir ; en dĂ©pit de cette vexation, le fauve avait simplement continuĂ© son chemin Un paysan m’a aussi racontĂ© comment une nuit, alertĂ© par les beuglements de son bĂ©tail, il Ă©tait sorti en courant de chez lui, pour tomber nez Ă  nez avec le voleur, qui, au lieu de l’attaquer, s’est enfui Une vieille paysanne m’a aussi racontĂ© comment elle a sauvĂ© sa chĂšvre en la retenant par les pattes de derriĂšre tandis qu’un lĂ©opard la tirait par les pattes de devant
 MĂȘme si elle Ă©tait seule, le grand chat prĂ©fĂ©ra s’en aller. En Ă©tĂ©, les gens dormaient habituellement dehors pour proïŹter de l’air frais de la nuit, et le faisaient sans crainte Les quelques attaques sur des humains dont j’ai entendu parler Ă©taient accidentelles, comme lorsqu’un lĂ©opard, en essayant de sauter sur un chien, rentra dans un couple Ă  moto, le faisant tomber dans un champ, avant de s’enfuir. De mĂ©moire d’homme, aucun lĂ©opard n’avait tuĂ© personne dans les villages entourant Akole.

PRIS SUR LE VIF

Il m’a fallu un an pour installer les premiers appareils photos dĂ©clenchĂ©s par le mouvement dans ma zone d’étude de 179 kilomĂštres carrĂ©s Je les ai positionnĂ©s le long des chemins, lĂ  oĂč j’avais trouvĂ© des empreintes et des excrĂ©ments Les premiĂšres prises de vue rĂ©vĂ©lĂšrent des chiens et des villageois, tel ce vieux paysan farceur qui, se mettant Ă  quatre pattes, passait devant la camĂ©ra en feulant
 TrĂšs vite cependant, de vraies panthĂšres apparurent, que nous apprĂźmes Ă  identiïŹer d’aprĂšs leur pelage. Dans le mĂȘme temps, nous construisions des modĂšles statistiques aïŹn d’évaluer le nombre des animaux non dĂ©tectĂ©s. Les rĂ©sultats de nos observations Ă©taient fascinants : nous comptions cinq fauves par kilomĂštre carrĂ©, ce qui Ă©tait considĂ©rable Il s’agissait de panthĂšres, mais aussi de hyĂšnes, des carnivores tout aussi gros ! Et tous ces animaux vivaient au milieu d’une campagne agricole oĂč, selon mon dĂ©compte, demeuraient pas moins de 357 humains par kilomĂštre carré  À titre de comparaison, en Namibie, la densitĂ© de lĂ©opards varie de un Ă  quatre par 100 kilomĂštres carrĂ©s, tandis que la densitĂ© humaine moyenne n’est que de trois par kilomĂštre carrĂ© : moins d’un centiĂšme de celle d’Akole Dans les terres cultivĂ©es entourant les villages vivaient aussi

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© Nayan Khanolkar

des chats de jungle (Felis chaus) – des petits fĂ©lins volant souvent des poules –, sans parler des chacals et des renards MĂȘme le trĂšs rare chat rubigineux (Prionailurus rubiginosus) ou « chat lĂ©opard d’Inde » se reproduisait dans la rĂ©gion

Pour comprendre de quoi se nourrissaient les lĂ©opards, des bĂ©nĂ©voles et des amis m’ont aidĂ©e Ă  ramasser des excrĂ©ments et Ă  les examiner aïŹn d’y dĂ©celer des restes de poils, de griïŹ€es et de sabots non digĂ©rĂ©s. À ma grande surprise, les animaux domestiques constituaient 87 % des proies des grands chats. À eux seuls, les chiens reprĂ©sentaient 39 % de la biomasse consommĂ©e, presque quatre fois plus que les chĂšvres, pourtant sept fois plus nombreuses dans la rĂ©gion

Les Ă©leveurs m’ont conïŹrmĂ© perdre bien moins de cheptel Ă  cause des prĂ©dateurs qu’à cause des maladies ou des accidents, ce qui, peut-ĂȘtre, leur rendait plus acceptable la perte occasionnelle d’une tĂȘte de bĂ©tail Jamais auparavant on n’avait signalĂ© d’aussi fortes densitĂ©s de grands carnivores dans une rĂ©gion indienne aussi peuplĂ©e ! Pour les gardes forestiers, ce n’était guĂšre une surprise, mais la plupart de mes collĂšgues chercheurs refusĂšrent d’y croire.

