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christian berst art brut
Visages scarifiés, corps démontés, cicatrices et croix partout, le monde horrifique de Cadi est peuplé d’êtres mutants. Tel un apprenti sorcier, chaque individu photographié a subi sous ses mains une métamorphose pour en révéler ce qui était caché. Pour Cadi, la réalité ment et les images ne sont que les reflets de ce mensonge.
Exclu, brimé, souvent moqué, il grandit à La Havane dans un environnement familial violent et cruel. Depuis l’enfance, il se réfugie dans l’art où il laisse libre cours à sa schizophrénie. Dans ses photomontages qu’il compose de façon obsessionnelle, il laisse exploser sa rage existentielle. Chaque collage est une sorte de duel où il règle ses comptes à chacun.
Son regard sensible cherche à décoder les représentations de la société pour en montrer la violence intrinsèque, le mal caché et les désirs inavouables. Il voit tout, tel un médium halluciné. Sous ses yeux, les photographies deviennent des plaques sensibles où se révèlent les secrets des hommes, l’hypocrisie des rapports humains et l’enfermement de la société dans des convenances qu’il abhorre.
Ses photomontages incarnent le dialogue qu’il tente désespérément de créer avec le monde extérieur, un monde rempli de fantômes, de peur et de désirs brûlants.
Sébastien Lifshitz
entretien avec jorge alberto cadi
Jorge Alberto Cadi est un artiste cubain, qui a grandi à La Havane, dans une famille extrêmement pauvre touchée par la schizophrènie. Depuis une dizaine d’années, il se consacre exclusivement à une pratique artistique. La rencontre avec la galerie christian berst change sa vie et propulse son travail dans une autre dimension. Il sort ainsi d’une condition extrêmement précaire. En 2023, son psychiatre, Pablo Hermes Rodriguez Mesa, lui propose d’aller vivre au Mexique et de l’accompagner dans son quotidien comme dans son travail artistique.
À l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée à la galerie christian berst, Sébastien Lifshitz, commissaire de l’exposition, s’entretient avec l’artiste en juillet 2025.
Comment vas-tu ?
Je vais bien, très bien, oui, tout va bien. Merci.
Comme tu le sais, pour les besoins de la prochaine exposition qui aura lieu à la galerie christian berst cet automne, j’ai regardé des centaines d’œuvres que tu as réalisées ces dernières années. J’ai énormément aimé tout ce que j’ai vu. Il y a une diversité, une profusion incroyable. Dans tout ce travail, j’ai remarqué qu’il y avait des gestes récurrents. Depuis que tu vis au Mexique, est-ce que quelque chose a changé dans ta manière de créer ?
Ça fera bientôt deux ans que je vis ici.
Est-ce que cela a eu un impact sur ton œuvre ?
Oui, bien sûr, cela a eu un impact. Évidemment. Le contexte social est différent. Même s’il y a des points communs entre les deux cultures, les interactions sont différentes. Ça influence forcément le travail.
Qu’est-ce qui a changé ? Tu n’as plus accès aux mêmes matériaux, aux mêmes types de photographies anciennes ? Le fait d’avoir quitté Cuba a-t-il eu un effet sur ta manière d’exprimer ton œuvre ?
Aujourd’hui, je me trouve dans un autre environnement. Le contexte change, donc ce que je trouve change aussi. Les photos sont différentes, les personnes dessus aussi. Elles sont mexicaines, issues de culture et de milieux sociaux différents. Mais grâce à Pablo, je continue de travailler aussi sur du matériel photo provenant de Cuba. Il arrive à en trouver et me le rapporte ici. Mais bon, j’ai aussi beaucoup d’images du Mexique, d’objets trouvés ici. Donc évidemment, il y a eu une fusion, un mélange, entre ce que je trouvais là-bas et que je transformais, et ce que je trouve ici. Ça change.

Intérieurement aussi ?
Oui. Intérieurement, bien sûr. Comment expliquer... Ce sont de nouvelles choses qui m’arrivent, de nouvelles expériences. Beaucoup de choses m’impactent ici. Et cela se reflète dans mon travail. C’est un autre rythme de vie.
Est-ce que Cuba te manque ?
Oui, c’est inévitable. C’est toute une vie. Et tout n’était pas si mauvais dans cette vie que j’ai eue là-bas, tu sais.
Qu’est-ce qui te manque le plus ?
Les personnes avec qui j’étais. Très récemment, un ami est décédé. Quelqu’un avec qui je partageais beaucoup. C’est par son intermédiaire que j’ai connu Pablo (psychiatre de Cadi). On se connaissait depuis longtemps... Les décès, ce sont des choses qui arrivent dans la vie, c’est naturel, mais je n’ai pas pu être là à l’enterrement et il me manque.
Est-ce que tu te sens comme un exilé ici ? Ou vois-tu cette vie comme un nouveau départ ?
Même si je suis un étranger ici, je m’y sens vraiment bien. Le fait d’avoir quitté mon lieu de naissance, ne me fait pas me sentir mal, ça ne m’affecte pas. Tout cela m’a permis de grandir, de développer tout ce que je peux développer.
Mais est-ce que le travail devient, du coup, comme un refuge ?
Le travail, en soi, c’est un refuge, une manière de... disons, de réalisation personnelle. Je me sens de plus en plus en phase avec ce que je fais, et je le considère comme... disons, une profession. Une vraie profession. Je me sens bien en travaillant. Et pour cette raison, je ne me sens pas isolé. Je me sens à l’aise en le faisant. C’est devenu quelque chose qui est pratiquement un besoin.
Tu travailles tous les jours ? À quel rythme?
Je ne fonctionne pas selon un horaire fixe. Je me lève généralement tôt. Je fais certaines tâches ménagères et ensuite je travaille pendant la journée, parfois le soir aussi. Parfois, je travaille aussi la nuit.
Mais c’est quotidien ?
Oui, généralement, je fais toujours quelque chose chaque jour. J’avance toujours un peu, parfois beaucoup, parfois non. Mais oui, je fais toujours quelque chose.
