Les « apprentissages dans le travail » et leurs reconnaissances

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Les « apprentissages dans le travail » et leurs reconnaissances

La contribution des « apprentissages dans le travail » dans l’accĂšs Ă  une qualification reconnue pour des jeunes sans bagage initial : un enjeu de justice sociale

Rapports techniques

Auteurs Anaïs Chatagnon, Christine Fournier, Françoise Kogut-Kubiak, Matteo Sgarzi

(Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications - CĂ©req)

Coordination Alexandre Berthon-Dumurgier (AFD)

Juin 2023 N° 7 1
1 RĂ©sumĂ© exĂ©cutif .......................................................................................................................................................................... 6 Introduction .................................................................................................................................................................................. 10 1. Un objet, quatre pays. Mise en contexte ............................................................................................................... 12 1.1 Les contextes nationaux et les formes d’apprentissages 12 1.2 Des « apprentissages informels » aux « apprentissages dans le travail » 20 1.3 Une apprĂ©hension multi-dimensionnelle de la reconnaissance des apprentissages dans le travail et de leurs acquis 21 1.4 Le secteur de la Construction, terrain commun d’exploration du dĂ©veloppement et de la reconnaissance des apprentissages dans le travail............................................................................................................................... 22 2. Pour dĂ©velopper ses compĂ©tences dans le travail......................................................................................... 24 2.1 Une condition prĂ©alable : accĂ©der Ă  une situation de travail 24 2.2 Pratiquer le mĂ©tier 25 2.3 Quelles conditions sont favorables au dĂ©veloppement des compĂ©tences dans le travail ? 30 2.4 Quels prĂ©requis au dĂ©veloppement des compĂ©tences dans le travail ? 33 2.5 Quels freins au dĂ©veloppement des compĂ©tences dans le travail ? 35 2.6 Quelles compĂ©tences dĂ©velopper dans le travail ? 42 3. Reconnaissance des compĂ©tences acquises via les apprentissages dans le travail.................. 44 3.1 Des dispositifs de validation des acquis de l’expĂ©rience professionnelle Ă  gĂ©omĂ©trie variable selon les pays 44 3.2 Un constat partagĂ© : les dispositifs de VAE sont le plus souvent mĂ©connus des jeunes et des employeurs 51 3.3 Des manifestations d’intĂ©rĂȘts qui divergent en fonction des objectifs assignĂ©s Ă  la VAE 51 3.4 Des freins encore nombreux qui entachent le dĂ©veloppement de la VAE 53 3.5 Des facteurs de dĂ©veloppement de la VAE qui s’inscrivent en contre poids des freins identifiĂ©s 54 3.6 De la reconnaissance symbolique de la VAE Ă  d’autres formes de reconnaissance qui relĂšvent davantage des politiques d’entreprises ou de branches 56 4. Recommandations ........................................................................................................................................................ 58 Recommandation 1 : Organiser des espaces / temps propices au retour rĂ©flexif accompagnĂ© sur le travail accompli 58 Recommandation 2 : PrĂŽner la diversitĂ© et la progressivitĂ© des situations professionnelles 59 Recommandation 3 : Valoriser les accompagnants expĂ©rimentĂ©s 60 Recommandation 4 : DĂ©velopper des savoirs de base comme prĂ©requis pour la progression des compĂ©tences 60
2 Recommandation 5 : Encourager des dispositifs formalisĂ©s et souples de reconnaissance 61 Recommandation 6 : Promouvoir et soutenir la mise en Ɠuvre des outils de reconnaissance 62 Annexes ......................................................................................................................................................................................... 63 Bibliographie 64 Liste des tableaux et encadrĂ©s ........................................................................................................................................... 66 Liste des sigles et abrĂ©viations 67

Agence française de développement

Rapports techniques

Les nombreux rapports, Ă©tudes de faisabilitĂ©s, analyses de cas et enquĂȘtes de terrain produits par l’AFD contiennent des informations trĂšs utiles, en particulier pour les praticiens du dĂ©veloppement. L’objectif de cette sĂ©rie est de partager des informations techniques, gĂ©ographiques et sectorielles sur une dimension du dĂ©veloppement et d’en faire un retour d’expĂ©rience.

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AFD Technical reports

The various reports produced by AFD (feasibility, case studies and field surveys) contain very useful informations, especially for development practitioners. This series aims to provide technical, geographic and sectoral informations on development issues and to share experiences.

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Les « apprentissages dans le travail » et leurs reconnaissances

La contribution des « apprentissages dans le travail » dans l’accĂšs Ă  une qualification reconnue pour des jeunes sans bagage initial : un enjeu de justice sociale

Auteurs : AnaĂŻs Chatagnon, Christine Fournier, Françoise Kogut-Kubiak, Matteo Sgarzi (Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications - CĂ©req)

Le prĂ©sent Rapport technique s’appuie sur les travaux menĂ©s dans le cadre d’un projet d’étude coordonnĂ© par le CĂ©req en France, en partenariat avec le CIS-CONICET en Argentine, l’INE-CSEFRS au Maroc et l’ONFP au SĂ©nĂ©gal. Ces travaux ont donnĂ© lieu Ă  des restitutions intermĂ©diaires rĂ©alisĂ©es respectivement pour chacun des quatre pays par l’équipe-projet de l’institution partenaire concernĂ©e. Le prĂ©sent Rapport technique a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© Ă  partir de l’analyse et de la mise en perspective de ces restitutions nationales.

Coordination : Alexandre Berthon-Dumurgier (AFD)

Résumé :

Permettre Ă  chacun et chacune d’accĂ©der Ă  une qualification reconnue qui concourt Ă  une meilleure employabilitĂ© et Ă  un Ă©largissement des opportunitĂ©s d’emploi dĂ©cent tout au long de la vie constitue un dĂ©fi majeur Ă  relever Ă  travers le monde. Il rĂ©sonne d’autant plus fort pour des jeunes sans ou avec trĂšs peu de bagage initial, entrĂ©s trĂšs tĂŽt sur les marchĂ©s du travail formels ou informels, et pour qui l’accĂšs ou le retour vers les appareils formatifs apparaĂźt complexe. Pour ces jeunes, les « apprentissages dans le travail » peuvent reprĂ©senter un chemin pour se qualifier. L’étude exploratoire faisant l’objet du prĂ©sent Rapport technique a ainsi cherchĂ© Ă  voir si et comment de tels jeunes rĂ©alisent des « apprentissages dans le travail », si et comment les acquis de ces apprentissages sont reconnus, et ce, dans quatre contextes nationaux trĂšs contrastĂ©s, Ă  partir d’une dĂ©marche qualitative menĂ©e sur un terrain sectoriel commun aux quatre pays, auprĂšs de jeunes travailleurs, d’entreprises et d’acteurs institutionnels. Le rapport rend compte d’une part, des mĂ©canismes, des conditions favorables et des freins aux « apprentissages dans le travail » qui se recoupent dans les quatre contextes considĂ©rĂ©s tout en s’exprimant de maniĂšre diffĂ©renciĂ©e, et d’autre part, de la faiblesse et/ou du manque partagĂ© de reconnaissance, en particulier via la certification, des acquis de ces apprentissages, bien que se manifestant dans des cadres institutionnels Ă  gĂ©omĂ©trie et maturitĂ© variables. Il s’ouvre finalement sur des pistes Ă  envisager, Ă  diffĂ©rentes Ă©chelles, pour encourager la contribution des « apprentissages dans le travail », quel que soit le statut de l’individu ou son environnement de travail, dans des parcours qualifiants.

Mots-clĂ©s : « apprentissages dans le travail » ; voies d’accĂšs Ă  la qualification ; dĂ©veloppement et reconnaissances des compĂ©tences professionnelles ; certification professionnelle ; validation des acquis de l’expĂ©rience ; formel et informel ; jeunes peu qualifiĂ©s

Géographies : Argentine, France, Maroc, Sénégal

Abstract

Enabling everyone to access to a qualification that improves employability and increases the opportunities for decent jobs, is a key challenge for all countries. The challenge is stronger for the young people who did not attend school or left school early, and who cannot access or go back to the educational and vocational training system. For those young people, 'learning from and through work' may be a way to acquire skills and get a qualification Thus, the exploratory study behind this Technical Report investigated, in four different national contexts, if and how young people, who enter the (formal or informal) job market with no prior qualification, develop their skills from and through work, and if and how those learning outcomes are recognized. A qualitative approach was chosen for carrying out the study. The Construction sector of activity was selected as field of investigation. Low-skilled young

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workers, employers and institutional actors were interviewed. On the one hand, the Report presents the mechanisms and conditions that support ‘learning from and through work', as well as the obstacles that limit it, pointing out the differences from one context to another. On the other hand, the Report presents the weak or lack of recognition (especially recognition leading to a vocational certification) of the skills acquired by ‘learning from and through work’, even though the institutional frameworks are not the same in the four countries. Then, the Report proposes some lines for possible actions to be taken in order to foster the contribution of 'learning from and through work' (regardless of the status of the individual or the type of work environment) in upskilling pathways.

Keywords : “learning from and through work”, ways leading to a qualification, vocational skills development and recognition, validation of acquired experience, formal and informal, low-qualified young people

Areas : Argentina, France, Morocco, Senegal

Resumen

Ofrecer a cada persona la posibilidad de tener una cualificaciĂłn reconocida que contribuya a mejorar su empleabilidad y a aumentar las oportunidades de trabajo digno a lo largo de su vida, representa un desafĂ­o en todos los paĂ­ses. El desafĂ­o es mĂĄs importante para los jĂłvenes sin educaciĂłn escolar o los jĂłvenes que abandonaron prematuramente la escuela, que no pueden acceder o volver al sistema de educaciĂłn o formaciĂłn tĂ©cnico-profesional, y que ingresaron al mercado laboral (formal o informal) precozmente. Para esos jĂłvenes, los «aprendizajes en el trabajo» pueden constituir un camino de calificaciĂłn. Este Informe TĂ©cnico se basa sobre un estudio exploratorio que investigĂł, en cuatro contextos nacionales muy diferentes, si esos jĂłvenes adquieren competencias a travĂ©s de los aprendizajes en el trabajo, cĂłmo lo hacen, y si se reconocen los resultados de esos aprendizajes, y de quĂ© manera. El estudio adopta un enfoque cualitativo, se concentra en el sector de la construcciĂłn, y se apoya en entrevistas a trabajadores jĂłvenes sin o con escasas cualificaciones, a empleadores y a actores de instituciones claves. Por una parte, el Informe da cuenta de los mecanismos, las condiciones favorables y los obstĂĄculos a los aprendizajes en el trabajo, que coinciden en los cuatro paĂ­ses, aunque se manifiestan de varias maneras. Por otra parte, el Informe da cuenta de la falta y/o debilidades de reconocimiento, especialmente a travĂ©s de la validaciĂłn y certificaciĂłn de las competencias laborales, observable en los cuatro paĂ­ses, aĂșn en marcos institucionales variables. Finalmente, el Informe propone pistas de acciĂłn a diferentes escalas para favorecer la contribuciĂłn de los aprendizajes en el trabajo en las trayectorias de cualificaciĂłn (cualquiera que sea el estatuto del individuo o su entorno laboral).

Palabras clave : “aprendizajes en el trabajo”, desarrollo y reconocimiento de las competencias, certificacion de las competencias laborales, formal e informal, jovenes con escasa calificacion

Areas geograficas : Argentina, Francia, Marruecos, Senegal

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Résumé exécutif

Permettre Ă  chacun et chacune d’accĂ©der Ă  une qualification reconnue dans une perspective Ă  la fois de progression personnelle et professionnelle, d’insertion socio-Ă©conomique et de participation au dĂ©veloppement durable, demeure un dĂ©fi majeur Ă  relever Ă  travers le monde. Celui-ci encourage la recherche de rĂ©ponses qui offrent Ă  toutes et tous des possibilitĂ©s de se qualifier et de faire reconnaĂźtre cette qualification ; qualification qui concourt Ă  une meilleure employabilitĂ© et Ă  un Ă©largissement des opportunitĂ©s de travail dĂ©cent tout au long de la vie. Depuis 2015, ces enjeux s’inscrivent dans l’Agenda 2030 des Nations Unies au travers de plusieurs Objectifs de DĂ©veloppement Durable (Ă  l’instar des ODD 4.4 et 8.5 par exemple). Ils se posent avec d’autant plus d’acuitĂ© pour les jeunes n’ayant pas frĂ©quentĂ© les bancs de l’école ou les ayant prĂ©cocement quittĂ©s, et Ă©tant entrĂ©s trĂšs tĂŽt sur les marchĂ©s du travail, formels ou informels, pour exercer une nĂ©cessaire activitĂ© rĂ©munĂ©ratrice, mais aussi, selon les contextes, pour apprendre un mĂ©tier. Cet apprentissage peut ĂȘtre non-institutionnalisĂ© et dĂ©veloppĂ© dans des environnements informels, tout en rĂ©pondant Ă  un certain degrĂ© de structuration et de codification

Ces enjeux prennent des formes et intensitĂ©s de manifestation variables selon les pays Dans le cadre de cette Ă©tude, les quatre pays considĂ©rĂ©s ne disposent pas nĂ©cessairement des mĂȘmes donnĂ©es statistiques ni des mĂȘmes dĂ©finitions des catĂ©gories statistiques. Les donnĂ©es retenues permettent d’indiquer uniquement des ordres de grandeur et de mettre en relief des enjeux saillants dans chaque contexte, sans ĂȘtre directement comparables. En outre, si l’indicateur NEET (Neither in Employment nor in Education or Training) qui s’intĂ©resse aux populations jeunes qui ne sont ni dans un cursus scolaire, ni en formation ni en activitĂ© professionnelle, est mobilisĂ© pour les quatre pays, il n’en prĂ©sente pas moins des limites, dans la mesure oĂč il ne prend pas en compte les formations et activitĂ©s professionnelles se dĂ©veloppant dans des environnements informels et qui, selon les pays, peuvent prĂ©senter un caractĂšre structurant.

Ainsi, en Argentine, environ un jeune (18-24 ans) sur cinq n’est ni scolarisĂ© ni en activitĂ© professionnelle (formelle pourrait-on prĂ©ciser), le dĂ©crochage scolaire au secondaire concerne prĂšs de 40% des jeunes de 18-24 ans et prĂšs de 70% des jeunes n’ayant pas achevĂ© le secondaire Ă©voluent dans des emplois informels. En France, 13% des jeunes de 16-24 ans et 19% des jeunes de 24-29 ans sont considĂ©rĂ©s en situation de NEET, suite parfois Ă  des sorties prĂ©coces du systĂšme scolaire et se cumulant parfois Ă  des situations d’illettrisme (qui concernent environ 5% des jeunes de 18 Ă  25 ans en MĂ©tropole mais par exemple prĂšs de 15% des jeunes en Martinique ou 29% des jeunes en Guyane). Au Maroc, prĂšs de 29% des jeunes de 15-24 ans sont considĂ©rĂ©s en situation de NEET et environ un tiers des travailleurs informels, dont la majoritĂ© n’a pas dĂ©passĂ© le niveau scolaire primaire, ont moins de 35 ans. Au SĂ©nĂ©gal, l’analphabĂ©tisme demeure une problĂ©matique prĂ©gnante, prĂšs de 33% des jeunes sont considĂ©rĂ©s en situation de NEET et environ 40% des travailleurs informels ont entre 15 et 35 ans.

Pour ces jeunes, la question se pose du pĂ©rimĂštre (et des limites actuelles) des systĂšmes de dĂ©veloppement et de reconnaissance de la qualification (entendue comme la somme des savoirs, savoir-faire, aptitudes et compĂ©tences d’un individu lui permettant d’exercer un emploi, et davantage encore d’accĂ©der et se maintenir dans un emploi dĂ©cent). Cette question sous-tend l’enjeu de la variĂ©tĂ©, et de l’articulation possible, des modes d’acquisition et de validation des compĂ©tences. Des

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systĂšmes plus globaux intĂ©grant et intriquant des voies formelles, non-formelles et informelles invitent Ă  (re)considĂ©rer les chemins qui mĂšnent Ă  une qualification reconnue, et notamment la contribution que peuvent y jouer les « apprentissages dans le travail ». Une telle Ă©volution vers des systĂšmes plus inclusifs et englobants suppose concomitamment une Ă©volution des conceptions de ces systĂšmes, pensĂ©s davantage selon leurs finalitĂ©s (le dĂ©veloppement et la reconnaissance des compĂ©tences) plutĂŽt qu’à partir des chemins (souvent acadĂ©miques) Ă  emprunter pour y parvenir.

Les apprentissages dans le travail sont apprĂ©hendĂ©s ici dans une acception large, qu’ils s’inscrivent, ou non, dans des formes dĂ©jĂ  plus ou moins structurĂ©es de dĂ©veloppement des compĂ©tences (y compris des formes d’apprentissage traditionnel ou informel). Ils renvoient Ă  des apprentissages (au sens de l’anglais learning) expĂ©rientiels via le travail, engendrĂ©s par l’exercice-mĂȘme du mĂ©tier ou par des organisations spĂ©cifiques de travail. Ils ne sont pas nĂ©cessairement organisĂ©s selon des objectifs prĂ©alablement dĂ©finis, ne sont pas nĂ©cessairement structurĂ©s avec des ressources et moyens dĂ©diĂ©s, et prĂ©sentent parfois un caractĂšre non-intentionnel (Fournier, Lambert, Marion-Vernoux, 2017) Bien que les frontiĂšres soient poreuses, ils se distinguent ainsi des formes de work-based learning (WBL), souvent associĂ©es Ă  une programmation et des objectifs de formation professionnelle, et pouvant parfois avoir lieu en milieu professionnel sans contribution au travail productif.

S’intĂ©resser aux apprentissages dans le travail dans le cadre de l’étude exploratoire faisant l’objet du prĂ©sent Rapport technique c’est regarder, dans quatre contextes contrastĂ©s (en Argentine, en France, au Maroc et au SĂ©nĂ©gal), si et comment des jeunes travailleurs, sans ou avec trĂšs peu de bagage initial, quel que soit leur statut et leur environnement de travail, dĂ©veloppent des compĂ©tences, aptitudes, savoirs et savoir-faire via le travail, si et comment les acquis de ces apprentissages dans le travail sont reconnus, notamment par des dispositifs d’évaluation et validation amenant Ă  une certification professionnelle 1. Ces questions ont Ă©tĂ© investies au travers d’enquĂȘtes exploratoires menĂ©es dans chacun des quatre pays considĂ©rĂ©s sur un terrain sectoriel commun, celui de la Construction. Dans les quatre contextes, ce secteur d’activitĂ© occupe une place significative dans l’économie, rassemble un grand nombre de (trĂšs) petites entreprises, concernĂ©es par des formes plus ou moins prononcĂ©es d’informalitĂ©, et constitue une voie trĂšs empruntĂ©e d’entrĂ©e sur le marchĂ© du travail pour des jeunes pas ou trĂšs peu qualifiĂ©s.

Tout comme les mĂ©canismes et les freins aux apprentissages dans le travail se recoupent dans les quatre contextes considĂ©rĂ©s en s’exprimant de maniĂšre diffĂ©renciĂ©e, la faiblesse ou le manque de reconnaissance, en particulier via la certification des acquis de ces apprentissages, est Ă©galement partagĂ©, bien que se manifestant dans des cadres institutionnels Ă  gĂ©omĂ©trie et maturitĂ© variables. La reproduction des gestes voire « l’action participante », la verbalisation et l’échange avec les pairs et avec les travailleurs plus expĂ©rimentĂ©s, en amont ou simultanĂ©ment Ă  la rĂ©alisation de la tĂąche, apparaissent comme des canaux d’apprentissages dans le travail dans les quatre contextes. Par endroits, ressortent davantage les rĂŽles jouĂ©s par les figures traditionnelles des « maĂźtres » ou « tuteurs » Ă  qui sont confiĂ©s des jeunes pour Ă  la fois leur transmettre des savoirs et savoir-faire propres Ă  l’exercice d’un mĂ©tier et parfaire leur Ă©ducation. Le retour rĂ©flexif sur le travail effectuĂ©, ou encore la prise d’initiative et la participation Ă  la recherche de solutions, sont aussi identifiĂ©s comme

1 La certification professionnelle est entendue comme la validation des acquis d’apprentissage (savoirs, savoir-faire, aptitudes, compĂ©tences) d’un individu Ă  l’issue d’un processus d’évaluation basĂ© sur un rĂ©fĂ©rentiel, qui se traduit par la dĂ©livrance d’un document (diplĂŽme, titre, certificat
) reconnu sur un plan institutionnel attestant de cette validation.

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des canaux d’apprentissages dans le travail Dans les quatre contextes, ces diffĂ©rents canaux sont mobilisĂ©s Ă  des degrĂ©s divers et de façon plus ou moins complĂ©mentaire et plus ou moins cumulative les uns des autres.

Selon les pays, ils perdent de leur potentiel apprenant dĂšs lors qu’ils sont contrariĂ©s par des barriĂšres linguistiques, par des dĂ©fauts de disposition et/ou de motivation (tant du cĂŽtĂ© du jeune travailleur que du cĂŽtĂ© de son binĂŽme plus expĂ©rimentĂ© Ă  qui il est souvent associĂ©), par une dilution du mĂ©tier du fait d’une fragmentation des tĂąches et d’un cantonnement aux tĂąches les plus basiques, par une organisation du travail et des Ă©quipes sous-tendue par une logique de rendement et de productivitĂ© Ă  court-terme. En outre, si l’absence d’instruction initiale ou des carences dans les savoirs fondamentaux ne s’avĂšrent pas rĂ©dhibitoires aux apprentissages dans le travail (ces derniers pouvant parfois mĂȘme pallier certaines lacunes), elles peuvent ralentir leur dĂ©veloppement et limiter leur Ă©tendue.

En tout Ă©tat de cause, la reconnaissance de l’existence et de l’intĂ©rĂȘt des apprentissages dans le travail est partagĂ©e par l’ensemble des acteurs (jeunes travailleurs, employeurs, acteurs institutionnels). Pour autant, la reconnaissance des acquis de ces apprentissages au travers de dispositifs d’évaluation et validation permettant la dĂ©livrance d’une certification, dispose encore d’une belle marge de progression. Ce constat est posĂ© dans les quatre contextes nationaux considĂ©rĂ©s bien qu’ils recouvrent des dispositifs de « validation des acquis de l’expĂ©rience » (VAE) ou de « certification des compĂ©tences professionnelles » qui se distinguent les uns des autres sous plusieurs aspects : historique, anciennetĂ©, type et effectivitĂ© du cadre rĂ©glementaire, place des partenaires sociaux, modalitĂ©s d’évaluation et de validation, valeur sociale de la certification
 Au manque d’information sur les dispositifs existants, s’ajoute souvent une perception limitĂ©e des avantages auxquels ils peuvent conduire tant pour le travailleur que pour l’employeur. Dans certains cas, l’absence de valorisation et de reconnaissance pour le travailleur « transmettant » constitue, par ailleurs, un frein non-nĂ©gligeable. La lourdeur et l’inadĂ©quation Ă  certains profils de travailleurs des conditions d’accĂšs et des procĂ©dures font Ă©galement partie des problĂ©matiques relevĂ©es, tout comme les difficultĂ©s de prise en charge des coĂ»ts liĂ©s au dĂ©ploiements des dispositifs de VAE

En outre, la reconnaissance en termes d’augmentation salariale ou d’évolution professionnelle par exemple, qu’elle intervienne ou non Ă  l’issue d’un processus de certification, apparaĂźt variable d’un contexte Ă  un autre, d’une entreprise Ă  une autre, souvent soumise Ă  l’apprĂ©ciation de l’employeur et influencĂ©e par la dynamique et les contraintes du secteur d’activitĂ©.

Les apprentissages dans le travail peuvent constituer un puissant levier de qualification pour des jeunes sans bagage initial. Il pourrait ĂȘtre d’autant plus porteur et influent pour ces jeunes, comme pour les entreprises, les partenaires sociaux et les pouvoirs publics, en encourageant des pistes d’action qui permettraient de l’activer de maniĂšre plus effective et structurante. Il s’agirait ainsi de soutenir :

- des parcours amĂ©nagĂ©s (sans ĂȘtre enfermĂ©s dans des contraintes rigides qui en dilueraient les bĂ©nĂ©fices) qui favorisent la diversitĂ© et la progressivitĂ© des situations professionnelles et dĂ©dient du temps (distinct du temps productif) Ă  un retour rĂ©flexif, accompagnĂ©, sur le travail rĂ©alisĂ© ;

- la participation des travailleurs expérimentés, dont le rÎle de transmission est valorisé et dont les capacités et statuts sont confortés ;

- des formes de combinaison complĂ©mentaire entre les apprentissages dans le travail et des modes d’acquisition ou de consolidation d’un socle de fondamentaux ;

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- la conjugaison du dĂ©veloppement des apprentissages dans le travail et de la reconnaissance objective et outillĂ©e des acquis de ces apprentissages ; reconnaissance qui peut ĂȘtre protĂ©iforme et ne pas nĂ©cessairement emprunter les rails des processus de VAE, mais qui s’appuie nĂ©anmoins sur des mesures et cadres partagĂ©s par les acteurs parties prenantes de l’échelle considĂ©rĂ©e (ex : Ă©chelle de la branche) ;

- la construction, plus largement, avec les partenaires sociaux, de cadres contextualisĂ©s, et adossĂ©s Ă  des rĂ©fĂ©rentiels, de validation des acquis des apprentissages dans le travail, qui puissent s’abstraire de la validation de l’environnement dans lequel ils ont eu lieu et concourir Ă  la transfĂ©rabilitĂ© intersectorielle des compĂ©tences ;

- la mise en Ɠuvre d’actions d’information et de mesures incitatives pour les travailleurs et pour les employeurs qui encouragent l’inscription dans des parcours professionnels apprenants et la mobilisation de dispositifs (et de soutiens correspondants) concourant à la valorisation, tant pour l’individu que pour l’entreprise, de ces parcours.

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Introduction

Quel(s) chemin(s) emprunter pour disposer d’une qualification reconnue pour des jeunes Ă©loignĂ©s des sentiers institutionnalisĂ©s et Ă©voluant trĂšs tĂŽt sur des marchĂ©s du travail, formels ou informels ? Quels ressorts peuvent favoriser l’acquisition d’une qualification reconnue qui permette Ă  des jeunes, sans ou avec trĂšs peu de bagage initial, d’amĂ©liorer leur employabilitĂ©, leur accĂšs et leur progression dans un emploi dĂ©cent ? Ces enjeux trouvent un Ă©cho dans l’Agenda 2030 des Nations Unies au travers de plusieurs Objectifs de DĂ©veloppement Durable (ODD), dont, par exemple, l’ODD 4.4 qui ambitionne « d’ici Ă  2030, d’augmenter considĂ©rablement le nombre de jeunes et d’adultes disposant des compĂ©tences, notamment techniques et professionnelles, nĂ©cessaires Ă  l’emploi, Ă  l’obtention d’un travail dĂ©cent et Ă  l’entrepreneuriat », ou encore l’ODD 8.5 qui vise « d’ici 2030, Ă  parvenir au plein emploi productif et Ă  garantir Ă  toutes les femmes et tous les hommes, y compris les jeunes et les personnes handicapĂ©es, un travail dĂ©cent et un salaire Ă©gal pour un travail de valeur Ă©gal »

Le projet d’étude faisant l’objet du prĂ©sent Rapport technique questionne la variĂ©tĂ©, et l’articulation possible, des modes d’acquisition et de validation de la qualification, entendue comme la somme des savoirs, savoir-faire, aptitudes et compĂ©tences d’un individu lui permettant d’exercer un emploi, et, davantage encore, d’évoluer vers, et dans, un emploi dĂ©cent. Il a Ă©tĂ© impulsĂ© Ă  partir d’une vision globale des systĂšmes de dĂ©veloppement et de reconnaissance de la qualification, qui puissent rassembler et imbriquer des voies formelles, non-formelles et informelles. Le projet d’étude s’intĂ©resse plus particuliĂšrement Ă  la contribution des « apprentissages (au sens de l’anglais learning) informels » (qui, au fil du cadrage de l’étude, sont devenus les « apprentissages dans le travail », voir 1.2) dans le milieu professionnel comme voie valorisante et valorisĂ©e de qualification, au sein de systĂšmes plus inclusifs, soutenables et en phase avec les dynamiques des Ă©conomies.

Le projet d’étude s’inscrit dans quatre contextes nationaux (Argentine, France, Maroc et SĂ©nĂ©gal) prĂ©sentant de fortes disparitĂ©s notamment en termes d’économies, de formations professionnelles et d’« informalitĂ©s ». En effet, selon les contextes, les « apprentissages informels » s’apprĂ©hendent aussi au prisme des enjeux du caractĂšre informel des environnements (Ă©conomie, entreprise, emploi
) dans lesquels ils s’inscrivent, et qui se manifestent dans des termes et des degrĂ©s diffĂ©rents entre, et dans, les quatre pays considĂ©rĂ©s. S’intĂ©resser aux « apprentissages informels » dans des environnements contrastĂ©s invite ainsi Ă  en interroger les dĂ©finitions, les formes et les positionnements, notamment par rapport aux modes institutionnalisĂ©s et traditionnels de dĂ©veloppement et de reconnaissance de la qualification, Ă  en proposer une acception large et partagĂ©e, hors cadres de dispositifs spĂ©cifiques (voir 1.2) afin de pouvoir en identifier les manifestations, les leviers et les obstacles, au regard des hypothĂšses de dĂ©part

InitiĂ© en dĂ©cembre 2020, le projet s’appuie sur un consortium de quatre partenaires : le CIS-CONICET (Centro de Investigaciones Sociales, (Consejo Nacional de Investigaciones CientĂ­ficas y TĂ©cnicasInstituto de Desarrollo EconĂłmico y Social)) en Argentine, le CĂ©req (Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications) en France, l’INE-CSEFRS (Instance Nationale d’Evaluation auprĂšs du Conseil SupĂ©rieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique) au Maroc et l’ONFP (Office National de la Formation Professionnelle) au SĂ©nĂ©gal. Sa mise en Ɠuvre a suivi plusieurs Ă©tapes,

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jalonnées de plusieurs temps de coordination en visioconférence (distance géographique et contexte pandémique Covid 19 obligent).

