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L I T T Ă R AT U R E S DE LâI M AGI NA I R E
Concours de critique littéraire du Prix des
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Le Prix des Horizons imaginaires, dont le jury regroupe des Ă©tudiants de sept Ă©tablissements du rĂ©seau collĂ©gial quĂ©bĂ©cois et universitaire canadien, a couronnĂ© en novembre dernier Ayavi Lake pour son roman Le marabout (voir p. 49). En marge de ce prix qui honore une Ćuvre issue des littĂ©ratures de lâimaginaire existe le concours de critique littĂ©raire du Prix des Horizons imaginaires, qui, en plus de mettre en lumiĂšre une Ćuvre incontournable, pousse des jeunes Ă se pencher sur la critique littĂ©raire et leur permet de sâexercer Ă mettre en mots leur apprĂ©ciation â ou non â dâune Ćuvre. Cette annĂ©e, AurĂ©lie Beaulieu-Bouchard remporte les honneurs avec une critique fort positive, que nous vous prĂ©sentons ci-dessous, portant sur le roman Oshima, de Serge Lamothe, paru chez Alto.
HORIZONS IMAGINAIRES OSHIMA
UNE ĂLE DE SECRETS Ă LA FOIS TĂMĂRAIRES ET ESSENTIELS PAR AURĂLIE BEAULIEU-BOUCHARD / du CĂ©gep rĂ©gional de LanaudiĂšre Ă LâAssomption
«âMais Ă quoi se fier quand la plus innocente des vĂ©ritĂ©s fait davantage de dĂ©gĂąts que tous nos mensonges rĂ©unisâ?â»
En plus de la publication de son article, AurĂ©lie Beaulieu-Bouchard remporte une licence du logiciel Antidote 10, offerte par Druide informatique. Elle rejoint aussi le prochain comitĂ© de sĂ©lection, qui Ă©valuera la production de 2021 dans les genres de lâimaginaire francophones du Canada. Sabrina Bernier (CĂ©gep de Saint-Hyacinthe) a remportĂ© la 2e place du concours, avec une critique portant aussi sur Oshima de Serge Lamothe, alors quâOlga Ziminova (UniversitĂ© de Victoria, Colombie-Britannique) arrive quant Ă elle en 3e position grĂące Ă son texte sur PrĂ©cis de survie hors de lâeau de Dominique Nantel (TĂȘte premiĂšre). Notez que le jury de cette annĂ©e Ă©tait composĂ© de NaĂŻla Aberkan (Fondation Lire pour rĂ©ussir), dâAriane GĂ©linas (auteure et chroniqueuse littĂ©raire, notamment pour Les libraires) et de Mathieu Lauzon-Dicso, coordonnateur du Prix des Horizons imaginaires.
Ce sont toutes ces vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es dans Oshima qui mâont fait plonger dans lâunivers renversant de lâauteur Serge Lamothe. Des vĂ©ritĂ©s qui se tiennent juste devant notre visage, comme des images trop proches qui demeurent floues. Ce chef-dâĆuvre proposĂ© par Horizons imaginaires mâa donnĂ© le recul nĂ©cessaire pour discerner plus clairement le destin de lâhumanitĂ©, aussi bien dans son emballage que dans le for intĂ©rieur des personnages. Il mâa entraĂźnĂ©e dans le voyage le plus intĂ©gral quâil mâa Ă©tĂ© donnĂ© de vivre en abordant le prĂ©sent et le futurâ; les hommes et les femmesâ; les vieux et les jeunesâ; les sciences et lâhumainâ; et tout ça en passant par tous les points cardinaux. Tout au long du livre, la voix dâAku, perceptible Ă travers ses cahiers, ne mâa pas seulement dĂ©crit un tĂ©moignage, elle mâa fait vivre une aventure significative hors du commun, Ă la fois terrifiante et magnifique. Terrifiante en raison du monde apocalyptique, misĂ©rable, sinistre et affligeant dans lequel sont contraints de vivre ces gens tentant de garder un semblant dâĂ©quilibre dans ce monde prĂ©caire. Mais aussi magnifique, parce que toute cette misĂšre oblige Aku et les siens Ă se satisfaire de tous les instants fugaces de la vie qui, pour nous, semblent acquis. Oshima mâa prouvĂ© quâil y avait du bon en toute chaleur humaine, que le bonheur est loin de se rĂ©duire aux biens matĂ©riels ou Ă nos appareils technologiques. Il mâa appris quâil faut faire preuve de courage pour voir au-delĂ de cette tragĂ©die, pour assumer le monde tel quâil est, avec toute sa laideur, afin dâaller chercher la beautĂ© auprĂšs des siens.