DES VIES SECRÈTES

AprĂšs de telles constatations, Ă©quiper certains fĂ©lins d’un collier Ă©metteur de signaux GPS s’imposait, aïŹn d’y voir plus clair sur cette ahurissante cohabitation entre lĂ©opards et humains. Au dĂ©part, j’étais rĂ©ticente, car j’ignorais si le stress induit n’allait pas s’avĂ©rer dĂ©sastreux Ă  la fois pour les panthĂšres et pour les si accueillants villageois d’Akole. Toutefois, le vif intĂ©rĂȘt du chef des gardes forestiers m’a incitĂ©e Ă  laisser libre cours Ă  ma curiositĂ© scientiïŹque, et ce que nous avons dĂ©couvert fut spectaculaire

Les signaux radio indiquaient que les fĂ©lins passaient leurs journĂ©es Ă  l’intĂ©rieur de petits buissons ou au sein des champs des hautes cannes Ă  sucre, donc Ă  proximitĂ© immĂ©diate des gens, qui vaquaient Ă  leurs occupations sans rĂ©aliser leur proximitĂ©. Ce n’est qu’une fois la nuit venue et la campagne vidĂ©e de ses humains que s’ouvrait pour eux un espace sauvage, de leur point de vue, pareil Ă  tout autre Le suivi par GPS nous a montrĂ© qu’une fois leur heure arrivĂ©e , les lĂ©opards rĂŽdaient Ă  la recherche de chĂšvres et d’animaux, ou, prĂšs des dĂ©charges, en quĂȘte de chiens et de cochons venus fouiller les ordures.

Une femelle et un mĂąle sur qui nous avions posĂ© des colliers se sont avĂ©rĂ©s ĂȘtre une mĂšre et son ïŹls subadulte (adolescent). Émis toutes les trois heures, leurs signaux nous ont montrĂ© qu’ils se rencontraient parfois, se nourrissaient ensemble de la mĂȘme carcasse avant de repartir chacun de leur cĂŽtĂ© Lorsque cette mĂšre lĂ©opard eut une nouvelle portĂ©e, elle dut s’absenter deux nuits d’aïŹƒlĂ©e pendant lesquelles son adolescent garda les petits : il faisait du baby-sitting !

Un soir, un des bĂ©bĂ©s lĂ©opards tomba dans un puits Les signaux GPS nous rĂ©vĂ©lĂšrent que sa mĂšre Ă©tait restĂ©e Ă  proximitĂ© toute la nuit, avant d’aller se rĂ©fugier pendant la journĂ©e dans un champ de canne Ă  sucre voisin. Les gardes forestiers secoururent le bĂ©bĂ© le lendemain et le relĂąchĂšrent prĂšs du puits Ă  la nuit tombĂ©e. AprĂšs une demi-heure la mĂšre revint, et quelques heures plus tard, nous pĂ»mes relever les traces de trois fĂ©lins avançant ensemble : la mĂšre, son ïŹls subadulte et son bĂ©bĂ© s’étaient retrouvĂ©s. Dans le paysage agricole d’Akole, les panthĂšres ne font pas que survivre : elles forment aussi des familles Quelque chose m’intriguait dans la façon dont les habitants de la rĂ©gion gĂ©raient cette situation Ma formation me poussait Ă  considĂ©rer que la juxtaposition de grands carnivores et d’ĂȘtres humains ne pouvait que crĂ©er des conïŹ‚its Un jour, au dĂ©but de mes recherches Ă  Akole, le paysan Ghule kaka – kaka est une formulation de respect signifiant « oncle » – m’emmena rendre visite Ă  une femme dont la chĂšvre venait d’ĂȘtre tuĂ©e par une panthĂšre. Quand je lui demandais quels problĂšmes elle rencontrait avec ce grand fĂ©lin, elle s’énerva et m’expliqua avec brusquerie qu’un lĂ©opard venait rĂ©guliĂšrement par un chemin dans les collines, et passait devant sa maison avant de s’en aller « par lĂ  » Plus tard, intriguĂ©e par sa rĂ©action, je demandais Ă  Ghule kaka de m’expliquer pourquoi elle Ă©tait agacĂ©e « Vous venez de lui demander quel problĂšme lui pose son dieu, me rĂ©vĂ©la-t-il Par ici, les gens vĂ©nĂšrent les lĂ©opards. » De fait, une statue de Waghoba, la grande divinitĂ© fĂ©line vĂ©nĂ©rĂ©e dans la rĂ©gion depuis au moins un demi-siĂšcle, se dressait non loin de lĂ  Autre cas : cette rĂ©action d’un paysan dont un mouton venait d’ĂȘtre enlevĂ© par un lĂ©opard « Le pauvre n’avait plus de proie dans la forĂȘt, commentait-il. Il a donc pris mon mouton, mais Dieu m’en donnera d’autres »

La jeune biologiste quelque peu arrogante que j’avais Ă©tĂ© Ă©tait convaincue que l’on ne pouvait rĂ©soudre les « conïŹ‚its » entre les humains

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© Nayan Khanolkar Un chercheur et un garde forestier suivent un lĂ©opard muni d’un collier Ă©metteur dans les collines du parc national Sanjay Gandhi.

