Les libraires - Numéro 123

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L I T T É R AT U R E S DE L’I M AGI NA I R E

Concours de critique littéraire du Prix des

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Le Prix des Horizons imaginaires, dont le jury regroupe des Ă©tudiants de sept Ă©tablissements du rĂ©seau collĂ©gial quĂ©bĂ©cois et universitaire canadien, a couronnĂ© en novembre dernier Ayavi Lake pour son roman Le marabout (voir p. 49). En marge de ce prix qui honore une Ɠuvre issue des littĂ©ratures de l’imaginaire existe le concours de critique littĂ©raire du Prix des Horizons imaginaires, qui, en plus de mettre en lumiĂšre une Ɠuvre incontournable, pousse des jeunes Ă  se pencher sur la critique littĂ©raire et leur permet de s’exercer Ă  mettre en mots leur apprĂ©ciation — ou non — d’une Ɠuvre. Cette annĂ©e, AurĂ©lie Beaulieu-Bouchard remporte les honneurs avec une critique fort positive, que nous vous prĂ©sentons ci-dessous, portant sur le roman Oshima, de Serge Lamothe, paru chez Alto.

HORIZONS IMAGINAIRES OSHIMA

UNE ÎLE DE SECRETS À LA FOIS TÉMÉRAIRES ET ESSENTIELS PAR AURÉLIE BEAULIEU-BOUCHARD / du CĂ©gep rĂ©gional de LanaudiĂšre Ă  L’Assomption

« Mais Ă  quoi se fier quand la plus innocente des vĂ©ritĂ©s fait davantage de dĂ©gĂąts que tous nos mensonges rĂ©unis ? »

En plus de la publication de son article, AurĂ©lie Beaulieu-Bouchard remporte une licence du logiciel Antidote 10, offerte par Druide informatique. Elle rejoint aussi le prochain comitĂ© de sĂ©lection, qui Ă©valuera la production de 2021 dans les genres de l’imaginaire francophones du Canada. Sabrina Bernier (CĂ©gep de Saint-Hyacinthe) a remportĂ© la 2e place du concours, avec une critique portant aussi sur Oshima de Serge Lamothe, alors qu’Olga Ziminova (UniversitĂ© de Victoria, Colombie-Britannique) arrive quant Ă  elle en 3e position grĂące Ă  son texte sur PrĂ©cis de survie hors de l’eau de Dominique Nantel (TĂȘte premiĂšre). Notez que le jury de cette annĂ©e Ă©tait composĂ© de NaĂŻla Aberkan (Fondation Lire pour rĂ©ussir), d’Ariane GĂ©linas (auteure et chroniqueuse littĂ©raire, notamment pour Les libraires) et de Mathieu Lauzon-Dicso, coordonnateur du Prix des Horizons imaginaires.

Ce sont toutes ces vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es dans Oshima qui m’ont fait plonger dans l’univers renversant de l’auteur Serge Lamothe. Des vĂ©ritĂ©s qui se tiennent juste devant notre visage, comme des images trop proches qui demeurent floues. Ce chef-d’Ɠuvre proposĂ© par Horizons imaginaires m’a donnĂ© le recul nĂ©cessaire pour discerner plus clairement le destin de l’humanitĂ©, aussi bien dans son emballage que dans le for intĂ©rieur des personnages. Il m’a entraĂźnĂ©e dans le voyage le plus intĂ©gral qu’il m’a Ă©tĂ© donnĂ© de vivre en abordant le prĂ©sent et le futur ; les hommes et les femmes ; les vieux et les jeunes ; les sciences et l’humain ; et tout ça en passant par tous les points cardinaux. Tout au long du livre, la voix d’Aku, perceptible Ă  travers ses cahiers, ne m’a pas seulement dĂ©crit un tĂ©moignage, elle m’a fait vivre une aventure significative hors du commun, Ă  la fois terrifiante et magnifique. Terrifiante en raison du monde apocalyptique, misĂ©rable, sinistre et affligeant dans lequel sont contraints de vivre ces gens tentant de garder un semblant d’équilibre dans ce monde prĂ©caire. Mais aussi magnifique, parce que toute cette misĂšre oblige Aku et les siens Ă  se satisfaire de tous les instants fugaces de la vie qui, pour nous, semblent acquis. Oshima m’a prouvĂ© qu’il y avait du bon en toute chaleur humaine, que le bonheur est loin de se rĂ©duire aux biens matĂ©riels ou Ă  nos appareils technologiques. Il m’a appris qu’il faut faire preuve de courage pour voir au-delĂ  de cette tragĂ©die, pour assumer le monde tel qu’il est, avec toute sa laideur, afin d’aller chercher la beautĂ© auprĂšs des siens.

