Appels aux dirigeants/La Tolérance religieuse < Appels aux dirigeants Léon Tolstoï
La Tolérance religieuse Traduction par E. Halpérine-Kaminsky. Appels aux dirigeants, Bibliothèque-Charpentier, 1902 (p. 119-136). ◄ Lettre à un sous-officier
Christianisme et paganisme ►
LA TOLÉRANCE RELIGIEUSE
I
Des missionnaires ont pour tâche, en Russie, de convertir à l’orthodoxie tous les non orthodoxes. À la fin de 1901, un Congrès de ces missionnaires se réunit à Orel. Avant sa clôture, le maréchal de la noblesse de la province, M. Stakhovitch, prononça un discours où il proposait au Congrès de reconnaître l’absolue liberté de conscience, en entendant par là, suivant son expression, non seulement la liberté de croyances, mais encore celle du culte, impliquant la faculté de se séparer de la foi orthodoxe, et même celle de verser dans le schisme. M. Stakhovitch estimait que la liberté ainsi comprise ne peut qu’aider au triomphe et à l’extension de l’orthodoxie dont il se reconnaissait un fidèle adepte. Les membres du Congrès n’adhérèrent pas à la proposition de M. Stakhovitch et elle ne fut pas l’objet d’une délibération officielle. Mais il y eut ensuite un échange animé d’opinions et on débattit la question de savoir si l’Église chrétienne doit ou non être tolérante. Les uns — la majorité des orthodoxes, tant ecclésiastiques que laïques — se montrèrent, dans les journaux et les revues, opposés à la tolérance religieuse, et reconnurent, pour des raisons diverses, l’impossibilité de cesser les poursuites contre les dissidents. D’autres — la minorité — adhérèrent à l’avis de M. Stakhovitch, l’approuvèrent, et démontrèrent combien la liberté de conscience était utile et même nécessaire pour l’Église. Les adversaires de M. Stakhovitch faisaient valoir que l’Église, dispensatrice du bien éternel, ne saurait qu’employer tous les moyens en son pouvoir pour sauver de la damnation ses membres égarés, et qu’un de ces moyens était d’empêcher l’abjuration ou la dissidence des membres de la véritable Église. L’Église, qui a reçu de Dieu le pouvoir absolu, — insistaient particulièrement les contradicteurs de M. Stakhovitch, — sait ce qu’elle fait, quand elle a recours à la contrainte contre ses ennemis. Quant aux controverses des laïques sur la légalité ou l’illégalité des mesures prises par l’autorité religieuse, elles montrent simplement les errements de ces laïques qui se permettent de blâmer les actes de l’Église reconnue infaillible. Ainsi parlèrent et parlent les adversaires de la tolérance religieuse.