Plaisirs vicieux/L’Église et l’État < Plaisirs vicieux Léon Tolstoï
L’Église et l’État Traduction par Ely Halpérine-Kaminsky. Plaisirs vicieux, Charpentier, 1892 (p. 181-198). ◄ Le Travail
Lettres de CHARCOT, JULES CLARETIE, ALPHONSE DAUDET, H. FAYE, CH. GOUNOD, H. DE LAPOMMERAYE, DE QUATREFAGES, JEAN RICHEPIN, CHARLES RICHET, FRANCISQUE SARCEY, AURÉLIEN SCHOLL, JULES SIMON, E. MELCHIOR DE VOGUÉ, ÉMILE ZOLA ►
I La foi, la religion sont le but caché de la vie humaine ; ce sont elles qui donnent la force et l’énergie, qui impriment à la vie sa direction. Tout homme découvre pour lui-même cette signification qui est la base sur laquelle sa vie repose définitivement. Il est matériellement aidé dans cette recherche, la plus importante de toutes, par les efforts et les travaux réunis de l’humanité tout entière. À ce labeur continu, à ces résultats croissants, les hommes sont convenus de donner le nom de révélation. La révélation est donc ce qui vient en aide aux efforts de l’homme pour découvrir le sens caché de la vie ; définition qui explique implicitement les rapports de l’homme avec la foi. Ceci étant établi, qu’y a-t-il de plus complètement, de plus manifestement absurde, que de voir des hommes soi-disant bien intentionnés, remuer ciel et terre pour obliger, leurs semblables à embrasser telle forme de révélation plutôt que telle autre ; de les voir possédés par cette idée fixe jusqu’à ce qu’elle soit réalisée, jusqu’à ce que ceux qui sont l’objet de leur ardente sollicitude consentent à accepter les formules précises qu’ils leur recommandent sans changement ni modification ; enfin de les voir maudire, mutiler, massacrer les dissidents toutes les fois qu’ils peuvent le faire avec impunité ? Qu’y a-t-il de plus incompréhensible que de voir une catégorie des gens ainsi proscrite, persécutée, traquée jusqu’à la mort, en foire autant dès que l’occasion se présente et à son tour anathématiser, torturer, égorger hommes et femmes réfractaires ? Ainsi tous se maudissent solennellement, s’acharnent les uns contre les autres, se massacrent au nom d’un principe, auquel tous les hommes doivent croire comme ils y croient et pas autrement, Je suis resté, tout d’abord, confondu devant cette manifeste absurdité, cette contradiction évidente qui ne mènent cependant pas à la destruction de toute croyance. N’est-il pas étrange, pour ne pas dire plus, me suis-je demandé bien des fois, que les hommes gardent la foi dans ces conditions extraordinaires et soient dupes de ces tromperies grossières ? Au point de vue général, la chose est positivement incompréhensible et constitue une preuve irréfragable de la vérité du principe philosophique qui prévaut actuellement dans le monde, savoir, que toute foi est déception et que tout ce qui en sort est superstition. En considérant les choses à ce point de vue, qui est le point de vue général, moi aussi j’ai été irrésistiblement amené à croire que toutes les croyances sont des duperies. Mais, poussant plus loin l’investigation, il m’a bien fallu admettre qu’au fond de toutes ces tromperies, bien loin au-dessous de la surface, il y a quelque chose qui est éternellement vrai, positif et ne ment pas.