Puisque la matière principale de ton travail repose sur des documents préexistants, des photos trouvées, comment trouves-tu ce matériel au Mexique ?
Pablo m’a donné des photos de Cuba qu’il a rapportées. Et ici aussi, j’en achète à Lodón, dans ce qu’on appelle les tianguis, ce sont de petits marchés locaux où l’on trouve beaucoup de photos.
Et dans les lots qu’on t’apporte, comment fais-tu ta sélection d’images ?
Ce qui m’attire beaucoup, ce sont surtout les photos personnelles, les photos de famille, celles de groupe de personnes. De tout type. Parfois, ce sont aussi des choses liées à l’architecture ancienne et je les combine avec des figures humaines ou des choses anciennes. J’aime surtout les photos qui sont anciennes.
J’ai remarqué dans tes images qu’il y a différents ensembles distincts. Par exemple, il y a un ensemble avec beaucoup de photos centrées sur des groupes d’hommes. Ça peut être des hommes politiques, des acteurs, des figures publiques ou de faits divers. Qu’est-ce que tu essaies de dire à travers ces groupes d’hommes ? Est-ce une forme de rejet, de dégoût ?
C’est plutôt quelque chose d’intuitif. Dans n’importe quelle société, il y a des choses qui nous déplaisent. Par exemple, si j’ai une photo devant moi d’un personnage X, il peut être connoté ou non socialement. Eh bien, je me laisse aller. Quelque chose me pousse à révéler ce qu’il y a de sombre ou ce qu’il pourrait y avoir de caché derrière les apparences. À pointer une contradiction dans l’image. Je veux montrer ce qu’il y a de malsain chez l’humain. Oui, le négatif. Et alors, ça sort, tu vois. Je commence à le « déshabiller », à creuser ce qu’il y a derrière. J’y vais. Quelque chose me pousse à démasquer les choses.
Ces photos renvoient à des époques antérieures. Ce sont des matériaux qui vont des années 1900 aux années 1970-80 en Amérique Latine. C’est un monde patriarcal où la figure de l’homme est omniprésente, et où les femmes sont comme mises à l’écart. Il y a peu d’images où les hommes et les femmes sont ensemble. Est-ce que cette séparation des sexes est quelque chose qui t’intéresse ? Parce qu’aujourd’hui, la société est différente, elle est beaucoup plus mixte.
Je ne suis pas un philosophe, mais je pense que le passé et le présent sont connectés d’une certaine manière. Ces choses anciennes, c’est comme si elles étaient là, ici, maintenant. Nous sommes le résultat de tout ça, de tout ce qui nous a précédés. On ne peut pas s’en détacher. Dans ces choses anciennes, il y a quelque chose qui m’appelle. Je ne sais pas si je peux t’expliquer ça de façon concrète, mais je suis très attiré par les choses anciennes, par ce qui est «passé». C’est comme un sauvetage, ou une tentative d’imaginer comment les choses ont pu être. Une manière aussi de démasquer le passé. Ou d’inventer
d’autres versions — qui peuvent ou non correspondre à la réalité. Et lorsque je me concentre sur un seul individu, ça peut faire allusion à ce que c’est, un être seul. La solitude. La séparation. Les groupes existent, oui, mais ce ne sont pas nécessairement des relations.
Ça ne t’est jamais venu à l’esprit d’utiliser du matériel contemporain, des personnes d’aujourd’hui, connus ou inconnus ?
Et bien, il y a peu, j’ai travaillé sur des choses pas si anciennes que cela. D’ailleurs, je prévois de faire quelques photographies moi-même. Pour l’instant, j’en ai fait très peu. Mais je veux en faire.
Peux-tu m’en dire un peu plus ?
Ces photos dont je te parle, certaines, je les ai prises avec un petit appareil photo. Ce sont des photos de bâtiments, des vieilles constructions de Cuba. Il y a le cimetière aussi. Mais oui, j’aimerais m’aventurer dans quelque chose de plus récent, sans abandonner l’ancien parce que ça m’attire toujours beaucoup.
Est-ce que ce changement qui se produit actuellement est lié à une forme d’épuisement face à ces images du passé, un sentiment de répétition ?
As-tu besoin de renouveler les images que tu veux produire ?
Oui, franchement. Même si chaque photo est différente, je cherche à varier le contexte et, d’une certaine manière, à ce que l’œuvre ait plus de discours, en faisant interagir la photographie avec ce qui est posé dessus. Et qu’il y ait une relation fond-œuvre différente à chaque fois. J’essaie de chercher des variations pour ne pas tourner en rond. Je pense que c’est vital. Pour tout.
Ça répond à une nécessité d’évoluer ?
Bien sûr, oui.
Quand tu es face à une image sur laquelle tu veux intervenir, est-ce que tu as une idée précise avant d’intervenir, ou est-ce que ça naît pendant le travail ?
Souvent, j’arrive sans aucune idée. Je n’ai rien de préconçu. C’est comme quelque chose qui se passe sur le moment.
Certaines figures sont complètement recouvertes d’encre noire et deviennent comme des ombres. Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
C’est quelque chose que j’ai commencé à faire pour créer une présence différente. Ces figures noires ne sont pas simplement des silhouettes, elles sont des présences mystérieuses, presque absentes, mais en même temps très présentes. Elles créent un contraste fort avec le reste de l’image et jouent avec l’idée d’invisibilité et de mémoire, comme des souvenirs ou des absences dans la mémoire.

Est-ce que c’est lié à un thème social ou politique ?
Il y a cette idée de ce qui est effacé, de ce qui disparaît de l’histoire officielle, des histoires personnelles. C’est une façon de donner de la voix à ce qui n’est pas vu ou entendu. C’est aussi une manière de questionner ce qui reste visible et ce qui est caché.
Est-ce que tu penses que ce procédé va évoluer encore dans tes prochaines œuvres ?
Oui, je pense que je vais continuer à explorer cette idée, mais aussi essayer de nouvelles techniques, de nouveaux matériaux, et continuer à interagir entre le fond et la forme, pour créer des images encore plus riches et complexes.