LE LÉOPARD KENYAN, UN FAUVE MOINS PROBLÉMATIQUE

PrĂšs de Nairobi, et de ses 4 millions d’habitants, se trouve un parc national, qui, comme celui du parc national Sanjay Gandhi, qui jouxte Bombay, est un peu plus grand que Paris intra-muros. BordĂ© de la mĂȘme façon par des bidonvilles, il abrite des lions, des hyĂšnes, des hippopotames
 et une population assez dense de lĂ©opards. Pour autant, ici, de mĂ©moire d’homme, aucun animal sauvage n’a tuĂ© d’humains. D’oĂč vient cette di Ă©rence entre Bombay et Nairobi ?

En Afrique, la faune sauvage est pour ainsi dire plus explicite. Les Ă©leveurs maasais qui vivent dans le parc protĂšgent leurs enclos comme ils le peuvent, par exemple Ă  l’aide de lampes ïŹ‚ash qui e raient les fauves, mais ne les tuent qu’en derniĂšre extrĂ©mitĂ©. « C’est ici, dans cette partie de la cage, que nous mettons l’appĂąt – une chĂšvre en gĂ©nĂ©ral. C’est lĂ  que la panthĂšre ou le lion peut entrer », m’a dĂ©crit un jour le caporal Kereto du Kenya Wildlife Service – l’agence gouvernementale qui s’occupe de conserver la nature kenyane. AprĂšs m’avoir ainsi expliquĂ© la capture des animaux dangereux, il a posĂ© pour une photo. J’ai souri intĂ©rieurement, tant la situation contrastait avec celle de Bombay, oĂč lors de ma derniĂšre visite de son parc, j’avais aussi eu le privilĂšge de voir oĂč on gardait les « lĂ©opards errants ». En revanche, pas question de prendre des photos : l’administration des forĂȘts Ă©tant accusĂ©e de ne pas assurer la sĂ©curitĂ© des citoyens, le sujet Ă©tait trop sensible !

UNE RÉSERVE OUVERTE

Il est vrai qu’au Kenya, les grands carnivores sont moins attirĂ©s par Nairobi, car la frontiĂšre sud du parc s’ouvre sur de vastes savanes, oĂč zĂšbres, antilopes ou gnous migrent de façon saisonniĂšre. Une situation qui contraste avec celle du parc national de Bombay dĂ©sormais entiĂšrement encerclĂ© par l’étalement urbain. En Inde, les lĂ©opards ont pour ainsi dire moins le choix. En outre, le parc national de Nairobi et ses savanes environnantes forment un Ă©cosystĂšme dont la prĂ©servation reprĂ©sente de forts enjeux Ă©conomiques et politiques. À lui seul, le commerce des safaris pour touristes correspond Ă  environ 15 % du PIB kĂ©nyan ! Or cette savane est le domaine des Maasai, une ethnie dont les savoirs en matiĂšre de faune sauvage sont mondialement connus. MalgrĂ© la poussĂ©e urbaine, les Maasai sont, bon an, mal an, parvenus Ă  garder des droits sur le vaste espace du parc. Les touristes les photographient autant que les girafes et les gnous, car ils font partie du paysage, ce qui leur donne un certain pouvoir de nĂ©gociation.

En revanche, qui parmi les touristes visitant l’Inde ou mĂȘme les habitants de Bombay sait qu’environ 9 000 Adivasis – littĂ©ralement, des « aborigĂšnes » –vivent dans la jungle du parc national Sanjay Gandhi ? Leur prĂ©sence est rendue invisible par les pouvoirs publics, qui la considĂšrent comme illĂ©gale. L’expansion du parc – sa surface a Ă©tĂ© multipliĂ©e par quatre en trente ans –a entraĂźnĂ© la destruction de nombre de leurs hameaux forestiers. Nullement dangereux pour la biodiversitĂ©, ces autochtones savent vivre avec les lĂ©opards, au contraire des habitants des bidonvilles.

