La vulgarisation scientifique est-elle un échec ? Étienne KLEIN - Nov 2021

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Je pense que, d’une façon souterraine, il s’est passé dans les dernières décennies un phénomène qui a été assez bien analysé non pas par un scientifique, mais par un philosophe, Bernard Williams, dans un livre traduit en français par Vérité et véracité, Essai de généalogie (Gallimard, 2006). Le philosophe britannique y observe dans les sociétés postmodernes telles que la nôtre deux courants de pensée à la fois contradictoires et associés. D’un côté, un attachement intense à la véracité : en témoignent le souci de ne pas se laisser tromper, la détermination à crever les apparences pour détecter d’éventuelles motivations cachées derrière les discours officiels. Et, à côté de ce refus – parfaitement légitime – d’être dupe, une défiance tout aussi grande à l’égard de la vérité elle-même : celle-ci existe-t-elle vraiment ? Si oui, comment saurait-elle être autrement que relative, subjective, temporaire, locale, instrumentalisée, culturelle, corporatiste, contextuelle, factice ? Curieusement, note Bernard Williams, ces deux attitudes opposées – désir de véracité, contestation de l’idée même de vérité –, qui devraient en toute logique s’exclure mutuellement, se révèlent en pratique tout à fait compatibles. Elles sont même mécaniquement liées : le désir de véracité enclenche au sein de la société un processus critique généralisé, lequel fait douter que puissent exister, sinon des vérités accessibles, du moins des contre-vérités démontrées. Si l’exigence de véracité et le déni de vérité marchent main dans la main, ce pas de deux ne va pas sans dommage. Dès lors que vous niez l’existence de la vérité, au service 34


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