J’aimerais parler de ton intervention sur les images. Dans certains cas, tu en assombris certaines parties et parfois, tu ajoutes des personnages à cornes. Certaines de ces formes humaines noires à cornes sont parfois ajoutées et à d’autres moments, elles s’incarnent sur des personnes déjà présentes dans la photographie. Que représentent-elles pour toi ?
Je projette ces figures pour faire allusion à quelque chose de démoniaque. Cette part sombre qui est à l’intérieur de moi et que je réprime ou que je parviens à apaiser. Je sais que le bien prévaut. Mais bon, c’est là, cette noirceur. La douleur, le mal, pour le dire autrement, c’est là. Alors, parfois, ça surgit, oui, ça surgit, l’idée devient un peu plus consciente. Ça se mélange à tout. Je ne sais pas comment l’expliquer. Disons que parfois le mal apparaît. Et parfois, il est plus calme.
Et ce besoin d’utiliser le fil, la couture dans les photographies, c’est très présent dans les dernières images. Au début, tu ne cousais pas. C’est après que tu as éprouvé ce besoin. Pourquoi ?
C’est comme une nécessité. Peut-être pour fixer les choses. Comme dans la vie, les choses sont très volatiles, comme si tout s’échappait. C’est comme si j’avais un besoin de les saisir d’une certaine manière. C’est aussi un message de douleur, de la douleur de vivre. Je pense que la vie, même si personne ne veut l’admettre, la vie fait mal. C’est beaucoup de douleur. Toutes ces choses qu’on ne veut même pas regarder en face. Je comprends tout ça. Ces coutures disent ça. Elles parlent de la douleur et de la valeur humaine.
Et la présence des croix à profusion ?
La croix est aussi liée à ce dont je t’ai parlé précédemment. La croix, c’est la douleur que nous portons. C’est aussi la certitude et l’incertitude du moment où va arriver la mort. Nous vivons avec l’incertitude du quand et du comment. Nous devons prendre en compte la mort tout le temps. Elle est avec nous. Elle influence notre rythme d’existence. C’est un don. Je bénis la mort.
Quelle est ta relation avec la mort et avec le fait que nous soyons tous mortels. Quelle est ta relation avec Dieu ?
Comme tout le monde, savoir que nous ne sommes pas éternels est une chose à laquelle je pense souvent. Ma relation avec la mort est intense. Et puis, il y a cette incertitude de savoir si Dieu existe ou non. Peut-être que nous sommes Dieu d’une certaine manière. Ou plutôt, nous sommes Dieu et le diable à la fois. C’est complexe. Je ne sais pas si c’est cela qui me motive à travailler. Tout ce mélange de sensations liées à la mort, à Dieu.
Est-ce que cela t’affecte de lutter contre tes démons ou, au contraire, cela te donne plus envie de vivre ?
À un moment donné de ma vie, ça m’a affecté, ça m’a même fait peur. Je me sentais différent, étrange. À tel point que j’ai même pensé à… Mais aujourd’hui, j’ai appris à vivre avec mes démons, à travailler avec eux. Ils m’aident et me donnent aussi de l’énergie, c’est comme un moteur. Avec le temps, c’est devenu une sorte de jeu nécessaire, une quête. Oui. J’en ai vraiment besoin, c’est comme ça, c’est comme si je devenais moi-même. Je ne sais pas si je suis dans l’obscurité ou si je vais vers la lumière. Je ne sais pas où je vais.
Quand est-ce que ton besoin de travailler sur des images a commencé ? Est-ce que c’est apparu très tôt dans ta vie ? Est-ce que cette découverte a été un bouleversement pour toi ?
Je suis né dans un quartier très pauvre de Cuba. Je vivais dans un petit appartement d’une seule petite pièce pour ma mère, mon père, mon frère et moi. Nous étions quatre dans cet espace minuscule. Mon frère, au moment de sa naissance, a eu un grave problème. À l’accouchement, au lieu de faire une césarienne, ils ont dû forcer pour le faire sortir. Et en sortant, ils lui ont fait du mal. Cela lui a provoqué une lésion au cerveau. Par la suite, on a découvert qu’il était un enfant schizophrène. Enfant, je me suis éduqué avec pratiquement rien, en étant à côté d’une personne complètement détraquée, très agressive. Mon frère ne prenait pas ses médicaments. Ça provoquait des scènes horribles dans cette pièce minuscule où l’on vivait. C’était très violent. Même les adultes avaient peur de son comportement. Tout ça m’a beaucoup affecté. Je me souviens de mon frère lorsqu’il dessinait. Il faisait des dessins violents. Il représentait des choses vraiment étranges, des choses… Il dessinait des homosexuels, des hommes ayant des contacts avec d’autres hommes, des démons, des têtes coupées, des bras coupés. Du sang partout. Ceci dit, il avait un très bon trait. Et une très bonne orthographe. J’ai grandi à côté de lui, en voyant toutes ces manifestations, ses fantasmes qu’il mettait sur le papier. Ajouté à cela, les explosions de son comportement lorsqu’il balançait des objets à travers la pièce. Il y avait aussi les problèmes d’éducation de ma mère. Ma grand-mère était libanaise et elle a élevé ma mère d’une manière très dure, elle était complètement enfermée. Peut-être que ma mère a répété ce schéma avec moi.
Car j’étais moi aussi enfermé, je ne pouvais pas sortir, même pas dans la petite cour, derrière, avec les autres enfants. Tout ça m’a fait plonger dans un monde intérieur et j’ai commencé à avoir une obsession pour la pâte à modeler, à faire des petits dessins, à assembler des objets. Un bout de brosse pour se laver les dents, je le cassais et je faisais une petite sculpture ou bien je prenais une petite boule de terre.
Quelle différence d’âge il y avait entre toi et ton frère ?
Huit ans. Il est né en 55, et moi en 63.
Quand tu as commencé à créer, est-ce qu’autour de toi, les gens ont fait attention à ton travail ? Est-ce que tu aimais montrer tes œuvres à tes parents, à des amis ou tu gardais tout pour toi ?