Un panorama non-exhaustif de l’économie, de l’emploi et de la formation professionnelle a d’abord Ă©tĂ© dressĂ© par chaque partenaire pour chacun des quatre pays en vue de 1/ disposer des toiles de fond nationales sur lesquelles se profile l’étude, 2/ mettre en exergue les enjeux et rĂ©formes en cours au regard desquels positionner l’objet de l’étude, 3/ dĂ©velopper des cadres de rĂ©fĂ©rence pour assurer une comprĂ©hension et une mise en perspective contextualisĂ©es de l’objet de l’étude, 4/ affiner les orientations de l’étude.

A la suite et sur la base de ces profils-pays, quatre enquĂȘtes exploratoires de terrain (une dans chaque pays considĂ©rĂ©) ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es. Elles se sont appuyĂ©es sur une dĂ©finition, par les quatre partenaires, des Ă©lĂ©ments de cadrage communs. D’une part, un accord sĂ©mantique autour de l’objet de l’étude a Ă©tĂ© recherchĂ© et s’est notamment traduit par un changement de terminologie : des « apprentissages informels » aux « apprentissages dans le travail » (voir 1.2). D’autre part, la question des « apprentissages dans le travail » a Ă©tĂ© orientĂ©e vers les publics de jeunes travailleurs (moins de 30 ans), sortis tĂŽt voire prĂ©cocement du systĂšme scolaire, peu qualifiĂ©s, pas ou peu diplĂŽmĂ©s (maximum premier niveau de diplĂŽme post-premier cycle du secondaire) avec une (petite) expĂ©rience professionnelle formelle et/ou informelle. Par ailleurs, les enquĂȘtes ont Ă©tĂ© circonscrites Ă  un mĂȘme secteur d’activitĂ© dans les quatre pays, en l’occurrence celui de la Construction (voir 1.4). Il constitue une source d’inspiration pour questionner le dĂ©veloppement de la qualification via les apprentissages dans le travail ainsi que les formes de reconnaissance (voir 1.3) des acquis de ces apprentissages. Enfin, le pĂ©rimĂštre des enquĂȘtes a Ă©tĂ© bornĂ© Ă  un bassin d’activité–emplois par pays, pertinent au regard du secteur de la Construction : rĂ©gion de Buenos Aires en Argentine, rĂ©gion Provence Alpes CĂŽte d’Azur en France, rĂ©gion de FĂšs au Maroc, rĂ©gion de Dakar au SĂ©nĂ©gal. Les quatre enquĂȘtes exploratoires 2 ont suivi une dĂ©marche qualitative par entretiens semi-directifs auprĂšs de trois grands types d’acteurs : des jeunes travailleurs correspondant aux publics cibles, des employeurs (ou leurs reprĂ©sentants) d’entreprises de Construction de tailles diverses, des acteurs institutionnels sectoriels et publics. Elles ont Ă©tĂ© conduites Ă  partir d’un canevas de questionnements commun, dĂ©clinĂ© et contextualisĂ© ensuite pour chacune d’elles. Elles se sont dĂ©roulĂ©es entre novembre 2021 et mai 2022. Au total, 96 jeunes travailleurs, des reprĂ©sentants ou employeurs de 18 entreprises et de 15 acteurs institutionnels ont participĂ© Ă  des entretiens individuels ou des focus groups (voir annexe 1) Chaque enquĂȘte exploratoire a Ă©tĂ© restituĂ©e dans un rapport suivant un mĂȘme canevas. Les enquĂȘtes exploratoires en Argentine et au SĂ©nĂ©gal ont, par ailleurs, fait l’objet d’ateliers de restitution, respectivement Ă  Buenos Aires et Ă  Dakar, au cours desquels des informations complĂ©mentaires ont pu ĂȘtre recueillies auprĂšs des parties prenantes publiques et sectorielles.

Le prĂ©sent Rapport technique se base sur ces rapports d’enquĂȘtes exploratoires, adossĂ©s aux profilspays antĂ©rieurs, pour dĂ©gager des invariants (qui, soit se retrouvent de façon similaire, soit sont dĂ©clinĂ©s selon les contextes nationaux) et des Ă©lĂ©ments de diffĂ©renciation propres Ă  chaque contexte. AprĂšs avoir prĂ©cisĂ© et remis l’objet de l’étude dans ces contextes nationaux et sectoriels (partie 1), le rapport met en exergue les ressorts sur lesquels s’appuient les « apprentissages dans le travail » et les

2 Les enquĂȘtes ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es, dans leur pays respectif, par les Ă©quipes-projet des quatre partenaires, qui ont Ă©galement bĂ©nĂ©ficiĂ© de la contribution, en Argentine, des membres de l’Instituto de Ciencias Sociales del Trabajo y Accion Sindical (ITRAS), et au Maroc, d’un consultant recrutĂ© Ă  cet effet (voir annexe 1)

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freins qu’ils rencontrent et qui viennent contrarier le dĂ©veloppement de la qualification (partie 2), puis, il s’intĂ©resse aux formes et aux conditions de reconnaissance des acquis de ces apprentissages, en particulier celles en lien avec les processus de certification professionnelle (partie 3), avant de proposer la formulation de prĂ©conisations, qui tendent Ă  s’émanciper du champ sectoriel retenu pour les enquĂȘtes exploratoires, pour encourager la contribution des apprentissages dans le travail dans l’acquisition d’une qualification reconnue (partie 4).

1. Un objet, quatre pays. Mise en contexte

Le chapitre de contextualisation n’a pas vocation Ă  prĂ©senter de maniĂšre exhaustive les systĂšmes et politiques (Ă©conomiques, de formation professionnelle
) de chaque pays ni Ă  fournir une liste dĂ©taillĂ©e de dĂ©finitions, mais Ă  donner quelques Ă©lĂ©ments qui favorisent la comprĂ©hension et la mise en perspective de l’objet de l’étude.

1.1 Les contextes nationaux et les formes d’apprentissages

L’étude s’inscrit dans quatre contextes disparates d’un pays d’AmĂ©rique du Sud, d’un pays d’Europe de l’Ouest, d’un pays d’Afrique du Nord et d’un pays d’Afrique de l’Ouest.

Tableau 1 : indicateurs démographiques et socio-économiques

1.1.1 Le contexte argentin

L’économie argentine, en grande partie basĂ©e sur l’agro-exportation, est l’une des plus importantes d’AmĂ©rique latine. Mais elle se caractĂ©rise par une forte instabilitĂ©. Les crises qui se succĂšdent depuis plusieurs dĂ©cennies ont conduit Ă  un accroissement des inĂ©galitĂ©s (liĂ©es au genre, au niveau de qualification, au milieu socio-Ă©conomique, au territoire
), Ă  une montĂ©e du chĂŽmage et Ă  une prĂ©carisation de l’emploi, en particulier chez les jeunes, ainsi qu’à une augmentation de la part des jeunes (environ un sur cinq) (Instituto Nacional de Estadistica y Censos (INDEC), 2018) ni scolarisĂ©s ni en

3 https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.PCAP.CD

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Argentine France Maroc Sénégal Population totale (habitants) 45 millions 67 millions 36 millions 16 millions Part des moins de 30 ans 49 % 35 % 52 % 70 % PIB/habitant (dollars courant) (Banque mondiale, 2021) 3 10 636 43 659 3 795 1 637 Indice Développement Humain (IDH) (PNUD, 2022) 0,842 0,903 0,683 0,511 Classement mondial IDH 47 28 123 170

activitĂ© professionnelle (formelle pourrait-on prĂ©ciser). Une forme d’économie dite « populaire » 4 de subsistance est apparue et si l’informalitĂ© concernait surtout les formes d’auto-emploi jusqu’aux annĂ©es 1990, elle s’est Ă©tendue aux formes salariĂ©es de l’emploi. L’emploi informel, prĂ©sent dans les activitĂ©s Ă©conomiques informelles et dans les activitĂ©s Ă©conomiques formelles, touche surtout les jeunes et les femmes, en particulier celles et ceux issus de mĂ©nages Ă  bas revenus et avec une moindre qualification (niveau secondaire non achevĂ©). Le dĂ©crochage scolaire au niveau secondaire apparaĂźt d’ailleurs comme une problĂ©matique majeure en Argentine puisque 40% des jeunes de 18-25 ans sont dans ce cas (Rivas, 2017) Les secteurs d’activitĂ© de primo-insertion des jeunes (commerce, hĂŽtellerie/restauration, Construction ou encore services domestiques), sont aussi les secteurs d’activitĂ© qui sont marquĂ©s par un haut niveau d’informalitĂ©. La pandĂ©mie Covid 19 et les confinements ont contribuĂ© Ă  une forte dĂ©tĂ©rioration de la situation socio-Ă©conomique Ă  la fois Ă  l’échelle macro et Ă  l’échelle micro et ont renforcĂ© ces problĂ©matiques

Au regard de ces difficultĂ©s, depuis les annĂ©es 1990, le Gouvernement argentin dĂ©ploie de nombreux programmes sociaux Ă  destination des jeunes les moins qualifiĂ©s, issus des foyers Ă  bas revenus. Ils visent, dans un premier temps, essentiellement Ă  accroĂźtre leur employabilitĂ© par un renforcement de leurs capacitĂ©s professionnelles, puis s’ouvrent, depuis les annĂ©es 2000, Ă  un accompagnement socio-professionnel articulĂ© Ă  des expĂ©riences en milieu professionnel en contrepartie d’aides financiĂšres. Ces programmes s’appuient sur un Ă©ventail d’acteurs dont les services municipaux de l’emploi, les organisations de la sociĂ©tĂ© civile et les centres de formation professionnelle. Ils renvoient Ă  un type de formation professionnelle dans le cadre de politiques actives de l’emploi, avec une logique sociale.

En Argentine, la formation professionnelle relĂšve de deux systĂšmes aux frontiĂšres peu poreuses, rattachĂ©s respectivement au ministĂšre du Travail et au ministĂšre de l’Education (au niveau fĂ©dĂ©ral et au niveau des 24 Provinces). Les syndicats des salariĂ©s jouent un rĂŽle important dans le champ de la formation professionnelle, en participant au dĂ©veloppement des politiques publiques, en dispensant des cursus au sein de leurs centres, soit pour le ministĂšre de l’Education soit pour le ministĂšre du Travail. Ils servent parfois aussi d’intermĂ©diaires entre les services municipaux de l’emploi et les entreprises.

L’organisation de la formation professionnelle du cĂŽtĂ© de l’Education dĂ©pend de la Loi Education Technique Professionnelle (ETP) promulguĂ©e en 2005 5. Elle Ă©tablit notamment un Catalogue national des titres et certifications et met en place un processus d’homologation des titres et certifications (pour la reconnaissance des diplĂŽmes d’une Province Ă  une autre, Ă  l’échelle nationale). Elle instaure Ă©galement un Registre fĂ©dĂ©ral des Ă©tablissements d’ETP et crĂ©e un Fonds national pour l’ETP (qui ne peut ĂȘtre infĂ©rieur Ă  0.2 % du PIB). La Loi distingue le secondaire technique (une des voies possibles de l’éducation obligatoire), le supĂ©rieur technique et la Formation Professionnelle, subdivisĂ©e en trois niveaux. Cette derniĂšre s’adresse Ă  des jeunes ou Ă  des adultes ayant ou non achevĂ© l’éducation obligatoire. Elle propose des cursus de quelques mois, soit dans le cadre de la formation continue, soit sous forme de blocs modulaires rattachĂ©s Ă  des parcours formalisĂ©s de formation et approuvĂ©s dans le rĂ©pertoire des certifications. Le secondaire technique (qui reprĂ©sente environ 18 % des effectifs du secondaire) (Ministerio de EducaciĂłn de la NaciĂłn, 2016) apparaĂźt aujourd’hui plutĂŽt l’apanage des

4 https://www.argentina.gob.ar/desarrollosocial/renatep

5 Ley de EducaciĂłn tĂ©cnico profesional NÂș 26.058, sancionada en 2005

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jeunes issus de familles de classes moyennes. Cette voie favorise davantage que le secondaire gĂ©nĂ©ral la poursuite d’études et l’obtention d’un emploi de qualitĂ©.

Du cĂŽtĂ© du ministĂšre du Travail, la formation professionnelle est intĂ©grĂ©e, depuis 2006, Ă  une Direction nationale de l’orientation et de la formation professionnelle. Les conseils sectoriels (qui rassemblent pour chaque secteur d’activitĂ© le syndicat des salariĂ©s et la chambre professionnelle) mais aussi les services municipaux de l’emploi jouent un rĂŽle important en la matiĂšre. Les formations professionnelles, souvent de courte durĂ©e, et les programmes de renforcement des capacitĂ©s s’adressent aux personnes salariĂ©es et aux personnes sans emploi, en particulier aux moins qualifiĂ©s. Les cursus sectoriels, qui reprĂ©sentent environ 41 % de la formation professionnelle continue, peuvent dĂ©boucher sur une certification professionnelle avalisĂ©e par le ministĂšre du Travail (Granovsky, Verchelli, 2021) Depuis 2006, Ă  la suite d’une phase expĂ©rimentale de deux ans, un dispositif national de certification des compĂ©tences professionnelles est reliĂ© au ministĂšre du Travail. La certification professionnelle est entendue comme la « reconnaissance publique, formelle et temporaire de la capacitĂ© professionnelle dĂ©montrĂ©e d’un travailleur, effectuĂ©e sur la base d’une Ă©valuation de ses compĂ©tences par rapport Ă  une norme, et sans forcĂ©ment faire suite Ă  un processus Ă©ducatif » 6 AprĂšs une phase d’encouragement, les dĂ©marches de certification professionnelle ont Ă©tĂ© freinĂ©es par une conjoncture politique moins favorable et le contexte pandĂ©mique Covid 19. Jusqu’en 2019, environ 220 000 certifications professionnelles ont Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©es.

Le concept d’ « apprentissages informels » n’est pas vraiment utilisĂ© en Argentine en dehors du champ acadĂ©mique et n’est pas intĂ©grĂ©, en tant que tel, aux politiques publiques. NĂ©anmoins, ce sur quoi s’accordent de plus en plus les pouvoirs publics, c’est l’idĂ©e d’une qualification qui s’acquiert par une nĂ©cessaire articulation d’enseignements gĂ©nĂ©raux et techniques et de formes d’apprentissage en situation de travail (ce qui renvoie gĂ©nĂ©ralement Ă  des formes de stage ou d’alternance). Cela est notamment perceptible dans l’évolution des offres de formation et des programmes d’employabilitĂ© des jeunes qui intĂšgrent progressivement des temps en situation de travail. Toutefois, les stages et formations en alternance sont encore peu dĂ©veloppĂ©s. Les contrats d’apprentissage (au sens d’apprenticeship) sont perçus plutĂŽt nĂ©gativement par les syndicats qui considĂšrent qu’ils s’apparentent surtout Ă  des modes de contractualisation d’une main d’Ɠuvre bon marchĂ© dans lesquels les aspects formatifs sont relĂ©guĂ©s au second rang.

1.1.2 Le contexte français

Le modĂšle Ă©conomique français s’appuie sur une combinaison des principes de l’économie de marchĂ© et de la protection sociale. La production et l’emploi sont fortement tertiarisĂ©s mĂȘme si environ 1/5 du PIB et des emplois (INSEE, 2019) 7 sont issus du secteur industriel. Ainsi, le commerce, les services aux entreprises, l’administration publique et l’industrie constituent les principaux viviers d’emplois. Contrairement aux autres pays impliquĂ©s dans l’étude, la France n’est que trĂšs peu concernĂ©e par l’enjeu de l’informalitĂ© de l’économie et de l’emploi. Dans le contexte français, il s’agit davantage de

6 « La certificaciĂłn de competencias laborales es definida como el reconocimiento pĂșblico, formal y temporal de la capacidad laboral demostrada por un trabajador/a efectuado con base a la evaluaciĂłn de sus competencias en relaciĂłn con una norma y sin estar necesariamente sujeto a la culminaciĂłn de un proceso educativo » (Ministerio de Trabajo, Empleo y Seguridad social).

NB : Si la norme par rapport à laquelle le travailleur a été évalué et a obtenu la certification est actualisée, alors le travailleur devra de nouveau passer une évaluation pour valider ses compétences par rapport à la norme modifiée.

7 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277765?sommaire=4318291

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formes de travail dissimulĂ© (Ă  l’Administration) qui procĂšdent soit de dissimulation d’activitĂ©s soit de dissimulation d’emplois salariĂ©s. TrĂšs minoritaires, elles se retrouvent dans quelques secteurs d’activitĂ© tels que la Construction, l’hĂŽtellerie-restauration ou encore le commerce de dĂ©tails. Les profils des individus les plus exposĂ©s au travail non-dĂ©clarĂ© sont plutĂŽt jeunes, masculins, tour Ă  tour chĂŽmeur, intĂ©rimaire, travailleur indĂ©pendant. Des zones grises de travail ou salariat plus ou moins dissimulĂ© sont observables et peuvent concourir au maintien de situations de prĂ©caritĂ©.

Plus que les formes dissimulĂ©es de travail ou de salariat, c’est le chĂŽmage qui constitue une problĂ©matique centrale des politiques publiques, et ce depuis les annĂ©es 1970, notamment en direction des seniors et des jeunes. Ces derniers se retrouvent, par ailleurs, pour une part significative d’entre eux (13% des 16-24 ans et 19% des 24-29 ans) (Francou, 2020), en situation de NEET (Neither in Employment, nor in Education and Training), c’est-Ă -dire qu’ils ne sont ni dans un cursus scolaire, ni en formation ni en activitĂ© professionnelle (formelle pourrait-on prĂ©ciser). Celle-ci peut parfois faire suite Ă  des sorties prĂ©coces du systĂšme scolaire (le taux avoisine les 9% et est plus Ă©levĂ© pour les garçons) (MinistĂšre Education Nationale Jeunesse Sport, MinistĂšre Enseignement SupĂ©rieur Recherche Innovation (MENJS/MESRI), 2019). Elle peut aussi parfois se cumuler avec une situation d’illettrisme (qui concerne environ 5% des jeunes de 18 Ă  25 ans en MĂ©tropole mais par exemple prĂšs de 15% des jeunes en Martinique ou 29% des jeunes en Guyane) (Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme (ANLCI), 2018) 8

Pour remĂ©dier Ă  ces problĂ©matiques, les mesures gouvernementales prises jusqu’à prĂ©sent se sont principalement orientĂ©es vers la rĂ©duction du coĂ»t du travail et la recherche d’une hausse de la qualification. En outre, l’économie française fait actuellement face Ă  des enjeux de compĂ©titivitĂ© et d’adaptation aux grandes mutations liĂ©es aux transitions Ă©cologique, numĂ©rique, dĂ©mographique
 auxquels le Gouvernement français entend rĂ©pondre notamment en bĂątissant une « sociĂ©tĂ© de la compĂ©tence ». C’est dans ce cadre-lĂ  que s’inscrivent les politiques publiques actuelles de formation professionnelle, trĂšs axĂ©es vers le marchĂ© du travail Quant au systĂšme français de formation professionnelle, il est marquĂ© par une forte distinction entre la formation professionnelle initiale et la formation professionnelle continue.

La formation professionnelle initiale, au niveau secondaire, est accessible aprĂšs le collĂšge (premier cycle du secondaire) avec ou sans l’obtention du diplĂŽme national du brevet. Elle peut ĂȘtre rĂ©alisĂ©e par voie scolaire ou en apprentissage (au sens d’apprenticeship) et conduire Ă  des diplĂŽmes de niveau EQF 3-4 (principalement Certificat d’Aptitude Professionnelle – CAP – et BaccalaurĂ©at professionnel – bac pro). Les demandes de crĂ©ation de spĂ©cialitĂ©s de diplĂŽmes et de titres professionnels viennent le plus souvent du monde professionnel et sont relayĂ©es au sein des Commissions professionnelles consultatives (CPC) par les reprĂ©sentants de branches. Les 11 CPC interministĂ©rielles regroupent des reprĂ©sentants des pouvoirs publics, des employeurs et des salariĂ©s et donnent des avis conformes sur la crĂ©ation, la rĂ©vision et la suppression des diplĂŽmes et titres professionnels. Elles jouent aussi un rĂŽle dans l’élaboration des rĂ©fĂ©rentiels d’activitĂ©s, de compĂ©tences et d’évaluation des diplĂŽmes et titres créés ou rĂ©novĂ©s. Elles ne sont pas impliquĂ©es dans leur diffusion et mise en Ɠuvre. La formation professionnelle initiale, qui souffre encore d’une mauvaise image (voie de relĂ©gation des Ă©lĂšves en difficultĂ©), concerne environ 28% des lycĂ©ens dont, en moyenne toutes filiĂšres confondues, une minoritĂ© en apprentissage. Il est Ă  noter que la rĂ©novation de l’apprentissage

8 http://www.anlci.gouv.fr/Illettrisme/Les-chiffres/Niveau-regional/Journees-Defense-Citoyennete-en-region

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a fait partie de la rĂ©forme de la formation professionnelle via la Loi du 5 septembre 2018 « LibertĂ© de choisir son avenir professionnel » et a conduit Ă  une hausse significative du nombre d’apprentis.

La formation professionnelle continue est quant Ă  elle au cƓur de la rĂ©forme initiĂ©e par la Loi du 5 septembre 2018. Elle s’est accompagnĂ©e d’un vaste Plan d’investissement dans les compĂ©tences (PIC) dont les publics prioritaires sont celles et ceux qui sont les moins qualifiĂ©s, en particulier les plus jeunes. Un accent a notamment Ă©tĂ© mis sur des parcours certifiants, se basant sur des Ă©valuations initiales des compĂ©tences, intĂ©grant des actions de formation individualisĂ©es avec des sĂ©quences en milieu professionnel. Outre la recherche d’une montĂ©e en compĂ©tences des individus, il s’agit de tenter d’apporter une rĂ©ponse aux besoins actuels et Ă  venir des entreprises. La rĂ©forme a Ă©galement introduit quelques rĂ©visions par rapport au dispositif de Validation des acquis de l’expĂ©rience (VAE), introduit dĂšs 2002 en France, en vue d’en encourager le dĂ©veloppement qui apparaĂźt bien en-deçà des attentes initiales (de l’ordre de 60 000 certifications par an). En 2020, 18 000 certifications complĂštes et 8 100 parties de certification ont Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©es (Annexe au projet de loi de finances pour 2022 – Formation professionnelle, 2022) 9 par les principaux ministĂšres certificateurs. La rĂ©forme a aussi modifiĂ© et Ă©largi la dĂ©finition de l’action de formation qui correspond dorĂ©navant Ă  « un parcours pĂ©dagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel ». Elle inclut, par exemple, les Actions de formation en situation de travail (AFEST) dont les modalitĂ©s et composantes sont dĂ©finies dans un dĂ©cret d’application. L’AFEST peut permettre « d’intĂ©grer des apprentissages qui se rĂ©alisaient de maniĂšre informelle, « sur le tas » , dans le cadre de la formation professionnelle continue, intentionnelle, planifiĂ©e et organisĂ©e » (RĂ©seau ANACT-ARACT, 2019) Il est Ă  noter ici que la nĂ©cessitĂ© de construire des catĂ©gories Ă  des fins statistiques au niveau europĂ©en a conduit Ă  la dĂ©finition de trois types de formation (formelle, non-formelle et informelle), reprise dans le contexte national français. La formation informelle renvoie alors aux situations dans lesquelles la personne a l’intention de se former sans qu’il y ait de formateur, professeur ou moniteur. La personne apprend par elle-mĂȘme ou Ă  l’aide de personnes proches, dans un cadre informel.

1.1.3 Le contexte marocain

Le Maroc a connu une tertiarisation progressive de son Ă©conomie ; le secteur tertiaire devance ainsi le secteur primaire qui fut pendant longtemps le premier pourvoyeur d’emplois. Dans les annĂ©es 20102020, de grandes stratĂ©gies sectorielles ont Ă©tĂ© lancĂ©es pour dynamiser l’économie marocaine, qui compte beaucoup sur les exportations (dans le secteur automobile par exemple) ou encore sur le tourisme. La conjugaison de la pandĂ©mie de Covid 19 et d’une sĂ©cheresse sĂ©vĂšre a rĂ©cemment entraĂźnĂ© une forte rĂ©cession.

Une StratĂ©gie nationale pour l’emploi (2015-2025) a Ă©galement Ă©tĂ© initiĂ©e, ambitionnant une hausse de la crĂ©ation d’emplois, de qualitĂ©, pour rĂ©pondre aux attentes des jeunes, rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s et les disparitĂ©s territoriales. Les jeunes, dont 28.5 % (Observatoire National du DĂ©veloppement Humain (ONDH), 2021) sont considĂ©rĂ©s en situation de NEET, reprĂ©sentent d’ailleurs une prioritĂ© des politiques publiques marocaines qui se manifeste au travers de la StratĂ©gie nationale intĂ©grĂ©e de la jeunesse 2015-2030, mais aussi au travers de la Vision stratĂ©gique 2015-2030 du systĂšme Ă©ducatif ou encore de la StratĂ©gie nationale de la formation professionnelle 2021, initiĂ©e en 2016. Cette derniĂšre vise

9 https://www.budget.gouv.fr/documentation/file-download/14446

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notamment Ă  ĂȘtre plus inclusive, Ă  toucher davantage les populations rurales ou de certains quartiers urbains, Ă  bas revenus, Ă  impliquer davantage les acteurs socio-Ă©conomiques, en particulier les entreprises. Elle ambitionne aussi l’accroissement de l’employabilitĂ© des jeunes Ă©voluant dans l’informel via des programmes de formation et de requalification de courte durĂ©e. Un tiers des travailleurs informels ont, en effet, moins de 35 ans. La contribution du secteur informel non-agricole (les donnĂ©es intĂ©grant le secteur agricole n’étant pas disponibles) au PIB est estimĂ©e aux alentours de 11.5 % et l’emploi informel hors secteur agricole concernerait plus de 2.3 millions de postes (HautCommissariat au Plan, 2014) Il apparaĂźt plutĂŽt urbain, masculin, de moindre qualification.

Outre l’éducation nationale, la formation professionnelle et l’enseignement supĂ©rieur, le systĂšme marocain englobe des dispositifs de lutte contre l’analphabĂ©tisme et d’enseignement non-formel (type Ă©cole de la deuxiĂšme chance). Des progrĂšs notables sont Ă  souligner en matiĂšre de scolarisation et achĂšvement du primaire mais aussi de lutte contre l’analphabĂ©tisme mĂȘme si les taux restent encore Ă©levĂ©s dans les zones rurales et parmi la population fĂ©minine.

Au niveau secondaire, la voie gĂ©nĂ©rale concentre la majeure partie des effectifs (environ 991 000 Ă©lĂšves) (MinistĂšre de l’Education Nationale, de la Formation Professionnelle, de l’Enseignement SupĂ©rieur et de la Recherche Scientifique (MENFPESRS), 2018/19) 10 La voie professionnelle, comme dans les trois autres pays de l’étude, pĂątit d’une image nĂ©gative, considĂ©rĂ©e pendant longtemps comme une voie au rabais pour des jeunes en Ă©chec scolaire. La formation professionnelle se structure autour de 340 filiĂšres et de 6 niveaux, de la spĂ©cialisation (accessible Ă  partir de la 6e annĂ©e du primaire) au technicien supĂ©rieur. Les effectifs de la formation professionnelle initiale rassemblent environ 426 000 stagiaires (Direction de la Formation Professionnelle (DFP), 2019) 11 . Elle s’appuie principalement sur un opĂ©rateur public, l’Office de formation professionnelle et de promotion du travail (OFPPT).

Les rĂ©formes entreprises visent Ă  revaloriser la formation professionnelle et en faire un levier de qualification des ressources humaines. Elles cherchent Ă  dĂ©concentrer l’offre de formation (essentiellement urbaine), mais aussi Ă  dĂ©velopper davantage les modes de formation en alternance, jusqu’ici peu usitĂ©s. Ceux-ci peuvent prendre trois formes : les stages pour les formations rĂ©sidentielles, la formation alternĂ©e depuis 1996 (au moins 50 % du cursus en entreprise) et la formation en apprentissage depuis 2000 (au moins 80 % du cursus en entreprise) qui s’adresse plutĂŽt aux jeunes ne rĂ©unissant pas les conditions d’ñge et de niveau scolaire pour les autres voies.

Outre la formation professionnelle formelle, existent aussi la formation non-formelle organisĂ©e par des Ă©tablissements publics Ă  caractĂšre social, des organisations non-gouvernementales ou des organisations de la sociĂ©tĂ© civile, mais aussi l’apprentissage traditionnel (au sens de l’anglais traditional apprenticeship) et l’apprentissage sur le tas (au sens de l’anglais on-the-job learning process) ; ces deux modalitĂ©s renvoyant aux apprentissages informels dans le contexte marocain. L’apprentissage traditionnel concerne surtout des jeunes, souvent dĂ©crocheurs, issus de familles dĂ©favorisĂ©es. Il dĂ©bouche souvent sur une activitĂ© Ă©conomique autonome dans le secteur informel. Il est basĂ© sur une entente entre un jeune (et sa famille) et un tuteur/maĂźtre d’apprentissage. Il a pour but de prĂ©parer Ă  l’exercice d’un mĂ©tier et de parfaire l’éducation (sociale, culturelle
) de l’apprenti.

