Horizons 131 - Publier Ă  tout prix!

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DOSSIER: PUBLICATIONS EN MUTATION

Les jeunes scientifiques entre idĂ©aux et rĂ©alitĂ© Le nom de la revue reste souvent plus important que son contenu. MalgrĂ© l’existence de nouvelles formes de publication, planifier sa carriĂšre n’est pas devenu plus simple. Texte  Santina Russo

Avant la pandĂ©mie de Covid-19, Emma Hodcroft Ă©tait une «postdoc moyenne», comme elle le dit elle-mĂȘme. EpidĂ©miologiste, elle travaillait avec des collĂšgues de l’UniversitĂ© de BĂąle sur la plateforme logicielle publique Nextstrain. Celle-ci analyse le matĂ©riel gĂ©nĂ©tique des nouvelles mutations de virus et traduit les donnĂ©es en graphiques. MalgrĂ© la pertinence de ce travail de recherche, Emma Hodcroft est d’abord restĂ©e une «postdoc moyenne» – jusqu’au jour oĂč elle s’est mise Ă  tweeter. Avec les doctorants, les postdocs constituent le gros des troupes de la relĂšve scientifique. Ils passent d’un poste Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ©e Ă  l’autre, accumulant les rĂ©sultats et les publications pour pouvoir, un jour, se porter candidats Ă  un poste de professeur titulaire. A terme, ce parcours devrait culminer au poste de professeur ordinaire. «Toutefois, cela ne fonctionne que pour quelques-uns, car pour le nombre Ă©norme de doctorants et de postdocs, il n’y a qu’une fraction de postes de professeurs», relĂšve Michael Hill, chef adjoint de la division stratĂ©gie au FNS. Le monde scientifique ressemble ainsi un peu Ă  une cruche, avec la masse des aspirants en bas, et en haut l’étroit goulot que les aspirants Ă  l’un des postes tant convoitĂ©s doivent franchir. Quels succĂšs font ici la diffĂ©rence? Peu importe la revue «Bien sĂ»r, on aspire Ă  sĂ©lectionner les meilleurs», explique Michael Hill, avant de tempĂ©rer, sceptique: «Quant Ă  savoir ce que cela reprĂ©sente, les rĂ©ponses sont nombreuses.» Jusqu’à prĂ©sent, les performances acadĂ©miques Ă©taient presque exclusivement mesurĂ©es au nombre de publications, surtout celles parues dans des revues spĂ©cialisĂ©es de haut niveau. Mais ces critĂšres d’évaluation sont en train de changer. Deux initiatives accĂ©lĂšrent le mouvement. D’une part, la dĂ©claration DORA, qui redĂ©finit la pondĂ©ration des performances scientifiques lorsqu’il s’agit d’occuper des postes ou d’allouer des fonds. D’autre part, la campagne open science, qui vise Ă  offrir plus de visibilitĂ© et de transparence. DORA, acronyme anglais de «Declaration on Research Assessment», a vu le jour en 2013, Ă  l’initiative de rĂ©dacteurs de revues scientifiques. La dĂ©claration critique le fait que les rĂ©ussites acadĂ©miques dĂ©pendent depuis toujours de la publication dans des revues spĂ©cialisĂ©es de haut niveau. Ce sont en particulier les dĂ©cisions prises dans les procĂ©dures de sĂ©lection de candidats qui ne doivent plus dĂ©-

pendre du puissant «journal impact factor», qui repose sur le nombre de citations reçues en moyenne par les articles publiĂ©s dans un titre. Par dĂ©finition, cette valeur moyenne ne dit rien de la qualitĂ© d’un article de recherche individuel. En lieu et place, il faut honorer le travail de recherche de qualitĂ©, quelle que soit la revue qui le publie. Et d’autres rĂ©alisations scientifiques, comme des modĂšles informatiques ou des jeux de donnĂ©es importants, ou l’influence sur la politique devraient dĂ©sormais ĂȘtre honorĂ©es. C’est ainsi que DORA veut rendre les processus de sĂ©lection plus justes, surtout pour les chercheurs au dĂ©but de leur carriĂšre. Pour les anciens, le systĂšme a fait ses preuves La plupart des hautes Ă©coles suisses ont signĂ© la dĂ©claration DORA depuis longtemps et le FNS soutient financiĂšrement cette initiative. Dans les faits pourtant, il est plus difficile de faire entrer DORA dans les salles de rĂ©union et les bureaux des responsables de groupe que d’en parler. En effet, effectuer un premier tri dans la procĂ©dure de sĂ©lection des candidates impose un filtrage sĂ©vĂšre. Des mesures telles que le facteur d’impact ou le nom de revues rĂ©putĂ©es sont alors des indicateurs bien pratiques. De plus, le systĂšme a fait ses preuves pour tous ceux qui doivent dĂ©sormais dĂ©cider, qu’ils soient chefs de groupe, professeurs ou membres de comitĂ©s d’évaluation. Ce changement de cap n’est pas automatique, comme l’a montrĂ©, il y a deux ans, une mise au concours Ă  l’ETH Zurich. Un chef de groupe cherchait ouvertement un postdoc pouvant faire valoir des publications assorties d’un facteur d’impact Ă©levĂ©, alors que l’ETH Zurich avait depuis longtemps adhĂ©rĂ© Ă  DORA. Sur Twitter, ce mĂ©pris Ă©vident des principes DORA a soulevĂ© de vives critiques de la part de la communautĂ© scientifique. Le chef de groupe concernĂ© a dĂ» reformuler son offre et prĂ©senter des excuses. «Nous devons simplement aborder le sujet constamment», dit Ambrogio Fasoli, vice-prĂ©sident associĂ© pour la recherche Ă  l’EPFL. Il a dĂ©jĂ  dirigĂ© une plĂ©thore de comitĂ©s pour la nomination de nouveaux professeurs assistants et l’attribution de chaires Ă  des professeures. «Nous faisons dĂ©jĂ  bien des choses correctement dans ces processus.» Ambrogio Fasoli reconnaĂźt toutefois qu’il a de nombreux collĂšgues qui tiennent toujours beaucoup au facteur d’impact. Et qu’il n’a aucun moyen de contrĂŽler comment les quelque 250 professeures et professeurs de l’EPFL recrutent les membres de leurs groupes.

Décembre 2021 19


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