
ValDo
Portefolio : random(position) 2025
Le chaos est là, dans toute sa splendeur, incompressible.
Omniprésent, filtre invisible, teintant notre réalité quotidienne.
Nos existences, génératrices d’entropie, le nourrissent autant qu ’elles le masquent.
Bruit de fond que notre cerveau a appris à ignorer, dissimulé par nos mécanismes de perception.
Dans sa nébulosité, une lueur s ’entre-aperçoit.
Pour l’atteindre, il faut tordre la géométrie, l’espace, le temps, paramètres fluctuants, coups de pagaie dans l’océan.
Les algorithmes comme longue-vue, les itérations comme boussole.
De mes voyages, voici, mes éclats de chaos.
Dans mon métier de créateur d’effets spéciaux numériques, j’ai découvert un univers où la frontière entre le réel et l’artificiel s ’estompe. Mes journées consistent à configurer des modèles physiques : densité, viscosité, turbulence… puis je lance le calcul. Je laisse la simulation évoluer dans un espacetemps virtuel, et le contrôle m’échappe, temporairement.
C’est précisément là que la magie opère.
L’ordinateur génère davantage que ce que l'on prévoit. Un simple paramètre modifié peut alors déclencher des répercussions massives, spectaculaires, imprévisibles.
Ce travail d’effet spéciaux possède son cadre et ses exigences. Il faut œuvrer à la vision d’un réalisateur, au sein d’une entreprise, dans un but mercantile : toucher la cible du film et faire des bénéfices.
À ce constat, il m ’est devenu urgent d’utiliser les mêmes outils pour explorer des potentialités artistiques, avec mes filtres émotifs, ma trame sensible. Sortir du dogme du jetable, reproductible à l’infini, m ’ ancrer dans le réel de la matière.
Je veux donner à voir une danse à trois, souvent dissimulée : Algorithme, Humain, Aléatoire. C’est l’algorithme qui donne le tempo, la trame, le cadre. À tour de rôle, je guide l'aléatoire pour explorer l’espace des possibles, parfois c ’est lui qui me guide vers d’autres horizons.
Prendre part à ce ballet entre algorithme et aléatoire nourrit profondément ma démarche artistique. Il se libère une force silencieuse, comme une forme de vie numérique qui s ’affranchit de mon cadrage Ce constat a éveillé en moi une quête artistique : comment faire surgir ce qui reste ordinairement enfoui dans les coulisses du calcul ? Comment capturer ces moments où la précision mathématique glisse vers quelque chose de plus grand que soi ?
À travers ces programmes, je prends conscience que les machines (ordinateur comme traceur) deviennent des partenaires, rendant possible l’exploration de l’inconnu au-delà de ce que ma seule imagination saurait concevoir.
Dans cette rencontre avec le mystère, je ressens une force, le chaos, qui me dépasse.
Là où je consens à perdre un peu de contrôle naît la création.


Le dialogue entre l’humain, la machine et l’aléatoire ne surgit pas de nulle part. Il s’inscrit dans une filiation artistique où l’interaction entre la matière, la structure et le mouvement ont toujours interrogé notre rapport au monde.
Je puise dans plusieurs courants pour nourrir cette réflexion.
Les travaux d'Antoine Pevsner et Naum Gabo (courant constructiviste), posent en moi une question essentielle : comment le trait, la ligne, peuventils incarner une structure, une dynamique interne ? Leurs sculptures, à la fois précises et aériennes, résonnent avec mes compositions algorithmiques, où chaque ligne est générée par des règles précises mais s’échappe dans l'inattendu.
L’art cinétique, en particulier de Jean Tinguely, pousse cette exploration plus loin : ses machines imprévisibles m’inspirent dans mon propre rapport au traceur. La mécanique incertaine crée une œuvre à nos côtés, avec nos interventions aléatoires. Cette relation se retrouve dans mon travail, où l’algorithme produit des formes au-delà de mon idée initiale. La part d’imprévu devient une valeur, une matière première à interroger, une randonnée à vivre.
L’art génératif, avec des figures comme Harold Cohen et Vera Molnár, pose les bases de ma propre pratique. Aaron, le programme de Cohen, a initié un dialogue entre le code et l’acte de dessiner. Molnár, quant à elle, a montré que quelques règles simples peuvent générer une infinité de variations.
J’explore cet héritage en accentuant cette tension entre déterminisme et imprévu, entre précision du code et organicité du résultat imprimé sur papier.
Les œuvres d'Abdelkader Benchamma me touchent. Son usage du trait donne corps au chaos. Son sens du vide, de l’espace négatif, fait exister l’invisible à travers le visible.
D’autres inspirations, plus éloignées en apparence, façonnent aussi mon imaginaire
L’univers de Zdzisław Beksiński m’intrigue pour sa manière de créer des mondes denses, où la matière semble vivante, hantée. Cette approche influence certaines de mes recherches dans la construction d’espaces numériques.