EntraĂźnĂ©e par les mots de Serge Lamothe, j’ai parcouru le globe d’une maniĂšre totalement improbable. MalgrĂ© mon enveloppe corporelle confortablement installĂ©e chez moi, mon esprit sillonnait des contrĂ©es Ă  la fois lointaines et imminentes. Les premiĂšres pages ont fait tomber mon masque rose avec brutalitĂ©, mais d’une maniĂšre si remarquable et authentique que je n’ai jamais voulu le remettre, et ce, malgrĂ© la tentation. Mon cheminement a ensuite pu commencer. Partant d’une ville mourante, j’ai bravĂ© une tempĂȘte de gaz en plein milieu du dĂ©sert et j’ai survĂ©cu sur une Ăźle dĂ©serte entourĂ©e de ressacs empoisonnĂ©s. J’ai dĂ» affronter la solitude, l’angoisse et la misĂšre pour ensuite dĂ©couvrir la chaleur, le calme et le rĂ©confort. J’ai effectuĂ© des traversĂ©es en Hyperloop, en bateau, en camion, Ă  pied, peu importe, j’avançais toujours Ă  travers des sociĂ©tĂ©s aux besoins Ă  la fois divergents et convergents. Je n’étais pas une touriste, mais un membre Ă  part entiĂšre empreint par le dĂ©chirement de chaque communautĂ©. Je ne voulais pas revenir chez moi pour rejoindre mon corps, il m’était tout bonnement impossible de quitter Oshima ! Cette odyssĂ©e m’a permis de rencontrer des personnages tout Ă  fait hors du commun, d’une vraisemblance et d’une diversitĂ© inouĂŻes. J’ai fait connaissance avec de sages aĂźnĂ©s ayant tout vu, des adultes pour qui le changement devient difficile, des jeunes gens dĂ©sespĂ©rĂ©s Ă  la recherche de solutions, des femmes chevronnĂ©es, des gens se battant pour leurs convictions et des enfants en quĂȘte de merveilles. De Kiyo Ă  Basu en passant par Amandine, Aku, Kohana, Leila et bien d’autres, j’ai traversĂ© prĂšs d’un siĂšcle de vĂ©cu. La mĂ©moire des personnages m’a transportĂ©e au moment de l’explosion de la bombe Ă  Hiroshima en 1945 et m’a fait vivre les derniers instants du genre humain, en 2043. La sagesse

des anciens m’a fait sourire et l’insouciante innocence des enfants m’a comblĂ©e. MalgrĂ© le dĂ©cor d’un monde noir Ă  l’agonie, ce cĂŽtĂ© humain m’a donnĂ© de l’espoir, l’espoir que toute cette histoire n’était pas dĂ©finie pour nous. À l’instar de la derniĂšre scĂšne d’Oshima, c’était comme voir les pourtours d’une fleur dans une plaie en nĂ©crose. Cette vertigineuse lecture m’a permis de rĂ©pondre Ă  la question Ă©noncĂ©e au dĂ©but de cette critique : il faut se fier Ă  la vĂ©ritĂ©, malgrĂ© toute la torture qu’elle fait naĂźtre en nous quand elle nous transperce de sa pointe froide, car elle nous donne l’occasion de chercher des solutions qui empĂȘcheraient cette souffrance de dĂ©vorer l’avenir de nos enfants comme une inexorable gangrĂšne. Oshima m’a rendue plus consciente du monde dans lequel j’évolue depuis ma naissance et m’incite Ă  poser des gestes, maintenant, afin qu’Aku et tous les autres puissent profiter d’un monde enclin au dĂ©veloppement de la vie. Ce qui est fantastique, c’est que le dĂ©nouement d’Oshima peut ĂȘtre altĂ©rĂ© de mille et une façons. La virtuositĂ© avec laquelle Serge Lamothe manie les mots m’a fait vivre toute une gamme d’émotions rendant cette lecture absolument sĂ©duisante. Elle est pour moi un incontournable pour tout humain au cƓur pur et aux intentions honorables.


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