Ce que je faisais était très basique, très simple. Je le faisais pour moi, c’était personnel. Je vais te faire une autre confession. Mon frère avait des crises très récurrentes qui me laissaient comme en état de choc. Paralysé. C’était comme une force invisible qui ne me laissait pas tranquille. C’était violent... Cela me conduisaient à me faire du mal. J’avais peur de ce qui se passait à l’intérieur de moi, à l’intérieur de mon organisme. Qu’y avait-il ? Que se passait-il ? Une terreur inexplicable. J’étais effrayé par ces sensations. Des fois, je prenais un petit bout de fil de fer et je l’introduisais dans mon corps par le nombril ou par le conduit de mon pénis. J’avais peur, peur. Qu’y avait-il dans mon corps ? Je me rappelle que j’avais une sorte de lunettes. C’étaient comme des loupes en forme de disques. J’essayais de les mettre et voir si je pouvais regarder à l’intérieur de mon corps. Je faisais plein de choses comme ça, des choses bizarres… Bon, je ne me suis pas opéré non plus ! Peut-être parce que je n’en avais pas la possibilité, je n’avais pas de bloc opératoire !
Pour t’opérer de quoi ?
J’essayais de m’explorer. Si j’avais quelque chose sur la peau par exemple, j’essayais de fouiller, de gratter. Je ressentais une telle terreur, une telle peur.
Et avec ton père ?
J’ai développé un complexe avec mon père. Quand il jouait avec moi, il me lançait une balle en plastique et il me frappait au visage. Il se moquait de moi. J’ai fini par développer un complexe. Je ne regardais plus les gens en face, je parlais de biais. Je ne voulais pas qu’on me regarde de peur qu’on me dise : « Tu as un nez bizarre ». J’ai souffert de ça. J’en ris maintenant, mais c’était dur.
Durant cet entretien, Pablo, le psychiatre de Cadi, se tient à ses côtés. J’en profite pour lui poser quelques questions.
Bonjour Pablo. D’après toi, comment va Cadi ? Quel est son rapport avec la schizophrénie aujourd’hui ?
Il ne souffre plus exactement de schizophrénie.
Il lutte encore avec lui-même ?
Oui. C’est très difficile, vraiment.
Cadi nous disait que son frère avait des épisodes de schizophrénie. Comment qualifierais-tu son état ?
J’ai connu le frère de Cadi, personnellement. Je pense qu’il souffrait vraiment de schizophrénie. Pour Cadi, je pense que non. Je ne pense pas qu’il soit encore schizophrène. Je pense plutôt à un trouble de la personnalité, à cause de la situation familiale qui était très difficile, de ce qu’il a vécu enfant avec des parents malades. Sa mère et son père étaient aussi affectés. Je lui ai dit que c’était un miracle qu’il ne soit pas dans un hôpital psychiatrique aujourd’hui.
Et tu penses que l’art l’a
Oui. Quand je l’ai connu, il faisait de l’art, il sculptait le bois, la pierre. Je pense que ce projet d’art brut l’a amené à un autre niveau, ça lui a sauvé la vie –économiquement aussi –, en termes de reconnaissance, de but dans la vie, et cela lui a permis de quitter Cuba. Je vois qu’il y a des changements dans son travail : il y a plus de couleurs maintenant. Avant, il n’y en avait très peu. En venant au Mexique, il a changé de contexte, de nourriture aussi, c’est meilleur ici. Je pense que tout cela a eu un effet positif sur son œuvre, même s’il ne s’en rend pas compte. Il a sorti son œuvre de son contexte d’avant, il utilise plus de couleurs et de thèmes plus sensuels aujourd’hui. Il vit aussi avec une petite amie avec qui la relation est très conflictuelle. Cadi a 62 ans et elle en a 33. On pratique ensemble le Tai Chi, la méditation, le Chi Kung, le yoga. Tout cela l’aide aussi.
Revenons sur ton travail, Jorge. J’ai constaté que tu utilises très peu la couleur d’une manière générale. Le noir et blanc domine partout.
C’est vrai, jusqu’à maintenant, j’ai très peu utilisé de couleurs, mais ça m’intéresse. Je suis en train d’explorer d’autres variantes, d’autres couleurs. Pour moi, le noir et blanc ont un rapport avec la croix. J’utilise le noir comme un parallèle avec le mal, avec l’obscurité. J’ai toujours joué avec ça. C’est fort et austère à la fois. Et puis, j’adore les vêtements noirs. (il rit)

Ton univers est très figuratif. Est-ce que l’abstraction t’intéresse ?
Oui, ça m’intéresse et je pense qu’à un moment, je vais l’aborder. Par exemple, j’ai un intérêt pour les outils, pour les objets mais ce n’est pas facile de ne pas les lier à la figure humaine, de les utiliser uniquement pour ce qu’ils sont. J’aime aussi l’architecture.
Est-ce que tu te considères comme un artiste ? As-tu besoin de chercher des références chez d’autres artistes ou es-tu uniquement dans ta propre esthétique ? Quel rapport as-tu à l’art en général ?
Mon travail est un mélange. D’un côté, c’est très personnel. C’est comme si ça ne venait que de moi. Mais je pense que tout ce qu’on fait n’est jamais totalement personnel. On est un reflet de tout ce qu’on voit. Tout ce qui est lié à l’art m’a toujours beaucoup intéressé. J’ai toujours vu beaucoup de livres, de photographies, de sculptures, de peintures, de toutes les époques. J’aime ça. Vraiment. Et je pense que, sans l’intention de copier ni de suivre une tendance, on absorbe tout. Il y a une interaction entre tous ces mondes. Quant à me sentir artiste… C’est quelque chose que je préfère laisser au jugement des autres. Modestement, je fais simplement ce que je fais.
Mais quand les gens veulent te connaître et qu’on te demande : « Tu fais quoi dans la vie ? », que réponds-tu ?