L’aspect scientifique qui traverse mon travail n ’est qu ’ une façon d’embrasser l'aléatoire.
Les fractales, la théorie du chaos, la géométrie non-euclidienne, sont autant de points de départ qui nourrissent mes explorations.
Ces concepts ne sont pas seulement des prétextes théoriques, ils agissent sur la forme elle-même.
Un morceau du programme donne corps aux lignes, un autre influence la densité du tracé, un paramètre modifié entraîne un basculement radical dans la composition. Comme en physique, de petits ajustements génèrent des mondes entiers.
À mes yeux, l’œuvre n ’existe qu’à travers son incarnation. Le passage du numérique au papier est une phase cruciale, où la matière donne une existence, une finalité au travail. C’est un instantané unique d’un algorithme. Au moindre changement dans celui-ci, l'œuvre n 'est plus la même.
Mon travail s'inscrit dans une logique de séries où j'explore des variations d’un même principe algorithmique. Ces ensembles permettent d’approfondir une idée, de suivre l’évolution d’un système et d’observer comment l’aléatoire sculpte des résultats à la fois cohérents et imprévisibles.
L'itération (le cheminement) est essentielle. Répéter à l’identique et faire des tirages numérotés trahirait cette dynamique.



Chaque pièce naît d’un équilibre instable entre l’aléatoire mathématique et le trait tangible de l’encre.
J’y mêle des simulations fluides, des cartographies allégoriques, ou encore de simples règles géométriques pour faire surgir des motifs à la fois rigoureux et organiques.
À force d’itérations, les lignes se croisent, se fragmentent, se recomposent, traduisant l’incessante négociation entre choix artistiques, accidents et programmation.
Dans ces créations, je donne à voir le passage du virtuel au réel, à pressentir la poésie qui peut naître d’un algorithme lorsqu’il se libère de l’écran pour s ’ encrer dans la matière
La notion même de “cloud” en informatique, souvent perçue comme un espace éthéré où l’information flotterait sans contrainte, est l'exacte opposée de sa matérialité. En réalité, d’immenses centres de données reliés par d’innombrables câbles, forment une infrastructure tentaculaire où circulent des flux incessants. J’ai voulu cartographier ce labyrinthe invisible sous la forme de réseaux tridimensionnels factices.
Points reliés, ramifications, croisements : on y perçoit le flux de données, à la limite d’un organisme vivant. Les lignes trahissent une structure sous-jacente jamais entièrement révélée.
Sur chaque quadriptyque, un algorithme génère aléatoirement de nouveaux points de départ et points d'arrivée. À chaque nouvelle itération, le flux est modifié, la structure toujours hors de vision.
En variant la géographie de ces data-centers symboliques, les flux diffèrent du tout au tout, rappelant que ces structures invisibles sont elles aussi en constant mouvement.










Swirls2 est une méditation numérique sur la mécanique des fluides, un instantané virtuel de mouvements liquides.
Ici, l’eau, source de vie, s’incarne dans des lignes de code qui simulent sa fluidité. Les formes générées suivent leur propre logique : flux, tension de surface, gouttelettes.
Ces mouvements n ’ont jamais réellement existé : ils demeurent les fruits d’un calcul.
Illusion de vie à travers le numérique. Vide que notre cerveau cherche à remplir ?





Comment créer un aléatoire informatique qui reproduit des motifs organiques?
L’aléatoire, c ’est la vie qui échappe à notre compréhension, le bruit blanc venu du fond diffus de l’univers.
Des mathématiciens ont crée des fonctions pour générer des motifs “organiques” : Perlin, Worley, Chebyshev… Malgré tout, ces modèles finissent par révéler des motifs récurrents et deviennent identifiables
M’appuyant sur leurs travaux, j’explore des variations : donner vie à un aléatoire riche en contraste, aux motifs non répétés : ici des lignes agissent seules, là des points se forment en amas.
Il est possible de pré-sentir un ordre dans ce chaos. On peut discerner une logique sousjacente. Comme dans la nature, il nous est possible de percevoir des lois invisibles sans pouvoir les décrire.
J’essaye de capturer le moment où le hasard semble se rapprocher de la vie.







Lorsque je joue avec l’univers des fractales, un monde infini s ’ ouvre devant moi : l’espace euclidien s ’efface.
Avec des fonctions tordant l’espace, on croit voyager dans une quatrième dimension géométrique : les formes naissent, bougent, disparaissent. Ici un motif glisse sur un autre, statique, et toujours, au moindre changement, c ’est la structure qui s ’effondre et la beauté qui disparaît.
Ce ne sont “ que ” des mathématiques, mais travailler avec cette matière fractale donne un vertige immense.




