014
PANEL DâEXPERTS CONTEXTE
FR.FOKUS-ONLINE.BE
Comment booster lâentrepreneuriat en Belgique? Pour que lâentrepreneuriat se dĂ©veloppe dans un pays, il faut que les conditions soient rĂ©unies en faveur de cette Ă©volution. Des freins majeurs peuvent apparaĂźtre et condamner progressivement ce climat favorable. Quâen est-il en Belgique?
ROLAND GILLET. Professeur Ă lâULB (Solvay)
CORENTIN MINNE. Founding partner de Pareto
DIMITRI BAUTERS. Directeur Régional Bruxelles-Wallonie de la Banque J.Van Breda & C°
Comment qualifier lâenvironnement dans lequel baigne le dĂ©veloppement de lâentrepreneuriat belge en 2020? « Pour la plupart des sociĂ©tĂ©s, câest flou. On a le sentiment gĂ©nĂ©ral quâil y a beaucoup dâaides qui existent et on ne sait pas par oĂč et comment commencer. Soit on a quelquâun de spĂ©cialisĂ© dans son entreprise qui se charge de toutes les primes existantes, soit on passe Ă cĂŽtĂ©. Il y a Ă©galement un autre problĂšme: la complexitĂ© du systĂšme. La rĂ©gionalisation nâarrange rien car les rĂ©gions entrent souvent en compĂ©tition entre elles. Ce qui engendre une rĂ©conciliation difficile entre le monde administratif/politique et le monde praticopratique dans lequel vit lâentrepreneur. Et ceux qui trinquent le plus ce sont souvent les PME qui nâont personne en interne pour sâoccuper de ces questions. »
« Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le tax shift opĂ©rĂ© ces derniĂšres annĂ©es par le gouvernement a permis un allĂšgement de la fiscalitĂ© sur le travail, au niveau des salariĂ©s et des entreprises. Avec lâidĂ©e de favoriser davantage les petites entreprises que les grandes. Des mesures en matiĂšres de cotisations sociales et de premier emploi ont notamment Ă©tĂ© activĂ©es. Toutefois, cette volontĂ© fĂ©dĂ©rale a Ă©tĂ© relayĂ©e de maniĂšre diffĂ©renciĂ©e au niveau des rĂ©gions, ce qui crĂ©e des difficultĂ©s concernant la crĂ©ation de politiques cohĂ©rentes. Il est Ă©vident que lâon pourrait encore faire davantage, mais Ă©tant donnĂ© les contraintes budgĂ©taires, les marges de manĆuvres restent tĂ©nues. »
« Il y a plusieurs niveaux dâincertitude notamment au niveau politique. Le gouvernement Michel avait instaurĂ© une diminution de lâimpĂŽt sur les sociĂ©tĂ©s ce qui Ă©tait prometteur pour lâemploi et au niveau patrimonial. Mais la question est : quid du programme politique de demain ? Il reste aussi les lourdeurs administratives comme lâoctroi de permis par exemple. Ou encore, le coup Ă©nergĂ©tique. Enfin, les incertitudes apparaissent aussi au niveau gĂ©opolitique mondial et climatique. Tout ça peut faire changer les dĂ©cisions et inciter Ă la prudence. Par contre, au niveau des possibilitĂ©s de financement, les taux sont bas. Donc propices Ă lâinvestissement. »
Existe-t-il des aides en Europe pour booster lâentrepreneuriat? « Ăa va dĂ©pendre du secteur ou de la rĂ©gion dans laquelle on se trouve. Certaines enveloppes peuvent aussi ĂȘtre allouĂ©es afin de soutenir des types dâactivitĂ© bien particuliers. Bruxelles nâĂ©tant pas une rĂ©gion en crise, les sociĂ©tĂ©s gĂ©nĂ©ralistes situĂ©es-lĂ ont eu accĂšs Ă ces aides. Et puis il reste toujours cette complexitĂ© du systĂšme et de la communication qui entoure ces aides. Depuis 10 ans, je nâai jamais reçu une information directe au sujet dâune quelconque aide. Si je voulais en bĂ©nĂ©ficier, jâaurais dĂ» ĂȘtre pragmatique. Câest dommage parce que ça existe. Certaines entreprises qui rĂ©pondent systĂ©matiquement aux appels dâoffre de la commission EuropĂ©enne en ont mĂȘme fait leur business. »