Pour être franc, je dis que je fais de l’art. Mais souvent, je ne me considère pas comme tel. Non. Je n’ai pas suivi de formation académique. Même si ça ne veut rien dire car je sais que beaucoup d’artistes n’en ont pas eu. Mais bon, je pense que l’art est quelque chose de complexe qui nécessite une formation. Je n’aime pas non plus surévaluer ce que je fais, ni le sous-estimer. J’essaye simplement de développer ce que je fais. Et cette quête est devenue quelque chose d’important pour moi. Ça m’a beaucoup apporté.
Est-ce que ton passé familial est encore très présent en toi ? Un peu comme des fantômes avec lesquels tu vis et qui nourrissent en permanence ton travail ?
C’est là. C’est comme une matière première que j’ai réussi à recycler d’une certaine manière. C’est le matériau qui me pousse à l’œuvre. Et je sais que ça va m’accompagner jusqu’à ce que je meure. Je remercie la vie, même si ça peut paraître étrange de dire ça, mais c’est vrai.
Est-ce que ta pratique est une forme d’exorcisme de tout que tu as pu vivre et vis encore ? Est-ce qu’il y a une dimension thérapeutique dans ton travail ?
Oui, en partie. Je crois que c’est une nécessité. Mais il y a aussi ce que j’appellerais un « rééquilibrage ». Parce que je travaille avec des symboles, avec l’espoir, avec l’envie d’aller de l’avant, et pas seulement avec ce côté sombre en moi. Mais oui, l’art est une forme de libération pour moi, c’est vrai. C’est une nécessité.
C’est une manière de lutter contre ces démons dont tu me parlais ?
C’est un dispositif qui réussit à pénétrer mon cerveau. Si je ne faisais pas ça, je crois que je pourrais devenir un véritable meurtrier !
L’art est comme un corps protecteur ? Ça te transforme et te protège ?
Complètement, oui.
Tu crois en Dieu ?
Je veux croire que Dieu existe. Il doit y avoir un Dieu. Selon ce que dit la Bible, je pense qu’il est en tout. Tout ce qui est, est une manifestation du divin ou de quelque chose de supérieur. Et cela ne veut pas dire que ce n’est pas aussi le diable. Je pense que nous sommes un ensemble de tout ça. Dieu est la manifestation de tout ce qui est.
Quel est ton rapport aux femmes ? Tu les utilises beaucoup dans ton œuvre. Qu’est-ce qu’elles signifient pour toi ?
Pour moi, la femme est associée à la sensualité, à la sexualité. Je ne peux pas la séparer de ça. C’est une référence obligatoire. Même s’il peut y avoir d’autres enjeux, pour moi, la femme est toujours associée au désir et à la sexualité.
Est-ce que le visage et le corps d’une femme te provoquent des émotions différentes de ceux d’un homme ?
C’est complètement différent. Il y a une séparation très nette entre les deux pour moi. C’est pratiquement comme si c’était deux êtres qui viendraient de deux planètes différentes. Même s’ils ont beaucoup de choses en commun.
Quelle est ta vision de la femme ? As-tu une symbolique que tu utilises comme souvent dans l’art ?
Je n’ai pas de vision précise de la femme, je ne la vois ni comme une mère ou une putain. C’est difficile de mettre des mots là-dessus, c’est complexe. On ne peut pas enfermer les femmes dans une case. Pour moi, les femmes sont des êtres multiples et complexes.
Quelle est, dans ton travail, la relation que tu pourrais avoir, si elle existe, avec la présence de l’amour ou des sentiments ?
Comme le bouddhisme le dit, tout commence par soi. Alors il faut d’abord s’aimer soi-même pour pouvoir aimer son prochain ou ce qui nous entoure. Je pense qu’il y a eu dans ma vie une transformation : avec le temps, j’ai commencé par un peu m’aimer, à m’apprécier moi-même. Et c’est devenu ma priorité depuis, cela inclut aussi mon travail.
























































































Toutes les oeuvres sont sans titre et produites entre 2015 et 2025. Photographie vintage avec ajout d’encre, couture et divers collages. All works are untitled and were produced between 2015 and 2025. Vintage photograph with additions of ink, stitching, and various collages.












































































































Scarred faces, dismembered bodies, scars and crosses everywhere: Cadi’s horrific world is populated by mutant beings. Like a sorcerer’s apprentice, each individual photographed has undergone a metamorphosis at his hands to reveal what was hidden. For Cadi, reality lies and images are merely reflections of this lie.
Excluded, bullied, and often mocked, he grew up in Havana in a violent and cruel family environment. Since childhood, he has taken refuge in art, where he gives free rein to his schizophrenia. In his obsessively composed photomontages, he lets his existential rage explode. Each collage is a kind of duel in which he settles scores with everyone.
His sensitive gaze seeks to decode society’s representations in order to reveal their intrinsic violence, hidden evil, and unmentionable desires. He sees everything, like a hallucinating medium. Before his eyes, photographs become sensitive plates that reveal human secrets, the hypocrisy of human relationships, and society’s confinement within conventions that he abhors.
His photomontages embody the dialogue he desperately tries to create with the outside world, a world filled with ghosts, fear, and burning desires.
Sébastien Lifshitz
Jorge Alberto Cadi is a Cuban artist who grew up in Havana, in a family marked by extreme poverty and touched by schizophrenia. In 2023, Cadi chose to settle in Mexico, accompanied by his psychiatrist, Pablo Hermes Rodriguez Mesa, who follows him closely and supports him in his artistic practice. On the occasion of the exhibition devoted to his work at the Christian Berst Gallery, curator Sébastien Lifshitz engages in a conversation with the artist.
How are you?
