N° 172 - Mars 2006
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ISSN = 0997-6922
La religion nĂ©o-libĂ©rale On peine Ă comprendre les raisons pour lesquelles le gouvernement sâobstine Ă vouloir faire passer en force son projet de CPE, au risque dâamplifier le mĂ©contentement et de crĂ©er les conditions dâune vaste mobilisation. Du moins tant quâon ne lui prĂȘte que des raisons ârationnellesâ. ConsidĂ©rons son argument clĂ© : le CPE crĂ©era des emplois en facilitant les conditions dâembauche et de licenciement. Tout le monde sait que câest la reprise dâune vielle antienne du patronat, selon laquelle les rigiditĂ©s lĂ©gales engendrĂ©es par le code du travail compteraient parmi les principales causes de la persistance du chĂŽmage en France. Il y a une vingtaine dâannĂ©es, Yvon Gattaz, alors prĂ©sident du CNPF, avait rĂ©clamĂ© Ă cors et Ă cris la suppression de lâautorisation administrative de licenciement, chiffrant Ă 473 000 (ni plus ni moins !) le nombre de crĂ©ations dâemplois qui en rĂ©sulteraient. Revenu aux affaires en 1986, le gouvernement Chirac lui avait donnĂ© satisfaction. Avec lâeffet bĂ©nĂ©fique que lâon sait sur la baisse du chĂŽmage⊠Sâagit-il alors seulement dâouvrir une brĂšche supplĂ©mentaire dans le code du travail, pour dĂ©sĂ©quilibrer davantage le rapport de forces entre patrons et salariĂ©s ? On sait que le patronat rĂȘve de dĂ©manteler ce code. Le baron de SeilliĂšres en avait fait lâobjectif prioritaire de sa «refondation sociale» ; et celle qui lui succĂšde, Laurence Parizot, vient de dĂ©clarer que «la libertĂ© sâarrĂȘte lĂ oĂčcommence le droit du travail» ! Elle entendait parler de la libertĂ© dâexploiter le travail dâautrui, la seule qui lâintĂ©resse, Ă nâen pas douter. Mais Ă qui fera-t-on croire que cette libertĂ© est aujourdâhui entravĂ©e en France par le code du travail ? Avec ou sans CPE, la jeunesse de ce pays connaĂźt dĂ©jĂ le chĂŽmage et la prĂ©caritĂ© comme passage obligĂ© de son entrĂ©e dans la vie, quand ce nâest pas tout simplement son Ă©tat dĂ©finitif. Alors, pourquoi cet acharnement ? Câest que ce dernier tĂ©moigne de la foi des patrons et du gouvernement dans ce dogme nĂ©o-libĂ©ral qui proclame que tout marchĂ© tend spontanĂ©ment Ă lâĂ©quilibre entre offre et demande pour peu que rien ne vienne fausser la libre concurrence entre acheteurs comme celle entre vendeurs, ni la nĂ©gociation entre les uns et les autres. Ainsi en irait-il tout particuliĂšrement du marchĂ© du travail: le chĂŽmeur y disparaĂźtrait sâil Ă©tait livrĂ© Ă une «concurrence libre et non faussĂ©e» par les absurdes rĂšgles du droit du travail !.. Que pareil dogme ait Ă©tĂ© mille fois dĂ©jĂ dĂ©menti par les faits nâa pas plus dâimpacts sur les thĂ©oriciens et les praticiens du nĂ©o-libĂ©ralisme que la gynĂ©cologie ne peut en avoir auprĂšs des partisans du dogme de lâImmaculĂ©e Conception ! Bref on gagnerait beaucoup Ă intĂ©grer Ă nos analyses cette idĂ©e: nos gouvernants sont de grands croyants et de fervents pratiquants de la religion du marchĂ© (en fait, celle du capital) qui nâont rien Ă envier du point de vue du dogmatisme et du fanatisme aux fondamentalistes de tout poils. Avec cette diffĂ©rence essentielle cependant: câest que leur Dieu, le Capital, est susceptible de commettre bien plus de ravages sur cette planĂšte que Jehova, la TrinitĂ©, Allah, Krishna et Bouddha rĂ©unis.