10 https://www.men.gov.ma/Fr/Pages/Indices-sysp%C3%A9dag.aspx

11 https://dfp.gov.ma/publications/330-la-formation-professionnelle-en-chiffres.html

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L’apprentissage traditionnel est un moyen important, bien qu’un peu moins rĂ©pandu aujourd’hui, de transfert des habiletĂ©s professionnelles. Il s’est historiquement organisĂ© dans le cadre des corporations professionnelles dont le chef (amin) dĂ©signait les maĂąlems (ouvriers ou artisans qualifiĂ©s) pour former des jeunes en apprentissage.

Quant Ă  la formation continue, reconnue depuis 1970, elle a Ă©tĂ© profondĂ©ment rĂ©formĂ©e avec la loi n°60-17 du 5 octobre 2018. La formation continue est financĂ©e par une Taxe de formation professionnelle, en place depuis 1974, dont s’acquittent les entreprises, Ă  hauteur de 1.6 % de la masse salariale. PrĂšs d’un tiers de ces fonds sont dĂ©diĂ©s Ă  la Formation en cours d’emploi (FCE) qui comprend notamment les actions de formation pour les salariĂ©s. Des barriĂšres administratives restreignent le recours Ă  ces soutiens financiers, en particulier de la part des petites entreprises. La rĂ©forme de 2018 qui rĂ©organise la formation continue comprend aussi le processus de validation des acquis de l’expĂ©rience dont la dĂ©finition des contours a notamment intĂ©grĂ© des Ă©lĂ©ments de capitalisation d’expĂ©rimentations sectorielles. Les dĂ©crets d’application relatifs au processus de VAE sont encore en cours d’élaboration.

1.1.4 Le contexte sénégalais

Les politiques Ă©conomiques sĂ©nĂ©galaises, souvent influencĂ©es par des institutions (financiĂšres) internationales, se traduisent en une succession de Plans et StratĂ©gies visant la croissance et le dĂ©veloppement. Depuis 2014, le Plan SĂ©nĂ©gal Ă©mergent (PSE) se dĂ©cline autour de trois ambitions principales : la croissance inclusive, le dĂ©veloppement du capital humain et la bonne gouvernance. Jusqu’à la crise sanitaire Covid 19, la croissance Ă©conomique du SĂ©nĂ©gal figurait parmi les plus fortes du continent africain (aux alentours de 6 % par an) 12 .

L’économie sĂ©nĂ©galaise se tertiarise de plus en plus, mĂȘme si le secteur primaire demeure important en termes d’occupation de la population active. L’informel apparaĂźt singuliĂšrement marquĂ© dans la mesure oĂč il reprĂ©senterait prĂšs de 85 % de l’économie et concernerait prĂšs de 90 % des travailleurs (Bureau International du Travail, 2020) S’il s’inscrit dans tous les secteurs d’activitĂ© (bien que certains comme l’agriculture, le textile ou encore le commerce soient prĂ©pondĂ©rants), selon le Bureau international du travail (BIT), des distinctions sont Ă  opĂ©rer entre un « gros informel ou semi-formel » et un « informel de subsistance » 13. Hors secteurs agricole et domestique (pour lesquels les statistiques manquent), l’informel regroupe en trĂšs grande partie des hommes, Ă  leur compte, avec au maximum un niveau scolaire primaire. Quarante pourcent des travailleurs informels ont entre 15 et 35 ans. L’inscription dans l’informalitĂ© n’est pas sans lien avec l’analphabĂ©tisme ou l’illettrisme mais aussi les sorties prĂ©coces du systĂšme scolaire qui demeurent des problĂ©matiques majeures. Si le taux d’achĂšvement du primaire atteint 69 % pour les filles 14 et 56 % pour les garçons 15, le taux d’achĂšvement du moyen gĂ©nĂ©ral ne dĂ©passe pas 40 % pour les filles et 33 % pour les garçons (MinistĂšre Education Nationale SĂ©nĂ©gal, 2018)

12 https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?end=2019&locations=SN&start=2000

13 Sont ainsi distinguĂ©s « d’une part, un gros informel ou semi ‐formel qui rassemble des entreprises qui se comportent de façon informelle tout en Ă©tant comparables aux entreprises formelles, et d’autre part, un informel de subsistance qui regroupe des entreprises de petite taille et des entrepreneurs de nĂ©cessitĂ© qui sont vulnĂ©rables et exposĂ©s Ă  la prĂ©caritĂ©, et ne sont pas Ă  mĂȘme de faire croĂźtre leur activitĂ© » (Ibid.)

14 https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SE.PRM.CMPT.FE.ZS?locations=SN

15 https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SE.PRM.CMPT.MA.ZS?locations=SN

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Beaucoup de jeunes dĂ©scolarisĂ©s ou n’ayant pas frĂ©quentĂ© les bancs de l’école se tournent vers des formes d’apprentissage traditionnel ou informel (au sens de l’anglais traditional or informal apprenticeship). L’« apprentissage traditionnel » peut ĂȘtre dĂ©fini comme un mode d’acquisition de savoirs et savoir-faire professionnels, basĂ©s sur des liens affectifs et/ou parentaux entre le maĂźtre d’apprentissage et l’apprenti. Il vise la rĂ©plication voire la perpĂ©tuation du mĂ©tier auquel s’identifie la famille au sein de la sociĂ©tĂ©. Il existe dans tous les secteurs d’activitĂ©, et surtout dans l’artisanat, la mĂ©canique automobile, la Construction. L’« apprentissage informel » correspond ici Ă  l’apprentissage traditionnel qui n’est plus basĂ© sur des liens affectifs et parentaux mais sur la nĂ©cessitĂ© d’acquĂ©rir des compĂ©tences professionnelles pour exercer un mĂ©tier Ă  la fois comme activitĂ© rĂ©munĂ©ratrice et comme activitĂ© ouvrant Ă  un statut, une place dans la sociĂ©tĂ©. L’« apprentissage traditionnel » et l’« apprentissage informel » contribuent Ă  la fois Ă  la poursuite de l’éducation des jeunes et Ă  l’acquisition des rudiments des savoirs de base nĂ©cessaires Ă  l’exercice d’un mĂ©tier. Ils s’exercent principalement dans le secteur informel et, jusqu’à rĂ©cemment, apparaissaient hors champ du systĂšme institutionnalisĂ© de formation professionnelle alors mĂȘme qu’ils concernent environ 400 000 jeunes chaque annĂ©e, soit presque 5 fois plus que les effectifs des centres de formation professionnelle, selon le Directeur de l’apprentissage du ministĂšre de la Formation Professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Insertion (en 2022)

La Loi n°2015-01 portant loi d’orientation de la Formation professionnelle et technique (FPT) introduit une dĂ©marche de reconnaissance de ces formes d’apprentissage notamment via l’ « apprentissage rĂ©novĂ© » qui est dĂ©fini comme « un processus de FPT qui vise l’acquisition d’une qualification professionnelle essentiellement Ă  travers une formation pratique dans une unitĂ© de production. L’apprentissage est une voie permettant aux apprenants d’accĂ©der aux titres, certificats et diplĂŽmes dĂ©livrĂ©s dans le systĂšme de FPT ». L’apprentissage rĂ©novĂ© peut ainsi aboutir Ă  l’obtention d’un Certificat professionnel de spĂ©cialisation (CPS), introduit par le dĂ©cret 2019-644 du 28 mars 2019 et qui entre dans la nomenclature des diplĂŽmes officiels de la formation professionnelle.

La loi d’orientation de la FPT introduit Ă©galement le principe de validation des acquis de l’expĂ©rience qui « donne la possibilitĂ© Ă  toute personne, quels que soient son Ăąge, son niveau d’étude ou son statut, d’obtenir un diplĂŽme, un titre ou un certificat de qualification professionnelle » ; dĂ©marche qui avait fait l’objet d’expĂ©rimentations Ă  partir de la fin des annĂ©es 2000, dans le cadre de programmes soutenus par des partenaires techniques et financiers Le travail du ComitĂ© technique VAE au niveau ministĂ©riel est toujours en cours.

La Loi d’orientation de la FPT dĂ©tache la Formation Professionnelle de l’Education Nationale pour faire de celle-ci un levier de compĂ©tences et de performance de l’économie via la qualification des ressources humaines. Elle dĂ©pend aujourd’hui du ministĂšre de la Formation Professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Insertion et mobilise un Ă©ventail large d’acteurs au-delĂ  des ministĂšres et organismes nationaux sous tutelle (dont l’ONFP), qu’il s’agisse des collectivitĂ©s locales, des Ă©tablissements publics et privĂ©s de formation professionnelle, des organisations de la sociĂ©tĂ© civile et des organisations non gouvernementales, des partenaires sociaux, ou encore des Partenaires techniques et financiers (PTF) (dont PTF internationaux).

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1.2 Des « apprentissages informels » aux « apprentissages dans le travail »

Les esquisses des toiles de fond nationales prĂ©cĂ©demment exposĂ©es mettent en Ă©vidence la diversitĂ© des contextes dans lesquels s’inscrit l’objet de l’étude mais aussi la diversitĂ© des conceptions de la notion mĂȘme d’ « apprentissages informels ».

Ainsi, en Argentine, la notion est peu usitĂ©e hormis dans le champ de la recherche acadĂ©mique et les rĂ©flexions des politiques publiques portent plutĂŽt sur le renforcement des apprentissages en situation de travail dans le cadre de programmes Ă  visĂ©e formative. En France, la notion est liĂ©e Ă  celle de formation informelle qui renvoie aux situations oĂč la personne apprend (avec cette intention) dans un cadre informel, sans l’appui d’une figure formatrice. Au Maroc, la notion est largement connectĂ©e Ă  l’apprentissage traditionnel (au sens de l’anglais traditional apprenticeship) et dans une moindre mesure au processus d’apprentissage sur le tas. Au SĂ©nĂ©gal, la notion est aussi largement rattachĂ©e Ă  l’apprentissage traditionnel ou informel (au sens de l’anglais traditional or informal apprenticeship). Ces diversitĂ©s semblent, a priori, rendre complexes l’apprĂ©hension partagĂ©e de l’objet de l’étude ; complexitĂ© renforcĂ©e, d’une part, par le flou linguistique entourant l’usage du terme « apprentissage » en Français (quand l’Anglais permet de distinguer learning et apprenticeship), d’autre part, par la superposition des notions renvoyant Ă  l’« informel » (apprentissages informels, emploi informel, secteur informel
).

Un accord sĂ©mantique a donc Ă©tĂ© recherchĂ© par les quatre partenaires du projet d’étude pour proposer un concept qui puisse faire sens dans les quatre contextes considĂ©rĂ©s, qui puisse ĂȘtre saisi dans un Ă©ventail large d’environnements (diffĂ©renciĂ©s entre les pays ou au sein mĂȘme d’un pays), qui puisse attĂ©nuer le flou au croisement des informels et les connotations parfois nĂ©gatives entourant le qualificatif « informel », qui puisse s’apprĂ©hender distinctement et indĂ©pendamment d’autres concepts tels que :

- l’apprentissage (au sens de l’anglais apprenticeship) : formation professionnelle en alternance entre centre de formation et lieu de travail, encadrĂ©e juridiquement, basĂ©e sur des relations contractuelles entre les parties (apprenti, employeur, centre de formation), suivant un programme d’enseignement formel dont la durĂ©e est prĂ©dĂ©terminĂ©e et visant l’obtention d’une certification reconnue. L’apprenti se forme Ă  l’exercice d’un mĂ©tier et perçoit une rĂ©munĂ©ration en contrepartie de sa participation Ă  l’activitĂ© de production.

- l’apprentissage traditionnel ou informel (au sens de l’anglais traditional or informal apprenticeship) : selon l’Organisation Internationale du Travail, apprentissage relevant de l’économie informelle, permettant Ă  des artisans ou ouvriers expĂ©rimentĂ©s de transmettre des compĂ©tences Ă  des jeunes, nĂ©cessaires Ă  l’exercice d’un mĂ©tier. RĂ©gis par des normes sociales et des traditions plus que par des lois et rĂ©glementations, ils ne suivent pas de programmes d’enseignement formels et ne donnent pas lieu Ă  des certifications reconnues 16. Ces formes d’apprentissage Ă  gĂ©omĂ©trie variable selon les contextes, parfois rattachĂ©es Ă  des liens familiaux et dotĂ©es d’une fonction Ă©ducative, peuvent faire systĂšme bien qu’elles ne soient pas (bien, encore) intĂ©grĂ©es dans la formation professionnelle institutionnelle.

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16 Note d’orientation sur l’apprentissage professionnel informel, 2021, Patrick Werquin (Projet EUR/801 financĂ© sur fonds de la Commission europĂ©enne pour le compte de LuxDev)

- le concept englobant de work-based learning (WBL) : il intĂšgre gĂ©nĂ©ralement, parmi d’autres formes d’apprentissage, les deux concepts prĂ©cĂ©dents, mais il ne bĂ©nĂ©ficie pas d’une dĂ©finition univoque. La littĂ©rature relative au WBL le dĂ©crit comme un ensemble de pratiques qui se distinguent de l’apprentissage purement scolaire. Cette description conduit Ă  des dĂ©finitions du WBL qui incluent des formes de formation professionnelle pratiques en contexte scolaire (basĂ©es sur la reconstitution de contextes de travail, par exemple, via des ateliers pratiques, des simulations d’entreprises
). Les dĂ©finitions du WBL varient d’une approche stricte qui le distingue de l’apprentissage en classe et n’englobe pas ce dernier, Ă  une approche large qui fait du WBL une composante d’un programme d’apprentissage qui combine apprentissage en classe et apprentissage sur le lieu de travail. A titre d’exemple, selon une dĂ©finition donnĂ©e par l’Organisation Internationale du Travail 17, le WBL « renvoie Ă  toutes les formes d’apprentissage dans un environnement de travail rĂ©el. Les apprentissages (au sens anglais de apprenticeship), formel et informel, les stages, les formations sur le tas sont les formes les plus courantes de WBL. Elles combinent gĂ©nĂ©ralement, mais pas toujours, des Ă©lĂ©ments d’apprentissage sur le lieu de travail avec un apprentissage en classe ».

La clarification conceptuelle s’est d’abord traduite par un glissement terminologique des « apprentissages informels » vers les « apprentissages dans le travail » et s’est grandement inspirĂ©e de travaux prĂ©cĂ©demment menĂ©s par le CĂ©req sur le sujet (Fournier, Lambert, Marion-Vernoux, 2017) Elle a abouti Ă  une acception Ă  la fois large (car valable dans des environnements trĂšs contrastĂ©s) et plus resserrĂ©e que le concept de WBL des « apprentissages dans le travail » Intervenant ou non dans le cadre de formes plus ou moins structurĂ©es de dĂ©veloppement des compĂ©tences, ils renvoient Ă  des apprentissages (au sens de l’anglais learning) expĂ©rientiels via le travail, engendrĂ©s par l’exercicemĂȘme du mĂ©tier ou par des organisations spĂ©cifiques de travail. Ils ne sont pas nĂ©cessairement organisĂ©s selon des objectifs prĂ©alablement dĂ©finis, ne sont pas nĂ©cessairement structurĂ©s avec des ressources et moyens dĂ©diĂ©s, et prĂ©sentent parfois un caractĂšre non-intentionnel voire non-conscient de prime abord pour l’apprenant. Bien que les frontiĂšres soient poreuses, ils se distinguent ainsi des formes d’apprentissage chapeautĂ©s par le concept englobant de WBL, souvent associĂ©es Ă  une programmation et des objectifs de formation professionnelle, et pouvant parfois avoir lieu en milieu professionnel sans contribution au travail productif

1.3 Une appréhension multi-dimensionnelle de la reconnaissance des apprentissages dans le travail et de leurs acquis

S’il est proposĂ© une acception large des apprentissages dans le travail, il en est de mĂȘme pour leur reconnaissance. Cette derniĂšre est, en effet, ouverte Ă  plusieurs dimensions ; qu’il s’agisse de la reconnaissance des apprentissages dans le travail (c’est-Ă -dire de l’admission de leur existence, de l’identification de leurs formes de manifestation, de leurs dĂ©terminants, de leurs apports
) ou qu’il s’agisse de la reconnaissance des acquis de ces apprentissages, liĂ©e ou indĂ©pendante de leur validation. Elle peut alors ĂȘtre perçue, Ă©ventuellement de façon cumulative, au travers de la reconnaissance dans le regard des autres (reconnaissance par ses pairs, reconnaissance par ses supĂ©rieurs, reconnaissance sociale ou familiale) ; la reconnaissance dans le travail (Ă©volution des missions, des responsabilitĂ©s, de l’autonomie, de la place dans l’équipe) ; la reconnaissance dans la rĂ©munĂ©ration ; la reconnaissance dans le passage de l’informel au formel (de l’emploi) ; la

17 https://www.ilo.org/skills/areas/work-based-learning/lang en/index.htm

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reconnaissance via la certification (ouvrant Ă  une possible transfĂ©rabilitĂ© dans d’autres contextes professionnels).

L’étude met nĂ©anmoins un accent particulier sur la reconnaissance via la certification entendue comme la validation des acquis d’apprentissage (savoirs, savoir-faire, aptitudes, compĂ©tences) d’un individu Ă  l’issue d’un processus d’évaluation basĂ© sur un rĂ©fĂ©rentiel, qui se traduit par la dĂ©livrance d’un document officiel (diplĂŽme, titre, certificat
) attestant de cette validation. De plus, compte-tenu de la thĂ©matique des apprentissages dans le travail, un focus est mis sur la validation des acquis de l’expĂ©rience comme processus de certification professionnelle, hors voie scolaire, permettant de valider, par rapport Ă  une norme, les acquis d’apprentissage obtenus via des expĂ©riences professionnelles.

1.4 Le secteur de la Construction, terrain commun d’exploration du dĂ©veloppement et de la reconnaissance des apprentissages dans le travail

Comme Ă©voquĂ© prĂ©cĂ©demment (voir Introduction), l’étude, au travers de ses enquĂȘtes exploratoires en Argentine, en France, au Maroc et au SĂ©nĂ©gal, s’appuie sur un terrain sectoriel commun Si le choix d’un mĂȘme secteur d’activitĂ© dans les quatre pays relĂšve d’un intĂ©rĂȘt comparatif, le choix de la Construction relĂšve d’autres considĂ©rations. Si les secteurs de la Construction des quatre pays ne sont Ă©videmment pas superposables, ils prĂ©sentent tout de mĂȘme quelques traits communs. Dans les quatre contextes, il s’agit de secteurs dynamiques dont le poids est significatif tant en termes de PIB que d’emplois. Ils apparaissent plutĂŽt segmentĂ©s avec quelques grandes entreprises qui concentrent les chantiers d’envergure et rassemblent la plus grande partie des chiffres d’affaires, et une kyrielle de (trĂšs) petites entreprises, particuliĂšrement concernĂ©es par des formes, plus ou moins prononcĂ©es, d’informalitĂ© de l’activitĂ© et de l’emploi. Ils reprĂ©sentent des portes d’entrĂ©e importantes du marchĂ© du travail pour les jeunes, et en particulier pour des jeunes peu voire pas qualifiĂ©s. Ils constituent Ă©galement des terrains de rĂ©alisation de processus (plus ou moins nombreux) de validation des acquis de l’expĂ©rience, qu’ils soient expĂ©rimentaux ou non.

1.4.1 Le secteur argentin de la Construction

En Argentine, la Construction reprĂ©sente environ 4,5 % du PIB et compte environ 1,6 millions de travailleurs, soit plus de 8 % des actifs occupĂ©s. Ces travailleurs (dont prĂšs d’un tiers ont moins de 30 ans) Ă©voluent principalement (71 %) dans des entreprises de moins de 5 personnes et occupent surtout (85 %) des postes aux deux niveaux de qualification les plus bas. Pour prĂšs des trois quarts d’entre eux, il s’agit d’un emploi informel. Une grande partie des travailleurs du secteur (62 %) ont un niveau scolaire infĂ©rieur au secondaire (INDEC, 2021). La Construction en Argentine est marquĂ©e par un recours Ă©levĂ© Ă  la sous-traitance et par une grande hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des entreprises entre les trĂšs grandes, souvent Ă  la pointe de la technologie, en charge des grands chantiers, et les trĂšs petites, plutĂŽt orientĂ©es vers la rĂ©novation des maisons privĂ©es et/ou la construction de petites maisons La convention collective prĂ©voit surtout des contrats de travail temporaire et un fonds sectoriel pour le chĂŽmage a Ă©tĂ© introduit afin d'indemniser les travailleurs (formels) entre deux chantiers. La Construction constitue le secteur le plus prolifique en matiĂšre de processus de certification des compĂ©tences professionnelles depuis sa mise en place, avec prĂšs de 138 000 certifications professionnelles dĂ©livrĂ©es, soit environ la moitiĂ© d’entre elles ; 44 % ont concernĂ© des jeunes de moins de 30 ans (Granovsky y Verchelli, Ibid.).

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1.4.2 Le secteur français de la Construction

Le secteur de la Construction occupe une place importante dans l’économie française, reprĂ©sentant environ 5% de la valeur ajoutĂ©e créée et 5% des emplois salariĂ©s. Il compte quelques grands groupes, de dimension internationale, et une multitude d’entreprises artisanales. Il rassemble environ 694 100 entreprises, principalement dans le BĂątiment et essentiellement de petite taille (moins de 10 salariĂ©s). Il compte environ 1.34 millions de salariĂ©s ; les 2/3 dans une fonction de production et plus d’Œ ĂągĂ©s de 25 Ă  34 ans. En 2020, le secteur a recrutĂ© 320 000 entrants, dont 71 % qui n’avaient jamais travaillĂ© dans la Construction et 21 % Ă©tant ĂągĂ©s de moins de 25 ans (Observatoire des mĂ©tiers du BTP, 2020) 18. Les mĂ©tiers de la Construction font partie des mĂ©tiers dits « porteurs » dans les toutes les rĂ©gions mĂ©tropolitaines et de l’outre-mer. Concernant la VAE, le constat a Ă©tĂ© fait de son faible recours dans le secteur de la Construction qui, en 2017, ne comptait pas plus de 700 personnes certifiĂ©es par cette voie (BeaupĂšre, Kogut-Kubiak et al., 2020)

1.4.3 Le secteur marocain de la Construction

Au Maroc, la Construction contribue Ă  hauteur de 6 % du PIB et compte plus de 1.2 millions de travailleurs, ce qui le positionne comme le deuxiĂšme secteur employeur du pays (Haut-Commissariat au Plan (Maroc), 2021). Il constitue un levier stratĂ©gique de mise en Ɠuvre des Plans de dĂ©veloppement sectoriels dont s’est dotĂ© le Maroc et apparaĂźt plutĂŽt dynamique (71 000 crĂ©ations de postes entre 2020 et 2021). Le secteur compte environ 38 000 entreprises formelles et est marquĂ© par une certaine concentration, 22 % des entreprises rĂ©alisant 80 % du chiffre d’affaires (FNBTP (Maroc), 2017). Mais, prĂšs des 2/3 des entreprises du secteur sont de petite taille et ne sont pas dĂ©clarĂ©es Ă  la Caisse nationale de sĂ©curitĂ© sociale (CNSS). L’informel domine dans le rĂ©sidentiel et l’auto-construction. Beaucoup de jeunes, y compris entre 15 et 18 ans, Ă©voluent dans l’informel. La Construction est le deuxiĂšme secteur dans lequel des expĂ©rimentations de dĂ©marches VAE ont Ă©tĂ© menĂ©es, entre 2008 et 2010. Elles ont concernĂ© 13 mĂ©tiers qui se situent parmi les trois niveaux de qualification les plus Ă©levĂ©s (Qualification, Technicien et Technicien SupĂ©rieur) 19

1.4.4 Le secteur sénégalais de la Construction

Au SĂ©nĂ©gal, le secteur de la Construction est en pleine croissance, portĂ© par des chantiers de grande envergure, lancĂ©s par l’Etat, notamment dans le cadre du Plan SĂ©nĂ©gal Emergent (2014-2023). Ces chantiers (ex : aĂ©roport international Blaise Diagne, autoroutes, logements
) bĂ©nĂ©ficient d’investissements publics et de partenaires au dĂ©veloppement. L’enjeu de l’habitat, associĂ© Ă  celui du logement social et de la maĂźtrise de l’urbanisation, est central. La rĂ©gion de Dakar concentre la majeure partie de l’activitĂ© de Construction du pays. On y retrouve plus de 70 % des entreprises du secteur. Ces derniĂšres se rĂ©partissent principalement (Ă  plus de 80 %) entre des « petites entreprises », des « trĂšs petites entreprises » et des « entreprenants » (ministĂšre de l’Economie, des Finances et du Plan du SĂ©nĂ©gal, 2017) Le milieu de la Construction apparaĂźt relativement organisĂ© et structurĂ© (par rapport Ă  d’autres secteurs d’activitĂ©), et est rĂ©gi par une convention collective datant de 1956, Ă  laquelle ont Ă©tĂ© ajoutĂ©es des annexes en 1996 portant sur le barĂšme des salaires et la rĂ©partition des salariĂ©s par

18 https://dataviz.metiers-btp.fr/

19 https://dfp.gov.ma/vaep.html

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catĂ©gories. Mais c’est un secteur qui emploie beaucoup de jeunes issus de l’informel. Des expĂ©rimentations de dĂ©marches de VAE en 2008-2009 ont concernĂ© des mĂ©tiers du second Ɠuvre de la Construction

2. Pour développer ses compétences dans le travail

Le dĂ©veloppement des compĂ©tences des jeunes se rĂ©alise par le biais d’apprentissages qui peuvent prendre place dans le cadre de formations formalisĂ©es ou dans l’exercice du travail. L’acquisition des compĂ©tences s’opĂšre par la combinaison des deux types d’apprentissages, dans des proportions variables selon les parcours (Fournier et al, 2018). C’est la seconde modalitĂ© qui nous intĂ©resse : les apprentissages dans le travail (voir 1.2). Comment se rĂ©alisent ces apprentissages dans le travail ? Quelles conditions les favorisent ? Quels prĂ©requis s’avĂšrent nĂ©cessaires et quels freins viennent contrarier le dĂ©veloppement des compĂ©tences ?

La mise en perspective des enquĂȘtes rĂ©alisĂ©es dans les quatre pays met en relief des traits et des mĂ©canismes communs quant au dĂ©veloppement des compĂ©tences dans le travail. Qu’il s’agisse des moyens, des conditions favorables ou encore des prĂ©requis, les mĂȘmes constats ressortent qui dĂ©signent, au final, les mĂȘmes freins au dĂ©veloppement des compĂ©tences. Ce qui permettra de dessiner des pistes d’amĂ©lioration communes aux quatre pays.

2.1 Une condition préalable : accéder à une situation de travail

Apprendre dans le travail suppose de se trouver en situation de travail. Cette proposition qui peut apparaĂźtre comme une lapalissade signale pourtant une condition sine qua non qui pointe la nĂ©cessitĂ© premiĂšre d’une motivation Ă  travailler et d’un marchĂ© du travail ouvrant des opportunitĂ©s d’emploi.

2.1.1 D’abord, la motivation

La motivation qui conduit un jeune Ă  travailler est dĂ©terminante, non seulement de l’accĂšs aux possibilitĂ©s de dĂ©veloppement des compĂ©tences mais aussi de la tĂ©nacitĂ© qu’il montrera par la suite pour progresser. Cette motivation nĂ©cessaire pour trouver puis exercer un emploi est commune Ă  tous les jeunes qui accĂšdent au travail mais les ressorts de cette motivation diffĂšrent selon les pays. Quel que soit le pays, le rapport Ă  la famille joue un rĂŽle dĂ©terminant dans la volontĂ© de travailler.

En France, il s’agit gĂ©nĂ©ralement pour l’enfant de gagner en indĂ©pendance financiĂšre pour quitter le foyer familial. En Argentine, il s’agit souvent d’exercer une activitĂ© permettant de contribuer aux ressources de la famille. Les jeunes commencent frĂ©quemment Ă  travailler avec leur pĂšre ou quelqu’un de leur entourage. Au SĂ©nĂ©gal comme au Maroc, il s’agit plutĂŽt de rĂ©pondre, dans une large mesure, au souhait parental. Au SĂ©nĂ©gal, le jeune peut ĂȘtre amenĂ© Ă  travailler pour rĂ©pondre au dĂ©sir des parents de le voir « sortir d’une situation d’oisivetĂ© » ou encore l’aĂźnĂ© des garçons peut ĂȘtre incitĂ© Ă  quitter l’école prĂ©cocement pour assurer le soutien financier de la famille grĂące Ă  ses gains professionnels. Au Maroc, les jeunes entrants dans le secteur sont le plus souvent originaires des zones rurales. Ils quittent leur village pour rejoindre la ville oĂč ils vont travailler et pour la plupart enverront

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par la suite la moitiĂ© de leur salaire Ă  leur famille. Ainsi, ils gagnent en indĂ©pendance tout en mĂ©nageant un apport de ressources pour la famille d’origine.