I’m fine, very well, yes, everything’s good. Thank you.
As you know, in preparation for the upcoming exhibition that will take place at the Christian Berst Gallery this fall, I’ve looked through about 800 works you’ve created in recent years. I really loved everything I saw. There’s such diversity, such incredible abundance. In all this work, I noticed recurring gestures. Since you’ve been living in Mexico, has something changed in the way you create?
It’ll soon be two years that I’ve been living here.
Has that had an impact on your work?
Yes, of course it has had an impact—obviously. The social context is different. Even if there are similarities between the two cultures, interactions are different. That inevitably influences the work.
What has changed? You no longer have access to the same materials, the same kinds of old photographs? Has leaving Cuba affected the way you express your art?
They’re two different things. Today, I find myself in a different environment. The context changes, so what I find changes too. The photos are different, and so are the people in them. They’re Mexican, from different cultural and social backgrounds. But thanks to Pablo, I still work with photographic material from Cuba. He manages to find some and brings it to me here. But I also have a lot of images from Mexico, and objects I’ve found here. So naturally, there’s been a kind of fusion, a blend, between what I used to find there and transform, and what I find here. It’s changing.

Internally as well?
Yes. Internally, of course. How to explain… New things are happening to me, new experiences. Many things affect me here. And that’s reflected in my work. It’s a different rhythm of life.
Do you miss Cuba?
Yes, inevitably. It’s a whole life. And not everything about that life I had there was bad, you know.
What do you miss the most?
The people I was with. Very recently, a friend passed away — someone I shared a lot with. It was through him that I met Pablo (Cadi’spsychiatrist). We had known each other for a long time… Deaths are things that happen in life — it’s natural — but I couldn’t be there for the funeral, and I miss him.
Do you feel like an exile here? Or do you see this life as a new beginning?
Even though I’m a foreigner here, I actually feel very good. Leaving my birthplace doesn’t make me feel bad; it doesn’t affect me. All of this has allowed me to grow, to develop everything I can develop.
But does your work then become a kind of refuge?
Work, in itself, is a refuge — a way of… let’s say, self-fulfillment. I feel increasingly in tune with what I do, and I consider it as… let’s say, a profession. A real profession. I feel good when I’m working. And for that reason, I don’t feel isolated. I feel comfortable doing it, you see? It’s become something that’s practically a need.
Do you work every day? At what pace?
I don’t follow a fixed schedule. I usually get up early. I do some household tasks and then I work during the day, sometimes in the evening too. Occasionally, I also work at night.
But it’s a daily practice?
Yes, generally I always do something every day. I always make some progress — sometimes a lot, sometimes less. But yes, I always do something.
Since the main material of your work relies on pre-existing documents — found photographs — how do you find that material in Mexico?
Pablo gave me some photos from Cuba that he brought back. And here too, I buy some from Lodón, in what we call tianguis — small local markets where you can find many photographs.
And in the batches that people bring you, how do you choose your images?
What attracts me the most are personal photos — family pictures, group portraits, all kinds. Sometimes there are also things related to old architecture, which I combine with human figures or other vintage elements. I’m especially drawn to old photographs.
I’ve noticed in your work that there are distinct series. For example, one with many images centered on groups of men — politicians, actors, public figures, or people from news stories. What are you trying to express through these groups of men? Is it a form of rejection, of disgust?
It’s more something intuitive. In any society, there are things that displease us. For instance, if I have a photo of some person X in front of me, they may or may not carry a social connotation. And then I just go with it. Something pushes me to reveal what is dark or hidden behind appearances — to expose a contradiction within the image. I want to show what is unhealthy in human nature. Yes, the negative side. And then it just comes out, you see. I start to “undress” it, to dig into what lies behind. I go for it. Something drives me to unmask things.
These photos refer to earlier times — materials ranging from the 1900s to the 1970s–80s in Latin America. It’s a patriarchal world where the figure of the man is omnipresent, and women are often sidelined. There are few images showing men and women together. Is this separation of the sexes something that interests you? Because today, society is different — much more mixed.
I’m not a philosopher, but I think the past and the present are connected in some way. These old things — it’s as if they’re still here, now. We are the result of all that, of everything that came before us. We can’t detach ourselves from it. In those old things, there’s something that calls to me. I don’t know if I can explain it clearly, but I’m very drawn to the past — to what has been. It’s like an act of rescue, or an attempt to imagine how things might have been. A way also to unmask the past. Or to invent other versions — which may or may not correspond to reality. And when I focus on a single individual, it can allude to what it means to be alone. Solitude. Separation. Groups exist, yes, but they aren’t necessarily relationships.
Has it ever crossed your mind to use contemporary material — people from today, whether known or unknown?
Well, recently, I’ve worked on things that aren’t quite so old. In fact, I plan to take some photographs myself. For now, I’ve done very few. But I want to do more.
Can you tell me a bit more about that?
Some of the photos I’m talking about, I took myself with a small camera. They’re pictures of buildings — old constructions in Cuba. There’s also the cemetery. But yes, I’d like to venture into something more recent, without abandoning the old, because it still attracts me a lot.
Is this change that’s happening now connected to a kind of exhaustion with these old images — a feeling of repetition? Do you feel the need to renew the images you want to create?
Yes, honestly. Even if each photograph is different, I try to vary the context and, in a way, to give the work more depth of meaning by making the photograph interact with what’s placed on top of it. And to make sure there’s a different relationship between background and subject each time. I’m trying to find variations so I don’t go in circles. I think that’s vital. For everything.
Does that come from a need to evolve?
Of course, yes.
When you’re in front of an image you want to work on, do you already have a clear idea before starting, or does it come to you as you work?
Often, I arrive without any idea at all. Nothing is premeditated. It’s something that happens in the moment.
Some figures are completely covered in black ink and become like shadows. What does that mean to you?
It’s something I started doing to create a different kind of presence. These black figures aren’t just silhouettes — they’re mysterious presences, almost absent yet at the same time very present. They create a strong contrast with the rest of the image and play with the idea of invisibility and memory, like recollections or absences within memory itself.