EntraĂźnĂ©e par les mots de Serge Lamothe, jâai parcouru le globe dâune maniĂšre totalement improbable. MalgrĂ© mon enveloppe corporelle confortablement installĂ©e chez moi, mon esprit sillonnait des contrĂ©es Ă la fois lointaines et imminentes. Les premiĂšres pages ont fait tomber mon masque rose avec brutalitĂ©, mais dâune maniĂšre si remarquable et authentique que je nâai jamais voulu le remettre, et ce, malgrĂ© la tentation. Mon cheminement a ensuite pu commencer. Partant dâune ville mourante, jâai bravĂ© une tempĂȘte de gaz en plein milieu du dĂ©sert et jâai survĂ©cu sur une Ăźle dĂ©serte entourĂ©e de ressacs empoisonnĂ©s. Jâai dĂ» affronter la solitude, lâangoisse et la misĂšre pour ensuite dĂ©couvrir la chaleur, le calme et le rĂ©confort. Jâai effectuĂ© des traversĂ©es en Hyperloop, en bateau, en camion, Ă pied, peu importe, jâavançais toujours Ă travers des sociĂ©tĂ©s aux besoins Ă la fois divergents et convergents. Je nâĂ©tais pas une touriste, mais un membre Ă part entiĂšre empreint par le dĂ©chirement de chaque communautĂ©. Je ne voulais pas revenir chez moi pour rejoindre mon corps, il mâĂ©tait tout bonnement impossible de quitter Oshimaâ! Cette odyssĂ©e mâa permis de rencontrer des personnages tout Ă fait hors du commun, dâune vraisemblance et dâune diversitĂ© inouĂŻes. Jâai fait connaissance avec de sages aĂźnĂ©s ayant tout vu, des adultes pour qui le changement devient difficile, des jeunes gens dĂ©sespĂ©rĂ©s Ă la recherche de solutions, des femmes chevronnĂ©es, des gens se battant pour leurs convictions et des enfants en quĂȘte de merveilles. De Kiyo Ă Basu en passant par Amandine, Aku, Kohana, Leila et bien dâautres, jâai traversĂ© prĂšs dâun siĂšcle de vĂ©cu. La mĂ©moire des personnages mâa transportĂ©e au moment de lâexplosion de la bombe Ă Hiroshima en 1945 et mâa fait vivre les derniers instants du genre humain, en 2043. La sagesse
des anciens mâa fait sourire et lâinsouciante innocence des enfants mâa comblĂ©e. MalgrĂ© le dĂ©cor dâun monde noir Ă lâagonie, ce cĂŽtĂ© humain mâa donnĂ© de lâespoir, lâespoir que toute cette histoire nâĂ©tait pas dĂ©finie pour nous. Ă lâinstar de la derniĂšre scĂšne dâOshima, câĂ©tait comme voir les pourtours dâune fleur dans une plaie en nĂ©crose. Cette vertigineuse lecture mâa permis de rĂ©pondre Ă la question Ă©noncĂ©e au dĂ©but de cette critiqueâ: il faut se fier Ă la vĂ©ritĂ©, malgrĂ© toute la torture quâelle fait naĂźtre en nous quand elle nous transperce de sa pointe froide, car elle nous donne lâoccasion de chercher des solutions qui empĂȘcheraient cette souffrance de dĂ©vorer lâavenir de nos enfants comme une inexorable gangrĂšne. Oshima mâa rendue plus consciente du monde dans lequel jâĂ©volue depuis ma naissance et mâincite Ă poser des gestes, maintenant, afin quâAku et tous les autres puissent profiter dâun monde enclin au dĂ©veloppement de la vie. Ce qui est fantastique, câest que le dĂ©nouement dâOshima peut ĂȘtre altĂ©rĂ© de mille et une façons. La virtuositĂ© avec laquelle Serge Lamothe manie les mots mâa fait vivre toute une gamme dâĂ©motions rendant cette lecture absolument sĂ©duisante. Elle est pour moi un incontournable pour tout humain au cĆur pur et aux intentions honorables.