ÉCO-ETHNICITÉ

Alors que les Maasai reprĂ©sentent moins de 3 % de la population kĂ©nyane, les Adivasis constituent le quart des aborigĂšnes de la planĂšte ! Pour autant, ils sont loin d’avoir le soft power des Maasai, ce que je nomme

l’« Ă©co-ethnicitĂ© ». Celle des Maasai et de leur cĂ©lĂšbre robe rouge est trĂšs grande. Les pouvoirs publics leur laissent donc des droits, ce qui permet en retour une meilleure gestion de la savane, notamment par des gardes forestiers maasai, prĂȘts Ă  veiller sur les animaux convoitĂ©s par les braconneurs, tels les rhinocĂ©ros blancs. Les Adivasis, au contraire, ne comptent pas : pour la plupart des Indiens, il s’agit de primitifs, dont les brĂ»lis et la chasse nuisent Ă  l’environnement. Jusqu’à rĂ©cemment, le parc national Ă©vitait mĂȘme de les employer pour protĂ©ger la jungle, puisqu’on voulait les en chasser ! Pourtant, par lĂ , on se prive de gardiens capables d’alerter en cas d’incendie, de survenue de braconniers
 ou de lĂ©opards en goguette.

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 65
© Matyas Rehak/Shutterstock FRÉDÉRIC LANDY Professeur de gĂ©ographie, universitĂ© Paris Nanterre

et une espĂšce animale qu’en Ă©tudiant cette derniĂšre. Toutefois, ce que je vivais Ă  Akole me suggĂ©rait que la solution Ă©tait Ă  rechercher plutĂŽt du cĂŽtĂ© des humains, intuition dont j’ai trĂšs vite pu vĂ©riïŹer la justesse

CHAT DE GOUTTIÈRE

En 2011, Sunil Limaye prit la direction du parc national Sanjay Gandhi, dont la taille excĂšde de peu celle de Paris intra-muros (105 kilomĂštres carrĂ©s) et dut immĂ©diatement aïŹ€ronter un grave problĂšme : les attaques de lĂ©opards au sein de la rĂ©serve et dans ses alentours se multipliaient. En juin 2004, des panthĂšres attaquĂšrent pas moins de douze personnes, dont la plupart faisaient partie des quelque 500 000 habitants de bidonvilles Ă©tablis aux bordures de la rĂ©serve Le nouveau directeur avait entendu parler de mon travail Ă  Junnar, de sorte qu’il avait une idĂ©e quant Ă  la nature du problĂšme Des annĂ©es durant, l’administration des forĂȘts avait relĂąchĂ© dans le parc de nombreux lĂ©opards capturĂ©s autour de la grande rĂ©serve naturelle ou ailleurs : quinze en  2003, par exemple. La relocalisation de ces fauves n’avait cependant servi Ă  rien, car ils avaient Ă©tĂ© vite remplacĂ©s par des congĂ©nĂšres dans les territoires laissĂ©s vacants, tandis que leur concentration dans le parc avait augmentĂ© les risques d’attaques aux environs L’administration des forĂȘts avait compris quelle dynamique Ă©tait en cours, mais Ă©norme Ă©tait la pression des politiques et des mĂ©dias pour continuer les transferts d’animaux

Sunil Limaye dĂ©cida de lancer un projet impliquant des scientiïŹques, des citoyens et des institutions de Bombay aïŹn de rĂ©duire le conïŹ‚it humains-lĂ©opards, et il dĂ©sira m’impliquer J’étais alors bien occupĂ©e Ă  rĂ©diger ma thĂšse de doctorat sur le travail eïŹ€ectuĂ© Ă  Akole, mais je ne pus m’empĂȘcher de contribuer Ă  rĂ©soudre une situation aussi terrible pour les grands fĂ©lins que pour les hommes En outre, ma sƓur vivant Ă  Bombay Ă  l’époque, ma ïŹlle pouvait jouer avec son cousin pendant que je travaillais. Sunil Limaye constitua donc une Ă©quipe associant plusieurs gardes forestiers, Vidya Venkatesh, le directeur de la Fondation pour la derniĂšre nature sauvage (Last Wilderness Foundation) et moi-mĂȘme. Notre Ă©quipe s’est rassemblĂ©e autour de l’idĂ©e qu’il fallait faire changer les mentalitĂ©s, Ă©tant donnĂ© que de nombreux habitants de Bombay ne voyaient dans la forĂȘt qu’une source de problĂšmes. Le moyen le plus sĂ»r pour y parvenir Ă©tait d’impliquer les Mumbaikars , c’est- Ă  - dire les habitants de Bombay(Mumbai, en marathi) !

