STRUCTURES DES HAUTES ĂCOLES
Le pouvoir de lâoligarchie acadĂ©mique Les chaires professorales sont des royaumes quasiment ingouvernables, dit-on souvent. Pourtant, un modĂšle autocratique Ă lâamĂ©ricaine ne convient pas au systĂšme Ă©ducatif suisse. Comment nos hautes Ă©coles cherchent une voie mĂ©diane. Texteâ Michael Furger
Le poste de rectrice ou de recteur pour lâUniversitĂ© de SaintGall nâa assurĂ©ment pas suscitĂ© de convoitises. En fin de compte, câest la personne qui Ă©tait chargĂ©e de prĂ©senter la meilleure candidate qui a dĂ» se mettre Ă disposition. PrĂ©sident de la commission de sĂ©lection et professeur de droit, Bernhard Ehrenzeller a Ă©tĂ© Ă©lu en 2019, Ă 66 ans. Dans une haute Ă©cole rĂ©unissant de nombreux experts en matiĂšre de direction, personne ne semblait vouloir jouer ce rĂŽle. Lorsque le poste de recteur dâune universitĂ© est mis au concours, il est rare que beaucoup de gens se le disputent. Michael Schaepman, recteur Ă Zurich, le sait bien: «En tant que doyen, vice-recteur ou recteur, on entend souvent les collĂšgues dire: «Oh lĂ lĂ , mon pauvre.» Caspar Hirschi, professeur dâhistoire et doyen Ă lâUniversitĂ© de Saint-Gall, constate quâen rĂ©alitĂ© les organisations dâexperts telles que les universitĂ©s refusent souvent dâĂȘtre dirigĂ©es tout court. Il sait de quoi il parle, puisquâil Ă©tudie le rĂŽle des experts. «Le dĂ©ficit de direction dans les universitĂ©s est voulu, pour faire place Ă une sorte dâoligarchie professorale.» Dans une telle organisation, personne ou presque ne souhaite prendre les commandes. Et personne ne veut que quelquâun dâextĂ©rieur prenne la conduite des affaires. La raison en est simple: «Les scientifiques veulent poursuivre leur travail sans ĂȘtre dĂ©rangĂ©s. On attend avant tout dâune rectrice quâelle ramĂšne le calme dans le systĂšme et quâelle veille Ă la libertĂ© du personnel acadĂ©mique», explique Caspar Hirschi. Par consĂ©quent, on hĂ©site Ă sâengager dans des expĂ©riences dans ce domaine. On parle dâautogestion acadĂ©mique pour dĂ©crire le principe suivi dans les hautes Ă©coles universitaires de Suisse depuis la nuit des temps: les hiĂ©rarchies sont plates et le recteur fait office de primus inter pares sans grand pouvoir. Toutefois, compte tenu de la concurrence mondiale, cette structure convient-elle encore pour diriger une universitĂ©? «Dans sa forme originelle, la gestion autonome nâexiste plus depuis longtemps», affirme Bernhard Nievergelt, directeur du Center for Higher Education and Science Studies Ă lâUniversitĂ© de Zurich, oĂč il Ă©tudie la gouvernance des hautes Ă©coles. Selon lui, lâesprit du New Public Management a aussi laissĂ© des traces dans les universitĂ©s. Celles de Suisse prĂ©sentent une forme hybride entre lâancien modĂšle collĂ©gial et la gestion moderne, sans que cela soit dĂ©jĂ perceptible: «On sâentraĂźne.» Ces derniĂšres annĂ©es, les facultĂ©s de plusieurs universitĂ©s ont ainsi obtenu davantage de compĂ©tences. A Zurich, 46 Horizons 130
les doyens sont dĂ©sormais responsables des salaires des professeurs et peuvent ainsi administrer eux-mĂȘmes les bĂ©nĂ©fices de rotation provoquĂ©s par les fluctuations de personnel. «Les doyens sont plus autonomes et planifient de maniĂšre nettement plus stratĂ©gique», constate Michael Schaepman. Le modĂšle ressemble toujours Ă de la gestion autonome. Cependant, Bernhard Nievergelt constate quâen dĂ©lĂ©guant certaines tĂąches aux facultĂ©s, le rectorat tĂ©moigne dâune nouvelle comprĂ©hension de la gestion. La nouvelle catĂ©gorie de personnel ne rĂ©sout pas les problĂšmes Un constat confirmĂ© par la croissance rapide dâune nouvelle catĂ©gorie de personnel universitaire baptisĂ©e «third space», active dans le monde intermĂ©diaire entre la science et lâadministration. Ces universitaires formĂ©s ont pour mission dâassister les chercheurs dans la gestion scientifique. Ils apportent ainsi leur aide pour formuler des demandes de subventions, dĂ©crocher des autorisations pour les expĂ©rimentations animales ou encadrent des expĂ©riences dâenvergure. «Avant, lâautogestion acadĂ©mique signifiait que les chercheurs se chargeaient eux-mĂȘmes de ces tĂąches», explique Michael Schaepman. Le «third space» leur permet de consacrer plus de temps Ă la recherche. NĂ©anmoins, il nâa pas non plus rĂ©solu le problĂšme fondamental. De nombreux scientifiques ne sâintĂ©ressent pas, ou seulement de façon limitĂ©e, Ă lâorganisation de leur haute Ă©cole. «Aujourdâhui, la question qui se pose Ă une universitĂ© est de savoir comment gĂ©rer lâopiniĂątretĂ©, mais aussi lâignorance des scientifiques», explique Bernhard Nievergelt. Certaines chercheuses sont toujours convaincues que lâorganisation nâest pas de leur ressort et que si la situation ne leur convient pas, il leur suffit de sâen aller. Un modĂšle de conduite plus autoritaire, prĂ©sidentiel, comme aux Etats-Unis, ne serait-il pas plus appropriĂ©? Il nâest pas facile de trancher. Pour lâinstant du moins, aucun lien nâa pu ĂȘtre Ă©tabli entre le modĂšle dâorganisation et les rĂ©sultats de la recherche, constate Bernhard Nievergelt. La comparaison avec la situation des hautes Ă©coles amĂ©ricaines est de toute maniĂšre difficile. Sâagissant gĂ©nĂ©ralement dâinstitutions privĂ©es rĂ©putĂ©es, leur financement est diffĂ©rent. En Suisse, le solide financement de base par lâEtat soulage considĂ©rablement les hautes Ă©coles publiques des lourdes recherches de fonds, courantes aux Etats-Unis. Les scientifiques qui parviennent Ă rapporter