« Il y a eu tout dâabord le plan Juncker qui voulait renforcer lâinvestissement au niveau des entreprises. La Belgique y a dâailleurs largement souscrit, mĂȘme si la sĂ©lection des investissements retenus fait toujours lâobjet de nĂ©gociations au niveau rĂ©gional. Il y a Ă prĂ©sent le Green Deal: avec mille milliards qui devraient ĂȘtre dĂ©gagĂ©s. LâidĂ©e est principalement de mettre en place des mesures qui permettraient dâatteindre la neutralitĂ© climatique dâici 2050. Ce plan europĂ©en vise Ă©galement Ă dĂ©velopper ou renforcer des secteurs porteurs dĂ©diĂ©s Ă cette problĂ©matique. Lâampleur des moyens est ici nettement plus significative que par le passĂ©. »
« Il existe toute une sĂ©rie dâaides mais il y a un manque de connaissance des possibilitĂ©s offertes. Les relais et lâaccĂšs Ă lâinformation ne sont pas aisĂ©s. La Banque EuropĂ©enne dâInvestissement peut notamment fournir des aides pour les crĂ©dits ainsi que les fonds FEDER pour diffĂ©rentes structures. Il existe plein de possibilitĂ©s mais on ne sait pas comment elles sont structurĂ©es. Quid donc de lâefficacitĂ© de ces aides et de lâutilisation de ces ressources? Sont-elles optimales? Dâun autre cĂŽtĂ©, cette complexitĂ© a un avantage : on voit des entreprises qui naissent et dont le but est de dĂ©tricoter tout ça. »
Ă quoi reconnaĂźt-on un environnement bĂ©nĂ©fique au dĂ©veloppement de lâentrepreneuriat? « Plus un univers fiscal est changeant et variable, moins les gens vont entreprendre. Si les rĂšgles qui sont applicables le sont encore dans 3 ans, câest rassurant. Dans notre domaine, on conseille des placements financiers mais lâincertitude qui pĂšse sur la taxation des placements nâaide pas par exemple. CrĂ©er cette incertitude, câest un frein pour lâentrepreneuriat. Il faut ĂȘtre clair au niveau de la sauce fiscale Ă laquelle on va ĂȘtre mangĂ©. Mais câest aussi une question dâĂ©ducation. Celui qui a Ă©tĂ© Ă lâuniversitĂ©, qui a Ă©tĂ© confrontĂ© au milieu entrepreneurial trĂšs tĂŽt va avoir beaucoup moins peur de se lancer. Il faudrait donc augmenter des formations et encourager les Ă©changes entre gĂ©nĂ©rations visant Ă encadrer les jeunes qui se lancent. »
« Il faut pouvoir encourager ceux qui dĂ©cident de crĂ©er ou de faire croĂźtre leur sociĂ©tĂ©. Lâentrepreneur qui dĂ©cide de financer sa sociĂ©tĂ© par fonds propres et dây rĂ©investir ses bĂ©nĂ©fices par la suite, au lieu de sâendetter, devrait y ĂȘtre davantage incitĂ© fiscalement. Dâautant plus quand les statistiques montrent quâune entreprise a plus de probabilitĂ© de pĂ©ricliter dans les trois Ă cinq premiĂšres annĂ©es de sa crĂ©ation. En outre, il est Ă©galement important de ne pas tout concentrer sur quelques secteurs porteurs dâavenir comme le digital. Les autres secteurs, comme lâartisanat, mĂ©ritent Ă©galement une attention quant Ă leur dĂ©veloppement et ne doivent surtout pas se sentir laissĂ©s-pour-compte. »
« Lâentrepreneur doit avoir confiance en lâavenir, en la stabilitĂ© fiscale Ă court terme et Ă moyen terme. Il faut aussi un climat social favorable. La crĂ©ation de nouveaux marchĂ©s donne des opportunitĂ©s. La formation des jeunes Ă lâentrepreneuriat peut aussi faciliter cet environnement. Il faut donner envie aux jeunes dâentreprendre et de prendre ça en main. Il faut oser montrer les rĂ©ussites et en ĂȘtre fier, surtout en Wallonie. On doit redorer lâimage et redonner confiance aux entrepreneurs. On doit aussi avoir un plan clair pour lâentrepreneur. Son entreprise doit sâĂ©panouir, mais lui aussi doit pouvoir sâĂ©panouir personnellement. »
TEXTE BASTIEN CRANINX