Le confinement, son impact sur notre apprĂ©hension des espaces et la possibilitĂ©, Ă travers le projet dâarchitecture, de les transformer. Un rĂ©cit de Claire Karsenty.
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Le champ des possibles Par Claire Karsenty, architecte et Maßtre de conférences en Théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine à l'ENSAS *
Juste avant Mercredi 11 mars 2020. Les signes dâun possible confinement se font de plus en plus insistants. Nous sommes dans le bus, de retour de Notre-Dame du Haut Ă Ronchamp. La journĂ©e est pluvieuse et lâĂ©glise Ă©tait plongĂ©e dans la brume. Ă lâintĂ©rieur, la pĂ©nombre sâest dissipĂ©e peu Ă peu et nous a permis dâobserver les jeux de lumiĂšres sur les volumes et les plans corbusĂ©ens. Par la porte, le paysage apparaĂźt lentement. Nous dĂ©couvrons les forĂȘts et les collines environnantes. Nous roulons maintenant vers lâĂ©cole. La prochaine sĂ©ance sera celle trĂšs attendue de lâintroduction au ciel artificiel. Chaque groupe dâĂ©tudiants a rĂ©alisĂ© des maquettes dâĂ©chelle 1:50 et 1:20. Leur manipulation dans le Laboratoire lumiĂšre [Ă lâENSAS, un espace de simulation de lumiĂšre naturelle pour expĂ©rimenter les ambiances lumineuses dans lâarchitecture et lâurbanisme, ndlr] permettra de modifier le projet et sa matĂ©rialitĂ© afin dâen optimiser lâespace de rĂ©flĂ©chir sur la lumiĂšre et la dimension haptique de lâarchitecture. Câest pourtant un tout autre niveau dâexpĂ©rimentation qui nous attend lorsque, dans la soirĂ©e, nous apprenons que lâĂ©cole ferme dĂšs le lendemain et pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e. Sâadapter TrĂšs vite, le potentiel exploratoire de cette pĂ©riode inĂ©dite Ă©merge fortement. Les outils dâexpĂ©rimentation ne seront plus ceux de
la simulation. Nous entrons dans une phase dâobservation de nous-mĂȘmes et de notre espace intime. Le confinement agit tout Ă la fois comme un filtre et un rĂ©vĂ©lateur. Lâhabitat va devenir le principal objet dâĂ©tude. Dans nos vies dâactifs, le logement sâinscrit dans une sĂ©rie de lieux dont nous sommes les usagers rĂ©guliers : la rue, lâĂ©cole, les commerces, les administrations, les cafĂ©s, les cinĂ©mas, les parcs, etc. DĂ©sormais nous sommes cantonnĂ©s «âdans nos mursâ» et devons y rĂ©aliser lâensemble de nos actions et de nos gestes. Ainsi, il faut non seulement sây reposer, sây restaurer, ranger, se laver, se rencontrer, etc. mais il faut Ă©galement y apprendre, communiquer, faire du sport, sây divertir, rĂ©parer, soigner, sây disputer, se retrouver, etc. et tout cela seul.e ou avec les mĂȘmes personnes pendant deux mois. Un double mouvement dâadaptation sâopĂšre : notre espace sâadapte Ă nos nouveaux besoins et nous nous adaptons Ă cet espace unique et total. En nous privant momentanĂ©ment du contact avec lâextĂ©rieur, le confinement a fait de notre logement une nouvelle peau, vecteur de notre relation au monde, intĂ©rieur et extĂ©rieur. Câest par lui dĂ©sormais que nous sentirons le rythme des jours, par la fenĂȘtre que nous serons reliĂ©s Ă la lumiĂšre, Ă la pluie et au soleil. Certains profiteront de prolongement comme le balcon ou le jardin, dâautres nâauront quâune fenĂȘtre, un mur, des interstices pour sentir lâair, ÂlâhumiditĂ© le froid ou la chaleur.