Dégustation—Interview
UN VERRE AVEC…
Stéphanie Le Quellec Dans son restaurant La Scène, à Paris, elle met en lumière une gastronomie de haute volée, où le vin occupe une place de cœur. La cheffe aime l’émotion qui naît de la dégustation d’une bouteille. Qu’est ce qu’on boit aujourd’hui ? Un Château Rayas
2006. Les vins d’Emmanuel Reynaud sont mes préférés. J’aime sa patte, son travail, et Rayas en est la quintessence. Et puis c’est une bouteille qu’on m’a offerte juste avant ma deuxième étoile au Princede-Galles. C’est avec elle que je suis venue au monde des vins de manière plus pointue et plus passionnée. J’ai eu une véritable émotion au moment de la déguster. Je ne l’ai pas ouverte tout de suite. J’aime l’appellation Châteauneuf-du-pape, mais je n’en n’avais jamais goûté un comme celui-là, car il ne rentre pas dans les codes de l’appellation. J’ai apprécié le côté surprenant de la patte d’un vigneron sur un terroir d’exception, qui en fait quelque chose de très personnel, l’aspect particulièrement atypique de cette parcelle, en plein milieu de Châteauneufdu-Pape, qui donne des vins très expressifs et d’une finesse rare. C’est l’expression du grenache comme tu ne la connais pas. Il y a quelque chose de poétique dans ce vin. J’aime sa magie. Racontez-nous l’émotion de cette ouverture et de sa dégustation. Nous étions avec
David, mon mari, dans notre maison de campagne. On venait de l’aménager, c’était notre premier hiver là-bas, les premiers feux de cheminée. À l’époque, je n’avais pas la cave que j’ai aujourd’hui, donc cette bouteille exceptionnelle, elle célébrait un moment heureux, une sorte de 40—
Racines
Mais s’il faut choisir un seul verre ou une seule bouteille, il ou elle sera forcément rouge. Vos parents vous ont initiée aux plaisirs des grandes tablées et à la nourriture comme bonheur du vivre ensemble. Quelle place occupait le vin dans ces moments-là ?
plénitude. Notre dernier fils qui venait de naître… Un alignement des planètes, mais dans un moment très simple. Quelle est votre définition d’un grand vin : est-ce la bouteille ou le moment qui va avec ?
C’est la conjonction des deux. Comme pour la table, ils sont intimement liés. Tu peux être dans un pique-nique avec des gens que tu aimes et prendre une claque avec un vin. Ou être dans un grand restaurant où il ne se passe pas grand-chose… Ce qui compte, c’est l’émotion qu’il te procure. Ce n’est pas qu’une étiquette ou un prix stratosphérique. Des grands vins, il y en a à 10 euros. Dans lesquels tu sens le cœur du vigneron. Quelle est votre couleur préférée ? J’adore les vins
rouges. Les vins de Champagne également, tout comme le blanc.
Nous avions la culture de la table, du produit et de la cuisine, mais pas forcément celle du vin. Dans ma famille, c’était assez classique : un riesling avec des fruits de mer, du bordeaux sur la viande et un champagne en dessert. Ma culture du vin est venue plus tard, quand j’ai démarré au George-V, où j’avais les oreilles et les yeux qui traînaient. Je voyais passer un fond de Romanée-Conti ou de Petrus qui me permettait de m’approcher de ces grandes bouteilles. Puis, dans le sud de la France où j’ai travaillé, à Terre Blanche [à Tourrettes, dans le Var, ndlr], je partageais beaucoup avec le sommelier. Mais l’accélération a eu lieu il y a 10 ans, au Prince-de-Galles, avec mon premier chef sommelier Philippe Marques, qui avait des partis pris atypiques et assez forts. Il m’a fait découvrir Château Rayas et c’est lui et son associé qui m’ont offert cette bouteille. Là, je me suis mise à m’y intéresser, à aimer et à comprendre. Et au cours des cinq dernières années, ma curiosité s’est encore développée. À quoi ressemble votre cave à Paris, mais aussi dans votre
maison de campagne, en Haute-Normandie ?
Il y a d’abord les bouteilles achetées à la naissance de mes deux premiers fils, qui ont 16 et 18 ans. Une époque où je n’y connaissais pas grand-chose et où je n’avais pas un budget incroyable… Mais où la symbolique – ouvrir une bouteille pour leurs 18 ou leurs 20 ans – avait déjà une place. Donc j’ai quelques bouteilles de 2004 et 2005… un plus joli millésime. Il ne faut pas le dire à votre fils aîné… Mais il le sait !
[Rires, ndlr]. Et hormis ces bouteilles symboliques ? Nous nous
sommes mis à acheter les vins que l’on aime – la moitié de rouge, un tiers de champagne et le reste de blanc. D’abord le Rhône, puis, plus récemment, la Bourgogne. Le palais évolue et j’ai envie d’aller vers plus de finesse, d’élégance. Ce qui m’impressionne en Bourgogne aujourd’hui, c’est ce qu’on peut faire à partir d’un seul cépage, le pinot. Il y a une palette de terroirs et de vignerons qui t’emmènent dans des univers parfois diamétralement opposés. Souvent intimement liés à la personnalité du vigneron. Ça me fascine. Et le Sud, où vous avez passé huit ans ? On a quelques
jolis Château de Pibarnon sur des vieux millésimes. Et depuis 2010, on en achète tous les ans. Parmi les bandols qu’on aime bien également, comme le Photos Édouard Jacquinet