Is it connected to a social or political theme?
Il y a cette idée de ce qui est effacé, de ce qui disparaît de l’histoire officielle, des histoires personnelles. C’est une façon de donner de la voix à ce qui n’est pas vu ou entendu. C’est aussi une manière de questionner ce qui reste visible et ce qui est caché.
Do you think this process will evolve further in your future works?
There’s this idea of what is erased — what disappears from official history, from personal histories. It’s a way of giving a voice to what is not seen or heard. It’s also a way of questioning what remains visible and what is hidden.
I’d like to talk about your interventions on the images. In some cases, you darken certain parts, and sometimes you add horned figures. Some of these black horned human shapes are added, while at other times they seem to take over people already present in the photograph. What do they represent for you?
I project these figures to allude to something demonic — that dark part inside me that I repress or manage to calm. I know that good prevails. But still, that darkness is there. Pain, evil — to put it differently — it’s there. And sometimes it comes out, yes, it surfaces; the idea becomes a little more conscious. It mixes with everything. I don’t quite know how to explain it. Let’s just say that sometimes evil appears. And sometimes it’s quieter.
And this need to use thread, to sew into the photographs — it’s very present in your recent images. At the beginning, you didn’t sew. Later, you felt that need. Why?
It’s like a necessity. Maybe to hold things together. Like in life — things are very fleeting, as if everything were slipping away. It’s as though I need to grasp them somehow. It’s also a message about pain — the pain of living. I think life, even if no one wants to admit it, life hurts. It’s full of pain. All those things we don’t even want to face. I understand all that. These stitches speak of that. They speak of pain and of human value.
And the recurring presence of crosses?
The cross is also connected to what I mentioned earlier. The cross is the pain we carry. It’s also the certainty and uncertainty of the moment death will come. We live with the uncertainty of when and how. We have to take death into account all the time. It’s with us. It shapes our rhythm of existence. It’s a gift. I bless death.
What is your relationship with death and with the fact that we are all mortal? What is your relationship with God?
Like everyone, knowing that we are not eternal is something I think about often. My relationship with death is intense. And then, there’s this uncertainty — whether God exists or not. Maybe we are God, in a way. Or rather, we are both God and the Devil at the same time. It’s complex. I don’t know if that’s what drives me to create. All this mix of feelings connected to death, to God.

Does it affect you to fight against your demons, or does it, on the contrary, make you want to live more?
At one point in my life, it did affect me — it even frightened me. I felt different, strange. To the point where I even thought about… But today, I’ve learned to live with my demons, to work with them. They help me and also give me energy — they’re like a motor. Over time, it’s become a kind of necessary game, a quest. Yes. I really need it, that’s how it is — it’s as if I become myself through it. I don’t know if I’m in darkness or moving toward the light. I don’t know where I’m going.
When did your need to work with images begin? Did it appear early in your life? Was this discovery a turning point for you?
I was born in a very poor neighborhood in Cuba. I lived in a small apartment — a single tiny room for my mother, my father, my brother, and me. The four of us in that cramped space. When my brother was born, there was a serious problem. During delivery, instead of performing a C-section, they forced him out, and in doing so, they hurt him. It caused brain damage. Later, we discovered he was schizophrenic. As a child, I grew up with practically nothing, next to someone completely unbalanced, very aggressive. My brother didn’t take his medication, which led to horrible scenes in that tiny room we shared. It was very violent. Even adults were afraid of his behavior. All that affected me deeply. I remember my brother when he drew — he made violent drawings, really strange things: homosexuals, men having contact with other men, demons, severed heads, cut-off arms, blood everywhere. That said, he had an excellent hand — and perfect spelling. I grew up beside him, witnessing all these manifestations, these fantasies that he put on paper. On top of that, there were his violent outbursts, when he threw things across the room. Then there were my mother’s educational problems. My grandmother was Lebanese, and she raised my mother very harshly — she was completely closed off. Maybe my mother repeated that pattern with me. Because I was locked in too — I wasn’t allowed to go out, not even into the small backyard to play with the other children. All that made me retreat into an inner world, and I began to develop an obsession with modeling clay, making little drawings, assembling objects. I’d take a piece of a toothbrush, break it, and turn it into a tiny sculpture, or I’d pick up a small ball of clay.
What was the age difference between you and your brother?
Eight years. He was born in ’55, and I was born in ’63.
When you started creating, did people around you pay attention to your work? Did you like showing your pieces to your parents, to friends, or did you keep everything to yourself?
What I did was very basic, very simple. I did it for myself — it was personal. I’ll tell you another confession. My brother had very frequent crises that left me
in a kind of shock — paralyzed. It was like an invisible force that wouldn’t leave me alone. It was violent… It led me to hurt myself. I was scared of what was happening inside me — inside my body. What was there? What was going on? An inexplicable terror. I was frightened by those sensations. Sometimes I’d take a small piece of wire and insert it into my body through my navel or the opening of my penis. I was scared, terrified. What was inside my body? I remember I had something like glasses — they were like magnifying lenses in the shape of discs. I tried to put them on and see if I could look inside my body. I did all sorts of things like that — strange things… Well, I didn’t perform surgery on myself! Maybe because I didn’t have the means — no operating room!
To operate on yourself for what?
I was trying to explore myself. If I had something on my skin, for example, I’d try to dig, to scratch it. I felt such terror, such fear.
And with your father?
I developed a complex about my father. When he played with me, he would throw a plastic ball at me and hit me in the face. He made fun of me. I ended up developing a complex. I stopped looking people in the eye — I’d talk sideways. I didn’t want to be looked at, afraid that someone would say, “You have a weird nose.” I suffered from that. I laugh about it now, but it was hard.
During this interview, Pablo, Cadi’s psychiatrist, sits by his side. I take the opportunity to ask him a few questions.
Hello Pablo. In your opinion, how is Cadi doing? What is his relationship with schizophrenia today?
He’s no longer exactly suffering from schizophrenia.
He’s still struggling with himself?
Yes. It’s very difficult, really.