Nous avons donc recrutĂ© des passionnĂ©s de nature qui souhaitaient depuis longtemps contribuer Ă  la protection d’une rĂ©serve qu’ils aimaient Ils ont formĂ© l’association Mumbaikars for SGNP (Les habitants de Bombay pour le

parc national Sanjay Gandhi ), et ont lancĂ© une campagne de sensibilisation Ă  la valeur du parc national en tant que rĂ©servoir d’espaces verts , d’eau douce et d’oxygĂšne . Des Ă©tudiants ont installĂ© des piĂšges photographiques aïŹn de compter les panthĂšres. Sur les 117 kilomĂštres carrĂ©s du parc national Sanjay Gandhi et dans la colonie d’Aarey Milk , un espace de prĂ©s et de bois consacrĂ© Ă  l’élevage de buïŹ„esses, les appareils photographiĂšrent 21 panthĂšres, ce qui trahissait une trĂšs forte densitĂ© Le parc national abritait des proies sauvages, principalement des daims, mais les lĂ©opards Ă©taient aussi attirĂ©s vers les bidonvilles par les chiens errants s’y nourrissant des ordures jonchant le sol

Nous avons aussi interrogĂ© les riverains aïŹn de mieux comprendre quelles interactions ils avaient avec les lĂ©opards. Comme le gĂ©ographe FrĂ©dĂ©ric Landy, de l’universitĂ© de Paris Nanterre, l’a notĂ© dans ses travaux, ce n’était pas tant les habitants des bidonvilles – les personnes les plus souvent attaquĂ©es – qui demandaient l’élimination des panthĂšres Il s’agissait plutĂŽt de personnes dotĂ©es d’un pouvoir politique, et vivant dans les immeubles situĂ©s Ă  proximitĂ© de la rĂ©serve. Ces membres de la couche sociale supĂ©rieure apprĂ©ciaient la vue sur la verdure, mais paniquaient si un lĂ©opard apparaissait sur une camĂ©ra de sĂ©curitĂ© Par ailleurs, les Warlis et les Kohlis, des aborigĂšnes vĂ©nĂ©rant Waghoba et qui avaient vĂ©cu dans la forĂȘt pendant des siĂšcles avant que Bombay ne les englobe , n’avaient pour leur part pas peur des lĂ©opards et n’en subissaient que rarement les attaques (lire l’encadrĂ© page 65) Eux souhaitaient la prĂ©sence des carnivores pour repousser les promoteurs et les installations illĂ©gales

À mesure que progressaient nos recherches et le programme de sensibilisation, l’administration des forĂȘts a pu amĂ©liorer sa gestion des situations, par exemple lorsqu’un lĂ©opard Ă©tait dĂ©couvert en ville Elle s’est aussi rapprochĂ©e de la police aïŹn d’accroĂźtre sa capacitĂ© Ă  contrĂŽler les foules susceptibles de chercher Ă  attaquer ces animaux et, sans doute le plus important, de la municipalitĂ© aïŹn d’amĂ©liorer le ramassage des ordures dans les zones autour du parc frĂ©quentĂ©es par Panthera pardus fusca AprĂšs la publication de notre rapport, nous avons collaborĂ© avec le Club de la presse de Bombay et d’autres organisations des mĂ©dias aïŹn de conseiller les gens sur les moyens de rester en sĂ©curitĂ© : garder des alentours propres, ne pas laisser les enfants jouer dehors aprĂšs la tombĂ©e de la nuit, Ă©clairer les zones sans lumiĂšre, et plutĂŽt que crier et vouloir effrayer un lĂ©opard de rencontre , prendre du champ


Mumbaikars for SGNP a aussi organisĂ© des ateliers rĂ©guliers avec des membres de la presse, aïŹn de convertir leur couverture trop racoleuse du problĂšme en vĂ©ritable information

66 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 ÉTHOLOGIE VIVRE AVEC LES LÉOPARDS
© Nayan Khanolkar Luna (à gauche) se détend avec son petit dans son habitat situé à la périphérie de Bombay.

– pour certains journalistes, lĂ©opard Ă©tait synonyme de « mangeur d’hommes ». AprĂšs un article Ă©voquant les dangers encourus par les enfants scolarisĂ©s Ă  l’orĂ©e du parc, le gouvernement a mis en place un service de bus scolaire

RĂ©sultat : la presse et la population, beaucoup mieux informĂ©es sur les lĂ©opards, les ont aussi acceptĂ©s, de sorte que des bĂ©nĂ©ïŹces tangibles sont apparus Depuis notre campagne, il n’y a pratiquement pas eu d’incidents : des panthĂšres ont bien attaquĂ© des personnes en 2017, 2021 et 2022, mais grĂące aux piĂšges photographiques des naturalistes amateurs, elles ont pu ĂȘtre trĂšs vite identiïŹĂ©es, piĂ©gĂ©es, puis placĂ©es en captivitĂ© permanente Notre travail Ă  Bombay a dĂ©montrĂ© l’importance de sensibiliser les mĂ©dias et la population, et de les mobiliser aïŹn de rĂ©duire les conïŹ‚its entre humains et carnivores