2.1.2 Et des opportunitĂ©s d’emploi

Outre la motivation, l’accĂšs Ă  une situation de travail tient Ă©galement aux facilitĂ©s d’entrĂ©e en emploi. De ce point de vue, le secteur de la Construction, porteur en termes d’emplois et peu exigeant en qualification initiale pour les catĂ©gories ouvriĂšres, prĂ©sente dans les quatre pays un profil favorable. Le besoin en main d’Ɠuvre y est intense et permanent et le jeune peut accĂ©der Ă  l’emploi sans aucune qualification initiale, voire sans maĂźtriser les savoirs de base (lire, Ă©crire et compter).

Les voies d’accĂšs Ă  l’emploi dans la Construction diffĂšrent selon les pays. L’entrĂ©e dans le secteur s’opĂšre via des institutions pour l’emploi ou le rĂ©seau relationnel du jeune, dans des proportions variables selon les pays. En Argentine, si la « bourse du travail » du syndicat ou le « bureau pour l’emploi » jouent un rĂŽle dans l’accĂšs des jeunes aux emplois de la Construction, dans la plupart des cas, il est favorisĂ© par des rĂ©seaux familiaux ou des rĂ©seaux informels de quartier. En France, ce sont souvent les agences de PĂŽle Emploi ou les agences d’intĂ©rim qui vont orienter le jeune vers un employeur. En outre, une part non nĂ©gligeable des jeunes recrutĂ©s Ă©taient dĂ©jĂ  prĂ©sents dans l’entreprise dotĂ©s d’un contrat d’apprentissage au cours des deux ou trois annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Au SĂ©nĂ©gal, les jeunes concernĂ©s quittent frĂ©quemment leur village d’origine pour rejoindre les pĂŽles urbains, particuliĂšrement la rĂ©gion de Dakar qui concentre la majeure partie de l’activitĂ© de Construction du pays. L’émulation joue un rĂŽle majeur dans l’accĂšs Ă  l’emploi, soutenue par la « rĂ©plication » du mĂ©tier exercĂ© par des membres de l’entourage (parents ou camarades d’enfance). Les jeunes issus de familles fortement impliquĂ©es dans ce domaine d’activitĂ© bĂ©nĂ©ficient d’un avantage relatif. Au Maroc, les jeunes qui se retrouvent sur un chantier sont souvent issus de la mĂȘme tribu, voire de la mĂȘme famille. La mobilitĂ© gĂ©ographique les amĂšne Ă  rĂ©sider sur le chantier mĂȘme oĂč ils partagent des logements destinĂ©s Ă  les accueillir. En effet, entrer dans l’emploi peut impliquer une mobilitĂ© gĂ©ographique. C’est plus souvent le cas au Maroc et au SĂ©nĂ©gal oĂč les pĂŽles d’emploi (pĂŽles urbains) sont Ă©loignĂ©s des zones d’oĂč sont issus les jeunes travailleurs (zones rurales).

2.2 Pratiquer le métier

Les moyens par lesquels le jeune apprend dans le travail relÚvent essentiellement de la pratique du métier (Fournier et al, 2017A). Les moyens mobilisés pour assurer une montée en compétences indiquent les canaux par lesquels celle-ci va se réaliser.

2.2.1 Echanger avec les autres : reproduire et parler

Quel que soit le pays, ce sont les Ă©changes avec les autres qui s’affirment comme le premier vecteur d’apprentissage dans le travail. Si plusieurs moyens sont mobilisĂ©s, le principal mis en avant est sans conteste l’interaction avec un ou plusieurs travailleurs expĂ©rimentĂ©s qui peut s’exercer selon deux modalitĂ©s. Elle peut consister en un acte de mimĂ©tisme et il s’agit alors de reproduire un geste, une dĂ©marche, une procĂ©dure. Elle peut aussi consister en un Ă©change verbal, auquel cas, c’est alors la parole qui prime. Il s’agit ici de rendre explicite l’acte Ă  rĂ©aliser en utilisant si nĂ©cessaire un langage technique appropriĂ© ou simplement de donner une consigne. Le plus souvent, les deux modalitĂ©s se

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conjuguent. Du point de vue du jeune, en matiĂšre d’échanges, c’est donc l’observation, l’écoute, la reproduction et les paroles Ă©changĂ©es sur le travail au moment de sa rĂ©alisation qui fondent pour une large part le dĂ©veloppement des compĂ©tences.

Au SĂ©nĂ©gal, cette implication dans le travail est dĂ©signĂ©e comme « action participante ». Celle-ci s’inscrit dans un ensemble qui inclut Ă©galement des rĂ©unions de travail pendant lesquelles a lieu un briefing sur les Ă©tapes du travail et les erreurs pointĂ©es dans la mise en Ɠuvre des opĂ©rations de construction Ă  tous les niveaux. C’est un moment fort d’enseignement-apprentissage pour les jeunes par les anciens. En Argentine, il est soulignĂ© que travailler sur le chantier implique un apprentissage constant, mais en mĂȘme temps diffus, c’est-Ă -dire qu’il n’y a pas de moments spĂ©cifiques de formation ou de formation Ă  une tĂąche, mais que les apprentissages se produisent en parallĂšle de la rĂ©alisation du travail.

Quel que soit le pays, il semble que la proximitĂ© des origines (famille, rĂ©gion) impulse une solidaritĂ©, ne serait-ce qu’en raison d’une langue commune. Ainsi, au SĂ©nĂ©gal, il est rappelĂ© que « les oiseaux de mĂȘme plumage volent ensemble ». Autrement dit, les Ă©changes s’opĂšrent Ă©galement entre pairs, du fait de la proximitĂ© entre jeunes exerçant la mĂȘme profession. Au Maroc, les jeunes issus d’un mĂȘme village berbĂ©rophone du sud du pays, par exemple, nouent des liens forts qui facilitent les Ă©changes. En France, chez les Compagnons du Devoir, l’intĂ©gration dans la communautĂ© garantit des Ă©changes privilĂ©giĂ©s avec les autres compagnons et mĂȘme avec d’anciens compagnons disposĂ©s Ă  accompagner les plus jeunes dans leur progression.

2.2.2 Avoir des initiatives

Pour tous les jeunes, quel que soit le pays, la prise d’initiative est source de progrĂšs. Toutefois, les marges dont les jeunes disposent Ă  cet Ă©gard sont trĂšs variables selon les pays. La capacitĂ© d’initiative, voire l’audace, du jeune joue de façon sensible sur le dĂ©veloppement de ses compĂ©tences. L’avantage de cette disposition tient cependant Ă  la qualitĂ© de l’encadrement dont le jeune peut – ou pas – bĂ©nĂ©ficier. Prendre une initiative, oser, implique le risque d’une erreur et suppose donc d’ĂȘtre accompagnĂ© par des collĂšgues ou un supĂ©rieur hiĂ©rarchique, conscients de l’intĂ©rĂȘt heuristique de l’erreur dĂšs lors qu’elle est corrigĂ©e, discutĂ©e et vient soutenir une nouvelle compĂ©tence

Au SĂ©nĂ©gal, l’initiative prend la forme de l’« autotest ». Le jeune, en l’absence de son « maĂźtre », sur ses ordres ou pas, essaie de mettre en Ɠuvre les consignes de travail reçues en vue de continuer le travail inachevĂ© la veille. Se substituer au « maĂźtre » est une forme d’apprentissage par la pratique basĂ©e sur l’autotest des capacitĂ©s Ă  exercer le mĂ©tier en toute autonomie. L’exercice est Ă  risque quand on sait que les erreurs ne bĂ©nĂ©ficient pas d’une large marge de tolĂ©rance. En France, dans le cadre, souvent exemplaire, des Compagnons du devoir, les formateurs incitent les jeunes Ă  prendre des initiatives sur les chantiers sur lesquels ils travaillent au point que l’un de ces formateurs dĂ©clare « Quand un jeune me dit qu’il ne fait jamais d’erreur, je me dis qu’il n’ira pas trĂšs loin ». Au Maroc, en revanche, la marge d’initiative des jeunes semble trĂšs mince, ils sont le plus souvent soumis Ă  la rĂ©alisation de tĂąches prĂ©cises, rĂ©pĂ©titives et strictement supervisĂ©es.

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L’activation de ce levier de dĂ©veloppement des compĂ©tences suppose autonomie, responsabilisation et confiance partagĂ©e. La satisfaction de ces trois critĂšres est trĂšs inĂ©gale, selon les pays mais aussi dans chaque pays selon les entreprises et les encadrants.

2.2.3 Opérer un retour réflexif sur le travail réalisé

Un retour rĂ©flexif opĂ©rĂ© sur le travail rĂ©alisĂ© consolide l’assimilation des nouvelles compĂ©tences et permet d’envisager celles Ă  venir (Fournier et al, 2017B). Les avantages de cette pratique valent quel que soit le pays mais sa mise en Ɠuvre diffĂšre fortement selon les pays et Ă  l’intĂ©rieur des pays selon les contextes d’emploi.

Ce temps de rĂ©flexion peut ĂȘtre inopinĂ©, il advient parce que le jeune se pose une question sur le travail rĂ©alisĂ© ou qu’un collĂšgue ou son employeur ouvre un temps de commentaire. Les rĂ©unions d’équipe, les discussions avec les pairs, en groupe ou en tĂȘte-Ă -tĂȘte, sont autant de lieux pour revenir sur la rĂ©alisation des tĂąches ou de la mission, repĂ©rer les points Ă  amĂ©liorer, ouvrir de nouvelles perspectives en termes de compĂ©tences.

Ce temps de « retour rĂ©flexif » peut aussi ĂȘtre inscrit de façon rĂ©currente, comme en France, par exemple, chez les Compagnons du Devoir oĂč tous les jeunes se retrouvent en Ă©tude, de 20 heures Ă  22 heures pour revenir sur ce qu’ils ont appris et souhaitent discuter, voire amĂ©liorer Au SĂ©nĂ©gal, ce peut ĂȘtre au cours de rĂ©unions de chantier que sont pointĂ©es les erreurs, que sont envisagĂ©s les moyens de les corriger et que sont projetĂ©es les activitĂ©s Ă  venir et les modalitĂ©s de leur exĂ©cution. Au Maroc, il semble que ces moments de rĂ©flexion fassent dĂ©faut. L’objectif de rendement immĂ©diat imposĂ© aux jeunes les privent des temps d’échange pour amĂ©liorer leurs pratiques professionnelles.

Cette Ă©tape, cruciale pour consolider la nouvelle compĂ©tence et envisager celles Ă  venir, est bien souvent nĂ©gligĂ©e car elle s’inscrit dans un temps perçu comme improductif, du moins dans l’instant car une nouvelle compĂ©tence consolidĂ©e promet une efficacitĂ© supĂ©rieure du jeune dans ses activitĂ©s Ă  venir et par consĂ©quent un gain de temps ultĂ©rieur pour parvenir Ă  la qualitĂ© de travail attendue.

2.2.4 Puiser dans d’autres sources d’information

Viennent ensuite des sources d’informations (manuels, internet) oĂč puiser des conseils, des exemples, des recommandations utiles Ă  l’exercice du mĂ©tier et plus prĂ©cisĂ©ment Ă  la rĂ©solution de problĂšmes auquel le jeune se heurte. Ces moyens de progresser sont trĂšs inĂ©galement mobilisĂ©s par les jeunes. Ils supposent une capacitĂ© Ă  rechercher/trouver les lieux d’information utiles, une capacitĂ© de lecture et de comprĂ©hension minimale ou encore l’accĂšs Ă  une source spĂ©cialisĂ©e, telle la base de donnĂ©es nominatives des Compagnons du devoir.

La confrontation Ă  de nouvelles situations implique un des impĂ©ratifs des mĂ©tiers de la Construction qui est de trouver les solutions Ă  chaque situation ; en cela, aujourd'hui le jeune pourrait fortement ĂȘtre aidĂ© par Internet, les tutos, les vidĂ©os qui circulent, postĂ©s par des personnes qui partagent leur travail (par exemple pour installer des « placos »). Cependant, Internet, qui pourrait s’avĂ©rer une source d’informations utile, est trĂšs inĂ©galement mobilisĂ© par les jeunes travailleurs. Dans l’ensemble, une petite minoritĂ© d’entre eux recherchent sur le web les solutions, les conseils, qui pourraient nourrir le dĂ©veloppement de leurs compĂ©tences. Une partie des jeunes, au Maroc notamment, issus de milieux

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dĂ©favorisĂ©s, souvent d’origine rurale, parfois en situation d’analphabĂ©tisme, n’ont tout simplement pas accĂšs Ă  cet espace. Les autres, mĂȘme s’ils frĂ©quentent assidĂ»ment les rĂ©seaux sociaux d’internet (Instagram, Twitter
), en France par exemple, n’envisagent pas pour autant de mobiliser cet outil pour trouver de l’information utile professionnellement, faute des dispositions et/ou des conditions nĂ©cessaires pour accĂ©der Ă  l’information utile.

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Echanger avec les autres : reproduire et parler

Apprentissages en travaillant, en observant, en faisant.

Echanges et démonstration par un travailleur plus expérimenté.

Echanges avec les membres de l'équipe.

Observation des gestes et reproduction.

Echanges et explication, en amont ou en aval du geste ou de la procédure par un travailleur plus expérimenté.

Echanges avec les membres de l'équipe.

Observation des gestes et reproduction.

Exécution de tùches sous la conduite d'un travailleur expérimenté.

Rares échanges avec les membres de l'équipe.

Apprentissages en travaillant, en observant en faisant ("action participante").

Echanges et démonstration par un travailleur plus expérimenté.

Echanges avec les membres de l'équipe.

Prendre des initiatives

Prise d'initiatives limitées.

Souvent, attribution de tùches précises et supervisées.

Prise d'initiatives limitée.

Souvent, attribution de tùches précises et supervisées.

Prise d'initiative trÚs limitée voire inexistante.

Attribution de tùches précises et supervisées.

Souvent, attribution de tùches précises et supervisées.

Action "d'autotest" en l'absence du patron ou maĂźtre d'apprentissage, sur consigne de ces derniers ou non.

Opérer un retour réflexif sur le travail réalisé

Contingent, souvent pas programmé sur un temps dédié.

Contingent, souvent pas programmé sur un temps dédié.

Quasiment pas relevé.

Contingent, faisant souvent plutĂŽt suite au constat d'une erreur sur un chantier.

Puiser dans d'autres sources d'information

Parfois, sources en ligne ou en centre de formation, sur initiative du travailleur (surtout pour les travailleurs avec un minimum de qualification).

Recours à internet, limité en raison d'un défaut de maßtrise de la recherche d'information en ligne.

SolidaritĂ© entre travailleurs d'une mĂȘme rĂ©gion d'origine dans la transmission des savoirs.

SolidaritĂ© entre camarades de mĂȘme profession (mais ne travaillant pas forcĂ©ment dans la mĂȘme unitĂ© de production).

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Tableau 2. Canaux repérés pour les apprentissages dans le travail dans les quatre pays Canaux Argentine France Maroc Sénégal

2.3 Quelles conditions sont favorables au développement des compétences dans le travail ?

Les moyens par lesquels le jeune apprend en travaillant suggÚrent que les conditions dans lesquelles le jeune exerce son activité sont déterminantes pour sa montée en compétences.

2.3.1 D’abord, la dynamique du secteur et le besoin de main d’Ɠuvre

La dynamique du secteur et les besoins en main d’Ɠuvre qui le caractĂ©risent reprĂ©sentent une premiĂšre condition plus ou moins favorable au dĂ©veloppement des compĂ©tences des jeunes entrants. Les secteurs qui font face Ă  des difficultĂ©s de recrutement sont plus enclins Ă  intĂ©grer des jeunes dĂ©nuĂ©s des qualifications qui les rendraient immĂ©diatement opĂ©rationnels dans l’emploi et Ă  envisager de les former « sur le tas » afin qu’ils puissent rapidement gagner en compĂ©tence, sans avoir Ă  retourner sur les bancs de l’école. Ce penchant vaut pour des secteurs comme celui de la Construction, recrutant une large part de travailleurs dotĂ©s de faibles niveaux de qualification, mais il vaut Ă©galement pour des secteurs parfois trĂšs en pointe, porteurs de mĂ©tiers rares pour lesquels aucune formation formelle n’existe ou encore des entreprises tout simplement Ă©loignĂ©es des centres de formation proposant les formations nĂ©cessaires.

S’agissant de la question du besoin de main d’Ɠuvre, les employeurs de la Construction sont les premiers Ă  pointer le manque d’attractivitĂ© du secteur entachĂ© Ă  juste titre par des conditions de travail difficiles (travail en extĂ©rieur quelle que soit la mĂ©tĂ©o, mobilitĂ© gĂ©ographique imposĂ©e par l’emplacement des chantiers, port de charges lourdes dĂ©gradant la santĂ© des travailleurs
). En France, certains employeurs tentent d’y remĂ©dier en versant des primes qui viennent gonfler les rĂ©munĂ©rations et cherchent Ă  renforcer la qualification des jeunes qu’ils embauchent afin de leur assurer une progression professionnelle et salariale. Toutefois, ce cas de figure est loin d’ĂȘtre majoritaire. La nĂ©cessitĂ© de serrer les budgets pour emporter les marchĂ©s peut conduire Ă  contracter au maximum la masse salariale, voire Ă  sous-payer des jeunes, notamment dans le cadre du travail informel, non dĂ©clarĂ© (SĂ©nĂ©gal ou Maroc, principalement).

2.3.2 Un environnement professionnel stimulant

Vient ensuite jouer, de façon dĂ©terminante, la qualitĂ© de l’environnement professionnel du jeune. Qu’il s’agisse de l’employeur, des membres de l’équipe ou du travailleur expĂ©rimentĂ© accompagnant le jeune dans le cadre d’un binĂŽme (voir ci-aprĂšs), la personnalitĂ©, la capacitĂ© Ă  transmettre, la qualitĂ© d’écoute sont autant de dispositions qui vont soutenir le dĂ©veloppement des compĂ©tences du jeune. A cet Ă©gard, les temporalitĂ©s Ă  l’Ɠuvre jouent un rĂŽle majeur. Si l’employeur envisage de stabiliser le jeune dans son emploi pour assurer son maintien dans l’entreprise, il aura davantage Ă  cƓur de lui mĂ©nager un parcours qualifiant, structurĂ© par le dĂ©veloppement de ses compĂ©tences, jusqu’à ĂȘtre en mesure d’accompagner lui-mĂȘme un nouvel arrivant, notamment en France, dans les trĂšs petites entreprises. La question des perspectives ouvertes et de l’horizon envisagĂ© au moment de l’entrĂ©e (ou aprĂšs quelques semaines) du jeune dans l’entreprise est dĂ©terminante.

Le « bien-ĂȘtre Ă©motionnel » joue Ă©galement sa partition dans la « qualitĂ© » de l’environnement. La qualitĂ© des relations qui lient les travailleurs est dĂ©terminante. Si l’appartenance Ă  un mĂȘme groupe (gĂ©ographique, linguistique, ethnique
) mĂ©nage une proximitĂ© souvent fructueuse, la diffĂ©rence peut

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en revanche gĂ©nĂ©rer une hostilitĂ© qui freine, voire inhibe les Ă©changes. La façon de dire les choses diffĂšre selon les pays. En Argentine et en France, cette dimension est mise en avant dans ce terme mĂȘme de « bien-ĂȘtre Ă©motionnel » ; au Maroc et au SĂ©nĂ©gal, est plutĂŽt soulignĂ©e la plus grande facilitĂ© relationnelle entre travailleurs partageant la mĂȘme origine. A titre d’exemple, des propos ou des comportements racistes mettent fortement Ă  mal les conditions de travail et d’apprentissage des jeunes qui en sont victimes.

Les tensions entre travailleurs peuvent Ă©galement tenir Ă  l’appartenance aux diffĂ©rents corps de mĂ©tier. L’enchaĂźnement des travaux des uns et des autres ne s’opĂšrent pas toujours harmonieusement et parfois les uns tentent de reporter sur les autres la responsabilitĂ© des « ratĂ©s » ou des retards qui Ă©maillent l’avancĂ©e des travaux.

2.3.3 Penser l’organisation du travail et de l’équipe pour faciliter la transmission

Quel que soit le pays, en matiĂšre d’organisation du travail, le dĂ©veloppement des compĂ©tences gagne Ă  s’inscrire dans un parcours qui mĂ©nage l’enchaĂźnement de sĂ©quences d’activitĂ©s variĂ©es et une pluralitĂ© d’accompagnateurs aptes Ă  transmettre des compĂ©tences diversifiĂ©es. Outre les personnalitĂ©s entourant le jeune, la composition de l’équipe de travail, son fonctionnement sont Ă©galement dĂ©terminants des progrĂšs que le jeune peut rĂ©aliser. L’isolement est la situation la moins favorable car elle exclut les Ă©changes, au cƓur de la transmission.

La place du jeune dans l’équipe est dĂ©finie par un travailleur toujours plus expĂ©rimentĂ© mais intervenant Ă  des niveaux de responsabilitĂ© variĂ©s. La Construction est un secteur qui compte de trĂšs nombreuses petites entreprises (moins de dix salariĂ©s), auquel cas c’est l’employeur, chef de l’entreprise, qui assigne les places. Dans les entreprises de plus grande taille, ce rĂŽle peut ĂȘtre dĂ©volu au chef de chantier ou au chef d’équipe.

DĂšs son arrivĂ©e sur le chantier, le jeune est de fait et informellement « Ă©valuĂ© » afin d’apprĂ©cier quelles tĂąches vont pouvoir lui ĂȘtre confiĂ©es et quel accompagnement sera nĂ©cessaire. Dans la plupart des cas, le jeune s’avĂšre trĂšs peu, voire pas du tout, qualifiĂ© et lui seront tout d’abord confiĂ©es des « tĂąches basiques » relevant d’une activitĂ© de « manƓuvre ». AprĂšs quelques semaines, ses supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques apprĂ©cient son aptitude Ă  apprendre et sa dĂ©termination Ă  progresser dans le mĂ©tier. Si celles-ci sont vĂ©rifiĂ©es, le chef d’entreprise peut estimer judicieux d’envisager sa progression afin d’assurer sa montĂ©e en compĂ©tences qui peut ouvrir sur une augmentation de salaire, censĂ©e garantir le maintien du jeune dans l’entreprise. Toutefois, cette logique est Ă  dĂ©crire au conditionnel car il arrive souvent que l’employeur n’engage pas cette vision prospective et cherche Ă  retirer le maximum de gain, Ă  trĂšs court terme (parfois le temps d’un chantier) du jeune travailleur, auquel cas la perspective d’une montĂ©e en compĂ©tences est plus hasardeuse.

En Argentine, c’est le capataz (Ă©quivalent du contremaĂźtre français) qui est le plus souvent chargĂ© d’organiser l’accompagnement du jeune travailleur. Les capataces disposent d’une marge d’action pour concevoir les processus de travail dans un sens qualifiant tout en enrichissant les qualifications des travailleurs d’une composante « apprentissage ». La plupart des chefs de chantier ou des contremaĂźtres tĂ©moignent qu’au-delĂ  du processus informel de travail, il y a des intentions et des sĂ©quences d’apprentissage explicites. On apprend dans un processus : par exemple, Ă  partir des plans,

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s’engage une discussion des croquis d’Ɠuvres (avec le contremaĂźtre) qui oriente ceux qui exĂ©cutent l’Ɠuvre. Ceux qui sont chargĂ©s de transmettre leur savoir-faire ne sont gĂ©nĂ©ralement pas formĂ©s pour cela mais ils ont des objectifs clairs et ils s’engagent Ă  ce que les jeunes puissent arriver au "travail bien fait" de qualitĂ© et cette perspective soutient le dĂ©veloppement des compĂ©tences. Au Maroc, pour la formation des jeunes recrutĂ©s sans ou avec peu de qualification, les entreprises procĂšdent de la mĂȘme façon : incorporation dans une Ă©quipe avec des ouvriers qualifiĂ©s et plus expĂ©rimentĂ©s qui se chargent de leur apprentissage mais on note l’absence de mesures Ă  mĂȘme d’encourager ce type de formation. Les entreprises enquĂȘtĂ©es estiment que s’ils doivent dĂ©velopper la formation en milieu professionnel sous ses diffĂ©rentes formes, cela doit ĂȘtre financĂ© dans le cadre de la taxe de la formation professionnelle qui est prĂ©levĂ©e mensuellement sur la base de la masse salariale.

En bref, l’organisation du travail en vue d’assurer le dĂ©veloppement des compĂ©tences des jeunes doit ĂȘtre pensĂ©e comme l’articulation d’un programme de « tĂąches » Ă  rĂ©aliser et une distribution des rĂŽles dans l’équipe visant Ă  soutenir la progression du jeune travailleur.

2.3.4 Constituer des binÎmes « un jeune-un travailleur expérimenté »

Parmi les pratiques visant Ă  Ă©tayer les apprentissages dans le travail, la pratique du « binĂŽme », composĂ© d’un jeune et d’un travailleur expĂ©rimentĂ©, se retrouve dans les quatre pays.

En France, le jeune, dĂšs son arrivĂ©e dans l’entreprise, est confiĂ© Ă  un collĂšgue plus expĂ©rimentĂ©, voire au chef d’entreprise dans le cas des TPE (TrĂšs Petites Entreprises) afin qu’il apprenne en travaillant. GĂ©nĂ©ralement, au dĂ©but, il seconde le travailleur expĂ©rimentĂ© (port de matĂ©riaux, passage d’outils
) tout en l’observant. Petit Ă  petit, le travailleur expĂ©rimentĂ© l’implique davantage jusqu’à ce que le jeune devienne autonome dans la rĂ©alisation du travail. Au SĂ©nĂ©gal, le couplage (dit aussi « coaching ») consiste Ă  mettre deux travailleurs ensemble sur un mĂȘme poste de travail. Il s’agit d’un couplage entre un jeune non qualifiĂ© et un chef d’équipe ayant une solide expĂ©rience dans le travail ou entre un jeune diplĂŽmĂ© fraĂźchement sorti de l’école et un travailleur jouissant d’une expĂ©rience diffĂ©rentielle. En Argentine, dans certains cas, le « compagnon qui est Ă  cĂŽtĂ© du jeune » devient une sorte de tuteur informel qui est guide et rĂ©fĂ©rent. Ces relations avec des pairs plus expĂ©rimentĂ©s sont mentionnĂ©es comme le processus permettant l’appropriation des savoirs requis et nĂ©cessaires, activant des processus cognitifs. Au Maroc, les maĂąlem peuvent ĂȘtre amenĂ©s Ă  exercer la fonction d’accompagnateur. Le maĂąlem signifie littĂ©ralement en arabe, « celui qui a un savoir-faire ou maitre ». Ce titre honorifique est donnĂ© aux personnes jugĂ©es dignes d'instruire ou de transmettre un savoirfaire. Historiquement, le maĂąlem/maĂźtre d’apprentissage occupait une place privilĂ©giĂ©e, non seulement dans la corporation mais Ă©galement dans la sociĂ©tĂ©. Cet apprentissage se pratique toujours mais de moins en moins, le plus souvent dans les mĂ©dinas oĂč les familles, gĂ©nĂ©ralement de condition modeste, confient leurs enfants aux maĂąlem pour apprendre un mĂ©tier. Pour autant, il est Ă  noter que certains maĂąlem rechignent aujourd’hui Ă  transmettre leurs compĂ©tences, de peur de se voir ravir leur place, une fois le jeune devenu compĂ©tent, et d’autant plus que cette fonction ne fait pas l’objet d’une rĂ©munĂ©ration supplĂ©mentaire.

La constitution de binĂŽmes s’avĂšre gĂ©nĂ©ralement efficace, Ă  condition qu’elle satisfasse quelques principes. Il n’existe pas de profil-type du bon tuteur qui vaudrait quel que soit le jeune. C’est Ă  chaque fois une rencontre telle que « ça matche ou pas » entre les deux protagonistes. Certains jeunes ont

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besoin d’ĂȘtre encouragĂ©s « en douceur » quand d’autres gagnent Ă  ĂȘtre « un peu bousculĂ©s ». C’est encela qu’il est prĂ©fĂ©rable de penser la rencontre de deux personnalitĂ©s plutĂŽt que les qualitĂ©s standard de chacune des deux parties.

2.3.5 Assurer la diversité des situations professionnelles

Quel que soit le pays, vient aussi jouer la diversitĂ© des situations auxquelles le jeune est amenĂ© Ă  faire face. Plus le jeune est confrontĂ© Ă  des situations nouvelles, plus il rencontre d’occasions de monter en compĂ©tences. La variĂ©tĂ© des missions Ă  accomplir, des « dĂ©fis Ă  relever » est source de rĂ©solution de problĂšmes qui contribue Ă  forger de nouvelles compĂ©tences. Cette variĂ©tĂ© peut tenir dans les matĂ©riaux utilisĂ©s, dans le type d’interventions (dans la Construction : construction neuve, rĂ©novation, restauration) ou tout simplement dans les surprises qui Ă©maillent l’avancĂ©e d’un chantier (terrain en pente, sol trop meuble, mise au jour de restes antiques
) et obligent Ă  inventer une solution pour y faire face.

Les apprentissages tiennent donc aussi aux tentatives que le jeune engage. L’originalitĂ© d’un nouvel exercice, imposĂ© par un objectif, une situation, inĂ©dits jusque-lĂ , stimule la recherche de solutions Ă  partir des acquis et impulse des progrĂšs. Ainsi, ne suffit-il pas de reproduire ou de communiquer, la nouveautĂ©, aussi, stimule le dĂ©veloppement des compĂ©tences. Se dessine ici l’avantage d’un « parcours » qualifiant. Celui-ci se dĂ©veloppe autour de la « globalitĂ© des apprentissages », inscrite dans une dynamique apprenante. Cette « globalitĂ© des apprentissages » suppose que le jeune puisse avoir une vision globale du mĂ©tier ; ce qui tient dans une large mesure Ă  la qualitĂ© de l’entourage professionnel du jeune. Cet idĂ©al est loin d’ĂȘtre une rĂ©alitĂ©, quel que soit le pays, mĂȘme si des variations ressortent de ce point de vue.