Cadi told us that his brother had episodes of schizophrenia. How would you describe his condition?
I personally knew Cadi’s brother. I believe he truly suffered from schizophrenia. As for Cadi, I don’t think so. I don’t think he’s schizophrenic anymore. I think it’s more of a personality disorder, due to the very difficult family situation and what he experienced as a child with sick parents. His mother and father were also affected. I told him it’s a miracle he’s not in a psychiatric hospital today.

And do you think art helped him?
Yes. When I met him, he was already making art — carving wood, stone. I think this art brut project took him to another level; it saved his life — economically too — giving him recognition, a sense of purpose, and allowing him to leave Cuba. I can see changes in his work: there’s more color now. Before, there was very little. Coming to Mexico changed his environment — even his diet, which is better here. I think all of that had a positive effect on his art, even if he doesn’t realize it. He has taken his work out of its former context; he uses more color now, and explores more sensual themes. He also lives with a girlfriend — their relationship is very conflictual. Cadi is 62 and she’s 33. We practice Tai Chi, meditation, Chi Kung, and yoga together. All that helps him too.
Let’s go back to your work, Jorge. I’ve noticed that you generally use very little color. Black and white dominate everywhere.
That’s true — until now, I’ve used very little color, but it interests me. I’m exploring other variations, other tones. For me, black and white are connected to the cross. I use black as a parallel to evil, to darkness. I’ve always played with that. It’s both powerful and austere. And besides, I love black clothing. (he laughs)
Your universe is very figurative. Are you interested in abstraction?
Yes, I am, and I think that at some point I’ll explore it. For example, I’m interested in tools, in objects — but it’s not easy to separate them from the human figure, to use them purely for what they are. I also like architecture.
Do you consider yourself an artist? Do you feel the need to look for references in other artists’ work, or are you completely within your own aesthetic? What is your relationship to art in general?
My work is a mix. On one hand, it’s very personal — as if it only came from within me. But I think that nothing we do is ever entirely personal. We’re reflections of everything we see. Everything related to art has always fascinated me. I’ve always looked at many books, photographs, sculptures, paintings — from all eras. I really love that. And I think that, even without trying to copy or follow a trend, we absorb everything. There’s an interaction between all those worlds. As for whether I feel like an artist... That’s something I prefer to leave for others to decide. Modestly, I just do what I do.
But when people want to get to know you and ask, “What do you do for a living?”, what do you answer?
To be honest, I say that I make art. But often, I don’t really consider myself an artist. No. I didn’t receive any academic training — even though that doesn’t
mean much, since I know many artists haven’t either. But I think art is something complex that requires some form of education. I also don’t like to overvalue what I do, nor to underestimate it. I just try to develop what I do. And that pursuit has become something very important for me. It’s given me a lot.
Is your family past still very present within you — like ghosts that live with you and constantly feed your work?
It’s there. It’s like raw material that I’ve managed to recycle in a way. It’s the substance that drives the work. And I know it will stay with me until I die. I thank life — even if that may sound strange — but it’s true.
Would you say your practice is a kind of exorcism of everything you’ve lived through and still carry? Is there a therapeutic dimension to your work?
Yes, partly. I think it’s a necessity. But there’s also what I’d call a “rebalancing.”
Because I work with symbols, with hope, with the desire to move forward — not only with the dark side within me. But yes, art is a form of liberation for me. It’s true. It’s a necessity.
Is it a way of fighting against those demons you mentioned earlier?
It’s a kind of mechanism that manages to penetrate my brain. If I didn’t do this, I think I could become a real killer!!
Art is like a protective body? It transforms and protects you?
Completely, yes.
I want to believe that God exists. There must be a God. According to what the Bible says, I think He is in everything. Everything that exists is a manifestation of the divine, or of something higher. And that doesn’t mean that it’s not also the devil. I think we are made up of all that. God is the manifestation of everything that is.
What is your relationship with women? You use them a lot in your work. What do they represent for you?
For me, women are linked to sensuality, to sexuality. I can’t separate them from that. It’s an inevitable reference. Even if there may be other dimensions, for me, women are always connected to desire and sexuality.
Do the face and body of a woman provoke different emotions in you than those of a man?
Completely different. There’s a very clear separation between the two for me. It’s almost as if they come from two different planets — even if they share many things in common.
What’s your vision of women? Do you use any symbolism, as is often done in art?
I don’t have a precise vision of women; I don’t see them as either mothers or whores. It’s hard to put into words — it’s complex. You can’t confine women to a single category. For me, women are multiple and complex beings.
In your work, what relationship, if any, do you have with love or feelings?
As Buddhism says, everything starts with oneself. So you have to love yourself first in order to love your neighbour or those around you. I think there has been a transformation in my life: over time, I started to love myself a little, to appreciate myself. And that has become my priority ever since, including in my work.

Ce catalogue a été réalisé à l’occasion de l’exposition
jorge alberto cadi la matière noire
à la galerie christian berst art brut
du 6 novembre au 6 décembre 2025
commissaire d’exposition sébastien lifshitz
Après des études d’histoire de l’Art à l’Ecole du Louvre, Sébastien Lifshitz se tourne vers le cinéma et réalise en 2000 son premier long-métrage, Presque Rien. Suivront le documentaire La Traversée (2001) sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, puis Wild Side (2004) et Bambi (2016) tous deux sélectionnés et primés au festival de Berlin. Après Les Invisibles (2012) en sélection officielle au festival de Cannes et Les Vies de Thérèse (2017) à la Quinzaine des Réalisateurs, il réalise deux documentaires : Adolescentes, Prix Louis-Delluc et heureux lauréat de trois César en 2021 puis Petite Fille, présenté au Festival de Berlin. Passionné de photographies, Sébastien Lifshitz a également été commissaire des expositions Mauvais Genre (2016) aux Rencontres de la Photographie d’Arles et de L’Inventaire Infini (2019) au Centre Pompidou.
design graphique & réalisation élisabeth berst & sébastien lifshitz
achevé d’imprimer à Paris en novembre 2025
© christian berst art brut
christian berst art brut