UN PAYSAGE PARTAGÉ

Je n’aurais pas dĂ» ĂȘtre aussi surprise par la relation profonde et complexe que les Indiens entretiennent avec les grands fĂ©lins, puisqu’ils partagent leur espace avec eux depuis la prĂ©histoire. Toutefois, j’avais Ă©tĂ© Ă©duquĂ©e dans l’idĂ©e d’une stricte sĂ©paration entre la nature et l’humanitĂ© , idĂ©e nĂ©e en Europe et qui a atteint son apothĂ©ose en AmĂ©rique du Nord DĂ©barrassant la nature de tout ce qu’ils trouvaient menaçant , les colons europĂ©ens du Nouveau Monde ont pratiquement Ă©radiquĂ© les loups et les couguars De mĂȘme, lorsque les Britanniques sont arrivĂ©s en Inde, ils ont abattu des dizaines de milliers de tigres et de lĂ©opards et exterminĂ© le guĂ©pard

BIBLIOGRAPHIE

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C. Pittman, World’s largest wildlife bridge could save mountain lions, ScientiïŹc American, 2021.

R. Leakey, « Si l’on ne rĂ©duit pas la pauvretĂ©, il n’y aura pas d’avenir pour la vie sauvage » , Pour la Science, n° 472, 2017.

C. Mounet, Comment gérer la grande faune sauvage ?, Pour la Science, n° 402, 2011.

P. Clergeau, Les villes, terres d’accueil, Dossier Pour la Science, n° 65, 2009.

Dans le discours dominant en matiĂšre de conservation, les grands carnivores sont seulement prĂ©sentĂ©s comme des prĂ©dateurs, qui attaquent inĂ©vitablement humains et bĂ©tail. Dans de nombreux documentaires , l’histoire racontĂ©e est celle d’une nature aux dents et aux griïŹ€es sanglantes Cette vision prĂ©suppose un conïŹ‚it et suggĂšre que la seule façon de traiter les grands carnivores est de les tuer ou de les Ă©liminer. Je pense le contraire : la plupart des conïŹ‚its entre lĂ©opards et humains trouvent leur origine dans la prĂ©supposition d’un conïŹ‚it. Chez les humains, l’agression entraĂźne une agression en reprĂ©sailles, et il pourrait en ĂȘtre de mĂȘme chez les grands fĂ©lins Dans les rares cas oĂč ils attaquent dĂ©libĂ©rĂ©ment les humains, nous devons nous demander pourquoi La rĂ©action normale d’un lĂ©opard lorsqu’il entend ou voit des personnes est de s’enfuir ; comment surmonte-t-il cette peur au point de tuer, dans les rares cas oĂč cela se passe ? Est-ce Ă  cause de quelque chose que nous lui avons fait ?

Impossible de le savoir. Toutefois, dans la plupart des endroits oĂč je fais des enquĂȘtes, le rĂ©cit dominant est celui de la paix plutĂŽt que du conïŹ‚it Dans les zones rurales de l’Himachal Pradesh, les habitants nomment les lĂ©opards mrig, ce qui signiïŹe « animal sauvage », soit un terme neutre . Nous avons constatĂ© que les humains et les lĂ©opards partageaient l’espace, tous s’eïŹ€orçant de survivre dans des conditions diïŹƒciles

De nombreux Ă©cologues indiens s’orientent dĂ©sormais vers l’idĂ©e d’une coexistence dans des territoires partagĂ©s. Compte tenu de la relation culturelle profonde entre les humains et les grands fĂ©lins dans le sous - continent indien, il est concevable que , si les animaux reviennent un jour dans les rĂ©gions oĂč ils ont disparu, les gens les accepteront

En dĂ©cembre 2011, alors que je commençais mon travail Ă  Bombay, un vĂ©hicule a heurtĂ© un lĂ©opard sur une autoroute Un dĂ©fenseur des animaux, passant par-lĂ , constata que le fauve Ă©tait gravement blessĂ©, mais vivait encore, et le mit dans le coïŹ€re de sa voiture – il pesait 75 kilogrammes –, oĂč Ă©tait assise sa famille Il l’emmena ensuite jusqu’au parc national dans l’espoir que ses vĂ©tĂ©rinaires pourraient le sauver Lorsqu’il arriva, une heure plus tard, l’animal Ă©tait mort. Comme prĂ©vu, son collier GPS s’était dĂ©jĂ  dĂ©tachĂ© automatiquement, mais la puce introduite sous sa peau pouvait ĂȘtre lue Il s’agissait d’Ajoba Apprenant sa mort, des gens ont pleurĂ©, m’at-on rapportĂ© Un rĂ©alisateur marathi – c’est-Ă dire issu de la rĂ©gion de Bombay – fut tellement inspirĂ© par la saga d’Ajoba qu’il en a tirĂ© un long mĂ©trage. Le ïŹlm contribua Ă  apprendre Ă  des millions d’Indiens Ă  apprĂ©cier les lĂ©opards C’est cette empathie qui me donne l’espoir que ma ïŹlle et ses enfants vivront dans un monde encore riche en espĂšces sauvages n

POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 / 67

HERVÉ THIS

physicochimiste, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inrae, à Palaiseau

CONNAISSEZ-VOUS BIEN LA MAYONNAISE ?