En Argentine, il est soulignĂ© qu’à l’issue d’un chantier, le jeune passe sur un autre chantier, qui est gĂ©nĂ©ralement inscrit dans un processus diffĂ©rent du prĂ©cĂ©dent et nĂ©cessite la maĂźtrise d’exĂ©cution d’autres tĂąches, d’interagir avec d’autres Ă©quipes de travail, de changer de dynamique de travail. Ces changements impliquent de nouveaux apprentissages, de gagner en expĂ©rience et en professionnalisme. Bien que les tĂąches se rĂ©pĂštent selon les Ă©tapes et les domaines, les systĂšmes de construction peuvent changer d’un chantier Ă  l’autre, l’application de nouveaux matĂ©riaux qui ont fait irruption sur le marchĂ© commercial ou les changements technologiques. Tout cela nĂ©cessite des expĂ©rimentations qui permettent d’acquĂ©rir de nouvelles compĂ©tences. Au Maroc, c’est trop souvent un « segment du mĂ©tier » que le jeune peut entrevoir. PlutĂŽt que de penser le cheminement du jeune Ă  des fins de dĂ©veloppement de ses compĂ©tences, c’est la productivitĂ© du travail dans l’instant qui est privilĂ©giĂ©e et qui invite Ă  faire en sorte que le jeune reproduise des tĂąches peu diversifiĂ©es mais qu’il va exĂ©cuter de plus en plus rapidement.

2.4 Quels prérequis au développement des compétences dans le travail ?

Le dĂ©veloppement des compĂ©tences dans le travail s’opĂšre plus ou moins aisĂ©ment selon le socle de connaissances initial et les dispositions comportementales du jeune. A cet Ă©gard, les positionnements des jeunes Ă  l’entrĂ©e dans un mĂȘme emploi semblent trĂšs variables. Sur ce registre des prĂ©requis, les contrastes entre les quatre pays sont trĂšs marquĂ©s.

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2.4.1 A propos des « savoirs de base »

Les « savoirs de base » recouvrent les trois compĂ©tences Ă©lĂ©mentaires : lire, Ă©crire et compter. Elles sont gĂ©nĂ©ralement acquises Ă  l’issue d’une scolaritĂ© primaire. Toutefois, deux Ă©cueils peuvent contrarier leur assimilation. D’une part, nombre de jeunes (au Maroc et au SĂ©nĂ©gal) n’ont pas – ou pas assez longtemps – frĂ©quentĂ© l’école ; d’autre part, les jeunes peuvent avoir frĂ©quentĂ© l’école et acquis des compĂ©tences qu’ils ont perdues faute de les avoir entretenues et se trouvent ainsi en situation d’illettrisme 20

S’agissant des dits « savoirs de base », les profils vont du jeune en situation d’analphabĂ©tisme ou d’illettrisme au jeune titulaire d’un baccalaurĂ©at (plus rare). Un niveau de formation initiale plus Ă©levĂ© annonce des dispositions facilitant le dĂ©veloppement des compĂ©tences, y compris quand la spĂ©cialitĂ© de la formation initiale est Ă©loignĂ©e de la Construction

Cependant, si l’exercice du travail est source de dĂ©veloppement des compĂ©tences techniques nĂ©cessaires Ă  la pratique du mĂ©tier, il est aussi source de progrĂšs quant aux savoirs de base. A titre d’exemple, la lecture de plan est souvent mise en avant comme un exercice permettant des progrĂšs en gĂ©omĂ©trie et les calculs imposĂ©s pour dĂ©terminer le volume des matĂ©riaux utiles comme autant d’exercices concrets ouvrant des possibilitĂ©s d’avancĂ©e en arithmĂ©tique. Ainsi, les jeunes sortis de formation initiale sans disposer des aptitudes gĂ©nĂ©ralement acquises dans le cadre scolaire peuvent trouver en emploi les occasions d’y accĂ©der quand la pratique du mĂ©tier les impose. Les apprentissages en situation d’analphabĂ©tisme ou d’illettrisme supposent toutefois du cĂŽtĂ© du jeune, une Ă©coute attentive, une bonne capacitĂ© de mĂ©morisation (notamment visuelle), une aptitude Ă  poser les questions pertinentes et une capacitĂ© de « dĂ©brouillardise » non nĂ©gligeable ; du cĂŽtĂ© de ceux qui l’accompagnent, une Ă©coute attentive (aussi), une facultĂ© d’adaptation et de transmission de leurs compĂ©tences.

2.4.2 A propos des dispositions comportementales

S’agissant des dispositions comportementales, toute une palette, commune aux quatre pays, ressort mĂȘlant diffĂ©rents niveaux de curiositĂ©, de motivation ou encore de capacitĂ© Ă  Ă©couter les conseils. Les exigences de l’entourage professionnel au regard de ces dispositions sont dĂ©terminantes des avancĂ©es que le jeune peut opĂ©rer en la matiĂšre. Parmi les « qualitĂ©s » mises en avant par les employeurs, la « ponctualitĂ© », « l’endurance », le « respect des autres », voire « l’obĂ©issance » ressortent Ă©galement comme essentielles pour assurer un fonctionnement optimal de l’équipe.

En Argentine, il ressort qu’au-delĂ  du fait que la personne qui commence Ă  travailler a de l’expĂ©rience ou pas, l’intĂ©rĂȘt pour ce qu’elle doit faire et le "dĂ©sir de travailler", sont des dispositions qui, selon les employeurs, sont nĂ©cessaires pour apprendre au travail. Cette volontĂ© et le dĂ©sir de travailler impliquent un engagement dans les tĂąches Ă  effectuer. En outre, une Ă©valuation de la proactivitĂ© apparaĂźt comme une condition prĂ©alable pour ceux qui ont un profil technique, car elle est considĂ©rĂ©e

20 En France, 4,1 % des jeunes sont classĂ©s en situation d’illettrisme et 9,6 % ont des difficultĂ©s de lecture, suite aux tests passĂ©s lors des journĂ©es citoyennes d’appel Ă  la dĂ©fense. Source : https://www.education.gouv.fr/la-prevention-et-la-lutte-contre-l-illettrismel-ecole-7538

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comme une attitude qui leur permet de rĂ©aliser les tĂąches de maniĂšre active tout en favorisant l’apprentissage au travail. La capacitĂ© de s’organiser, de rĂ©soudre des problĂšmes et de ne pas se figer face Ă  l’obstacle sont des facteurs qui permettent d’apprendre au cours de l’activitĂ© qu’ils accomplissent. Fortement associĂ©e Ă  la volontĂ© de travailler, la motivation pour apprendre est dĂ©terminante. La construction Ă©tant une activitĂ© oĂč il y a des problĂšmes Ă  rĂ©soudre en permanence, l’attitude et la motivation pour apprendre sont considĂ©rĂ©es comme cruciales pour la performance.

Toutefois, les exigences formulĂ©es s’avĂšrent bĂ©nĂ©fiques Ă  condition que les Ă©changes soient emprunts du souci de remĂ©dier aux dĂ©fauts qui s’expriment, tant du point de vue du jeune qui doit reconnaĂźtre la nĂ©cessitĂ© de modifier son comportement que du plus ancien qui doit se montrer confiant quant Ă  la capacitĂ© du jeune Ă  pallier ses travers. Ainsi, qu’il s’agisse des savoirs de base ou des dispositions comportementales et quel que soit le positionnement du jeune sur les Ă©chelles de leurs apprĂ©ciations Ă  son arrivĂ©e dans l’entreprise, rien n’est jamais perdu, c’est le chemin Ă  parcourir qui s’annonce plus ou moins long selon le point de dĂ©part.

2.5 Quels freins au développement des compétences dans le travail ?

Les freins au développement des compétences dans le travail se définissent négativement par rapport aux conditions qui lui sont favorables et tiennent aussi à des facteurs connexes.

2.5.1 Un environnement peu stimulant, sous-tendu par des problĂšmes de communication

Les Ă©changes Ă©tant au cƓur des apprentissages dans le travail, c’est avant tout l’environnement professionnel du jeune qui peut, s’il est dĂ©faillant, contrarier le dĂ©veloppement de ses compĂ©tences. L’isolement du jeune, livrĂ© Ă  lui-mĂȘme, sans possibilitĂ© ni de reproduire, ni d’échanger verbalement mĂ©nage un cadre peu porteur. Si les qualitĂ©s « pĂ©dagogiques » des plus anciens jouent un rĂŽle non nĂ©gligeable dans la qualitĂ© des Ă©changes avec les jeunes, d’autres facteurs peuvent les contrarier, telles les langues usitĂ©es.

La question linguistique se pose ici de façon cruciale. Il n’est pas rare que les travailleurs Ɠuvrant sur un mĂȘme chantier, voire au sein d’une mĂȘme Ă©quipe, soient de nationalitĂ© diffĂ©rente (maghrĂ©bins, portugais, français, en France) et parfois mĂȘme de mĂȘme nationalitĂ© mais ne s’exprimant pas dans la mĂȘme langue (Arabe, BerbĂšre au Maroc ; Wolof, SĂ©rĂšre, etc. au SĂ©nĂ©gal).

La pluralitĂ© des origines des travailleurs prĂ©sents sur le chantier, qui s’accompagne d’une pluralitĂ© des langues usitĂ©es, peut freiner les Ă©changes. L’apprentissage d’une nouvelle langue, surtout pour des jeunes qui ont Ă©tĂ© peu scolarisĂ©s, ne va pas de soi. Il peut alors ĂȘtre nĂ©cessaire de trouver le moyen d’opĂ©rer des traductions. Au Maroc, les problĂšmes de communication sur les chantiers sont tangibles. Beaucoup de jeunes travailleurs sont originaires du sud marocain berbĂ©rophone. Parmi eux, ceux qui n’ont pas Ă©tĂ© scolarisĂ©s ne maĂźtrisent pas l’arabe (langue officielle Ă  l’école), usitĂ© sur les chantiers. Il arrive mĂȘme que des interprĂštes soient recrutĂ©s sur les chantiers pour jouer les intermĂ©diaires entre les ouvriers et les chefs de chantier. Au SĂ©nĂ©gal, ceux qui comprennent les deux langues (Wolof et Français) peuvent servir d’interprĂštes.

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Si la barriĂšre de la langue n’est pas rĂ©dhibitoire, car d’autres formes d’échanges sont possibles, il n’en demeure pas moins qu’elle rend plus difficile les Ă©changes. Si les Ă©changes verbaux sont rendus difficiles du fait de la barriĂšre de la langue, d’autres modalitĂ©s de communication sont possibles pour assurer un minimum de transmissions. Les gestes, bien sĂ»r, mais aussi des dessins ou des schĂ©mas qui peuvent venir soutenir une dĂ©monstration.

Par ailleurs, mĂȘme quand la langue est partagĂ©e, la coopĂ©ration avec un travailleur, lui-mĂȘme peu expĂ©rimentĂ© ou expĂ©rimentĂ© mais peu enclin Ă  transmettre ou maladroit dans sa façon de le faire, peut freiner le dĂ©veloppement des compĂ©tences.

2.5.2 La répétition, mÚre de la stagnation

La rĂ©pĂ©tition des mĂȘmes objectifs, activitĂ©s et par consĂ©quent des mĂȘmes procĂ©dures, des mĂȘmes gestes limite les possibilitĂ©s de dĂ©couvertes, de nouvelles expĂ©riences et de progrĂšs.

Au Maroc, il n’est pas rare de rencontrer des travailleurs ĂągĂ©s, travaillant depuis longtemps sur des chantiers, et toujours cantonnĂ©s dans des activitĂ©s basiques faute d’avoir pu dĂ©velopper de nouvelles compĂ©tences, souvent en raison d’une situation initiale d’analphabĂ©tisme qui a inhibĂ©, dĂšs l’origine, toute tentative de progression professionnelle et d’un contexte peu favorable aux apprentissages.

La progression s’opĂšre via les problĂšmes que le jeune est amenĂ© Ă  rĂ©soudre. S’il reproduit les mĂȘmes tĂąches, il exploite ses compĂ©tences mais ne se trouve pas face Ă  de nouveaux « dĂ©fis », voire face Ă  des « Ă©nigmes » qui l’amĂšneraient Ă  chercher des solutions pour mener Ă  bien la mission qui lui a Ă©tĂ© confiĂ©e car c’est ainsi que se forge la compĂ©tence. Ce qui conduit Ă  la question des contextes qui favorisent plus ou moins la multiplication des expĂ©riences. Ainsi, la taille des entreprises, leur plus ou moins grande spĂ©cialisation, les diffĂ©rents types d’environnement, de matĂ©riaux utilisĂ©s influent inĂ©galement sur les conditions de dĂ©veloppement des compĂ©tences. Dans les grandes entreprises, la parcellisation des tĂąches induit une activitĂ© rĂ©pĂ©titive pour les ouvriers les moins qualifiĂ©s enjoints Ă  reproduire les mĂȘmes sĂ©quences de travail sans possibilitĂ©s d’engager de nouvelles expĂ©riences formatives.

Cette tendance Ă  la rĂ©pĂ©tition est accentuĂ©e par la mĂ©connaissance du mĂ©tier dans son ensemble, corrĂ©lĂ©e Ă  l’absence de vision des perspectives qui pourraient s’ouvrir, comme en tĂ©moigne le cas sĂ©nĂ©galais. En effet, le dĂ©faut de connaissance du mĂ©tier dans son entiĂšretĂ© s’accompagne d’une difficultĂ© Ă  entrevoir les horizons possibles.

2.5.3 Un dĂ©faut d’implication et d’écoute, de part ou d’autre

S’agissant du comportement du jeune, les freins sont aussi tangibles. Ce que les employeurs dĂ©signent sous le terme de « motivation » renvoie Ă  tout un ensemble de dispositions qui favorisent le dĂ©veloppement des compĂ©tences. Être « motivĂ© », c’est dĂ©sirer progresser, ce qui implique d’ĂȘtre curieux, attentif aux remarques, soucieux de toujours faire mieux. Le jeune qui refuse les conseils, fait preuve d’une faible Ă©coute, s’interdit une progression sensible et dĂ©courage ceux qui l’accompagnent de poursuivre leur travail de soutien au dĂ©veloppement de ses compĂ©tences.

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Ce dĂ©faut d’implication du jeune peut traduire un manque de motivation Ă  exercer l’activitĂ©. La motivation nĂ©cessaire peut notamment ĂȘtre contrariĂ©e lorsque le jeune s’engage dans la Construction en tant que « voie de garage », c’est-Ă -dire par dĂ©faut, faute de pouvoir accĂ©der Ă  d’autres activitĂ©s. Le dĂ©faut d’implication du jeune peut Ă©galement tenir Ă  la perspective d’une rĂ©orientation professionnelle qui fait de l’emploi dans la Construction un emploi transitoire, purement « alimentaire » afin d’assurer une rĂ©munĂ©ration minimale Ă  court terme.

Au Maroc, les jeunes issus des zones rurales peu, voire pas du tout, dotĂ©s en formation scolaire initiale, restent souvent confinĂ©s dans des activitĂ©s basiques et rĂ©currentes, sans opportunitĂ©s de progression. Les jeunes issus des zones urbaines, mieux dotĂ©s en qualification scolaire, envisagent plus souvent leur emploi dans la Construction comme une transition avant d’évoluer dans un autre secteur. Les uns comme les autres ne se trouvent pas dans des dynamiques invitant au dĂ©veloppement des compĂ©tences. Au SĂ©nĂ©gal, le principal frein, signalĂ© de ce point de vue, est le « manque de temps » : les travailleurs ont gĂ©nĂ©ralement un programme trop chargĂ© par des tĂąches rĂ©pĂ©titives qui ne leur laisse pas le temps de penser Ă  se former et Ă  dĂ©velopper de nouvelles compĂ©tences. En raison de la pauvretĂ© Ă  laquelle ils font face, certains jeunes sont plus prĂ©occupĂ©s par le salaire journalier que par la formation. Certains d’entre eux considĂšrent que le passage par le chantier n’est qu’un pis-aller en attendant de trouver d’autres opportunitĂ©s plus intĂ©ressantes pour eux et ne pensent nullement Ă  se former.

Le dĂ©faut d’implication peut Ă©galement tenir au travailleur expĂ©rimentĂ© chargĂ© d’accompagner le jeune. Se pose ici la question du profil des « accompagnateurs » et des bĂ©nĂ©fices qu’ils retirent de cette activitĂ©. GĂ©nĂ©ralement, ils n’ont pas Ă©tĂ© formĂ©s pour former eux-mĂȘmes les autres et l’accompagnement qu’ils assurent ne fait l’objet d’aucune reconnaissance en termes de salaire ou de promotion.

2.5.4 Un turnover de la main d’Ɠuvre Ă©levĂ©, assorti d’un recours frĂ©quent Ă  la sous-traitance,


Le secteur de la Construction se caractĂ©rise par un turnover singuliĂšrement Ă©levĂ© qui, par dĂ©finition, limite les temps de prĂ©sence des travailleurs dans l’entreprise. L’horizon rapprochĂ© de la fin du chantier n’invite pas au dĂ©veloppement des compĂ©tences des ouvriers qui y travaillent. A quoi bon former des jeunes qui vont bientĂŽt quitter l’entreprise, d’une façon ou d’une autre ?

Le recours massif Ă  la sous-traitance, mis en lumiĂšre en Argentine, entrave Ă©galement le dĂ©veloppement des compĂ©tences des jeunes les moins qualifiĂ©s. La sous-traitance entraĂźne notamment une focalisation sur une partie spĂ©cifique du chantier qui limite, voire empĂȘche, la diversification des tĂąches. En France, c’est le recours massif aux travailleurs intĂ©rimaires, mis Ă  disposition temporairement auprĂšs de l’employeur via une agence, embauchĂ©s le temps d’un chantier, dont le dĂ©veloppement des compĂ©tences est particuliĂšrement nĂ©gligĂ©. Au Maroc, les employeurs soulignent que la cadence des travaux, Ă©levĂ©e en raison des dĂ©lais d’exĂ©cution, ne leur laisse pas le temps de se consacrer Ă  l’apprentissage des jeunes recrues.

2.5.5 
qui nourrit une vision à court terme de la productivité

Les rythmes, voire les cadences, sont rapides et visent la rentabilitĂ© immĂ©diate du travail rĂ©alisĂ©. De plus, la recherche de la rentabilitĂ© immĂ©diate impose, outre un rythme rapide d’exĂ©cution des tĂąches,

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une trĂšs faible porositĂ© des temps de travail tels que les espaces qui seraient nĂ©cessaires Ă  des Ă©changes constructifs pour dĂ©velopper les compĂ©tences ne trouvent pas leur place. La durĂ©e des journĂ©es de travail, parfois longues car soumises aux dĂ©lais de livraison du chantier, joue aussi dĂ©favorablement sur la possibilitĂ© d’un temps dĂ©diĂ© Ă  un « retour rĂ©flexif sur le travail ».

Ainsi, les conditions favorables au dĂ©veloppement des compĂ©tences sont souvent contrariĂ©es par la recherche d’une productivitĂ© Ă  court terme qui invite l’employeur Ă  nĂ©gliger la construction d’un parcours qualifiant pour le jeune. L’horizon envisagĂ© Ă  cet Ă©gard se limite bien souvent Ă  la fin du chantier et l’équipe est pressĂ©e par l’objectif de tenir les dĂ©lais annoncĂ©s, voire de limiter les retards dĂ©jĂ  accumulĂ©s.

La rĂ©pĂ©tition des mĂȘmes tĂąches plutĂŽt que leur diversification rĂ©pond trop souvent Ă  l’objectif d’une rentabilitĂ© immĂ©diate du travail du jeune. Les moments d’échanges, notamment ceux permettant un « retour rĂ©flexif sur le travail », sont souvent trop rares et envisagĂ©s comme des temps improductifs qui ralentissent l’activitĂ© professionnelle. Or, cette perception tĂ©moigne d’une vision Ă  court terme de la productivitĂ© : le jeune est supposĂ© plus productif quand il exĂ©cute une tĂąche plutĂŽt que quand il Ă©change. C’est oublier que la consolidation de ses nouvelles compĂ©tences lui permettrait d’ĂȘtre plus productif et plus autonome dans ses activitĂ©s futures
 ce qui ramĂšne Ă  la question du lieu d’exercice de ces activitĂ©s futures et de l’employeur qui tirera bĂ©nĂ©fice des progrĂšs rĂ©alisĂ©s, donc de la durĂ©e du contrat de travail du jeune travailleur.

2.5.6 Un niveau d’instruction initiale faible

Lesdites « compĂ©tences de base », lorsqu’elles sont dĂ©faillantes, peuvent reprĂ©senter un frein majeur au dĂ©veloppement des compĂ©tences. Des progrĂšs en calcul ou encore en lecture de plans peuvent ĂȘtre rĂ©alisĂ©s dans le travail mais ceux-ci restent limitĂ©s.

Au Maroc, certains jeunes ont pu acquĂ©rir des notions de base dans le milieu de travail, principalement en lecture des plans y compris pour les jeunes analphabĂštes qui parviennent Ă  dĂ©chiffrer les plans de bĂ©ton armĂ© par simple reconnaissance visuelle. Ainsi, ils peuvent distinguer par exemple entre le symbole S utilisĂ© pour une semelle ou P pour les poteaux, etc
En revanche, la maĂźtrise orale et a fortiori Ă©crite d’une langue nĂ©cessite un temps long et un dans le principal but d’obtenir un salaire Ă  la fin de la semaine, voire de la journĂ©e. Au SĂ©nĂ©gal, certains investissements consĂ©quents que la plupart des jeunes, issus de familles pauvres, n’ont pas les moyens d’engager, d’autant qu’ils travaillent le plus souvent jeunes, quoique dĂ©sireux de travailler, souffrent de rĂ©elles carences en lecture et en Ă©criture dans chacune des langues (Français ou Wolof). En effet, vu leur faible niveau d’instruction, les ouvriers ne parviennent pas Ă  Ă©tablir des devis pour la rĂ©alisation de certaines Ɠuvres dont ils ont la responsabilitĂ© en leur qualitĂ© de chef d’équipe.

Impossible d’achever ce paragraphe sur les freins sans Ă©voquer l’informalitĂ© de l’emploi. Le caractĂšre informel de l’emploi non dĂ©clarĂ©, renforcerait-il les freins identifiĂ©s ? L’absence de cadre lĂ©gal du travail crĂ©e des conditions d’exercice qui donnent libre cours aux abus en matiĂšre d’emploi et de travail (peu voire pas d’informations sur cette question). Cependant, le caractĂšre plus ou moins structurel de l’emploi informel s’accompagne d’une grande variabilitĂ© des rĂšgles implicites qui rĂ©gissent l’activitĂ© du chantier. Au SĂ©nĂ©gal, oĂč l’emploi informel occupe une place prĂ©pondĂ©rante, le dĂ©faut de rĂšgles

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lĂ©gales n’exclut pas l’expression de rĂšgles sociales qui structurent l’activitĂ© des travailleurs. L’absence de rĂ©glementation ne saurait masquer les codes sociaux.

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Freins Argentine France Maroc Sénégal

BarriÚres linguistiques Enjeu pas relevé

En cas de non-partage d'une mĂȘme langue sur les chantiers (travailleurs d'origine Ă©trangĂšre ne maĂźtrisant pas le Français).

En cas de non-partage d'une mĂȘme langue sur les chantiers (surtout entre berbĂ©rophones et arabophones).

En cas de non-partage d'une mĂȘme langue sur les chantiers (pour des travailleurs ne maĂźtrisant aucune des deux langues Wolof ou Français).

Turnover Ă©levĂ© de la main d'Ɠuvre et vision courttermiste de la productivitĂ©

Recours élevé à la soustraitance.

Priorité accordée au rendement, à la productivité et à la rentabilité immédiats.

Manque de stratégie RH en matiÚre de FC.

Recours fréquent aux contrats intérimaires.

Turnover Ă©levĂ© de la main d'Ɠuvre.

Manque de stratégie RH à moyen terme, hors production.

Priorité accordée au rendement, à la productivité et à la rentabilité immédiats

Priorité accordée au rendement, à la productivité et à la rentabilité immédiats.

Répétitivité des situations professionnelles et fragmentation des tùches

Parcellisation des activités, surtout pour les travailleurs des entreprises soustraitantes.

Parcellisation des activités.

Manque de mobilité limitant la diversité des chantiers.

Cantonnement Ă  des tĂąches basiques.

Concurrence entre les diplÎmés et les non-diplÎmés (ne parvenant pas à occuper certaines fonctions).

Faible implication et motivation Ă  apprendre et / ou Ă  transmettre

Emploi dans la Construction parfois considéré prioritairement comme une activité rémunératrice et transitoire.

Manque de projection, du fait de l'instabilité de l'activité du secteur.

Emploi dans la Construction parfois considéré comme une activité prioritairement rémunératrice et transitoire.

Manque de temps et de reconnaissance pour la transmission.

Emploi dans la Construction souvent considéré comme une activité prioritairement rémunératrice.

Emploi dans la Construction souvent considéré commune une activité prioritairement rémunératrice.

Manque d'ambition d'évolution dans le secteur (et méconnaissance des métiers).

Manque d'ambition d'évolution dans le secteur (et méconnaissance des métiers).

Manque de temps et de reconnaissance pour la

Manque de temps et de reconnaissance pour la

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Tableau 3. Freins relevés venant contrarier les apprentissages dans le travail dans les quatre pays

Niveau d'instruction initiale faible

Pas considéré comme rédhibitoire.

MaĂźtrise parfois insuffisante des savoirs de base.

Pas considéré comme rédhibitoire.

MaĂźtrise parfois insuffisante des savoirs de base, en particulier des calculs.

transmission et crainte d'ĂȘtre dĂ©passĂ© par les jeunes formĂ©s.

Pas considéré comme rédhibitoire.

Problématiques fréquentes d'analphabétisme ou d'illettrisme.

transmission et crainte d'ĂȘtre dĂ©passĂ© par les jeunes formĂ©s.

Pas considéré comme rédhibitoire.

Problématiques fréquentes d'analphabétisme ou d'illettrisme.

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2.6 Quelles compétences développer dans le travail ?

Les compétences que le jeune peut développer dans le travail sont de différentes natures : relatives au comportement jugé idoine, à la maßtrise des « savoirs de base » ou aux connaissances techniques.

C’est l’association de ces diffĂ©rents types de « compĂ©tences », qui s’entretiennent les unes les autres, qui contribue Ă  la qualitĂ© du travail.

2.6.1 Attitudes, compétences sociales et transversales

Les principales compĂ©tences dites « comportementales » ou encore « sociales » mises en avant sont la motivation pour apprendre et progresser, l’implication dans le travail, la proactivitĂ©, la ponctualitĂ© et l’assiduitĂ©. S’y ajoute l’esprit d’équipe. Quel que soit le pays, la « motivation » s’affirme comme la qualitĂ© premiĂšre qui conditionne les autres. Le schĂ©ma ci-dessous dessine les liens d’implication entre les compĂ©tences dites « comportementales ».

Motivation

Implication dans le travail Curiosité

DĂ©sir de progresser et d’apprendre

Proactivité - Ponctualité

Assiduité

Respect des consignes

Les compĂ©tences dites « transversales » que sont l’autonomie, la capacitĂ© d’écoute et d’argumentation, la capacitĂ© Ă  rĂ©soudre des problĂšmes et Ă  travailler en Ă©quipe viennent complĂ©ter le tableau des compĂ©tences utiles dans l’exercice du travail.

2.6.2 Compétences de base

Les « compétences de base » attendues sont trÚs inégalement vérifiées. En Argentine comme en France, la scolarité obligatoire 21, généralement satisfaite 22, permet de mettre en place un socle plus ou moins solide. Au Maroc comme au Sénégal, de nombreux jeunes, particuliÚrement parmi ceux qui

21 Ou encore en France, l’existence du dispositif CLEA ou de dispositifs d’alphabĂ©tisation

22 NĂ©anmoins, en Argentine, dans le secteur de la Construction, 62 % des travailleurs n’ont pas achevĂ© le cursus de l’école obligatoire (jusqu’au secondaire).

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travaillent dans la Construction, n’ont que trĂšs peu Ă©tĂ© scolarisĂ©s, voire pas du tout. Dans ces cas, les trois types de compĂ©tences (lire, Ă©crire et compter) ne sont pas du tout acquises.

Dans la Construction, ce sont les « compĂ©tences de base » en mathĂ©matiques qui ressortent comme les plus utiles pour l’exercice du mĂ©tier. Le calcul des mesures, des volumes appelle des connaissances Ă©lĂ©mentaires en arithmĂ©tique et en gĂ©omĂ©trie. Cette derniĂšre s’avĂšre Ă©galement nĂ©cessaire Ă  la lecture de plan, fortement mise en avant par les employeurs, quel que soit le pays.

