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INTRODUCTION
Alors que vous commencez la lecture de ce livre, il est possible que vous vous disiez : « Encore un livre sur la santé des femmes ? On ne parle que de cela en ce moment ! » Et on pourrait vous donner raison. En effet, pourquoi écrire sur la santé des femmes dont on nous dit régulièrement qu’elles vivent longtemps, particulièrement en France où leur espérance de vie est de 85,6 ans, soit presque six années de plus que les hommes 1 ! Ne vaudrait-il pas mieux écrire un livre sur la santé des hommes ?
C’est tout l’enjeu de cet ouvrage : ne pas se satisfaire de cette unique donnée, ne pas s’arrêter à ce seul constat pour en découvrir la face cachée. Ainsi, les femmes présentent des spécificités qu’il est nécessaire de prendre en compte, non pas pour qu’elles vivent plus longtemps, mais pour qu’elles vivent mieux au quotidien.
Hommes et femmes ont donc des trajectoires de santé différentes. Certes, les femmes ont quelques « étrangetés » biologiques qui n’échapperont à personne : elles ont un vagin au lieu d’avoir un pénis, des hormones multiples interagissantes dans leur corps… Bref, les femmes ne misent pas tout sur la testostérone et ont un système reproducteur différent de celui des hommes. Rien de neuf sous le soleil, me direz-vous.
Sauf que, si les parcours de santé des hommes et des femmes sont singuliers, cela est bien moins dû à nos différences biologiques qu’à notre vivre-ensemble en matière de santé. Il s’agit, dans ce livre, de vous démontrer en quoi nos comportements collectifs, les stéréotypes de genre 2, les clichés, que nous véhiculons y compris de manière inconsciente, ont un effet néfaste sur la santé des femmes.
Les facteurs socioculturels limitant les jeunes filles et les femmes dans leur quête d’une meilleure santé possible ne sont pas l’apanage de la France et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) les a déjà listés 3 :
Les liens renvoyant vers des pages web et cités tout au long de l’ouvrage ont été consultés entre juillet 2021 et janvier 2022. 1. Insee, 2020. 2. « Le terme sexe est employé pour désigner le sexe biologique d’une personne ou d’un groupe. Utilisé seul, il recouvre le sexe chromosomique, le sexe gonadique, le sexe anatomique et le sexe physiologique. Le terme genre se réfère à la représentation sociale du sexe : - tantôt l’expérience de genre, soit le genre avec lequel la personne est perçue en société ; - tantôt l’identité de genre, soit le genre avec lequel la personne se perçoit. » (« Sexe, genre et santé – Rapport d’analyse prospective 2020 », HAS, 2020, p. 3).
3. www.who.int/topics/womens_health/fr/
des relations inégales entre hommes et femmes ; des normes sociales qui réduisent leurs possibilités d’éducation et d’emploi rémunéré ; une vision de la femme centrée exclusivement sur son rôle procréateur ; des menaces ou de réelles violences physiques, sexuelles et émotionnelles.
L’objectif ici est donc d’expliquer comment ces conditions affectent la santé des femmes, comment elles se traduisent en France. Pourquoi en parler, me direz-vous ? Parce qu’il est possible d’inverser la tendance ! La prise de conscience est le point de départ d’une avancée dans la lutte contre les inégalités de santé entre hommes et femmes.
Sociologue travaillant dans la santé depuis plus de vingt ans, m’intéressant aux répercussions des pratiques professionnelles des soignants et des réorganisations du système de soins sur les inégalités sociales de santé notamment, je me suis aperçue que les professionnels de santé méconnaissent les facteurs sociaux et culturels qui vont pénaliser, malgré eux, leurs patient(e)s. En revanche, une fois qu’ils les ont intégrés et validés, ils changent leurs pratiques au bénéfice de tou(te)s leurs patient(e)s, quelle que soit leur catégorie sociale, mais aussi pour leur propre bénéfice, en tant que soignant(e)s. J’ai ainsi fait le pari qu’il en serait de même pour la santé des femmes. Comprendre en quoi elles sont défavorisées en matière de santé, c’est commencer à réparer cette inégalité, avec à la clé, un réel bénéfice pour tous, femmes en premier lieu, mais également pour les hommes.
S’il est impossible d’être spécialiste de l’ensemble des sujets qui y sont abordés, ce livre propose d’en faire un tour d’horizon intelligible et transposable dans nos vies quotidiennes, d’accompagner les femmes et les hommes qui souhaitent interroger leurs certitudes. Il est basé sur des données scientifiques, étayées, et non sur mes propres croyances, afin que ne puisse être discutée la pertinence des propos qui y sont tenus.
Afin de parler au plus grand nombre et d’avoir une influence aussi forte que possible, ce livre a été écrit dans une optique éthique et constructive, à savoir :
u bienveillance : avoir une approche résolument optimiste, en donnant certes des explications aux problématiques de santé présentées, mais aussi en étant force de propositions, dans une optique résolument volontariste, proactive, que certains diraient sans doute militante ;
u non-malfaisance : le sujet de la santé des femmes étant tellement vaste, il a malheureusement fallu faire des choix sans nuire ni blesser personne. Ne seront donc pas abordés les problèmes de santé des femmes racisées ou d’autres populations féminines spécifiques (handicapées, en prison, migrantes ou sans domicile fixe par exemple), non par désintérêt ou par absence de contenu mais parce qu’ils pourraient faire l’objet de livres à part entière. Il en est de même pour les personnes trans ou intersexes 4 ;
u autonomie : avec la prise de conscience commence le changement, la capacité de pouvoir (re)prendre ses propres décisions. Les exemples qui sont présentés devraient permettre aux femmes d’agir et aux hommes de les accompagner au mieux ;
u justice sociale, équité : si les femmes vivent plus longtemps, leurs conditions de vie sont bien souvent plus dégradées que celles des hommes (précarité économique, exposition aux violences, etc.) et il est nécessaire d’expliquer cette mécanique.
La santé est une « ressource majeure pour le développement social, économique et individuel, et une importante dimension de la qualité de vie 5 ». Ce livre vise donc à améliorer la qualité de vie des femmes en les déculpabilisant, en leur donnant la possibilité de reprendre soin de leur santé et en limitant leurs errances thérapeutiques par la diffusion de ces connaissances encore peu connues. La compréhension personnelle du phénomène et des changements de comportements individuels étant les clés de voûte pour lancer une amélioration notable de la situation, des ressources sont proposées au fil de l’eau pour en savoir plus ou pour trouver un accompagnement si le besoin s’en faisait ressentir.
L’idée n’est absolument pas d’exclure ou de blâmer les hommes, mais bien de comprendre pourquoi ces différences hommes/femmes existent, comment elles sont le plus souvent une construction de notre société, et comment nous pouvons, collectivement, contribuer à améliorer cette situation, femmes ET hommes.
4. « Les personnes trans sont des personnes dont le sexe biologique n’est pas aligné avec l’identité de genre. Les personnes intersexes sont des personnes dont les caractéristiques sexuelles à la naissance ne correspondent pas aux normes binaires qui définissent les catégories mâles et femelles (personne concernée par une variation du développement sexuel). » (« Sexe, genre et santé – Rapport d’analyse prospective 2020 », HAS, 2020, p. 3).
5. OMS, Charte d’Ottawa, 1986.