On croit tout savoir de sujets culinaires aussi reba us que la sauce mayonnaise. Erreur : les progrĂšs de la physicochimie montrent que la structure de ce grand classique culinaire s’apparente plus Ă  une « Ă©mulsion de Ramsden », stabilisĂ©e par des particules, qu’à la classique Ă©mulsion stabilisĂ©e par des molĂ©cules.

Au dĂ©but Ă©tait la « rĂ©moulade » : dĂšs le XIVe siĂšcle, Le Viandier de Guillaume Tirel proposait de confectionner des sauces en « rĂ©moulant » de l’huile dans un mĂ©lange d’un liquide, froid ou chaud, additionnĂ© de moutarde Puis des cuisiniers introduisirent du jaune d’Ɠuf, au goĂ»t ïŹ‚atteur, avant que, au tournant du XIXe siĂšcle, l’omission de la moutarde ne conduise Ă  cette sauce qui fut nommĂ©e « magnonnaise » , « mahonnaise » , « manionnaise », et ïŹnalement « mayonnaise » : du jaune d’Ɠuf, du vinaigre, du sel, du poivre et de l’huile

Reste que, pour les cuisiniers des siĂšcles passĂ©s, la confection de la sauce surprenait : mĂȘlant ces solutions aqueuses que sont le jaune d’Ɠuf (50 % d’eau) et le vinaigre (90 % d’eau) avec l’huile, on obtient – dans les bons cas – une « Ă©mulsion » si ferme que la cuiller y tient debout ! Comment expliquer ce mystĂšre ? On a

« tout » entendu Ă  ce propos : la mayonnaise serait un « gel », les molĂ©cules du jaune d’Ɠuf seraient « dĂ©sarticulĂ©es », l’huile et l’eau seraient mĂ©langĂ©es de façon « intime », « amalgamĂ©es ». Mais un simple microscope montre bien que, en premiĂšre approximation, l’huile est divisĂ©e par le fouet ou la fourchette en gouttelettes, qui sont dispersĂ©es dans l’eau ; la viscositĂ© augmente, parce que, plus on ajoute d’huile et plus on fouette, plus les gouttelettes d’huile sont nombreuses et tassĂ©es dans la phase aqueuse, ïŹnissant par ne plus pouvoir bouger individuellement. Comment parvient-on Ă  disperser l’huile dans l’eau, alors que si l’on fouette de la simple huile avec de l’eau pure, on n’obtient pas la viscositĂ© de la mayonnaise ? C’est la partie non aqueuse du jaune d’Ɠuf qui renferme la clĂ© du mystĂšre.

Comment l’huile et l’eau contenue dans l’Ɠuf et le vinaigre s’associent-elles en une consistance ferme ? La physicochimie de l’Ɠuf fournit trois explications complĂ©mentaires.

On a initialement prĂ©tendu que les « lĂ©cithines » ou les « phospholipides » (des catĂ©gories souvent confondues, Ă  tort) se disposaient Ă  la surface des gouttelettes d’huile, prĂ©venant la coalescence de ces derniĂšres. Oui, mais c’était compter sans les protĂ©ines du jaune d’Ɠuf. On a amĂ©liorĂ© la description de l’émulsion quand on a compris que ces protĂ©ines Ă©taient « dĂ©naturĂ©es » par le travail de la sauce, venant se disperser Ă  l’interface : non seulement ces molĂ©cules prĂ©viennent mieux la rencontre des gouttelettes d’huile, mais, de surcroĂźt, leurs charges Ă©lectriques assurent une rĂ©pulsion eïŹƒcace.

Pour complĂ©ter le tableau on explore, depuis quelques annĂ©es, les Ă©mulsions dites « de Ramsden » (du nom du chimiste britannique Walter Ramsden), fautivement dites «émulsions de Pickering » (Percival Pickering arriva un an aprĂšs Ramsden) : dans ces systĂšmes, ce sont des particules qui, disposĂ©es Ă  la surface des gouttelettes d’huile, assurent l’émulsiïŹcation. En eïŹ€et, le jaune d’Ɠuf est fait de « granules » dispersĂ©s dans un plasma : ces granules sont constituĂ©s de protĂ©ines et de divers lipides, tandis que le plasma est une solution aqueuse qui contient de nombreuses protĂ©ines. Depuis deux ans environ, la question de savoir si les mayonnaises sont ou non

des Ă©mulsions de Ramsden est posĂ©e, et les expĂ©rimentations convergent pour Ă©tablir l’importance de ce mĂ©canisme d’émulsiïŹcation. À ce jour, il semble judicieux de considĂ©rer que les trois types de mĂ©canismes – par des phospholipides, par des protĂ©ines, par des particules – contribuent Ă  la constitution de ce joyau culinaire qu’est la mayonnaise, dite par l’humoriste amĂ©ricain Ambrose Bierce « sauce qui sert de religion d’État aux Français ». n

