12 | 21.3.2022 | COMMUNICATION
Nous parlons de plus en plus comme des machines Pour le psychanalyste français Yann Diener, lâinformatique qui rĂšgle dĂ©sormais nos vies appauvrit notre langage. Et si cela avait pour consĂ©quence, Ă terme, dâentraĂźner la disparition de la parole? Texte: Laurent Nicolet
Comment ce glissement sâexplique-t-il?
Du fait simplement que nous utilisons tous, partout, des ordinateurs. Il y a encore quelques annĂ©es, la premiĂšre chose que je faisais quand jâentrais dans mon bureau de consultation de pĂ©doÂpsychiatrie, câĂ©tait de serrer la main du petit patient et de ses parents. Aujourdâhui, mon premier geste, câest dâallumer mon ordinateur, dâouvrir une session, de rentrer deux codes et trois login, que jâoublie rĂ©guliĂšrement. Ce qui mâoblige Ă appeler le service informatique de lâhĂŽpital qui me suggĂšre dâenvoyer un mail pour quâil puisse me renvoyer un nouveau code, chose que je ne peux pas faire puisque je nâai pas accĂšs Ă mon ordinateur du fait que jâai oubliĂ© mon code. On est dans Kafka, les procĂ©dures dâidentification tournent Ă lâopĂ©ration de police, Ă la contrainte. NâexagĂ©rez-vous pas un peu? Nous avons de plus en plus affaire Ă des machines, des logiciels dont on nâavait pas lâusage â ce qui ne nous empĂȘchait pas de bien travailler. Le premier niveau de pĂ©nĂ©tration de lâinformatique dans nos vies est cette contrainte: on met plus de temps pour faire quelque chose que lâon faisait simplement avant, avec une feuille de papier et un crayon.
Illustrations: Getty Images / iStock
Y
ann Diener, comment en ĂȘtes-vous venu Ă vous ÂintĂ©resser Ă la LQI, ou langue quotidienne ÂinformatisĂ©e? Dans ma pratique de psychanalyste, je me suis rendu compte que de plus en plus de mots issus du vocabulaire de lâinformatique passaient dans des domaines nâayant rien Ă voir avec lâinformatique. Jâentends la langue des patients changer, avec des expressions du genre: «Il faut que je briefe ma femme» â des mots qui viennent du marketing. Sans compter des mots plus rĂ©cents comme «prĂ©sentiel» et «distanciel». On aurait pu dire des rĂ©unions Ă distance ou en prĂ©sence, mais on dit «prĂ©sentiel» et «distanciel» parce que cela sonne comme logiciel, cela sonne efficace, cela sonne informatique. Alors que câĂ©taient des mots utilisĂ©s dans les controverses thĂ©ologiques au XVe siĂšcle et tombĂ©s en dĂ©suĂ©tude depuis. DerniĂšrement, mon fils de 4 ans, en rentrant de la maternelle, mâa dit: «Aujourdâhui on a fait un algorithme.» II sâagissait en fait dâune tour de Lego oĂč une brique rouge alternait avec deux briques bleues.