2.6.3 Compétences techniques

Les compĂ©tences techniques liĂ©es Ă  l’exercice du mĂ©tier sont au cƓur des apprentissages dans le travail. Ce sont essentiellement celles-ci qui peuvent ĂȘtre acquises au grĂ© des activitĂ©s rĂ©alisĂ©es avec d’autres travailleurs, qui ouvrent la possibilitĂ© d’une reproduction des gestes et des procĂ©dures. Certes, le rĂŽle dĂ©terminant de la « parole » peut ĂȘtre invalidĂ© si la langue n’est pas commune. Reste alors le « geste » qui peut ĂȘtre reproduit en toutes hypothĂšses, Ă  condition de pratiquer le mĂ©tier auprĂšs d’un « tuteur » apte Ă  en faire la dĂ©monstration. Les compĂ©tences dites « techniques » viennent parfois frĂŽler les compĂ©tences dites « de base », telle la lecture de plan qui ressort, aux dires des employeurs, des deux catĂ©gories.

2.6.4 Compétences relatives au respect des normes

Dans la Construction, ce sont principalement les normes de sĂ©curitĂ© qui s’avĂšrent cruciales tant pour ce qui concerne la sĂ©curitĂ© des personnes que la qualitĂ© de la construction. Les compĂ©tences liĂ©es Ă  la connaissance et au respect des normes de sĂ©curitĂ©, essentielles dans les quatre pays, sont particuliĂšrement mises en avant dans les entretiens au SĂ©nĂ©gal. Leur inculcation et leur application renvoient principalement Ă  l’employeur, supposĂ© les faire valoir sur le chantier. Or, le respect de ces normes induit des coĂ»ts liĂ©s aux Ă©quipements nĂ©cessaires (casques, gants, chaussures de sĂ©curitĂ©, matĂ©riel d’harnachement pour travailler en hauteur
), au temps de transmission des consignes, au temps parfois supplĂ©mentaire exigĂ© par l’application des normes (s’attacher Ă  faire un exercice Ă  plusieurs
). D’oĂč un respect des normes de sĂ©curitĂ© souvent enfreint dont tĂ©moigne le nombre d’accidents du travail sur les chantiers et de maladies professionnelles dĂ©veloppĂ©es par les travailleurs

de la Construction

En France, la sĂ©curitĂ© est supposĂ©e rĂ©pondre Ă  un cadre lĂ©gal strictement dĂ©fini dont le respect est censĂ© ĂȘtre contrĂŽlĂ© par l’inspection du travail. Or, selon le site de l’assurance-maladie, « le BTP reste l’un des secteurs les plus sinistrĂ©s, avec 56 accidents du travail enregistrĂ©s pour 1 000 salariĂ©s (la moyenne de tous les secteurs est autour de 34). Des manquements en matiĂšre de sĂ©curitĂ© et de protection de la santĂ© continuent d’ĂȘtre constatĂ©s sur les chantiers, pouvant mener Ă  des accidents graves ». Viennent s’y ajouter les « maladies professionnelles » : troubles musculosquelettiques, pathologies liĂ©es Ă  l’inhalation de poussiĂšres d’amiante, atteintes auditives, etc. » 23. Au Maroc, comme en Argentine et en France, si la sĂ©curitĂ© fait l’objet des rares, voire des seules, formations organisĂ©es pour les salariĂ©s, le respect des consignes n’est pas pour autant garanti, loin de lĂ . Au sein des chantiers, les moyens de protection de la sĂ©curitĂ© sont mis Ă  disposition : casques, chaussures, gants, harnais, garde-corps,

23 https://www.ameli.fr/entreprise/sante-travail/votre-secteur/batiment-travaux-publics/chiffres-cles.

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balisage. Il reste nĂ©anmoins un travail de sensibilisation Ă  opĂ©rer : beaucoup de jeunes travailleurs rechignent Ă  utiliser ces Ă©quipements, par exemple Ă  porter un casque, souvent en raison de l’inconfort que cela procure pendant les pĂ©riodes de chaleur. En Argentine, au niveau des grands chantiers, le syndicat joue un rĂŽle majeur pour veiller au respect des normes.

Quel que soit le type de compĂ©tences, des progrĂšs sont possibles. Aucun jeune n’est soumis au statu quo, Ă  condition que soit envisagĂ© un parcours qui lui permette, pas Ă  pas, d’avancer vers de nouvelles compĂ©tences. C’est dans ce sens que nous formulerons des recommandations en direction des diffĂ©rents acteurs du champ (voir partie 4).

3. Reconnaissance des compétences acquises via les apprentissages dans le travail

La question de la reconnaissance des compĂ©tences acquises via les apprentissages dans le travail demeure centrale dans la mesure oĂč elle constitue une Ă©tape essentielle du processus de professionnalisation des individus. Elle repose principalement sur des mesures d’évaluation et de validation des acquis d’apprentissage qui renvoient d’une part Ă  des dispositifs formels de reconnaissance par la dĂ©livrance de tout ou partie d’une certification reconnue sur un plan institutionnel ou encore Ă  des modalitĂ©s spĂ©cifiques, salariales ou autres, qui s’inscrivent dans le cadre de politiques de branches ou d’entreprises. Ce chapitre rend compte de ces diffĂ©rentes formes de reconnaissance dont nous ont fait part les acteurs rencontrĂ©s lors de nos investigations de terrain.

3.1 Des dispositifs de validation des acquis de l’expĂ©rience professionnelle Ă  gĂ©omĂ©trie variable selon les pays

La validation des acquis de l’expĂ©rience est devenue un enjeu majeur des politiques publiques de formation professionnelle et d’emploi en termes de professionnalisation des salariĂ©s, de gestion du dĂ©veloppement de leurs compĂ©tences ou de maintien de leur employabilitĂ© (dans le cadre des reconversions professionnelles) mais aussi d’intĂ©gration des salariĂ©s issus de l’économie informelle vers le secteur formel comme l’ont mis en avant les acteurs institutionnels rencontrĂ©s. Pour autant, les systĂšmes de reconnaissance des compĂ©tences au travers de la mise en Ɠuvre de dispositifs de validation des acquis de l’expĂ©rience (VAE) sont trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšnes d’un pays Ă  l’autre. Si la France et l’Argentine bĂ©nĂ©ficient de dispositifs formels adossĂ©s respectivement Ă  un cadre lĂ©gislatif et Ă  un dispositif ministĂ©riel complĂ©tĂ© par des accords avec les partenaires sociaux, ce n’est pas encore le cas du Maroc et du SĂ©nĂ©gal qui, en dĂ©pit de l’existence de projets de textes rĂ©glementaires et lĂ©gislatifs sur le sujet Ă©laborĂ©s Ă  la suite de la mise en Ɠuvre de plusieurs expĂ©rimentations, rencontrent des difficultĂ©s Ă  les faire entĂ©riner par leurs autoritĂ©s compĂ©tentes respectives.

En France, le dispositif national de VAE existe depuis une vingtaine d’annĂ©e (voir EncadrĂ© 1) et permet la dĂ©livrance, sous certaines conditions, de tous les diplĂŽmes, titres professionnels ou Certificats de qualifications professionnelles (CQP) enregistrĂ©s au RĂ©pertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Ce rĂ©pertoire est gĂ©rĂ© par une instance de rĂ©gulation quadripartite – Etat, organisations syndicales des salariĂ©s et des employeurs, Conseils rĂ©gionaux – qui examine les demandes d’enregistrements des certifications au RNCP des organismes privĂ©s de formation ou des branches professionnelles, selon des critĂšres spĂ©cifiques. Les diplĂŽmes et titres dĂ©livrĂ©s par les

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ministĂšres certificateurs font l’objet quant Ă  eux d’un enregistrement de droit au rĂ©pertoire Les certifications enregistrĂ©es dans ce rĂ©pertoire font l’objet d’une fiche qui Ă©nonce les activitĂ©s et compĂ©tences visĂ©es par la certification et leurs modalitĂ©s d’évaluation. Le dispositif de VAE s’appuie donc sur ce systĂšme trĂšs normĂ© de construction des certifications et de leur reconnaissance au plan national.

En Argentine, des expĂ©rimentations menĂ©es Ă  partir de 2004, dans quatre secteurs professionnels, ont permis d’aboutir Ă  la mise en place d’un dispositif national de certification des compĂ©tences professionnelles sous l’égide du ministĂšre du Travail, en collaboration avec chaque organisation professionnelle paritaire des secteurs concernĂ©s. Seuls sont concernĂ©s ici les certificats de compĂ©tences professionnelles rattachĂ©s au ministĂšre du travail, ceux-ci Ă©tant distincts des titres professionnels dĂ©livrĂ©s par le ministĂšre de l’Education nationale et ne permettant pas d’établir des passerelles entre les deux systĂšmes. Le rĂŽle des partenaires sociaux sectoriels est dĂ©terminant dans la mise en Ɠuvre du dispositif (voir EncadrĂ© 2).

Le projet de mise en place d’un systĂšme national de VAE au SĂ©nĂ©gal est assez proche dans sa conception du systĂšme français. Les expĂ©rimentations portĂ©es par l’ONFP en attestent (voir EncadrĂ©

3). La non adoption jusqu’ici du cadre juridique (textes de lois et dĂ©crets) encadrant la VAE semblerait provenir des difficultĂ©s de coordination des nombreux acteurs en prĂ©sence (ministĂšres en charge de la formation professionnelle, du travail, de l’enseignement supĂ©rieur, de l’éducation nationale
) et l’absence d’un cadre national des certifications regroupant l’ensemble des certifications dĂ©livrĂ©es au nom des ministĂšres de l’enseignement supĂ©rieur, de la formation professionnelle et de l’éducation nationale 24

Au Maroc, la VAE a Ă©tĂ© initiĂ©e en 2008 par le ministĂšre de l’Emploi, l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT) et la confĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale des entreprises du Maroc (CGEM) suite aux recommandations formulĂ©es lors des premiĂšres Assises de la formation professionnelle de 2006 qui prĂ©voient le lancement d’expĂ©rimentations sectorielles. (voir EncadrĂ© 4). Le dispositif de VAE marocain, qui possĂšde lui aussi de fortes similitudes avec celui de la France, reste pour l’heure suspendu dans sa mise en Ɠuvre Ă  la publication des dĂ©crets d’application bien que le cadre lĂ©gal le rĂ©gissant ait Ă©tĂ© dĂ©fini. Contrairement aux autres dispositifs des autres pays, les certificats dĂ©livrĂ©s dans le cadre de ces expĂ©rimentations n’ont pas de valeur nationale puisqu’elles relĂšvent exclusivement des secteurs professionnels concernĂ©s ce qui pose la question de leur transfĂ©rabilitĂ© Ă  d’autres secteurs professionnels dans le cadre de mobilitĂ© intersectorielle. PrĂ©cisons par ailleurs que le DĂ©partement de la formation professionnelle (DFP) a rĂ©alisĂ© en amont de ces expĂ©rimentations un important travail d’écritures des rĂ©fĂ©rentiels d’emploi-mĂ©tiers et des rĂ©fĂ©rentiels de compĂ©tences dans la quasi-totalitĂ© des secteurs de l’économie marocaine, ce qui lui offre un avantage considĂ©rable pour le dĂ©ploiement Ă  Ă©chelle nationale de son futur dispositif de VAE

24 CF. document Ă©laborĂ© par l’autoritĂ© nationale d’assurance qualitĂ© de l’enseignement supĂ©rieur, de la recherche et de l’innovation (anaq-sup) disponible Ă  l’adresse suivante : s4_fr_senegal_rpl-vae_acqf-plw-24032022.pdf.pdf

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EncadrĂ© 1 : Le systĂšme français de validation des acquis de l’expĂ©rience (VAE)

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a instaurĂ© la mise en Ɠuvre de la VAE et créé le RĂ©pertoire national des certifications professionnelles (RNCP) dans lequel les "diplĂŽmes et les titres Ă  finalitĂ© professionnelle seront classĂ©s par domaine d’activitĂ© et par niveau."

Un texte de loi rĂ©gissant les nouvelles rĂšgles de la VAE a Ă©tĂ© adoptĂ© en dĂ©cembre 2022. Ce dernier assouplit les modalitĂ©s d’accĂšs au dispositif sur divers aspects :

- le public Ă©ligible : la loi introduit un accĂšs universel Ă  la VAE en autorisant toute personne justifiant d’une activitĂ© en lien avec la certification visĂ©e de pouvoir en bĂ©nĂ©ficier.

- la durĂ©e d’expĂ©rience requise qui est complĂštement supprimĂ©e, simplifiant ainsi le processus de recevabilitĂ© de la demande de VAE.

- les types d’expĂ©rience reconnue : peuvent ĂȘtre prises en compte au titre de l’expĂ©rience reconnue des activitĂ©s exercĂ©es Ă  l’occasion de stages, de pĂ©riodes de formation initiale ou continue en milieu professionnel (y compris les contrats de professionnalisation) ou encore les pĂ©riodes de mise en situation en milieu professionnel comme les AFEST (Action de formation en situation de travail).

La nouvelle loi renforce Ă©galement les mesures d’information, de conseil et d’accompagnement des candidats en crĂ©ant un service public de la VAE sous la forme d’un Groupement d’intĂ©rĂȘt public (GIP). Celui-ci devrait faciliter les dĂ©marches d’information et d’orientation des publics dans l’organisation de leurs parcours, en introduisant la possibilitĂ© d’un accompagnement dĂšs la phase amont et en allongeant la durĂ©e du congĂ© de VAE (48h au lieu de 24h).

Par ailleurs, plusieurs expĂ©rimentations en cours de VAE dites « hybrides » ou « inversĂ©es » (c’est-Ă -dire prĂ©voyant un positionnement des individus et un accĂšs Ă  un dispositif de formation en amont de la dĂ©marche de VAE) entĂ©rinent l’idĂ©e que dĂ©sormais la VAE s’inscrit dans une logique de parcours de formation et de certification et n’est plus considĂ©rĂ©e comme une fin en soi.

La dĂ©marche de VAE repose sur la constitution d’ un dossier de validation qui consiste en la description dĂ©taillĂ©e des activitĂ©s et compĂ©tences mises en Ɠuvre en rapport avec celles dĂ©crites dans le rĂ©fĂ©rentiel de la certification visĂ©e. Le jury se prononce sur la base de l’évaluation du dossier du candidat, complĂ©tĂ©e par des modalitĂ©s spĂ©cifiques selon les certificateurs Ă  savoir un entretien et/ou une mise en situation. Le candidat peut bĂ©nĂ©ficier d’un accompagnement qui relĂšve d’une aide mĂ©thodologique Ă  la prĂ©paration de son dossier et de l'entretien avec le jury et Ă©ventuellement de la mise en situation professionnelle (demandĂ©e notamment pour la validation des titres du ministĂšre du travail). Le financement de cet accompagnement qui reste facultatif, mais qui est fortement recommandĂ©, peut ĂȘtre pris en charge sous certaines conditions.

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Encadré 2 : Le dispositif de certification des compétences professionnelles dans le secteur de la construction en Argentine

Dans le secteur de la Construction, le processus d’évaluation et de validation des acquis de l’expĂ©rience est portĂ© par l'IERIC (Instituto de Estadistica y Registro de la Industria de la Construccion), l’organisation professionnelle sectorielle composĂ©e Ă  paritĂ© de reprĂ©sentants du syndicat des travailleurs du secteur de la Construction (UOCRA – Union Obrera de la Construccion de la Republica Argentina) et de la Chambre argentine de la Construction (CAMARCO – Camara Argentina de la Construccion). Depuis 2006, l’IERIC qui travaille en Ă©troite collaboration avec le ministĂšre du Travail est la seule organisation habilitĂ©e Ă  dĂ©livrer des certificats de compĂ©tences professionnelles dans le secteur de la Construction sur le plan national. Ces certificats de compĂ©tences professionnelles relĂšvent du ministĂšre du Travail et se distinguent des titres professionnels dĂ©livrĂ©s par le ministĂšre de l’éducation nationale. Les Ă©tapes de la mise en Ɠuvre de la certification des compĂ©tences professionnelles ont consistĂ©, dans un premier temps, Ă  Ă©laborer un catalogue des mĂ©tiers pour lesquels chaque profil de mĂ©tier a Ă©tĂ© dĂ©fini avec les acteursclĂ©s du secteur et validĂ© par les professionnels du secteur. Ainsi Ă  chaque profil de mĂ©tier dĂ©fini correspond un document enregistrĂ© au niveau du ministĂšre du travail. Ont ensuite Ă©tĂ© dĂ©finis des curriculums et des normes de compĂ©tences professionnelles relatifs Ă  chaque mĂ©tier dĂ©fini. Enfin dans un troisiĂšme temps, ont Ă©tĂ© mis en place des formations au profit des Ă©valuateurs (professionnels avec au moins cinq ans d’expĂ©rience dans le domaine concernĂ©) qui sont Ă©galement enregistrĂ©s au niveau du ministĂšre du travail.

Les bĂ©nĂ©ficiaires de la certification des compĂ©tences professionnelles doivent justifier de 3 Ă  5 ans d’expĂ©rience selon les mĂ©tiers visĂ©s. Les Ă©valuations sont organisĂ©es par le syndicat et l’entreprise de construction dans laquelle sont rĂ©alisĂ©s les travaux spĂ©cifiques demandĂ©s au candidat. L’origine de la demande de certification des compĂ©tences professionnelles peut aussi bien provenir du candidat que de l’entreprise qui l’emploie. Le processus d’évaluation se dĂ©roule en deux parties : mise en place d’un tutorat avec un entretien socioprofessionnel puis Ă©valuation des compĂ©tences Ă  proprement parlĂ©. Celle-ci repose sur une observation de la performance du travailleur sur son lieu de travail, d’une durĂ©e de quarante-cinq minutes qui peut ĂȘtre complĂ©tĂ©e par des questions plus thĂ©oriques, toujours en lien avec les tĂąches effectuĂ©es par le travailleur. Les Ă©valuateurs disposent d'un guide d'Ă©valuation qui dĂ©termine ce qu'il faut observer. Si la personne est jugĂ©e non compĂ©tente, elle est informĂ©e des possibilitĂ©s de suivre des cours de formation professionnelle dans le rĂ©seau des centres de la Fondation UOCRA, pour acquĂ©rir les compĂ©tences qui lui font dĂ©faut. En raison de leur proximitĂ© avec leurs collĂšgues de travail, le rĂŽle des dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux est important dans la diffusion de l'information relative aux processus d'Ă©valuation. En gĂ©nĂ©ral, la certification des compĂ©tences professionnelles est perçue de façon positive par les salariĂ©s dans la mesure oĂč les modalitĂ©s d’évaluation n'impliquent Ă  aucun moment de faire autre chose que ce qu'ils sont habituĂ©s Ă  faire dans leurs activitĂ©s de travail quotidiennes.

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EncadrĂ© 3 : Les expĂ©rimentations de la VAE et « l’apprentissage rĂ©novĂ© » au SĂ©nĂ©gal

La premiĂšre expĂ©rimentation de VAE lancĂ©e au SĂ©nĂ©gal en 2008-2009, s’inscrit dans le cadre d'un programme initiĂ© par le ministĂšre en charge de la formation professionnelle 25. Il ambitionne l'intĂ©gration de l'apprentissage en milieu informel dans le systĂšme global de FP notamment via la certification des qualifications acquises au travers d'une formation pratique dans une unitĂ© de production. Ce programme de dĂ©veloppement massif de l’apprentissage est plus connu sous le nom « d’apprentissage rĂ©novĂ© ». Cette expĂ©rimentation de VAE, concernant trois secteurs d’activitĂ©s (mĂ©canique automobile, habillement et Construction), a Ă©tĂ© mise en Ɠuvre dans le cadre d’un projet de partenariat pour l’Apprentissage et l’Ouverture du systĂšme de Formation Professionnelle et Technique (PAO/sfp) financĂ© par l’Agence Française de DĂ©veloppement (dans sa composante 2, le PAO/sfp visait l’intĂ©gration de l’apprentissage traditionnel dans le dispositif global de la formation professionnelle). Son pilotage a Ă©tĂ© confiĂ© Ă  l’UnitĂ© de Suivi et de Coordination des Projets (USCP), qui a Ă©troitement collaborĂ© avec la Direction de l’Apprentissage.

Sept cent cinquante apprentis rĂ©partis en deux cohortes ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de cette expĂ©rimentation dans le cadre de l’apprentissage rĂ©novĂ© et ont reçu Ă  cette occasion une allocation de bourse mensuelle. De mĂȘme, les maitresapprentis et les Ă©valuateurs ont perçu une allocation dans le cadre de leurs activitĂ©s respectives. Le dossier de candidature Ă©tait composĂ© de deux livrets. Un premier livret qui permettait aux services acadĂ©miques de vĂ©rifier d’une part la recevabilitĂ© de la demande sur le plan administratif (vĂ©rification des trois annĂ©es d’expĂ©riences professionnelles) et d’autre part l’adĂ©quation entre les activitĂ©s et les exigences du diplĂŽme postulĂ©. Dans le second livret le candidat dĂ©crivait d’une maniĂšre dĂ©taillĂ©e les activitĂ©s significatives au regard du diplĂŽme visĂ©. Actuellement, l’apprentissage rĂ©novĂ© se matĂ©rialise au travers de deux grands programmes : le programme formation Ă©cole entreprise (PF2E) et le programme d’employabilitĂ© des jeunes par l’apprentissage (PEJA). La formalisation de l’apprentissage en milieu informel s’appuie sur des rĂ©fĂ©rentiels de formation spĂ©cifiques, Ă©laborĂ©s par la Direction de la Formation Professionnelle et Technique, qui permettent aux maĂźtres-apprentis de suivre un schĂ©ma pĂ©dagogique L’apprentissage rĂ©novĂ© est articulĂ© Ă  un processus de validation des acquis pouvant aboutir Ă  un certificat professionnel de spĂ©cialisation, intĂ©grĂ© depuis 2019 Ă  la nomenclature nationale des diplĂŽmes de la formation professionnelle.

En outre, l’ONFP a mis en place un dispositif de VAE, en prenant appui sur les Ă©noncĂ©s de deux textes lĂ©gislatifs (article 2 et 3 du dĂ©cret n°66-145 du 25 fĂ©vrier 1966 relatif au certificat d’aptitude professionnelle et article 30 de la loi d’orientation de la formation professionnelle du 26 janvier 2015 26). Le processus de VAE consiste pour le candidat Ă  Ă©tablir un dossier de recevabilitĂ© administrative, puis Ă  Ă©laborer le Dossier de synthĂšses des pratiques professionnelles (DSPP) qui retrace les activitĂ©s rĂ©alisĂ©es par le candidat en lien avec la certification visĂ©e. L’accompagnement du candidat est pris en charge par les opĂ©rateurs de formation agréés par l’ONFP qui apporte une aide Ă  l’élaboration du DSPP, Ă  la mise en situation professionnelle et l’entretien individuel. L’ONFP s’est dotĂ© d’un guide de l’accompagnement et d’un document spĂ©cifique sur les modalitĂ©s pratiques d’organisation de la VAE, chacun prĂ©cisant les rĂŽles et responsabilitĂ©s de tous les acteurs impliquĂ©s dans le processus de VAE (accompagnateurs, candidats, ONFP
). Enfin, afin d’encourager l’accĂšs Ă  l’emploi dĂ©cent et la mobilitĂ© professionnelle, l’ONFP Ă©labore des titres de branches professionnelles.

25 A date, le ministùre de la Formation Professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Insertion (MFPAI)

26 « Le certificat d’aptitude professionnelle est dĂ©livrĂ© par la voie de l’examen ou par la voie de la validation des acquis de l’expĂ©rience et les modalitĂ©s d’obtention du diplĂŽme pour chaque mĂ©tier sont fixĂ©es par arrĂȘtĂ©s du Ministre de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle.

La validation des acquis de l’expĂ©rience (VAE) donne la possibilitĂ© Ă  toute personne, quel que soit son Ăąge, son niveau d’études, ou son statut d’obtenir un diplĂŽme, un titre ou un certificat de qualification professionnelle. Les modalitĂ©s de ladite validation sont fixĂ©es par voie rĂ©glementaire. Les titres et diplĂŽmes dĂ©cernĂ©s sont rĂ©pertoriĂ©s, classĂ©s et publiĂ©s en cohĂ©rence avec le systĂšme national de classement ».

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Encadré 4 : le dispositif de VAEP au Maroc et les premiÚres expérimentations sectorielles

Dans sa conception, le processus de validation des acquis de l’expĂ©rience professionnelle (VAEP) repose sur quatre Ă©tapes successives : l’information et le conseil du candidat pour la constitution de son dossier de candidature, l’instruction de ce dossier (phase de recevabilitĂ©), la rĂ©daction du dossier de description de l’expĂ©rience professionnelle, Ă©tape pendant laquelle le candidat bĂ©nĂ©ficie d’un accompagnement, et en dernier lieu l’entretien devant un jury.

Une premiĂšre expĂ©rimentation a Ă©tĂ© menĂ©e par l’OFPPT en 2007 avec la FĂ©dĂ©ration des industries mĂ©tallurgiques, mĂ©caniques et Ă©lectromĂ©caniques (FIMME), qui a mis en place, dans ce cadre, un rĂ©fĂ©rentiel de capacitĂ©s pour certifier des salariĂ©s d’entreprises dans le domaine de la maintenance Ă©lectromĂ©canique. La premiĂšre opĂ©ration a Ă©tĂ© entreprise au niveau de l’Institut SpĂ©cialisĂ© de Technologie AppliquĂ©e Inter-Entreprises (ISTA-IE) puis Ă©tendue en 2008 Ă  d’autres Ă©tablissements sectoriels (Institut SpĂ©cialisĂ© de Technologie AppliquĂ©e GĂ©nie MĂ©canique (ISTA GM)

– Institut SpĂ©cialisĂ© Industriel Mohammedia (ISIM)). Un deuxiĂšme partenariat a Ă©tĂ© entrepris avec la FĂ©dĂ©ration Nationale du BĂątiment et des travaux Publics (FNBTP) en 2008 puis entre 2011 et 2016 avec les fĂ©dĂ©rations des secteurs du textile et de l’habillement, du tourisme et de l'hĂŽtellerie.

Concernant l’expĂ©rimentation menĂ©e dans le secteur de la Construction avec la FNTBP, trois opĂ©rations ont Ă©tĂ© organisĂ©es conjointement avec le DFP et l’AFPA (Agence française pour la Formation Professionnelle des adultes).

Ces opĂ©rations ont rencontrĂ© un fort succĂšs auprĂšs des salariĂ©s et des employeurs puisqu’elle leur a permis de faciliter le classement de leurs ressources humaines, et de connaĂźtre la classification de leurs entreprises dans la rĂ©gion oĂč l’opĂ©ration s’est dĂ©roulĂ©e 27. Le processus s’est Ă©talĂ© sur six mois comprenant la constitution d’un dossier, le suivi et l’accompagnement des candidats, des Ă©valuations Ă©crites et un passage devant une commission spĂ©cialisĂ©e selon les branches. Les personnes ne sachant ni lire ni Ă©crire, ont reçu un accompagnement spĂ©cifique pour les aider. A l’issue des Ă©valuations pratiques et thĂ©oriques, 60 % des candidats ont Ă©tĂ© certifiĂ©s par la FNBTP. Les personnes qui ont obtenu une validation partielle de leurs compĂ©tences se sont vu attribuer des « crĂ©dits » qui leur permettent d’ĂȘtre Ă  nouveau Ă©valuĂ©es sur les seules compĂ©tences pour lesquelles elles n’ont pas Ă©tĂ© validĂ©es. La question du financement de cette expĂ©rimentation s’est posĂ©e pour la FNBTP puisque son coĂ»t s’est Ă©levĂ© Ă  un million de dirhams (100 000 euros) pour les 300 candidats engagĂ©s dans la dĂ©marche.

27 Le ministĂšre de l’amĂ©nagement du territoire au Maroc a mis en place un systĂšme de qualification et de classification des entreprises intervenant dans le secteur des travaux publics. Ce systĂšme vise Ă  faciliter l’apprĂ©ciation des potentialitĂ©s des entreprises et se base sur l’évaluation des capacitĂ©s en matiĂšre financiĂšres, de moyens matĂ©riels et de moyens humains. La classification des entreprises se fait sur la base des dispositions de l’arrĂȘtĂ© n° 934-99 du 21 mai 1999.

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Cadre réglementaire

Dispositif national de formation et certification des compétences professionnelles (ministÚre du Travail)

Inscrit dans la Loi

Cadre légal établi, en attente des décrets d'application

Cadre légal établi, en attente des décrets d'application

Organisme délivrant la certification

Organisme paritaire de branche Etablissement de formation accrédité

Fédérations sectorielles en collaboration avec des instituts sectoriels spécialisés

Pilotage Ministériel (apprentissage rénové) ONFP (expérimentation VAE)

Valeur et typologie du titre délivré

Titre inscrit aux catalogues sectoriels de métiers et de normes de compétence enregistrés au niveau du MinistÚre du Travail

Titre inscrit au RNCP

Titres relevant des secteurs professionnels concernés, sur la base de référentiels sectoriels

Titres inscrits Ă  la nomenclature des diplĂŽmes officiels de la formation professionnelle

Niveau de reconnaissance Sectoriel National Sectoriel National

Modalités de certification

Entretien, Mise en situation

Dossier, Entretien, Mise en situation.

* En l’absence de systĂšme de VAE Ă©tabli, les informations font rĂ©fĂ©rence Ă  des expĂ©rimentations.

Dossier, Entretien

Dossier, Entretien Mise en situation (expérimentation VAE)

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Tableau 4. Dispositifs de reconnaissance de type VAE dans les 4 pays Dispositifs Argentine France Maroc* Sénégal*

3.2 Un constat partagé : les dispositifs de VAE sont le plus souvent méconnus des jeunes et des employeurs

Si la reconnaissance des compĂ©tences acquises par l’expĂ©rience professionnelle est devenue un enjeu majeur des politiques publiques, force est de constater que quelle que soit l’ampleur du dĂ©ploiement des dispositifs de VAE, les objectifs chiffrĂ©s attendus par les pouvoirs publics en termes de nombre de certifiĂ©s, notamment en France et en Argentine, n’ont pas Ă©tĂ© atteints.