VÉRITABLE MAYONNAISE SANS TROP D’HUILE

➊ Dans un grand bol, mettre un jaune d’Ɠuf et deux cuillerĂ©es Ă  soupe de bon vinaigre, sel, poivre (surtout pas de moutarde, sans quoi l’on produit une rĂ©moulade).

➋ En fouettant, ajouter un demi-verre d’huile goutte Ă  goutte pour obtenir une Ă©mulsion un peu molle : c’est au dĂ©but de l’émulsiïŹcation que l’ajout lent d’huile est essentiel, parce qu’il s’agit de disperser l’huile dans l’eau, et non l’eau dans l’huile.

➌ Utiliser un mixeur plongeant pour a ermir la sauce, qui devient alors plus blanche.

➍ Terminer avec un peu de piment de Cayenne, de paprika, du cerfeuil hachĂ©, une perle d’ail broyĂ©, une Ă©chalote Ă©mincĂ©e, et quelques gouttes de jus de citron.

96 / POUR LA SCIENCE N° 550 / AOÛT 2023 SCIENCE & GASTRONOMIE
L’AUTEUR
© DronG/Shutterstock

PICORER À

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JEU HARDI

Au casino, la maison gagne toujours ! Dans ces conditions dĂ©favorables, la meilleure stratĂ©gie Ă  adopter est celle du « jeu hardi », qui consiste Ă  miser systĂ©matiquement le maximum possible jusqu’à ĂȘtre ruinĂ© ou atteindre exactement le but ïŹxĂ©.

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XÉNOBOT

En prĂ©levant quelques cellules d’un embryon de grenouille, des chercheurs ont constatĂ© que celles-ci s’organisent en une structure comparable Ă  un microorganisme pluricellulaire. Ces xĂ©nobots (du nom de la grenouille d’origine Xenopus laevis) dĂ©veloppent mĂȘme des cils qui leur donnent un moyen de propulsion. De curieuses crĂ©atures trĂšs diffĂ©rentes des batraciens !

On remplacerait plus utilement l’ivresse de l’innovation par une exigence de la sobriĂ©tĂ©, qui servirait Ă  Ă©valuer la nĂ©cessitĂ© d’adopter sans rĂ©ïŹ‚Ă©chir toute solution prĂ©sentĂ©e comme innovante

YVES GINGRAS sociologue des sciences Ă  l’universitĂ© du QuĂ©bec

60 %

Environ 60 % des surfaces irriguĂ©es en France sont consacrĂ©es Ă  la culture du maĂŻs, une plante qui demande beaucoup d’eau (et de façon critique en Ă©tĂ©). Sa production rĂ©pond surtout aux besoins de la mĂ©thanisation et du bĂ©tail. Une stratĂ©gie de gestion de l’eau Ă  repenser ?

p. 92

NEURONES DE VON ECONOMO

Ces cellules sont aussi nommĂ©es « neurones en fuseau » Ă  cause de leur structure. On ne les trouve que chez les animaux qui ont une encĂ©phalisation importante comme les hominidĂ©s, les cĂ©tacĂ©s et les Ă©lĂ©phants. Des Ă©tudes psychiatriques ont montrĂ© qu’elles sont associĂ©es au « cerveau social », car les cas pathologiques prĂ©sentent une baisse d’empathie et de conscience sociale.

HUMIDEX

En cas de grosse chaleur, le corps est soumis Ă  rude Ă©preuve. Mais l’humiditĂ© est aussi un problĂšme, car elle perturbe le mĂ©canisme thermorĂ©gulateur de la sueur. Des chercheurs ont dĂ©ïŹni l’humidex, qui dĂ©termine le risque relatif pour la santĂ©. Par exemple, Ă  100 % d’humiditĂ©, 33 °C est aussi mortel que 42 °C Ă  40 % d’humiditĂ©.

13 000

PrĂšs de 13 000 lĂ©opards vivent en Inde. Mais parce que ces fĂ©lins parcourent des dizaines, voire des centaines, de kilomĂštres pour trouver des partenaires, ils ne se limitent pas aux rĂ©serves naturelles du pays qui reprĂ©sentent 5 % de sa superïŹcie. Alors, avec 1,4 milliard d’humains, la cohabitation est inĂ©vitable.

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Pour La Science #550 - Août 2023 by Pour la Science - Issuu