L’une des raisons principales de cet Ă©cueil repose sur le fait que les principaux bĂ©nĂ©ficiaires (salariĂ©s, chĂŽmeurs
) de la VAE en ignorent le plus souvent l’existence ou ses modalitĂ©s de mise en Ɠuvre, de mĂȘme que les bĂ©nĂ©fices qu’ils pourraient en tirer dans l’évolution de leur parcours professionnel. C’est le cas de la majoritĂ© des jeunes salariĂ©s rencontrĂ©s dans le cadre de cette Ă©tude et ce, quel que soit leur pays d’appartenance. La plupart des leurs employeurs manifestent aussi leur ignorance quant aux procĂ©dures de validation mis en Ɠuvre au sein de leur secteur ou au niveau national.

Ainsi salariĂ©s comme employeurs reconnaissent le plus souvent ne pas avoir reçu d’information spĂ©cifique sur les modalitĂ©s de validation ou plus largement sur la dĂ©marche de VAE elle-mĂȘme.

Paradoxalement, le recours Ă  la VAE est promu avant tout comme une dĂ©marche individuelle qui s’accommode mal de processus incitatif qui pourrait pourtant favoriser son essor. Comme nous l’avons vu en effet en Argentine, les reprĂ©sentants syndicaux des salariĂ©s jouent un rĂŽle important de promotion et de sensibilisation du dispositif auprĂšs des salariĂ©s dans la mesure oĂč ils les cĂŽtoient au plus prĂšs de leur activitĂ© de travail. Mis en avant comme l’un des principaux dĂ©fis Ă  relever Ă  l’avenir, les acteurs institutionnels argentins ont ainsi Ă  cƓur d’accroitre les mesures de sensibilisation des travailleurs afin que la demande de certification des compĂ©tences professionnelles Ă©mane d’eux et pas seulement des syndicats et employeurs comme c’est encore souvent le cas dans ce pays.

3.3 Des manifestations d’intĂ©rĂȘts qui divergent en fonction des objectifs assignĂ©s Ă  la VAE

Si l’ensemble des acteurs institutionnels rencontrĂ©s dans la Construction s’accordent sur les vertus et les effets positifs de la reconnaissance des acquis de l’expĂ©rience notamment en termes d’employabilitĂ©, d’amĂ©lioration du niveau de salaire et de gestion des carriĂšres, ou encore de rĂ©duction des coĂ»ts de formation, salariĂ©s et employeurs manifestent des points de vue plus nuancĂ©s en fonction de la perception qu’ils en ont.

Du cĂŽtĂ© des jeunes salariĂ©s, une fois la dĂ©marche explicitĂ©e, la VAE est plutĂŽt perçue de façon positive dans la mesure oĂč elle est source de valorisation personnelle ou encore de motivation. Elle permet d’envisager des perspectives d’évolution de carriĂšres et peut faciliter la recherche d’emploi lorsqu’un chantier se termine comme cela a Ă©tĂ© soulevĂ© au Maroc en particulier. Le fait de ne pas ĂȘtre obligĂ© de suivre une formation formelle rencontre Ă©galement un certain assentiment et ce d’autant plus que les jeunes ont eu des difficultĂ©s dans leur parcours scolaire. Cela dit, pour certains, la dĂ©marche permet aussi de mener une rĂ©flexion sur leurs propres niveaux de compĂ©tences et d’envisager des perfectionnements possibles, si besoin par le biais d’actions de formation formelles. Naturellement, les possibilitĂ©s d’avantages associĂ©es telles les gratifications salariales ou les primes ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s comme un point encourageant et au SĂ©nĂ©gal s’y ajoute la possibilitĂ© d’obtenir aussi un accĂšs au

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systĂšme de sĂ©curitĂ© sociale. D’aucuns y voient lĂ  aussi un moyen de lutte contre l’exploitation de la main d’Ɠuvre qui pourrait ainsi se voir rĂ©munĂ©rĂ©e Ă  sa juste valeur. En France toutefois, les jeunes salariĂ©s de la Construction ont manifestĂ© un intĂ©rĂȘt moindre pour une reconnaissance via l’obtention d’une certification dans la mesure oĂč celle-ci n’est pas considĂ©rĂ©e dans ce secteur comme primordiale ni dans l’accĂšs Ă  l’emploi, ni pour progresser au sein de l’entreprise ou faciliter les mobilitĂ©s inter-entreprises, ni enfin pour crĂ©er leur propre entreprise puisque le critĂšre qui prĂ©vaut dans tous les cas demeure celui de l’expĂ©rience professionnelle.

Du cotĂ© des employeurs, les arguments avancĂ©s Ă  la faveur de la VAE sont aussi multiples. Elle est d’abord perçue pour certains comme un vĂ©ritable outil de gestion des ressources humaines pouvant contribuer Ă  la fois au dĂ©veloppement des compĂ©tences des salariĂ©s et Ă  leur progression au sein de l’entreprise et participer ainsi Ă  l’accroissement de sa compĂ©titivitĂ©. Au Maroc, les employeurs y voient mĂȘme un moyen d’accĂ©lĂ©rer la phase de recrutement dans la mesure oĂč contrairement aux employeurs français de la Construction, la valeur sociale du diplĂŽme y est beaucoup plus Ă©levĂ©e. Celui-ci reprĂ©sente en effet une garantie du niveau de qualifications des personnes qui en sont dĂ©tentrices, et Ă  ce titre offre un gain de rentabilitĂ©. Dans le mĂȘme temps, les compĂ©tences attestĂ©es par un diplĂŽme ou plus gĂ©nĂ©ralement une certification professionnelle, permettent au recruteur de disposer d’une Ă©valuation des jeunes salariĂ©s qui peut apparaĂźtre comme moins subjective par rapport Ă  celle que pourraient leur attribuer leur chef de chantier ou d’équipe. Au SĂ©nĂ©gal, certains lui assignent comme vertu d’apaiser les tensions qui peuvent surgir lorsque cohabitent sur un mĂȘme chantier des jeunes diplĂŽmĂ©s bĂ©nĂ©ficiant de peu d’expĂ©rience et Ă  l’inverse des non diplĂŽmĂ©s engrangeant des expĂ©riences nombreuses et variĂ©s.

Les employeurs trouvent Ă©galement un intĂ©rĂȘt Ă  la VAE pour motiver et fidĂ©liser leur main d’Ɠuvre et ce d’autant plus que les salariĂ©s occupent des mĂ©tiers spĂ©cifiques, voire de niches, pour lesquels n’existent pas ou trĂšs peu de formations initiales formelles qui y conduisent. Nous avons rencontrĂ© ce cas en France oĂč une entreprise exerçant des activitĂ©s de bureau d’études et d’ingĂ©nierie de la construction emploient des sondeurs en gĂ©otechnique pour lesquels le seul moyen de reconnaissance des compĂ©tences-mĂ©tiers des salariĂ©s passe par l’obtention d’une certification créée Ă  l’origine par la fĂ©dĂ©ration professionnelle des gĂ©otechniciens.

De mĂȘme, dans les pays enquĂȘtĂ©s, la VAE est considĂ©rĂ©e comme un rĂ©el atout de valorisation des qualifications et des compĂ©tences des salariĂ©s pour l’obtention de certains chantiers soumis Ă  appel d’offres. En effet, la certification apporte aux employeurs une attestation du niveau de qualification de leurs salariĂ©s, celle-ci constituant dans bien des cas l’un des critĂšres d’évaluation et de performance de l’entreprise (voir 3.5).

A contrario, dans les quatre pays, certains employeurs, ont clairement manifestĂ© des doutes quant aux avantages qu’ils pourraient tirer de la VAE en termes de qualitĂ© et de rentabilitĂ©. Dans les petites entreprises notamment qui, rappelons-le, constituent la majoritĂ© des entreprises de la Construction, les salariĂ©s doivent avant tout faire la preuve de leurs compĂ©tences sur le chantier, dans l’exercice effectif de leur activitĂ©. Quel que soit le papier obtenu, il ne constitue en aucun cas Ă  leur yeux un gage ni de la capacitĂ© Ă  faire, ni de la qualitĂ© du travail fourni. Les employeurs attribuent davantage d’importance aux savoirs comportementaux et techniques qu’à la dĂ©tention d’un diplĂŽme. A cela s’ajoute la crainte de voir partir le salariĂ© une fois la certification acquise pour trouver un emploi mieux rĂ©munĂ©rĂ© chez la concurrence. Enfin, certains employeurs reconnaissent qu’ils auraient du mal Ă  supporter les charges financiĂšres supplĂ©mentaire induites par des changements de statuts et des

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augmentations salariales s’ils Ă©taient contraints de devoir reconnaĂźtre les compĂ©tences de leurs salariĂ©s, en application dans certains pays des conventions collectives en vigueur pour lesquelles le diplĂŽme joue un rĂŽle dans la classification des emplois (France, Maroc).

3.4 Des freins encore nombreux qui entachent le développement de la VAE

Comme nous l’avons dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©, l’un des principaux freins au dĂ©veloppement de la VAE rĂ©side dans son manque de visibilitĂ© autant du cĂŽtĂ© des salariĂ©s que des employeurs. Trop peu de campagnes de sensibilisation et d’information, Ă  l’appui d’arguments sur les avantages qu’elle peut procurer tant du cĂŽtĂ© des salariĂ©s que des employeurs, lui ont Ă©tĂ© jusqu’ici consacrĂ©es. Ceci vaut autant pour la France et l’Argentine, qui disposent de dispositifs formels, que pour le SĂ©nĂ©gal et le Maroc, mĂȘme si pour ces deux derniers la mĂ©connaissance est davantage associĂ©e Ă  l’absence de cadre lĂ©gal. La VAE, au regard des quelques expĂ©rimentations mises en Ɠuvre, y reste de fait assez confidentielle.

D’autres freins de nature variĂ©e ont Ă©tĂ© mis en avant lors de nos entretiens :

- la prise en charge du financement de la VAE qui reste encore souvent problĂ©matique et ce quel que soit le pays : cette question se pose tant sur le plan institutionnel pour dĂ©ployer le dispositif au plus prĂšs des territoires (gestion administrative, rĂ©munĂ©ration des jurys d’évaluation, matĂ©riels adĂ©quats dans les mises en situation
), que sur le plan individuel (mesures d’accompagnement fortement incitĂ©es pour Ă©viter les abandons en cours de route, formations complĂ©mentaires pour des remises Ă  niveau ) mais aussi pour les employeurs (problĂšme de temps liĂ©s Ă  l’indisponibilitĂ© des salariĂ©s et d’organisation du travail).

- la valeur sociale des certifications obtenues dans le cadre de la VAE : seule la France aujourd’hui dĂ©livre des certifications reconnues sur le plan national suite Ă  la mise en place d’un rĂ©pertoire national des certifications professionnelles administrĂ©es de façon paritaire qui confĂšre aux certifications la mĂȘme valeur quelle que soit leur voie d’accĂšs (scolaire, apprentissage, formation continue ou VAE). En Argentine, cette Ă©galitĂ© de reconnaissance des certifications n’est pas acquise puisque, si celles dĂ©livrĂ©es par le ministĂšre du Travail dans le cadre de la certification des compĂ©tences professionnelles sont plutĂŽt bien reconnues par les entreprises, elles n’ont pas la mĂȘme valeur que celles du ministĂšre de l’Education nationale et n’offrent pas de passerelles entre les deux systĂšmes. Dans le cadre des expĂ©rimentations menĂ©es au Maroc, la VAE reposait sur des attestations sectorielles n’ayant pas, lĂ  non plus, de valeur nationale. Or dans ce pays, le diplĂŽme acquis en formation initiale demeure un marqueur social important. Il semblerait d’ailleurs que l’un des obstacles liĂ©s au report de la sortie des dĂ©crets d’application de la VAE tienne au fait que certains milieux acadĂ©miques marocains ne voient pas d’un bon Ɠil qu’un mĂȘme diplĂŽme puisse ĂȘtre dĂ©livrĂ© aussi bien Ă  des Ă©lĂšves ou Ă©tudiants Ă  l’issue d’un parcours de formation initiale, qu’à des professionnels, certes expĂ©rimentĂ©s, mais qui ne possĂšdent pas, dans bien des cas, les rudiments des savoirs de base. Quant au SĂ©nĂ©gal, le constat portait sur le fait qu’il manque un systĂšme de passerelles au sein du systĂšme de formation professionnelle qui permettrait des liens Ă  partir d’un diplĂŽme obtenu par l’apprentissage rĂ©novĂ© et qu’il devient ainsi un diplĂŽme-plancher

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- la spécificité du secteur de la Construction en termes de développement des compétences : en France notamment, la Construction reste un secteur à fort développement de formations obligatoires et les politiques en matiÚre de formations certifiantes y sont peu déployées.

- des difficultĂ©s liĂ©es Ă  la procĂ©dure de VAE elle-mĂȘme. En France et au SĂ©nĂ©gal, qui ont optĂ© pour des dĂ©marches assez semblables, celle-ci est souvent perçue comme trop longue, plusieurs mois pouvant s’écouler entre l’entrĂ©e dans le dispositif et l’évaluation du candidat. De mĂȘme, la phase de recevabilitĂ© est souvent jugĂ©e trop lourde et certains candidats se heurtent en outre Ă  des difficultĂ©s de traçabilitĂ© de leurs expĂ©riences en raison du refus de certains employeurs de leur dĂ©livrer des attestations de travail, piĂšces justificatives de l’exercice effectif de l’activitĂ© en lien avec la certification visĂ©e. C’est le cas notamment au Maroc et au SĂ©nĂ©gal oĂč les activitĂ©s de la Construction relĂšvent en grande partie de l’économie informelle. Autre difficultĂ© majeure, la VAE repose (hormis dans le cas de l’Argentine) sur la rĂ©daction d’un dossier de descriptions des activitĂ©s et des compĂ©tences visĂ©es par la certification. Or les problĂšmes d’illettrisme, d’analphabĂ©tisme, ou de maĂźtrise partielle de la langue administrative du pays d’origine sont souvent considĂ©rĂ©es par les candidats potentiels comme des obstacles infranchissables pour pouvoir aller au bout de la dĂ©marche. Enfin, l’implication personnelle importante qu’exige la dĂ©marche de VAE en termes de disponibilitĂ© n’est pas forcĂ©ment compatible avec les horaires de chantier, ou la fatigue Ă©prouvĂ©e Ă  la fin de la journĂ©e qui laisse peu de latitude aux jeunes travailleurs de s’y consacrer.

A ces freins s’ajoutent ceux dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©s dans le chapitre prĂ©cĂ©dent qui renvoient Ă  la perception nĂ©gative de la dĂ©marche de VAE qu’en ont les employeurs lorsque celle-ci va Ă  l’encontre de leurs propres intĂ©rĂȘts (augmentation salariale, risque de dĂ©bauchage
).

3.5 Des facteurs de dĂ©veloppement de la VAE qui s’inscrivent en contre poids des freins identifiĂ©s

Les freins que nous venons de dĂ©crire sont identifiĂ©s par les acteurs rencontrĂ©s comme autant de facteurs de dĂ©veloppement de la VAE dĂšs lors qu’ils sont effectivement pris en compte. Au risque de nous rĂ©pĂ©ter, nous mettons l’accent ici sur quelques leviers dĂ©terminants favorables au dĂ©veloppement de la VAE.

Au Maroc et au SĂ©nĂ©gal, il va de soi que le dĂ©veloppement de la VAE ne pourra ĂȘtre rendu possible qu’à partir du moment oĂč seront dĂ©finitivement adoptĂ©s un cadre institutionnel et un systĂšme national de certification reposant sur des normes explicites en matiĂšre d’ingĂ©nierie de certification (Ă©laboration de rĂ©fĂ©rentiels d’activitĂ©s, de compĂ©tences et d’évaluation) et d’assurance qualitĂ© (processus d’enregistrement des certifications au sein d’un rĂ©pertoire)

Pour autant quels que soient les pays observés, les acteurs rencontrés ont insisté sur la nécessité de mieux valoriser, promouvoir et faire connaßtre la VAE auprÚs des publics concernés. Pour ce faire, les acteurs des branches professionnelles ont un rÎle important à jouer, y compris comme il a été mis en avant en Argentine, les représentants syndicaux de salariés.

De leur cĂŽtĂ©, les pouvoirs publics sont aussi convoquĂ©s au travers de leur politique d’emploi et de formation Ă  encourager les entreprises Ă  dĂ©velopper les compĂ©tences de leurs salariĂ©s et Ă  embaucher du personnel qualifiĂ©. A ce propos, SĂ©nĂ©galais et Argentins ont pointĂ© du doigt les liens Ă 

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Ă©tablir entre certification et amĂ©lioration des conditions de travail vs sĂ©curitĂ©, dans la mesure oĂč les compĂ©tences liĂ©es Ă  cette dimension font l’objet d’une Ă©valuation dans le cadre de la VAE. De la mĂȘme maniĂšre, une incitation forte au recours Ă  de la main d’Ɠuvre certifiĂ©e pourrait consister Ă  en faire un des critĂšres de sĂ©lection des candidatures dans les procĂ©dures de marchĂ© public. C’est dĂ©jĂ  le cas pour les entrepreneurs français qui, dans leur rĂ©ponse, doivent faire la preuve qu’ils « possĂšdent les qualifications requises, c’est-Ă -dire la preuve d’un certain niveau de compĂ©tences professionnelles. La preuve de la capacitĂ© professionnelle peut ĂȘtre apportĂ©e par tout moyen, notamment par des rĂ©fĂ©rences, des justifications professionnelles ou les attestations de qualification professionnelle de certains agents qualifiĂ©s
. Parmi ces justifications particuliĂšres figurent les certificats professionnels et les certificats de qualitĂ© (certificat attribuĂ© par un organisme certificateur ou attestant de l’existence d’un manuel de qualitĂ© et de procĂ©dures) » 28. Au Maroc, les mĂȘmes exigences s’appliquant en matiĂšre de marchĂ© public, les preuves de reconnaissance des compĂ©tences apportĂ©es par la VAE reprĂ©sentent dĂšs lors un atout considĂ©rable pour dĂ©crocher ces marchĂ©s.

Bien que demeurant une dĂ©marche individuelle, certains interlocuteurs on fait valoir Ă©galement le rĂŽle que peut jouer l’entreprise elle-mĂȘme dans le portage de la dĂ©marche de VAE. En France, par exemple, une Ă©tude rĂ©alisĂ©e dans le BTP Ă  la demande de l’opĂ©rateur de compĂ©tences (OPCO) du secteur de la construction, a permis de pointer les effets positifs du dispositif de VAE lorsque les entreprises l’inscrivent comme vĂ©ritable outil de gestion des ressources humaines. La mĂȘme Ă©tude montre Ă©galement certains exemples de VAE collectives mis en place Ă  l’initiative de grandes entreprises ou de regroupements d’employeurs dans le cas des plus petites d’entre elles. Ces dĂ©marches collectives ont fait leur preuve en matiĂšre d’efficacitĂ© et de rĂ©ussite des candidats y ayant participĂ© (voir EncadrĂ© 5).

Sur le plan de la dĂ©marche de VAE elle-mĂȘme, les amĂ©liorations attendues sont autant d’élĂ©ments facilitateurs au dĂ©veloppement de la VAE. Elles s’expriment au travers de :

- mesures de simplification du processus administratif et d’ouverture du dispositif Ă  toutes les catĂ©gories de public. En Argentine par exemple, seuls les travailleurs issus des entreprises formelles sont concernĂ©s par la VAE, dans la mesure oĂč la demande d’ouverture et de financement du processus auprĂšs du ministĂšre Ă©mane du syndicat en accord avec l’employeur. Les travailleurs « informels » des entreprises moyennes traditionnels et les travailleurs « informels » des trĂšs petites entreprises ou en auto-emploi en sont de fait exclus. En France, les modifications successives apportĂ©es au dispositif de VAE depuis sa crĂ©ation, tout comme le dernier projet de rĂ©forme actuel n’ont eu de cesse que de vouloir Ă©tendre le pĂ©rimĂštre des ayants-droits (bĂ©nĂ©voles d’association sportives ou culturelles, reprĂ©sentants syndicaux, aidants familiaux
). Au SĂ©nĂ©gal, a Ă©tĂ© pointĂ©e l’absence de certification spĂ©cifique reconnaissant le statut et le rĂŽle de transmission du maĂźtre d’apprentissage qui leur permettrait de conserver un statut distinct et de valoriser leur fonction par rapport Ă  leurs apprentis.

- mesures d’accompagnement des candidats. Les expĂ©riences passĂ©es, notamment en France, montrent que les chances de rĂ©ussite des candidats sont d’autant plus Ă©levĂ©es qu’ils ont pu bĂ©nĂ©ficier de mesures d’accompagnement tout au long de la dĂ©marche. Le caractĂšre systĂ©matique du recours Ă  l’accompagnement se pose dĂšs lors comme une nĂ©cessitĂ© tout comme la question de

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28 Extrait du guide de bonnes pratiques en matiĂšre de marchĂ© public publiĂ© par le ministĂšre de l’économie en 2014.

son financement. Au Maroc par exemple, les textes d’application de la nouvelle loi en cours d’élaboration, prĂ©voient le recours Ă  des rĂ©dacteurs (des Ă©tudiants issus de spĂ©cialitĂ©s Ă©loignĂ©es de celles des candidats VAEP), rĂ©munĂ©rĂ©s par l’Etat sur la ligne budgĂ©taire dĂ©diĂ©e Ă  la VAEP, pour aider les personnes en situation d’analphabĂ©tisme ou d’illettrisme Ă  constituer leurs dossiers Ă©crits. - la nĂ©cessitĂ© d’une stabilisation des sources de financement du dispositif. En Argentine, la certification des compĂ©tences professionnelles dans la Construction est principalement financĂ©e par des fonds du ministĂšre du Travail et de l’organisation sectorielle paritaire (IERIC). Les syndicats de salariĂ©s, fortement engagĂ©s dans son dĂ©veloppement rĂ©clament une politique publique globale en la matiĂšre qui intĂšgre aussi des leviers financiers. Au Maroc, les employeurs rencontrĂ©s plaident pour que la VAE soit financĂ©e par les fonds dĂ©diĂ©s Ă  la formation continue constituĂ©s Ă  partir de leur contribution obligatoire. En France, la nouvelle loi sur la VAE prĂ©voit un renforcement des mesures d’accompagnement des candidats qui devraient se traduire par une implication financiĂšre plus Ă©levĂ©e des conseils rĂ©gionaux. Les acteurs institutionnels rencontrĂ©s au SĂ©nĂ©gal plaident quant Ă  eux pour une ligne budgĂ©taire Ă©tatique pour une prise en charge globale de la VAE.

Encadré n°5 : Les leviers identifiés favorisant le développement

de la VAE dans le BTP en France

En 2019, Ă  la demande de l’OPCO Constructys, le CĂ©req a analysĂ© l’accĂšs et l’accompagnement des salariĂ©s du BĂątiment et des Travaux publics (BTP) Ă  la VAE (BeaupĂšre, Kogut-Kubiak et al., 2020) L’étude met en avant un certain nombre de leviers pouvant enrayer le faible recours Ă  la VAE dans ce secteur comme :

> les dĂ©marches de VAE hybrides. Elles associent VAE et possibilitĂ© de formation en amont de l’entrĂ©e dans le dispositif pour combler les lacunes du candidat identifiĂ©s lors de son positionnement. De plus, l’accompagnement systĂ©matique, rĂ©gulier et balisĂ© dans le temps (certificateur, tuteur interne Ă  l’entreprise, rĂ©fĂ©rent externe, personne-ressource
) offre plus de chance au candidat d’arriver au terme de sa dĂ©marche.

>les projets de VAE collectives qui, bien que pouvant rĂ©pondre Ă  des enjeux variables, s’appuient sur quatre spĂ©cificitĂ©s communes :

- les phases importantes de sensibilisation, d’information et de communication en amont du projet auprĂšs des entreprises concernĂ©es, organisĂ©es par l’OPCO ou un rĂ©fĂ©rent VAE ;

- les dĂ©marches de VAE collectives viennent en rĂ©ponse Ă  des problĂ©matiques RH identifiĂ©es (fidĂ©lisation de la main d’Ɠuvre, valorisation du personnel
) et s’articulent Ă  d’autres outils, formatifs par exemple ;

- la dĂ©signation d’une personne ressource agissant en qualitĂ© de « chef d’orchestre », nĂ©cessaire pour aider Ă  la coordination des nombreux acteurs en prĂ©sence (responsables d’entreprise, formateurs, certificateurs, pouvoirs publics, cabinet de consultant dans certains cas
) ;

- la possibilitĂ© au travers des dĂ©marches collectives de dĂ©passer les obstacles rencontrĂ©s dans les dĂ©marches individuelles (isolement du candidat, recherche d’une certification adĂ©quate, de financement
)

3.6 De la reconnaissance

symbolique

de la VAE à d’autres formes

de

reconnaissance qui relùvent davantage des politiques d’entreprises ou de branches

La VAE par l’obtention d’une certification peut constituer en soi la seule forme de reconnaissance des individus, notamment au sein des entreprises, et ce quel que soit le pays observĂ©. Cela dit, elle n’en demeure pas moins, sur le plan symbolique, une forme de valorisation essentielle dans la mesure oĂč elle reprĂ©sente souvent le premier diplĂŽme obtenu pour nombres d’individus mais surtout une forme de rĂ©paration lorsque ceux-ci ont dĂ» interrompre leur trajectoire scolaire. Ainsi, s’ils n’obtiennent pas d’autres formes de compensation au sein de l’entreprise, ils en tirent nĂ©anmoins le bĂ©nĂ©fice de savoir qu’ils pourront aller monnayer leurs compĂ©tences ainsi reconnues sur le marchĂ© du travail lorsque l’occasion se prĂ©sentera. Certaines entreprises ayant entrepris des dĂ©marches de VAE collectives vont

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jusqu’à organiser des remises de diplĂŽmes devant l’ensemble des autres salariĂ©s, et la famille du candidat suscitant ainsi la fiertĂ© des heureux laurĂ©ats. C’est le cas en Argentine par exemple ou en France.

Les jeunes salariĂ©s rencontrĂ©s Ă©mettent nĂ©anmoins dans la plupart des cas le vƓu que la reconnaissance de leurs compĂ©tences se traduise, Ă  l’issue ou non d’un processus de VAE, par des augmentations salariales (changement de classification ou attribution de primes) ou encore par l’attribution de nouvelles tĂąches ou activitĂ©s, voire de responsabilitĂ©s accrues (accĂ©der Ă  un poste de chef de chantier par exemple). Dans tous les cas, ces mesures relĂšvent quasi exclusivement de l’initiative de l‘employeur ou s’inscrivent plus largement dans le cadre d’une politique de branche.

Par ailleurs comme nous l’avons vu prĂ©cĂ©demment, les entreprises qui font de la VAE un levier de gestion des ressources humaines pour fidĂ©liser par exemple leur main d’Ɠuvre, ou amĂ©liorer la rentabilitĂ© de leur entreprise, sont plus enclines Ă  mettre en Ɠuvre ces mesures de reconnaissance salariale. De mĂȘme, si la qualification des emplois fait l’objet de mesures spĂ©cifiques de reconnaissance dans les conventions collectives de branche, avec une prise en compte du diplĂŽme parmi les critĂšres de classement, comme c’est encore le cas en France dans le secteur de la Construction, l’entreprise se devra de reclasser ses salariĂ©s en consĂ©quence. Des attentes en la matiĂšre ont Ă©tĂ© exprimĂ©s en Argentine et au SĂ©nĂ©gal.

Nous reprenons Ă  notre compte la conclusion de chargĂ©s d’études du CĂ©req qui, s’interrogeant sur l’obsolescence des normes de qualifications, formulait le constat suivant (Guitton C., Molinari-Perrier

M. 2021) : « Au registre institutionnel des normes de qualification, fondĂ© sur le diplĂŽme, se superpose un registre gestionnaire des normes de professionnalitĂ©, fondĂ© sur la compĂ©tence. Leur rĂ©-articulation constitue un enjeu majeur dans la mesure oĂč « on ne peut prĂŽner la mobilitĂ© et l’évolutivitĂ© des salariĂ©s sans leur donner les moyens d’évoluer, c’est-Ă -dire l’identification et la reconnaissance des compĂ©tences dans un espace plus large qui est celui des qualifications et du marchĂ© du travail » 29 »

Comme l’ont fait valoir certains employeurs français, la gestion individuelle des compĂ©tences nĂ©cessite la mise en Ɠuvre d’outils de gestion (dĂ©finition de fiche de poste, grille d’évaluation des salariĂ©s) sans lesquels aucun systĂšme de reconnaissance objectif ne peut voir le jour. Il reste encore du chemin Ă  parcourir pour beaucoup d’entreprises pour aller dans ce sens et ce quel que soit le pays.

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29 Propos de H. Bertrand, Alternatives économiques, n°179, 2000.

4. Recommandations

Les observations de terrain conduites dans les quatre pays de l’étude fournissent des pistes concrĂštes et possibles de valorisation des apprentissages dans le travail concourant Ă  une meilleure insertion socio-Ă©conomique des jeunes, sans ou avec peu de bagage initial, et Ă  l’élargissement des opportunitĂ©s de travail dĂ©cent tout au long de la vie. Elles permettent d’identifier des enjeux communs et d’élaborer des prĂ©conisations utiles pour alimenter une rĂ©flexion partagĂ©e entre les dĂ©cideurs politiques nationaux, les partenaires techniques et financiers (y compris les chefs de projets dans les pays partenaires de l’AFD), les opĂ©rateurs de terrains MĂȘme si ces enjeux dĂ©coulent d’une Ă©tude circonscrite au secteur de la Construction, les recommandations qui suivent se veulent assez gĂ©nĂ©rales et gĂ©nĂ©ralisables Ă  une pluralitĂ© de situations professionnelles et Ă  un large Ă©ventail de contextes nationaux, plus ou moins marquĂ©s par la prĂ©sence du travail informel.

Recommandation 1 : Organiser des espaces / temps propices au retour réflexif accompagné sur le travail accompli

La motivation des jeunes est perçue comme l’une des principales compĂ©tences nĂ©cessaires Ă  l’accomplissement d’apprentissages dans le travail La « motivation » doit s’accompagner de la prĂ©sence d’un environnement professionnel stimulant, ouvert au dialogue, Ă  l’échange et faisant preuve de bienveillance vis-Ă -vis des jeunes travailleurs moins expĂ©rimentĂ©s. Ces conditions de base favorables aux apprentissages dans le travail nĂ©cessitent une adaptation de l’organisation du travail susceptible de maximiser leurs effets. L’organisation des temps dĂ©diĂ©s au retour rĂ©flexif accompagnĂ© reprĂ©sente certainement une des conditions facilitantes, tout en consolidant l’assimilation des nouvelles compĂ©tences et en planifiant celles Ă  venir (voir chapitre 2).

La mise en Ɠuvre de ces espaces/temps consacrĂ©s au retour rĂ©flexif peut prendre des formes diffĂ©rentes. La curiositĂ© et l’implication du jeune en sont le moteur, lors d’échanges ou questions posĂ©es Ă  ses pairs ou au supĂ©rieur hiĂ©rarchique. L’employeur peut aussi promouvoir la crĂ©ation de temps dĂ©diĂ©s Ă  ces Ă©changes, en groupe ou en tĂȘte-Ă -tĂȘte, en dehors du temps de production, juste avant ou juste aprĂšs une sĂ©ance de travail, pour revenir sur la rĂ©alisation des tĂąches ou sur la mission attribuĂ©e au jeune. Il est alors important de dĂ©passer l’idĂ©e commune que le temps dĂ©diĂ© Ă  ce bilan soit coĂ»teux pour l’organisation parce qu’improductif Ce temps peut en rĂ©alitĂ© faciliter la consolidation des compĂ©tences et gĂ©nĂ©rer une efficacitĂ© supĂ©rieure, un gain de temps et un investissement sur la qualitĂ© du travail Ă  venir.

L’accomplissement ultime d’une dĂ©marche de rĂ©flexivitĂ© comme celle ici proposĂ©e est reprĂ©sentĂ© par la mise en Ɠuvre de pratiques plus formalisĂ©es. On peut, par exemple, penser ici au dĂ©veloppement de dispositifs comme l’AFEST en France (voir 1.1.2) Cette modalitĂ© pĂ©dagogique individualisĂ©e vise le dĂ©veloppement de compĂ©tences trĂšs ciblĂ©es et choisies selon les niveaux de qualification. Elle se dĂ©roule en situation rĂ©elle de travail selon un processus d’apprentissage structurĂ©, alternant des temps de mises en situation et des temps de rĂ©flexivitĂ© pour revenir sur le travail accompli. La mise en place d’un parcours AFEST nĂ©cessite nĂ©anmoins un outillage dĂ©diĂ© et des conditions prĂ©alables exigeantes dont : une analyse de l’activitĂ© faisant ressortir les tĂąches principales, les ressources et les

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compĂ©tences nĂ©cessaires pour les rĂ©aliser, l’implication active d’un rĂ©fĂ©rent (souvent les responsables hiĂ©rarchiques) en capacitĂ© d’amĂ©nager les situations de travail avec une intention pĂ©dagogique et de mobiliser les ressources nĂ©cessaires, et d’un accompagnateur (souvent un collĂšgue plus expĂ©rimentĂ©) capable d’assurer un suivi rĂ©gulier de l’apprenant. Il assure l’animation des sĂ©quences de rĂ©flexivitĂ© (qui se distinguent du debriefing, de la transmission de consignes ou encore de l’évaluation), mais aussi la mesure des acquis de l’apprenant par rapport aux objectifs initiaux (RĂ©seau ANACT-ARACT, 2019, ibid.).

Il nous semble donc important d’envisager des stratĂ©gies et des formes d’accompagnement visant la sensibilisation des entreprises vis-Ă -vis de la crĂ©ation d’espaces de rĂ©flexivitĂ© nĂ©cessaires au dĂ©veloppement des compĂ©tences. La mise en Ɠuvre de dispositifs de type AFEST peut reprĂ©senter un format abouti, Ă  nuancer toutefois selon les contextes et les conditions locales.

Recommandation 2 : PrÎner la diversité et la progressivité des situations professionnelles

La diversité des situations auxquelles le jeune est amené à faire face joue un rÎle essentiel dans le développement des compétences. Plus le jeune est confronté à des situations nouvelles, plus il rencontre des occasions de monter en compétences. La variété des missions à accomplir, des « défis à relever » est source de résolution de problÚmes qui contribue à forger de nouvelles compétences (voir chapitre 2).

Il appartient Ă  l’entreprise (ou au supĂ©rieur hiĂ©rarchique) d’impulser une certaine progressivitĂ© dans les tĂąches, les dĂ©fis ou les problĂšmes auxquels le jeune salariĂ© va ĂȘtre confrontĂ©. Une organisation du travail capable de faire circuler la main d’Ɠuvre sur des postes diffĂ©rents, des responsables hiĂ©rarchiques capables d’attribuer des tĂąches diffĂ©rentes et d’une complexitĂ© croissante, constitue un environnement favorable au dĂ©veloppement des compĂ©tences.

La progressivitĂ© doit se combiner avec les retours rĂ©flexifs, le droit Ă  l’erreur et le dĂ©veloppement de l’autonomie dans la recherche des solutions pour les problĂšmes qui se prĂ©sentent. L’apprentissage tient ainsi aux essais que le jeune engage au long de son parcours, parsemĂ© d’écueils, de nouvelles expĂ©riences, capables de maintenir Ă©levĂ© son niveau d’implication qui pourrait se dĂ©liter face Ă  la rĂ©pĂ©tition. On parle ainsi de « globalitĂ© des apprentissages » qui doit se concrĂ©tiser dans l’opportunitĂ© de « faire le tour » de toutes les composantes d’un mĂ©tier pour se l’approprier complĂštement et durablement.

C’est donc en impliquant les gestionnaires RH et les cadres intermĂ©diaires d’entreprises qu’il est nĂ©cessaire intervenir pour dĂ©velopper progressivement des modĂšles productifs plus favorables au dĂ©veloppement de la qualification des jeunes. Les politiques publiques peuvent aussi jouer un rĂŽle d’aiguillon, de facilitateur vis-Ă -vis des partenaires sociaux et des reprĂ©sentants des milieux professionnels (branches, acteurs paritaires, etc.)

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Recommandation 3 : Valoriser les accompagnants expérimentés

La constitution de binĂŽmes « un jeune – un travailleur expĂ©rimentĂ© » est une pratique assez commune dans les contextes professionnels et nationaux observĂ©s. Dans certains contextes, elle porte mĂȘme une dimension plus codifiĂ©e

La constitution de binĂŽmes s’avĂšre gĂ©nĂ©ralement efficace, Ă  condition (comme observĂ© dans le chapitre 2) que la personnalitĂ© de l’accompagnateur puisse « matcher » avec celle du jeune accompagnĂ© L’efficacitĂ© de la configuration en binĂŽme est liĂ©e aux formes de reconnaissance que le milieu professionnel accorde Ă  l’accompagnant, au-delĂ  de sa lĂ©gitimitĂ© en tant que travailleur expĂ©rimentĂ©. Elle doit aussi se concrĂ©tiser dans une reconnaissance qui se traduit par une valorisation de son statut au sein de l’organisation. Les expĂ©riences en cours visant la formalisation des dispositifs d’apprentissage traditionnel (notamment l’apprentissage rĂ©novĂ© au SĂ©nĂ©gal, voir chapitre 3) montrent bien l’importance d’obtenir une adhĂ©sion de l’accompagnant au projet, notamment par des formes de reconnaissance pĂ©cuniaire. Dans ces expĂ©rimentations les maĂźtres-apprentis (ainsi que les jeunes formĂ©s) perçoivent une allocation en plus de leurs activitĂ©s habituelles de travail

Cependant la reconnaissance Ă©conomique peut ne pas ĂȘtre suffisante, dans les cas oĂč le parcours d’apprentissage du jeune ouvre sur une reconnaissance formelle sanctionnĂ©e par un titre ou un niveau de qualification supĂ©rieur Ă  celui de l’accompagnant, qui lui-mĂȘme ne possĂšde pas forcĂ©ment de diplĂŽme. Pour ne pas brouiller les hiĂ©rarchies et entretenir la motivation des accompagnants, il est alors important de penser Ă  des formes de reconnaissance du statut de l’accompagnateur expĂ©rimentĂ© (un titre formel ou un certificat Ă©mis par une autoritĂ© reconnue Ă©tatique ou sectorielle) qui puisse faire fonction de signalement au sein de sa communautĂ© professionnelle.

Il revient aux pouvoirs publics, notamment aux ministĂšres ayant la responsabilitĂ© de la formation professionnelle, et aux partenaires sociaux d’identifier les leviers possibles pour obtenir l’adhĂ©sion des travailleurs expĂ©rimentĂ©s dans les parcours d’apprentissage des jeunes. Parmi les leviers possibles, la formalisation d’une attestation de maĂźtre-apprenti associĂ©e, le cas Ă©chant, Ă  un niveau de qualification, pourrait soutenir l’organisation du travail dans un contexte apprenant.

Recommandation 4 : Développer des savoirs de base comme prérequis pour la progression des compétences

Le dĂ©veloppement des compĂ©tences dans le travail s’opĂšre plus ou moins aisĂ©ment selon le socle de connaissances initiales dĂ©tenu par le jeune au moment du premier accĂšs au travail (voir chapitre 2). MĂȘme si l’absence ou le manque de compĂ©tences Ă©lĂ©mentaires en lecture, Ă©criture et calcul ne reprĂ©sentent pas (dans la plupart des cas) des obstacles incontournables Ă  l’accĂšs Ă  des secteurs Ă©conomiques en demande de main d’Ɠuvre peu qualifiĂ©e, il va de soi qu’elles influencent le potentiel d’apprentissages, la capacitĂ© et la vitesse d’adaptation Ă  un poste de travail, les possibilitĂ©s d’évolution.

Les apprentissages dans le travail peuvent partiellement pallier ces manques (voir chapitre 2). Mais il semble tout de mĂȘme nĂ©cessaire de penser Ă  des stratĂ©gies pour combler davantage encore ces

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dĂ©ficits, notamment par une sensibilisation des entreprises sur le sujet, devant aboutir Ă  une prise de conscience des coĂ»ts cachĂ©s induits (surcoĂ»ts liĂ©s aux rĂ©gulations d’erreurs, moindre qualitĂ© du travail rendu, turn-over, etc.), par un accompagnement et un outillage des entreprises dans la mise en Ɠuvre d’actions en faveur de leurs Ă©quipes. Celles-ci peuvent se traduire par des activitĂ©s de communication ciblĂ©es, (sans toutefois tomber dans la stigmatisation), comme, par exemple, des activitĂ©s de diagnostic, de sensibilisation de la main d’Ɠuvre mais aussi la mise en Ɠuvre d’actions de formation (individuelles ou collectives) visant le renforcement des compĂ©tences Les activitĂ©s citĂ©es ici constituent un programme d’actions Ă  confier Ă  une organisation qui soit spĂ©cifiquement dĂ©diĂ©e Ă  la lutte contre l’illettrisme En France, l’Agence nationale française de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) en est un exemple notable. Elle agit comme facilitateur et accompagnateur des entreprises de la phase de diagnostic des besoins jusqu’à Ă  la mise en place d’actions de formation ciblĂ©es.

Recommandation 5 : Encourager des dispositifs formalisés et souples de reconnaissance

Force est de constater que quelle que soit la forme d’acquisition des compĂ©tences y compris dans un contexte informel incluant les apprentissages dans le travail, la question de leur valorisation et de leur signalement, et donc de leur reconnaissance, se pose Les formes de reconnaissance symbolique ou sociale, par exemple de travailleurs plus anciens et expĂ©rimentĂ©s au sein de leur communautĂ© professionnelle (maĂąlem au Maroc, par exemple) peuvent ne pas ĂȘtre suffisantes Ă  plus grande Ă©chelle, et notamment dans une logique de conversion des Ă©conomies informelles aux Ă©conomies formelles Dans les pays observĂ©s, les expĂ©rimentations se multiplient (voir chapitre 3), pour que les acquis des apprentissages traditionnels dĂ©bouchent sur des formalisations explicites, corrĂ©lĂ©es Ă  la dĂ©livrance de certificats et ou de diplĂŽmes issus des Etats ou des organisations sectorielles. Les procĂ©dures de reconnaissance des acquis d’apprentissage peuvent prendre des formes variĂ©es, plus ou moins formalisĂ©es, plus ou moins contraignantes dans le dĂ©roulement du processus de validation Le dispositif de VAE dĂ©veloppĂ© en France, pris comme modĂšle par plusieurs pays, nĂ©cessite nĂ©anmoins une infrastructure et un systĂšme d’accrĂ©ditation et de qualitĂ© consĂ©quent Il repose pour l’essentiel sur l’existence d’un cadre lĂ©gislatif et rĂšglementaire mais aussi d’un rĂ©pertoire des certifications reconnu au niveau national et intersectoriel. Les certifications enregistrĂ©es au RNCP font nĂ©cessairement l’objet d’un rĂ©fĂ©rentiel de certification (description des activitĂ©s et compĂ©tences visĂ©es, et des modalitĂ©s d’évaluation de ces compĂ©tences) qui requiĂšrent la mise en Ɠuvre d’une ingĂ©nierie complexe. Par ailleurs, toutes les certifications sont rĂ©fĂ©rencĂ©es selon un niveau de qualification dĂ©fini par le cadre national des certifications professionnelles ; nomenclature normative Ă  laquelle peuvent se rĂ©fĂ©rer les partenaires sociaux lors des nĂ©gociations de branche sur les classifications des emplois.

Sans vouloir prĂ©tendre Ă  construire, qui plus est dans l’urgence, un dispositif de VAE identique (dispositif qui, par ailleurs, peine encore Ă  attirer vers lui bon nombre de candidats potentiels en France) il conviendrait d’inciter, dans chaque pays, Ă  la dotation progressive d’outils pour promouvoir la reconnaissance de compĂ©tences acquises via les apprentissages dans le travail, y compris en contexte informel (les exemples dĂ©crits pour l’Argentine, le Maroc et le SĂ©nĂ©gal tĂ©moignent de ces efforts). La formalisation d’un diplĂŽme/certificat/titre largement reconnu sur le plan national et facilitant la progression de carriĂšre et la mobilitĂ© (intersectorielle) sur le marchĂ© du travail est certainement l’objectif ultime. NĂ©anmoins, plus pragmatiquement, il reste Ă©galement pertinent d’implĂ©menter des outils intermĂ©diaires, des formes plus souples de reconnaissance (visant

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notamment les moins qualifiĂ©s). D’une portĂ©e plus limitĂ©e (mais effective), elles ouvriraient par exemple sur la reconnaissance centrĂ©e sur les mĂ©tiers, au sein d’une seule branche, d’un secteur, d’un groupement entreprise, d’un bassin d’emploi, etc. et capables, en mĂȘme temps, de sĂ©curiser davantage les trajectoires professionnelles des individus Ces formats plus souples pourraient Ă©galement s’adapter aux profils des candidats sans ou avec peu de bagage initial, par la mise en Ɠuvre de modalitĂ©s d’évaluation davantage basĂ©e sur la rĂ©alisation de tĂąches en situation de travail rĂ©el (Argentine), ou encore par l’accompagnement des publics en situation d’illettrisme dans la rĂ©daction de leur dossier (Maroc).

IndĂ©pendamment des formats et de l’articulation de procĂ©dures de validation mises en Ɠuvre, l’aspect crucial et commun Ă  toute dĂ©marche est d’apporter le regard externe d’un Ă©valuateur qualifiĂ©, gĂ©nĂ©ralement issu du monde professionnel, capable d’émettre un jugement sur l’acquisition d’une qualification ou d’une (ou plusieurs) compĂ©tence(s). Ces « signalements » de compĂ©tences peuvent prendre des formes variĂ©es (une attestation, un portfolio de compĂ©tences validĂ© par l’employeur, des comptes-rendus de travaux rĂ©alisĂ©s, des tĂ©moignages, etc.). La crĂ©ation de procĂ©dures de reconnaissance de compĂ©tences peut relever de la sphĂšre publique (au niveau des ministĂšres ou instances chargĂ©es de la formation professionnelle), de la sphĂšre « privĂ©e » (au sein d’une branche, d’un secteur Ă©conomique, d’un bassin d’entreprises) ou de la combinaison des deux, Ă  travers la collaboration mutuelle et l’implication des entreprises dans la formulation des parcours de reconnaissance adaptĂ©es, rigoureux, et suffisamment souples pour se rĂ©pandre dans des contextes organisationnels variĂ©s.

Recommandation 6 : Promouvoir et soutenir la mise en Ɠuvre des outils de reconnaissance

La diffusion des outils de reconnaissance des acquis d’apprentissage existants reste encore trĂšs limitĂ©e. Leur mise en Ɠuvre relĂšve d’une organisation institutionnelle mais aussi d’une capacitĂ© d’informer, sensibiliser et impliquer toutes les parties prenantes potentiellement intĂ©ressĂ©es et susceptibles de se les approprier

En premier lieu, l’information doit pouvoir toucher les salariĂ©s qui pourraient en bĂ©nĂ©ficier, via des campagnes de promotion, de communication et de sensibilisation, dans l’objectif de favoriser un recours plus massif aux dispositifs disponibles.

DeuxiĂšmement, les entreprises doivent ĂȘtre progressivement initiĂ©es aux intĂ©rĂȘts de ces dispositifs de reconnaissance dans le cadre de leur politique de gestion de la main d’Ɠuvre, dans une logique de gain et avantages Ă©conomiques qui pourrait ainsi se dĂ©gager. Cette sensibilisation passe par le canal des fĂ©dĂ©rations professionnelles, des organismes paritaires et interprofessionnels ou encore des reprĂ©sentants syndicaux Du cĂŽtĂ© de dĂ©cideurs publics, parmi les leviers possibles pourraient ĂȘtre mentionnĂ©e la mise en place de formes d’incitation, d’une part Ă  apporter la preuve du niveau de qualification des salariĂ©s dans les rĂ©ponses des entreprises aux appels d’offres lancĂ©s dans le cadre de marchĂ©s publics, d’autre part Ă  favoriser le financement des dispositifs de reconnaissance par le flĂ©chage d’une portion des prĂ©lĂšvements fiscaux obligatoires dĂ©diĂ©s Ă  la formation

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Annexes

Annexe 1 : RĂ©capitulatif des 4 enquĂȘtes exploratoires

Pays

Argentine

Acteurs en charge de la réalisation, de l'analyse et de la restitution des entretiens

Partenaire du projet : CIS

Membres de l’équipe : Claudia JACINTO (coord.), Maria Victoria PASINETTI, Iris SCHWARTZ

Avec la collaboration de : José POZZER, Mariana SOSA +

ITRAS

Membres de l’équipe : Gustavo GANDARA, Marina GEROLIMETTI, Pablo GRANOVSKY, Vanessa VERCHELLI

Jeunes travailleurs pas ou peu qualifiés dans le secteur de la Construction

Acteurs interviewés

Employeurs ou représentants d'entreprises de la Construction

Acteurs institutionnels publics ou sectoriels (Construction)

Entretiens avec des représentants de 5 acteurs institutionnels

Entretiens avec 14 jeunes

Entretiens avec 6 employeurs ou représentants d'entreprises

+ atelier de restitution et réunions avec des parties prenantes publiques et sectorielles à Buenos Aires

France

Partenaire du projet : Céreq

Membres de l’équipe : AnaĂŻs CHATAGNON, Christine FOURNIER, Françoise KOGUT KUBIAK, Matteo SGARZI

Entretiens avec 8 jeunes

Entretiens avec 6 employeurs ou représentants d'entreprises

Entretiens avec des représentants de 5 acteurs institutionnels

+ appui sur une étude antérieure du Céreq sur la VAE dans le secteur du BTP en France

Maroc

Partenaire du projet : INE

Membres de l’équipe : Fatima BERAHOU, Karim YASSINE, Nawel ZAAJ (coord.) +

Consultant

Toufik CHERRADI

Entretiens avec 14 jeunes

Entretiens avec 4 employeurs ou représentants d'entreprises

Entretiens avec des représentants de 3 acteurs institutionnels

Sénégal

Partenaire du projet : ONFP Membres de l’équipe : AĂŻssatou DIOP, Ndeye Soukeina FALL, Gibrile FAYE, Souleymane LO (coord.), Magatte

Rokhaya Thione KASSE

6 focus groups x 10 jeunes

Entretiens avec 2 employeurs ou représentants d'entreprises

Entretiens avec des représentants de 2 acteurs institutionnels

+ atelier de restitution et réunions avec des parties prenantes publiques et sectorielles à Dakar

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Bibliographie

AutoritĂ© Nationale d’Assurance QualitĂ© de l’Enseignement SupĂ©rieur, de la Recherche et de l’Innovation (Anaq-Sup) (2022), PrĂ©sentation ‘La validation des acquis de l’expĂ©rience au SĂ©nĂ©gal’, Session 4 ACQF Peer Learning Webinar, 24/03/2022

BeaupĂšre N., Kogut-Kubiak F (Coord.), Quintero N , Urasadettan J , Galli C (2020), « L’accĂšs et l’accompagnement des salariĂ©s du BTP vers la VAE », CĂ©req Etudes, n° 30, 65 p.

Bourgeois E. et Durand M. (dir.) (2012), Apprendre au travail, PUF, Paris

Bureau International du Travail (BIT) (2020), Diagnostic sur l’économie informelle au SĂ©nĂ©gal, GenĂšve

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Fournier C., Lambert M. et Marion-Vernoux I. (2017A), « Le travail au cƓur des apprentissages en entreprise », CĂ©req-Bref n° 353

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Haut-Commissariat au Plan du Maroc (2014), EnquĂȘte Nationale Sur Le Secteur Informel

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Instituto Nacional de Estadistica y Censos (INDEC) (2018), Republica Argentina, Encuesta Permanente de Hogares (EPH), 3er trimestre

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MinistÚre Education Nationale Jeunesse Sport, MinistÚre Enseignement Supérieur Recherche Innovation (MENJS/MESRI), France, (2019), RepÚres & références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche

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Steffen G. (2010), « Informelle Lerngelegenheiten im Stadtteil », Informationen zur Raumentwicklung, Heft 2/3

Werquin P. (2021), Note d’orientation sur l’apprentissage professionnel informel (Projet EUR/801 financĂ© sur fonds de la Commission europĂ©enne pour le compte de LuxDev)

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Liste des tableaux et encadrés

Liste des tableaux

Tableau 1 Indicateurs démographiques et socio-économiques

Tableau 2 Canaux relevés pour les apprentissages dans le travail dans les quatre pays

Tableau 3 Freins relevés venant contrarier les apprentissages dans le travail dans les quatre pays

Tableau 4 Dispositifs de reconnaissance type VAE dans les quatre pays

Liste des encadrés

Encadré 1 Le systÚme français de VAE

Encadré 2 Le dispositif de certification des compétences professionnelles dans le secteur de la Construction en Argentine

EncadrĂ© 3 Les expĂ©rimentations de la VAE et l’« apprentissage rĂ©novĂ© » au SĂ©nĂ©gal

Encadré 4 Le dispositif VAEP au Maroc et les premiÚres expérimentations sectorielles

Encadré 5 Les leviers identifiés favorisant le développement de la VAE dans le BTP en France

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Liste des sigles et abréviations

AFPA : Agence française pour la Formation Professionnelle des adultes

AFEST : Action de formation en situation de travail (France)

ANLCI : Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (France)

BIT : Bureau International du Travail

BTP : BĂątiment et travaux publics

CAMARCO : Camara Argentina de la Construccion

CAP : Certificat d’aptitude professionnelle

CĂ©req : Centre d’études et de recherches sur les qualifications (France)

CIS-CONICET : Centro de Investigaciones Sociales – Consejo Nacional de Investigaciones Cientificas y Tecnicas (Argentine)

CGEM : Confédération générale des entreprises du Maroc

CNAM : Conservatoire national des arts et métiers (France)

CNSS : Caisse nationale de sécurité sociale (Maroc)

CPC : Commission professionnelle consultative (France)

CPS : Certificat professionnel de spécialisation (Sénégal)

CQP : Certificat de qualification professionnelle (France)

CSF : Contrat Spécial de Formation (Maroc)

DA : Direction de l’apprentissage (SĂ©nĂ©gal)

DECPC : Direction des examens, concours professionnels et certifications (Sénégal)

DFP : Département de la formation professionnelle (Maroc)

DFPT : Direction de la formation professionnelle et technique (Sénégal)

DSPP : Dossier de synthÚses des pratiques professionnelles (Sénégal)

EN : Education nationale

EQF : European Qualification Framework

ETP : Education technique et professionnelle

FCE : Formation en cours d’emploi (Maroc)

FIMME : Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques (Maroc)

FNBTP : Fédération nationale du bùtiment et des travaux publics (Maroc)

FP : Formation professionnelle

FPI : Formation professionnelle Initiale

FPT : Formation professionnelle et technique (Sénégal)

GIAC : Groupement interprofessionnel d’appui au conseil (Maroc)

GIP : Groupement d’intĂ©rĂȘt professionnel (France)

IDH : Indice de développement humain

IERIC : Instituto de Estadistica y Registro de la Industria de la Construccion (Argentine)

INE-CSEFRS : Instance nationale d’évaluation – Conseil supĂ©rieur de l’éducation, la formation, la recherche scientifique (Maroc)

ISIM : Institut Spécialisé Industriel Mohammedia (Maroc)

ISTA-IE : Institut SpĂ©cialisĂ© de Technologie AppliquĂ©e – Inter-Entreprises (Maroc)

ISTA-GM : Institut SpĂ©cialisĂ© de Technologie AppliquĂ©e – GĂ©nie MĂ©canique (Maroc)

MFPAI : MinistĂšre de la Formation Professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Insertion (SĂ©nĂ©gal)

NEET : Neither in Employment nor in Education and Training

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ODD : Objectifs de développement durable

OFPPT : Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (Maroc)

ONFP : Office national de la formation professionnelle (Sénégal)

OPCO : Opérateur de compétences (France)

PEJA : Programme d’EmployabilitĂ© des Jeunes par l’Apprentissage (SĂ©nĂ©gal)

PF2E : Programme de Formation Ecoles Entreprises (Sénégal)

PIC : Plan d’investissement dans les compĂ©tences (France)

PIB : Produit intérieur brut

PSE : Plan Sénégal émergent

PTF : Partenaire technique et financier

RNCP : Répertoire national des certifications professionnelles (France)

RH : Ressources humaines

TPE : TrĂšs petite entreprise

UFCP : Unité de suivi et de coordination des projets (Sénégal)

UOCRA : Union Obrera de la Construccion de la Republica Argentina

VAE : Validation des acquis de l’expĂ©rience

VAEP : Validation des acquis de l’expĂ©rience professionnelle (Maroc)

WBL : Work-Based Learning

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Les Éditions Agence française de dĂ©veloppement (AFD) publient des travaux d’évaluation et de recherche sur le dĂ©veloppement durable.

RĂ©alisĂ©es avec de nombreux partenaires du Nord et du Sud, ces Ă©tudes contribuent Ă  l’analyse des dĂ©fis auxquels la planĂšte est confrontĂ©e, afin de mieux comprendre, prĂ©voir et agir, en faveur des Objectifs de dĂ©veloppement durable (ODD).

Avec un catalogue de plus de 1 000 titres, et 80 nouvelles oeuvres publiĂ©es en moyenne chaque annĂ©e, les Éditions Agence française de dĂ©veloppement favorisent la diffusion des savoirs et des expertises, Ă  travers leurs collections propres et des partenariats phares. Retrouvez-les toutes en libre accĂšs sur editions. afd.fr.

Pour un monde en commun.

Avertissement

Les analyses et conclusions de ce document sont formulĂ©es sous la responsabilitĂ© de leur(s) auteur(s). Elles ne reflĂštent pas nĂ©cessairement le point de vue officiel de l’Agence française de dĂ©veloppement ou des institutions partenaires.

Directeur de publication Rémy Rioux

Directeur de la rédaction Thomas Mélonio Création graphique MeMo, Juliegilles, D. Cazeils

Agence

5, rue Roland Barthes

75012 Paris l France

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Crédits et autorisations

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Attribution - Pas de commercialisation - Pas de modification

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/

DépÎt légal 2Úme trimestre 2023

ISSN 2492-2838

ImprimĂ© par le service de reprographie de l’AFD

Pour consulter les autres publications de la collection Rapports techniques : https://www.afd.fr/fr/collection/rapports-techniques

française de développement

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Les « apprentissages dans le travail » et leurs reconnaissances by Agence Française de Développement - Issuu